00:007h45 sur BFM Business et sur RMC Live. Un procès historique commence demain au tribunal correctionnel de Paris, celui de Lafarge en Syrie.
00:07L'ancien fleuron français et 7 autres prévenus sont accusés de financement du terrorisme et non-respect des sanctions internationales.
00:13La justice reproche à Lafarge et à son ancien PDG Bruno Laffont d'avoir versé plus de 3 millions d'euros aux organisations terroristes de l'État islamique,
00:22notamment pour maintenir l'exploitation de l'usine en Syrie.
00:24Philippe Ardoin, bonjour. Merci d'être avec nous ce matin. Vous êtes l'auteur de « L'affaire Lafarge en Syrie et ses guerres de Londres ».
00:31C'est aux éditions Le Cherche-Midi. Vous avez été directeur de la communication du Cimentier entre 2001 et 2008.
00:36Vous avez travaillé directement avec Bruno Laffont, l'ancien président de Lafarge.
00:41Pourquoi ce livre ? Vous n'êtes pas journaliste. Ce n'est pas un boulot d'enquête classique comme Mathieu Pechberti, qui est avec moi ce matin, pourrait le faire.
00:48Vous vouliez, vous, faire votre propre enquête ? Vous considérez que tout n'a pas été dit, que l'enquête elle-même n'a pas été faite correctement ?
00:57Oui. Ce qui m'a amené à écrire le livre, c'est qu'au fond, au bout de quelques années d'instruction judiciaire, parce que ça dure depuis 9 ans, cette instruction judiciaire,
01:05on réalise, au vu de ce qui se trouve dans le dossier et au vu d'un certain nombre de discussions avec des journalistes, d'ailleurs, pendant toutes ces années,
01:14on réalise qu'il y a énormément de zones d'ombre, il y a énormément de trous dans la raquette dans ce dossier d'instruction.
01:20Et notamment en ce qui concerne la relation entre Lafarge et les services de l'État, les services d'intelligence, la DGSE, la DGSI.
01:34Et il y a des anomalies considérables dans ce dossier.
01:37C'est ça qui m'a amené, finalement, à poursuivre l'enquête.
01:41Je ne suis pas un journaliste d'investigation, mais j'ai fait ce travail d'enquête en allant voir un certain nombre d'acteurs qui n'ont jamais été interrogés par la justice.
01:49Mathieu, justement, le rôle de l'État dans le détail. L'État est parti civil aussi.
01:53Oui, exactement. L'État a porté plainte, le ministère de l'Économie, mais effectivement, il y a ce double jeu, on va dire, de l'État français.
02:00Vous dites dans votre bouquin que l'État n'a pas voulu déclassifier un certain nombre de documents, que la justice n'a pas pu interroger tout le monde.
02:06Il y a eu beaucoup de demandes de fait, notamment d'anciens ministres comme Laurent Fabius.
02:09Est-ce que vous estimez que cette affaire a été un peu, on va dire, étouffée par l'État français ?
02:15Oui, au vu des éléments qui sont sortis au fil des années, on peut considérer que ce dossier a été, disons que l'État s'est mis à l'abri,
02:24et il y a eu une volonté de mettre l'État en dehors de cette affaire.
02:29Il y a beaucoup trop d'indices qui le prouvent, et c'est ce que je démontre dans le livre.
02:34Il y a d'abord l'acteur principal du sujet.
02:38C'est un homme d'affaires syrien qui était le partenaire de la Farge dans cette affaire depuis le début de ce dossier.
02:44Et c'est par lui que passaient toutes les relations avec l'environnement.
02:47Donc s'il y a eu des paiements, c'est lui qui peut en témoigner, s'expliquer là-dessus.
02:55Or cet homme qui a un mandat d'arrêt international contre lui, n'a jamais été entendu par la justice, à aucun moment.
03:05Mais la question à laquelle on a envie d'avoir une réponse, c'est pourquoi cette usine n'a pas été fermée en Syrie ?
03:11Vous dites que l'État n'a jamais demandé à la Farge de fermer l'usine.
03:14Est-ce que l'État a instrumentalisé la Farge ?
03:16Est-ce qu'il y a pour vous des raisons autres ?
03:18On avait besoin d'entendre des gens sur place ?
03:20Est-ce que c'est servi de la Farge comme une source ? Est-ce que c'est ça ?
03:23C'est une possibilité.
03:25Je ne peux pas l'affirmer, mais la question mérite d'être posée.
03:30Est-ce que si cette cimenterie s'était trouvée dans la zone de Damas,
03:35il est évident que les autorités françaises auraient demandé immédiatement à cesser l'activité.
03:41Or, cette cimenterie, depuis le départ, se trouve dans la zone qui est tenue par les Kurdes.
03:46Or, les forces rebelles kurdes ont été les principaux alliés des Occidentaux pendant cette guerre en Syrie.
03:51Donc, il y avait...
03:53C'était connu de tous que cette cimenterie opérait dans cette zone kurde
03:58et que les forces rebelles kurdes soutenaient, protégeaient la cimenterie.
04:04Voilà.
04:04Donc, à partir de là, il y a un certain nombre de questions qui se posent.
04:08Le juge d'instruction, le juge a considéré qu'il y avait effectivement des renseignements nourris
04:17qui étaient échangés entre quelques personnes de la Farge qui étaient des espions
04:21et les services de la France.
04:24Mais il considère que c'est une affaire de circonstances.
04:27Pour savoir si c'est une affaire de circonstances ou si c'est un circuit totalement organisé
04:31de façon délibérée par l'État, encore faudrait-il confronter les points de vue.
04:37Or, ce n'est pas fait.
04:38Mathieu, il y a aussi le contexte économique.
04:40Entre-temps, la Farge et Olsim sont en train de fusionner.
04:43Oui, alors c'est exactement ça.
04:44Et d'ailleurs, pour rebondir là-dessus, vous connaissez bien Bruno Lasson, l'ancien PDG
04:48qui est sur le banc des prévenus à ce procès.
04:52Lui n'a jamais voulu fermer cette usine.
04:53Pourquoi a-t-il pris ce risque totalement inconsidéré ?
04:58Alors ça, je ne peux pas répondre à sa place.
05:00Lui, dans le dossier, il a expliqué que dès qu'il a su ce qu'il se passait,
05:06il a pris la décision de fermer l'usine.
05:08Ça, c'est à la justice, maintenant, de faire son travail et à Bruno Lasson,
05:13j'imagine, de s'expliquer pendant ce procès, sur ce point-là.
05:17Moi, ce que je mets en avant, c'est une autre histoire.
05:21C'est l'histoire de...
05:23L'affaire syrienne intervient au même moment que la Farge fusionne
05:26avec le numéro 2 du ciment mondial, Olsim, un groupe suisse.
05:30Et il apparaît, dès le départ, cette fusion est présentée comme une fusion entre égaux.
05:37Bon, 50-50.
05:39Or, en réalité, ça devient très vite un véritable champ de bataille.
05:43Et dans ce champ de bataille, il y a des intérêts puissants financiers,
05:46notamment par des actionnaires qui sont très importants au sein du groupe La Farge à l'époque.
05:51C'est GBL, c'est-à-dire Albert Frère et Paul Desmarais.
05:55Et ils utilisent l'affaire syrienne pour finalement finir le job et prendre le pouvoir.
06:00Et à partir de là, dès que l'affaire syrienne éclate,
06:06ils demandent à faire une enquête interne et ils le confient à un cabinet américain,
06:11Baker McKenzie.
06:12Ce n'est pas n'importe quel cabinet, c'est un cabinet composé uniquement de gens
06:16qui viennent du ministère de la Justice américain.
06:20Et ce rapport est un rapport qui est bâclé, il n'y a pas d'autre mot.
06:27Et il est donné à la justice et il devient le socle de l'enquête judiciaire, de l'instruction.
06:33Et ce rapport, il ne permet pas d'élaborer toutes les hypothèses
06:39et de faire une analyse sérieuse de ce qui s'est passé en Syrie.
06:42C'est-à-dire qu'on n'a pas fermé l'usine en Syrie pour pouvoir garder l'usine dans le giron de la Farge
06:50et être suffisamment important ? C'est ça que vous dites ?
06:53Non, ce que je dis, c'est que dès que l'affaire syrienne a éclaté,
06:58il y a des actionnaires importants qui ont voulu se protéger.
07:04Se protéger parce que si vous êtes jugé responsable de ce qui s'est passé en tant qu'actionnaire,
07:09vous ne pouvez plus exercer vos activités en dollars, par exemple.
07:14Donc vous êtes condamné à ne plus pouvoir exercer vos autres activités,
07:19vos autres investissements en dollars.
07:21Donc ils se sont protégés et en se protégeant,
07:23ils ont aussi chargé la Farge et les dirigeants de la Farge,
07:28ce qui a contribué à influencer d'une certaine manière le dossier d'instruction.
07:33Que risque Bruno Laffont, Mathieu ?
07:3610 ans d'emprisonnement, 225 000 euros d'amende.
07:38Olsi m'a plaidé coupable aux Etats-Unis,
07:40est-ce que ce n'est pas le baiser de la mort finalement
07:43qui va coûter très cher à Bruno Laffont à ce procès ?
07:46C'est en tout cas un baiser de la mort de la part d'Olsi,
07:48mais ça vient en complément de ce que je viens de dire,
07:51c'est-à-dire que le rapport Baker-McKenzie était la première étape,
07:55la seconde étape était ce plaidé coupable,
07:58et la dernière étape c'est effectivement de nettoyer
08:00et de faire en sorte que la Farge disparaisse.
08:03D'ailleurs aujourd'hui la Farge a totalement disparu,
08:05le nom a disparu, aucun dirigeant de cette époque
08:09ne se retrouve dans le nouveau groupe.
08:11Merci beaucoup Philippe Arnaud d'être venu ce matin
08:13dans la matinale de l'économie,
08:14ça s'appelle l'affaire Lafarge en Syrie
08:16et ses guerres de l'ombre,
08:17c'est aux éditions Le Cherche Midi.
08:20et ses guerres de l'ombre,
08:21c'est à la fin de la fin de la fin de la fin de la fin de la fin de la fin.