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  • il y a 2 mois
Ce matin dans le Grand portrait : Youssef Badr, magistrat, fondateur et président de l’association La Courte Echelle. auteur de “Pour une justice aux 1000 visages” (L’Aube). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10/le-grand-portrait-du-mercredi-27-aout-2025-2448126

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00:00France Inter, la grande matinale, Sonia de Villers.
00:07C'est l'histoire d'une solitude, celle d'un fils d'immigré marocain arrivé de son valdoise natale, place de la Sorbonne.
00:16Celle d'un gamin en basket Air Max dans un master de droit privé.
00:21Celle d'un jeune magistrat qui se voit pour la première fois dans les yeux des prévenus et de leur famille,
00:27avec sa gueule d'arabe, de quel côté se placer ?
00:31Ils sont rares, très rares, les procureurs et les juges issus de la diversité.
00:37Ils sont rares, très rares, les procureurs et les juges, fils d'ouvriers en bâtiment et de femmes de ménage.
00:44Si rares qu'on en vient ce matin à se poser une sacrée question.
00:48Peut-on rendre la justice au nom du peuple français quand on ne lui ressemble pas ?
00:53Portrait numéro 3.
00:57Bonjour Youssef Badre.
01:00Bonjour.
01:01Vous êtes premier vice-président adjoint au tribunal judiciaire de Bobigny, président de la 18e chambre correctionnelle,
01:06ce qui signifie de gros dossiers de narcotrafic, de l'escroquerie financière, mais aussi des violences intrafamiliales,
01:13la justice du quotidien, les comparutions immédiates, on va en reparler.
01:19Mais pourquoi vous vous êtes fait virer du lycée quand vous étiez en première ?
01:22Je me suis fait virer du lycée quand j'étais en première parce que j'avais une prof principale
01:27qui nous parlait souvent très mal, qui parlait souvent très mal aux mêmes, qui nous stigmatiquait.
01:37J'étais dans un lycée qui n'était pas simple, ceux qui étaient noirs, ceux qui étaient arabes.
01:42Et moi j'étais haut comme trois pommes et j'avais tendance à l'ouvrir un peu trop et à lui tenir tête.
01:50Alors à l'époque, ça faisait rire la classe.
01:53Moi je trouvais ça, j'étais content d'être au centre.
01:56Et voilà, quand il a fallu passer un conseil de classe, il y avait une règle qui existe d'ailleurs peut-être toujours,
02:01qui est deux avertissements conduits de suite valent trois jours d'exclusion.
02:06Ce qui a fini par me tomber dessus.
02:08Et j'ai compris que même si le système était injuste, on pouvait difficilement lutter contre ça.
02:11Et ce n'était pas la première injonction de vos parents, celle de rester dans le rang ?
02:15Si, absolument. C'était la première injonction de nos parents.
02:17Ça a toujours été celle de ma mère qui nous a toujours dit qu'on était venus en France,
02:22qu'on était quelque part des chanceux et que tous les étés ont rentré au Maroc.
02:25Elle me disait, regardez, vous auriez pu rester dans le village avec les chèvres, avec les champs d'olivier.
02:33Et elle me disait, le premier qui me ramène la police à la maison ou un problème d'ordre scolaire,
02:39on partira l'été en vacances, mais lui restera ici.
02:42Voilà. Donc c'était la première injonction.
02:44Mais après, je pense que la crise d'adolescence a pris le dessus, je crois.
02:47Elle ne comprenait pas le français.
02:49Elle ne lisait pas le français.
02:50C'est un de mes regrets. C'est un de mes grands regrets.
02:52C'est qu'elle m'a demandé un jour de lui apprendre quand j'étais étudiant.
02:56Elle m'a demandé de lui apprendre le français.
02:58À l'époque, j'étais trop pris par les jobs étudiants, par les cours de droit.
03:02C'est un très très grand regret que j'ai.
03:05Elle avait des petits cahiers qu'elle avait récupérés à la maison des femmes à Errani.
03:10Oui, c'est ça.
03:12Elles étaient plusieurs, d'origine malienne, sénégalaise et tout.
03:14Et elle m'avait demandé de lui apprendre le français.
03:16Je ne l'ai pas fait. C'est une énorme erreur de ma part.
03:18Et alors vous, qui vous a appris le français ?
03:20Qui vous a aidé à la maison ?
03:21Qui vous a aidé pour les devoirs ?
03:23L'école. L'école.
03:24Alors pour les devoirs, personne.
03:25Ma grande sœur, je dois l'avouer.
03:26Ma grande sœur nous a beaucoup aidé.
03:28Ma grande sœur, elle est arrivée.
03:29Elle avait des facilités à l'école.
03:31Elle a sauté pas mal de classes en primaire.
03:33L'un des deux dans mon souvenir.
03:35Ce qui a permis d'avoir des fournitures scolaires.
03:37Qui nous ont profité à tous.
03:38Qui nous ont profité à toute la famille.
03:40Et ensuite ma sœur nous a aidé.
03:42Après l'école.
03:42L'école a fait son rôle.
03:43J'ai eu la chance en primaire d'avoir des profs géniaux.
03:46Et le rap, c'est venu quand ?
03:48Comment ?
03:48A quel âge ?
03:49Et avec qui ?
03:50Et avec quel rappeur ?
03:51Le rap, c'est venu tout de suite, dès l'enfance en fait.
03:56Quand vous grandissez en banlieue, c'est un peu la musique de la banlieue.
03:59On n'écoute que ça.
04:00J'écoute que ça.
04:03Le rap, c'est tout.
04:04Alors ça a commencé par IAM quand on était petit.
04:07Mais ça s'est vraiment, vraiment développé dans les années, je dirais, 97-2004.
04:13C'est vraiment l'époque 113, Mafia Kinfri, DJ Mehdi.
04:17C'est vraiment ça en fait.
04:19Pour moi, c'est vraiment le...
04:20Voilà, je suis allé les voir en concert.
04:22C'était vraiment toute cette génération qu'on appelle d'ailleurs la génération dorée en fait, en matière de rap.
04:27Et c'est le juge qui vous parle, monsieur le président.
04:29Puisqu'on ne dit pas votre honneur.
04:31Non.
04:31Évidemment.
04:32Ni maître.
04:32Moi, je vous ai choisi Drake.
04:34Naïri Zadourian est une avocate pénaliste d'une trentaine d'années à une énième polémique
04:53qui consistait à traiter les jeunes de feignants.
04:55Et il n'y avait qu'à faire un petit boulot pour financer ses études comme tout le monde.
04:59Elle avait répondu sur Twitter un cri du cœur qui m'avait marqué.
05:02Et je vous l'ai retrouvée.
05:0318 août 2023.
05:05J'ai bossé toutes mes études.
05:07J'ai travaillé au KFC.
05:09J'y ai passé Noël et le premier de l'an.
05:11J'ai vendu des chaussettes.
05:12J'ai bossé à Uniqlo, Foot Locker, Printemps, la cure gourmande, manutentionnaire pour Optique 2000.
05:17J'ai mis des fruits secs dans des boîtes.
05:18J'ai fait des bagels et de la garde d'enfants.
05:20J'ai fait le service à midi du Bagelstein à la pause déjeuner de mon premier stage en cabinet d'avocat.
05:25J'ai pleuré en voyant mes camarades de promo partir en vacances
05:29pendant que je me levais à 5h du mat' pour plier des vêtements dans un magasin de merde.
05:33Et je ne souhaite ça à personne.
05:35J'ai fini en burn-out mes études.
05:37J'ai commencé ma vie pro en burn-out.
05:39J'ai toujours pas récupéré de la fatigue accumulée.
05:42Et je n'exige de personne de souffrir autant que j'ai souffert.
05:45Ça vous dit quelque chose ?
05:46C'est très juste.
05:47C'est très très juste.
05:48J'aurais pu compléter sa liste.
05:49C'est vrai ?
05:50Bien sûr.
05:50Vous avez brossé où ?
05:51On a tous fait les marchés chez nous.
05:53En Ile-de-France, j'ai fait le marché d'Argenteuil tous les dimanches matin.
05:56Pour gagner à l'époque, c'était 120 francs.
05:57On n'était même pas passé à l'euro.
05:59Les 20 francs, c'était pour rentrer en train.
06:02Il m'arrivait parfois, une fois sur deux, de les garder et de ne pas prendre de tickets.
06:06J'ai distribué des tracts devant des collèges.
06:07J'ai été livreur chez Classe Croute dans les Hauts-de-Seine.
06:10J'ai travaillé dans le bâtiment.
06:11J'ai compris que ce n'était pas fait pour moi.
06:13La liste, on peut la compléter.
06:15Ça veut dire quoi, concrètement, quand on fait ses études ?
06:17Ça veut dire qu'on rentre crevé, premièrement.
06:19Ça veut dire qu'on est crevé à un âge où on devrait être en pleine possession de moyens.
06:23Et ça veut dire surtout que c'est quand on est étudiant, du temps où on n'est pas à la fac,
06:28du temps où on n'est pas en train de réviser.
06:30Et dans un univers aussi concurrentiel que les études supérieures,
06:32ça veut dire que ce n'est pas qu'en fait sur un 100 mètres, ils partent avec 100 mètres d'avance les autres.
06:38C'est qu'en fait, vous, non seulement ils partent avec 100 mètres d'avance,
06:40mais en fait, il y a quelqu'un qui vous tire en arrière.
06:42Il vous tire en arrière, vous arrivez à vos parcelles, vous êtes crevés.
06:45Ça, c'est le quotidien que vivent énormément d'étudiants,
06:48qu'on suit notamment et que je suis à la courte échelle.
06:51La courte échelle, c'est l'assaut que vous avez monté en 2021.
06:55C'est une assaut qui rencontre un succès désespérant.
06:57Je le dis, c'est extraordinaire qu'enfin, les étudiants qui n'ont ni réseau familial,
07:02ni capital culturel puissent briser la solitude dans laquelle ils sont.
07:06C'est désespérant parce qu'il y en a déjà plus de 11 000 qui ont fait appel à vous.
07:10Et je le dis, le 2 septembre paraîtra, pour une justice aux mille visages,
07:14le mythe français de l'égalité des chances, aux éditions de l'Aube.
07:17Et dans ce petit livre, vous soulevez la question essentielle de l'accès aux études de droit
07:22et ensuite des parcours qu'on peut suivre au sein de l'université.
07:26Parce que vous le dites, monsieur le président, vous le dites, Youssef Badr,
07:30quand on arrive à l'université, on se perd.
07:33Vous, comment vous êtes passé de la fac de Ville Tanneuse à Paris 1, Sorbonne, place de la Sorbonne ?
07:39Moi, je pense que je n'aurais pas dû, seul, je n'aurais pas dû partir à la Sorbonne.
07:45Ce qui s'est passé, c'est que j'ai rencontré un prof, qui était un prof génial,
07:48qui nous faisait des débats.
07:50C'est un prof de procédure civile et en fait, on débattait de sujets de société.
07:53Et il nous connaissait, je pense, et ça partait souvent, c'était très très très tendu.
07:58Il faut dire qu'on est aux alentours, enfin on est en 2004-2005, donc autour des émeutes de 2005.
08:03Donc il y a un vrai sujet de société sur c'est quoi vivre en banlieue,
08:06c'est quoi la question de la discrimination, c'est quoi la question des contrôles d'identité,
08:09pourquoi des gamins qui n'ont rien à se reprocher fuient devant la police.
08:13Et ensuite, après un débat, en fait, il me demande ce que j'ai envie de faire.
08:17Plus tard, je lui dis, moi, être payé pour l'ouvrir, c'est-à-dire être avocat,
08:22moi j'adore en fait, donc je veux faire ça.
08:23Et il me dit, écoute, franchement réfléchis, je pense que la magistrature, c'est plutôt ça qui te faut.
08:29Et en fait, lui, il a su en fait me faire prendre les bons choix en fait.
08:34Il m'a dit par exemple, va nager avec les grands à la Sorbonne, va voir ce que c'est.
08:38Lits des livres, regarde des films, regarde des films, est-ce que tu connais ce livre-là ?
08:41Sauf qu'en arrivant à la Sorbonne, c'est le choc.
08:43C'est le choc culturel.
08:45Le choc des cultures, le choc de...
08:47Des fringues.
08:47Ouais, des fringues déjà, et puis des apparts en fait.
08:50Moi j'ai arrêté, alors après je ne suis pas toujours très sociable, je dois le reconnaître,
08:53mais tout au début de l'année, on était 30 dans le DEA,
08:57donc c'est l'équivalent du Master 2 aujourd'hui.
08:59Un camarade de promo très gentil fait une soirée,
09:02et je découvre qu'il a un appartement tant mieux pour lui,
09:04et vraiment, je suis content pour lui et heureux pour lui,
09:06mais il a un appartement à deux pas des Champs-Elysées,
09:09qui fait la taille de notre appartement dans lequel nous on est 7 en fait.
09:12Dans le Val-d'Oise.
09:12Dans le Val-d'Oise, et moi, eux ils sont tous là, ils habitent tous à proximité et tout.
09:16Moi je repars en RRA le soir, à 23h et tout, je me dis mais en fait,
09:20est-ce que tu ne te perds pas en fait là, à ce moment-là, est-ce que vraiment ça va marcher ?
09:24Zidane par-dessus Ronaldo, et allez !
09:28Zidane qui va tirer le coup fort, ça plonge bien !
09:31Il vous a donné de l'espoir ce but de Thierry Henry,
09:45Coupe du Monde de football 2006, parce qu'à ce moment-là,
09:49vous vous êtes décidés à franchir le pas,
09:51et vous vous êtes décidés à préparer le concours de l'école de la magistrature.
09:55C'était en pleine Coupe du Monde 2006,
09:57et c'est marrant quand le passage que vous avez lu tout à l'heure,
10:00quand elle disait qu'elle était en bornage,
10:01je pense que je devais plus ou moins l'être aussi,
10:03parce que je garde un souvenir physiquement,
10:05de fatigue intense et de morale au plus bas en fait.
10:08Le concours de l'ONM, il est très dur, il est très sélectif.
10:11Franchement, nerveusement et physiquement, il faut être prêt.
10:14C'est ce que je dis toujours aux étudiants.
10:15Il faut vraiment être prêt.
10:17Quand on dit que c'est un marathon, c'est vraiment au sens...
10:19Vous êtes couvert d'eczéma ?
10:19Oui, je suis couvert d'eczéma, je mange mal.
10:21Ma mère, elle me dit, mais ma mère a très peur pour moi.
10:23Elle a très très peur pour moi.
10:25Et vous avez peur pour elle, parce qu'on va dire les choses.
10:28C'est-à-dire qu'aujourd'hui, et ça s'est développé absolument partout,
10:31dans toutes les facs de droit de France,
10:33quand on passe des concours,
10:35c'est extrêmement difficile d'échapper aux prépas privés,
10:37qui sont en dehors des universités, qui sont très chères.
10:40Donc vous empruntez à la banque 15 000 euros.
10:42Moi, j'emprunte pour finir mes études,
10:43et j'ai la chance d'avoir un prof,
10:45toujours par l'intermédiaire de mon prof de fac,
10:47qui me dit, écoute, envoie-moi des disserts,
10:49parce que le niveau, il est catastrophique.
10:51Envoie-moi des dissertations, tu restes à Sergi.
10:53Comme ça, ça t'évite de faire les trajets.
10:55Tu m'envoies des dissertations tous les jours, par mail.
10:57Je te donne des sujets, et je vais te les corriger.
10:58Et c'est comme ça, en fait, que je progresse.
11:00Et vous l'avez eu, l'écrit, alors que vous n'y croyez pas,
11:02vous l'avez eu.
11:04Je vous rappelle que l'équipe de France a gagné la Coupe du Monde.
11:06Vous avez eu l'écrit.
11:07Interdit en finale.
11:08Et vous arrivez, en 98,
11:11donc vous vous êtes dit, si Thierry Henry marque,
11:13on peut aller jusqu'au bout.
11:15Et vous vous retrouvez à l'oral.
11:17Et là, il y a le mythe des crêpes-suzettes.
11:20Elle est vraie, cette histoire des crêpes-suzettes.
11:21Moi, je ne vous crois pas.
11:23Elle est vraie, cette histoire.
11:24Elle est vraie.
11:24Et c'est une question de Marisol Touraine.
11:26Je vous assure que c'est vrai.
11:27Ce n'est pas du tout pour la montrer du dos ou quoi que ce soit.
11:29Je vous assure que c'est vrai.
11:30Et je vais vous dire, c'est d'autant plus vrai.
11:31Vous dites la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.
11:36En fait, je tombe sur un texte d'André Gide.
11:38Déjà, j'ai du mal à le situer, pour être honnête.
11:40Le texte, je ne l'ai jamais lu.
11:42Donc, j'essaie de faire un exposé plus ou moins argumenté.
11:46Ce n'est pas dingue.
11:48Et ensuite, on me pose deux, trois questions.
11:49Déjà, je fais un premier loupé parce que je suis en stress total.
11:52Alors que je connais la réponse.
11:53On me demande qui est le dernier homme politique royaliste.
11:56Au lieu de répondre...
11:58Au lieu de répondre...
12:00Je ne sais plus ce que je réponds, mais je réponds Dominique de Villepin.
12:02Et en fait, ça n'a rien à voir.
12:03Donc, ils éclatent de rire.
12:05Ils me demandent, est-ce que Ségolène Royal est royaliste ?
12:07Bon, je ne comprends pas trop la question.
12:09Je ne sais plus par quoi je réponds.
12:10Et ensuite, c'est un texte qui parle autour de la cuisine.
12:13Qui parle de la cuisine et du fait de se retrouver le soir avec sa famille.
12:17Et on me parle de la crêpe Suzette.
12:19Elle me demande, est-ce que je connais la recette de la crêpe Suzette ?
12:21Et je lui dis, non, je ne connais pas la recette de la crêpe Suzette.
12:24Et en fait, il faut savoir que l'oral de l'ONM, il est public en fait.
12:26Donc, il y a des gens qui assistent.
12:27Et dans le public, il y a ma sœur.
12:28Qui, à l'époque, a un blog de cuisine.
12:31Un blog de cuisine qu'elle a développé, qui existe toujours d'ailleurs.
12:35Et je sors et elle me dit, mais tu es un tocard en fait.
12:37Elle me dit, tu ne connais pas la recette de la crêpe Suzette ?
12:39Je lui dis, non, mais c'est quoi le rapport avec le fait d'entrer à l'école de la magistrature ?
12:43En fait, il est là le sujet.
12:44Et en fait, tout le trajet jusqu'à la gare Saint-Lazare, tous les deux, elle me dit, j'ai assisté aux oraux juste avant.
12:52Il y avait des filles, c'était des brutes en fait, des brutes.
12:55Il y avait une fille qui connaissait toutes les racines latines, des mots, oui, tous les mots en latin.
13:01Elle connaissait la ville de naissance de Jean Jaurès et tout.
13:02Elle m'a dit, quand j'ai assisté à ça, je me suis dit, il va se faire exploser.
13:05Et tu t'es fait exploser, j'ai eu six.
13:08Vous l'avez repassé ?
13:09Je l'ai repassé, oui.
13:10Ce n'est pas gagné.
13:11Vous l'avez eu ?
13:12Oui, je l'ai eu.
13:12Je pense qu'ils m'ont trouvé gentil.
13:15Je pense qu'ils m'ont trouvé sympa.
13:16Vous n'ont pas trouvé seulement gentil puisque vous êtes juge et qu'aujourd'hui, vous êtes vice-président adjoint au tribunal de Bobigny,
13:22qui est un très grand tribunal en France.
13:24Vous pensez qu'il faut la supprimer, cette épreuve de culture générale ?
13:28Je pense qu'il ne faut pas la supprimer.
13:29Vous pensez que c'est la mort annoncée des 10 000 étudiants qui viennent frapper à la porte de la courte échelle désespérée ?
13:37Moi, je pense qu'il faut vraiment être en capacité de se dire,
13:42c'est quoi qui fait un bon juge ?
13:43C'est quoi qui fera un bon juge ?
13:45Est-ce que c'est vraiment...
13:46Le fait de savoir écrire en français, ça c'est normal.
13:48Suis des verbes complémentaires, pas de faire de fautes d'orthographe, c'est normal.
13:51Mais est-ce que vraiment le fait d'avoir fréquenté des théâtres, d'avoir lu les grands auteurs,
13:56est-ce que ça fera de vous un bon juge ?
13:57Je pense qu'il est là le sujet.
13:58Il y a le sujet.
13:59Et être capable aussi, sur des profils peut-être un peu différents, d'avoir un regard peut-être un peu plus bienveillant.
14:06D'avoir un regard plus bienveillant.
14:07Et c'est ça, pour moi, c'est ça le sujet.
14:10Et ensuite, de réussir à convaincre les étudiants, parce qu'il y a aussi le syndrome de l'imposteur qui les suit,
14:15de leur dire qu'il faut vraiment essayer de désacraliser cette épreuve du grand oral.
14:22Alors, il y a désacralisé cette épreuve du grand oral, et puis est-ce qu'il les attend après Youssef Badr ?
14:29Je vous propose d'écouter Patrick Cohen.
14:31C'était la saison dernière, dans ce studio, au micro où vous êtes,
14:35juste après l'assassinat d'Abou Bakar Sissé dans la mosquée de la Grande Combe.
14:39C'était... Patrick commentait la première réaction d'un élu RN.
14:44Son nom a surgi dès vendredi après-midi sur le fil X d'un ancien élu breton du Rassemblement National.
14:50Un compte suivi par 60 000 abonnés.
14:53Près d'Alès, Abdelkrim Grigny a tué au couteau un autre fidèle, en pleine mosquée.
14:58Le titre du message, particulièrement ignoble, directement du producteur au consommateur.
15:03Sous-entendu, qu'il s'entretue.
15:05Mais l'ex-élu RN a lu trop vite, ou en tout cas trop vite pour ses préjugés racistes.
15:09Il a vu un nom arabe, il en a déduit que c'était celui du criminel.
15:13Mais non, Abdelkrim Grigny n'est pas le meurtrier, c'est le procureur.
15:17Ça vous rappelle quelque chose ?
15:18Bien sûr, ça me rappelle quelque chose.
15:20C'est tellement révélateur, en fait.
15:23Tellement révélateur, en fait.
15:24Ça révèle quoi ?
15:25Ça révèle le racisme profond ancré dans un ex-élu au sein d'un...
15:30Ça révèle ce qu'ont été les élus du RN et ce qu'ils sont toujours ?
15:37Ou ça révèle, en fait, le fait que des procureurs arabes, il y en a très, très, très ?
15:41Ça dit beaucoup de la représentation qu'ont dans l'imaginaire des gens, en fait, tout simplement.
15:46C'est que le juge, il est forcément blanc.
15:48C'est la réalité.
15:49Et c'est pas méchant, c'est pas être méchant, c'est un simple constat, en fait.
15:52Moi, je dis souvent aux gens, mais beaucoup de mes collègues en sont conscients, pour le coup.
15:56Et ça, c'est vraiment un sujet qui est... Il n'y a qu'à voir le nombre de personnes qui nous suivent et qui nous accompagnent dans l'association.
16:01Vous rentrez dans un tribunal, regardez la composition de la juridiction, et c'est une réalité.
16:05Et moi, j'ai ce regard qui fait que je suis proche de mon Val-d'Oise, et proche de mon quartier, et proche des gens à qui j'ai grandi.
16:13Franchement, je dirais pas à l'antenne, mais la violence, parfois, des débats qu'on a avec eux, que j'ai avec eux,
16:18où ils me disent, mais c'est une justice de bourgeois, c'est une justice de blanc, Youssef, pour pas dire autre chose.
16:21Et moi, je me bats, parfois, pour essayer de dire qu'il faut aussi...
16:26C'est une justice de blanc ?
16:27Bah, il y a peu de diversité sociale. C'est une réalité, les hommes peuvent mentir, mais pas les chiffres.
16:32C'est-à-dire, est-ce qu'on peut rendre la justice au nom du peuple français, quand on ne lui ressemble pas ?
16:37Bah, c'est tout le sujet du livre. C'est tout le sujet du livre, voilà.
16:40Tout simplement, je pense que si on rend la justice au nom du peuple français, je pense qu'il faut qu'on fasse un gros travail,
16:44pour qu'elle représente l'intégralité de la société française.
16:46Et je ne parle pas que de la banlieue, loin de là. Je parle de la province, je parle de la fille d'agriculteur,
16:52je parle de la fille d'ouvrier, l'étudiante qui est étudiante, je ne sais pas, moi, à Poitiers,
16:57et qui voit les facs parisiennes, ou le cursus Sciences Po comme étant un peu la voix élitiste,
17:01et se dit, j'ai aucune chance pour le concours, je parle de tout ça.
17:04Et Youssef Badre, est-ce que ça fait de vous un juge clément ?
17:06Non, non.
17:08Vous savez, pour préparer ce portrait, j'ai appelé des avocats pénalistes qui vous ont eu dans des dossiers.
17:12Et la réponse est unanime. Pas du tout.
17:15Pas du tout. Non, mais vous savez, ce qui est marrant, c'est qu'on pense toujours que...
17:19Parce qu'on est de... Ça, on me l'a toujours dit, ça.
17:21Parce que je suis maghrébin, parce que parfois les prévenus, pour ne pas dire souvent, me ressemblent,
17:26je suis forcément clément. Non, en fait. Déjà, il n'y a pas que moi qui rend la justice, on est trois.
17:30Et là, une décision, elle doit être rendue à la majorité.
17:32Mais je ne crois pas être clément. Je pense qu'on est là pour juger.
17:36Et je vais vous dire, je dis souvent à mes assesseurs,
17:39la justice, on la rend au nom du peuple français.
17:41Il y a beaucoup de gens dans le public, notamment beaucoup de jeunes.
17:43Il faut toujours qu'on se dise une chose.
17:46Est-ce que ce soir, quand ils rentrent chez eux le public,
17:47ils se disent, je suis rassuré par ce que j'ai vu ?
17:50C'est la question qu'on se pose régulièrement.
17:52Je ne dis pas qu'on rend la justice bien, qu'on la rend toujours bien,
17:55mais c'est ça que je me dis tout le temps.
17:57Est-ce que les gens, ils sont rassurés quand ils viennent au tribunal ?
18:00La deuxième fois que vous avez passé le NM,
18:03re-Grand Oral, re-Culture Générale.
18:06C'est quoi la question qui fait que cette fois, vous l'avez eu au LAM ?
18:08Je pense vraiment que c'est une pirouette.
18:10C'est la question, on m'a demandé si j'aurais prêté allégeance au Maréchal Pétain,
18:14sous Vichy.
18:15Et je ne sais même pas pourquoi, je ne sais même pas pourquoi j'ai répondu non.
18:18Je n'aurais pas prêté allégeance.
18:19C'est comme ça, des années plus tard, j'aurai eu un amphithéâtre à mon nom.
18:21Et je vous jure, ils ont éclaté de rire.
18:25Éclaté de rire.
18:25Le Président, qui était un magistral de la Cour du Cassation, se tordait de rire.
18:29À l'idée que vous dites, je dis non et j'aurai mon amphithéâtre.
18:32Un amphithéâtre, Youssef Badr.
18:34À mon nom.
18:35Ils ont ri et ça, je pense, retournait le Grand Oral.
18:38Ce n'était pas dingue, le Grand Oral, mais je pense qu'ils se sont dit,
18:40il y a de la répartie, il est sympa.
18:42Après, évidemment, il y avait les autres notes, d'autres trucs,
18:44mais je pense que ça a beaucoup joué, je crois.
18:46Youssef Badr, pour une justice aux mille visages,
18:49le mythe de l'égalité des chances, ça paraît aux éditions de l'Aube.
18:52Ça paraît que la semaine prochaine, mais c'est déjà en précommande.
18:56Voilà, et où est-ce que peuvent vous contacter tous les étudiants en droit qui nous écoutent ?
19:00Sur le site de l'association La Courte-Echelle.
19:02On a beaucoup, beaucoup, beaucoup déjà de demandes.
19:04On fera tout pour aider le maximum d'étudiants.
19:06Merci Youssef Badr.
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