00:00Voilà. 16h47, chaque jour, un expert vient déconstruire les idées reçues.
00:04C'est la famille BFM Bourse et aujourd'hui notre combattant, celui qui vient combattre, oui, le consensus.
00:08C'est Emmanuel Lechypre, éditorialiste BFM Business. Bonjour Emmanuel.
00:12Bonjour à tous.
00:13Le retour de la prospérité en France passera par la réindustrialisation.
00:17Beaucoup le pensent, mais pas vous, vous dites bullshit.
00:21Il faut réindustrialiser pour retrouver la puissance, beaucoup le disent, le gouvernement le répète, mais ce n'est pas votre point de vue.
00:27– Non, c'est vrai que la réindustrialisation, elle est quand même présentée comme l'alpha et l'oméga du retour à la prospérité économique.
00:37Alors on connaît les arguments, ça crée de la valeur ajoutée, ça crée beaucoup d'emplois sous forme de ruissellement, c'est de la stabilité économique, etc.
00:48Alors on a priorisé en plus des secteurs, les batteries, les semi-conducteurs, les énergies vertes, le nucléaire, les médicaments, les biotechnologies,
00:55quasiment même l'automobile aussi.
00:58Mais la réalité, c'est qu'il faut bien voir que nous n'avons plus dans tous ces secteurs les moyens de rattraper notre retard.
01:06Quand vous regardez les sommes qui sont investies dans ces pays-là, sur ces secteurs-là, et ce qu'on investit nous,
01:12quand vous regardez les contraintes que nous nous posons au niveau français et européen
01:17sur le développement, l'agilité de toutes ces industries et que nous sommes les seuls à nous imposer,
01:22on se dit que c'est très compliqué.
01:23À tel point, je ne sais pas si vous aviez vu cette note assez explosive qui avait été faite,
01:29vous savez il y a eu un sommet franco-allemand qui s'est tenu il y a quelques semaines à Toulon,
01:33et il y a des économistes qui étaient chargés de préparer des notes stratégiques,
01:38et il y a notamment cette proposition choc de ces économistes, dont Jean Pisani Ferry par exemple,
01:45qui disait très clairement, inutile de s'acharner à concurrencer les Chinois sur les produits qu'ils fabriquent,
01:49bien mieux que nous, ou bien moins cher que nous.
01:52Achetons leurs panneaux solaires, leurs ordinateurs, leurs électroménagers, leurs vêtements,
01:57et moi je vous dis que bientôt ce sera leurs automobiles,
02:00parce que je ne vois pas comment l'industrie automobile européenne va pouvoir résister
02:05aux rames marées de l'industrie automobile chinoise,
02:09puisque soit nous achetons des voitures chinoises,
02:14soit, et c'est la réalité que vous expliquent aujourd'hui tous les sous-traitants
02:18qui sont en grande difficulté face à des concurrents chinois
02:21qui produisent des produits de très bonne qualité moins cher,
02:24soit les voitures européennes que nous produirons, de toute façon,
02:28seront composées à 70% de produits chinois.
02:31Et donc arrêtons de fabriquer tous ces produits,
02:37et puis ce sera très bien pour nos consommateurs,
02:40et ce sera très bien aussi pour nos entreprises qui exportent en Chine.
02:43Alors, en même temps, on n'est pas très surpris,
02:46puisque c'est une théorie et une proposition qui est conforme à la théorie du commerce international,
02:50qui consiste à dire, il faut le rappeler,
02:53plutôt que de tout fabriquer,
02:55deux pays ont intérêt à se spécialiser,
02:56là où ils sont les meilleurs et à échanger,
02:58mais c'est vrai que ce n'est pas dans l'ère du temps,
03:01ce n'est pas dans l'ère du temps à cause du protectionnisme,
03:04ce n'est pas dans l'ère du temps à cause du retour de cette notion de souveraineté, par exemple.
03:09Mais Emmanuel, j'ai une petite question,
03:10est-ce qu'un pays peut prospérer sans industrie,
03:14et qu'en étant basé que sur les services,
03:16ou que sur la ressource première,
03:20est-ce que c'est possible ?
03:21Eh bien, c'est possible, c'est possible,
03:24puisque si vous regardez la composition de notre PIB il y a 50 ans,
03:28regardez, c'était l'agriculture,
03:30un peu d'industrie, peu de services,
03:31et aujourd'hui, c'est déjà beaucoup de services,
03:34quasiment très peu d'agriculture,
03:36et assez peu d'industrie.
03:38Et vous avez plein d'exemples de pays qui ont peu d'industrie.
03:41Alors, il y a des exemples qui ne nous concernent pas vraiment,
03:43je vous vois venir,
03:44quand je vais vous dire qu'effectivement,
03:46les petits pays très spécialisés dans les services,
03:49le Luxembourg, Singapour, la Suisse,
03:51quoique la Suisse est aussi quand même un peu un pays industriel,
03:53mais c'est un pays aussi de banques de services.
03:55Prenez les pays riches en ressources naturelles,
03:57le Qatar, la Norvège, les Émirats Arabes Unis,
03:59eux, ils ont de l'énergie et des fonds souverains
04:02qui leur permettent d'acheter finalement de quoi garantir leur revenu.
04:06Mais prenez aussi des grands pays,
04:10prenez l'Angleterre quand même,
04:11c'est un cas assez intéressant.
04:13L'Angleterre, grâce à la finance,
04:16grâce aux services aux entreprises,
04:18grâce au commerce international,
04:19grâce au tourisme haut de gamme.
04:20Rappelez-vous ce que disaient les dirigeants britanniques après le Brexit.
04:24Leur rêve, ce n'était pas de faire une grande usine,
04:27c'était de faire Singapour sur la Tamise.
04:29Or, Singapour, c'est du service.
04:31Et regardez, enfin, la Californie,
04:33la Californie, l'industrie, c'est moins de 9% du PIB,
04:36c'est moins de 9% des emplois,
04:39et pourtant, c'est un revenu par habitant
04:40qui est deux fois plus élevé que la France ou l'Allemagne.
04:44Et puis, quand vous regardez là encore
04:45les travaux de l'OCDE
04:46sur quelle est la meilleure rentabilité d'un euro investi,
04:51vous ne tombez pas sur les secteurs d'industrie traditionnelle
04:54comme on les pense.
04:55Alors oui, il y a les technologies de l'information,
04:58mais il y a les services de proximité,
04:59la rénovation énergétique,
05:01l'éducation, la recherche, la santé publique,
05:04beaucoup de services.
05:05Donc, est-ce que ça vaut le coup de s'acharner,
05:07encore une fois,
05:09à aller investir dans l'industrie
05:11pour des combats qui sont perdus ?
05:12Manu, il y a quand même bien des secteurs
05:14qui sont quand même sous le coup de la souveraineté en France
05:18et qu'on a besoin de garder chez nous.
05:20Alors oui, c'est vrai,
05:22à condition de ne pas confondre
05:24souveraineté et sécurité d'approvisionnement.
05:26Les médicaments, par exemple,
05:27la sécurité d'approvisionnement,
05:29ça ne passe pas forcément par la production
05:30sur le sol national.
05:33Alors oui, là, je vous le conseille,
05:34pas question de toucher quand même
05:35à des industries critiques et stratégiques
05:38pour la sécurité, la défense, l'énergie.
05:40Mais même pour ces secteurs-là,
05:42on voit bien qu'au lieu de tout produire,
05:44plutôt se spécialiser sur les étapes
05:47les plus intenses en valeur ajoutée
05:48et clé pour notre souveraineté,
05:49on n'est pas obligé de tout faire.
05:53Donc voilà, gare à cette obsession
05:56pour la réindustrialisation,
05:58on peut très bien vivre
05:59avec une part de l'industrie
06:00dans le PIB et dans l'emploi
06:02qui est plus faible que ce qu'on a aujourd'hui.
06:04Regardez le Vietnam,
06:05c'est une puissance industrielle
06:06dans le sens où ils produisent beaucoup
06:07et ce n'est pas autre chose
06:08qu'une puissance industrielle.
06:10Exactement.
06:11Donc les histoires de
06:12on va revenir à 15% du PIB
06:14de l'industrie, etc.
06:16D'abord, aucun pays ne l'a jamais fait.
06:18Ah bon ?
06:19La réindustrialisation, ça n'existe pas.
06:20Même avec des robots ?
06:21Il y a eu l'industrialisation,
06:22on a maintenu l'industrie,
06:24mais il n'y a pas eu réindustrialisation
06:25au sens où on a recommencé
06:27à produire des produits
06:29qu'on ne produisait plus.
06:30C'est Emmanuel Lechype,
06:32notre éditorialiste maison
06:32BFM Business.