Passer au playerPasser au contenu principal
  • il y a 19 heures
Sophie Calle, artiste plasticienne et photographe, est notre invitée pour évoquer son livre “Catalogue raisonné de l’inachevé” (éd Actes Sud), un ouvrage où elle recense tous ses projets ratés, abandonnés, annulés. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-portrait/le-grand-portrait-du-jeudi-27-novembre-2025-8416638

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00France Inter, la grande matinale, Sonia De Villers.
00:07En ce moment, j'aime bien diviser l'humanité en deux catégories, alors je continue.
00:11Il y a les humains, première catégorie, qui gardent tout.
00:15Et ceux, seconde catégorie, qui jettent tout.
00:19Moi, je passe ma vie à faire le vide, ça me fait un bien fou, les objets et autres machins, ça encombre.
00:24Mon invité, elle, ne jette rien car chaque chose la ramène à un souvenir.
00:30Croyez-vous pour autant qu'elle entasse les reliques et les laisse prendre la poussière ? Non.
00:35Sophie Kahl est l'une des artistes françaises les plus célèbres au monde.
00:39A partir de chaque souvenir, surtout quand il est douloureux,
00:42elle invente un jeu dont elle établit les règles afin de conjurer la peur et le chagrin.
00:48Puis de cette expérience, elle tire un récit mis en scène dans les galeries et les musées.
00:53Sauf que parfois, parfois, ça a foiré.
00:56Sophie Kahl s'est trompée, ou bien Sophie Kahl s'est lassée.
00:59Bref, Sophie Kahl s'est arrêtée.
01:02Mais comme elle est Sophie Kahl, elle a tout gardé.
01:05Et elle publie aujourd'hui un catalogue de ses projets inachevés.
01:08C'est souvent très drôle, quoique, quand on rend hommage à tout ce qu'on n'a pas fini,
01:14c'est qu'on veut rester en vie à tout prix.
01:16Et ça, c'est presque un cri.
01:17Portrait numéro 54.
01:19Bonjour Sophie Kahl.
01:24Bonjour.
01:24Finir, c'est mourir ?
01:27Finir ?
01:28Moi, j'ai entamé ce projet à cause de Picasso, d'une phrase de Picasso qui disait qu'il avait horreur de l'achever,
01:35que presque achever, c'était la vie.
01:37Et donc, oui, finir...
01:43Il disait, j'ai horreur de l'achever, la mort est finale.
01:47La mort est finale.
01:48Le coup de revolver achève.
01:50Le presque-achever, c'est la vie.
01:51La mort est finale.
01:52Et moi, j'avais tous ces projets entassés, qui attendaient l'horreur.
02:00Et j'ai pensé que je m'en débarrasserais, justement.
02:04Ce n'était pas forcément pour les garder, c'était pour les avoir ailleurs, derrière moi.
02:11Enfin, vous ne les avez pas jetés ?
02:13Je ne les ai pas jetés.
02:14Je ne les ai pas jetés parce qu'en effet, je garde tout.
02:16Et puis aussi, je n'ai jamais déménagé depuis 1979, ce qui m'a aidé à tout conserver.
02:25Et parce que je me dis que ça peut toujours servir.
02:28Catalogue raisonné de l'inachevé.
02:30C'est ce très beau livre qui paraît aux éditions Actes Sud.
02:33Parce que faire l'inventaire raisonné de tout ce qu'on n'a pas achevé, c'est une manière de défier la mort.
02:38C'est-à-dire se dire, tant qu'il y a à faire, tant qu'il y a à terminer, on est en vie.
02:42Ou bien, c'est aussi une manière de tout ranger, en se disant qu'un jour, il faudra s'en aller.
02:48Oui, c'est aussi le hasard de la vie.
02:50C'est-à-dire que quand j'ai fait cette exposition au musée Picasso,
02:54et que j'y ai montré tout mon intérieur, tous les objets de ma vie, tous mes projets achevés,
03:01qu'est-ce qu'il est resté chez moi ?
03:03Des caisses avec des projets qui n'allaient nulle part.
03:06Alors, soit parce qu'ils étaient sans intérêt et que je m'en suis aperçue à temps,
03:13soit parce que quelque chose les a interrompus, la mort du protagoniste ou la censure,
03:22soit parce que je n'ai pas trouvé le temps d'en finir.
03:27Il y avait des tas de raisons, mais le fait est, c'est qu'ils n'étaient pas inventoriés.
03:33Et que de m'en servir, c'était une manière réellement de faire le minage,
03:38et puis aussi de faire un bilan, parce que ça traversait toute ma vie.
03:42Mais c'est un bilan qui commence par la mort et qui s'achève par la mort.
03:46Première phrase de votre texte, Sophie Kall.
03:49J'ai voulu organiser la répétition générale de mes funérailles,
03:52mais les réticences des metteurs en scène,
03:54l'impossibilité de réserver le cimetière Montparnasse,
03:57ainsi que les difficultés entourant la préparation d'une cérémonie,
04:00sans connaître l'âge de la défunte,
04:03parce que forcément, si elle meurt à 50 ans ou à 90,
04:07le discours n'est pas le même, les vêtements non plus,
04:10m'a fait ajourner ce projet.
04:13Dernière image de ce livre, une fausse couverture de la série noire, Game Over.
04:18Écoutez, on parle plus facilement, en tout cas, dans mon cas,
04:23de la mort à 72 ans qu'à 30.
04:27Donc, je pense que c'est le cours naturel de mes projets.
04:32D'abord, j'ai commencé ma vie dans un cimetière,
04:37puisque ma mère, quand elle était enceinte,
04:39traversait le cimetière du Montparnasse pour se promener.
04:43Ensuite, j'ai habité d'un côté du cimetière du Montparnasse
04:45et mon école était de l'autre,
04:46donc je le traversais quatre fois par jour.
04:49Et puis ensuite, dans mes projets,
04:51ma mère est morte, mon chat est mort, mon père est mort.
04:55Vous avez écrit 500 testaments ?
04:57Oui, j'écris des testaments, chaque fois que j'ai un peu peur.
05:00Oui.
05:01Et puis, je me fâche, donc je les refais.
05:03Vous avez fait faire votre propre nécrologie ?
05:06Oui, qui m'a fait peur d'ailleurs.
05:07Je l'ai fait faire.
05:10C'était également pour le musée Picasso.
05:12Et quand j'ai vu que tous les mots étaient à l'imparfait,
05:15je n'ai pas supporté.
05:17Donc, je l'ai gardé, la nécro,
05:19mais j'ai caché tous les mots à l'imparfait.
05:21Et puis, dans les projets inachevés,
05:25il y avait votre volonté de trouver un mot,
05:27car il n'existe pas en français,
05:28pour combler cette absence de termes,
05:31pour dire qu'est-ce que c'est qu'un homme
05:33qui a perdu un enfant,
05:35qu'est-ce que c'est qu'une femme
05:36qui a perdu un enfant.
05:38Il n'y a pas de mot pour le dire.
05:39Alors, vous inventez la mère feline
05:42et le père felin,
05:43et puis, par superstition,
05:45vous décidez d'attendre la mort de vos parents,
05:47qui n'étaient pas morts à l'époque,
05:48et puis, vous laissez traîner.
05:49Et puis, vous vous dites peut-être
05:51qu'il est préférable de ne pas trouver de mots.
05:53Oui, sachant que je ne me sens pas concernée
05:55n'ayant pas d'enfant.
05:57Mais, en effet, j'ai quand même cherché.
06:00Je suis allée voir Barbara Cassin
06:02à l'Académie française.
06:05On a réfléchi à cela.
06:07On n'est pas arrivés.
06:08Et puis, souvent, la recherche est plus intéressante
06:11que le résultat.
06:14C'est ça, la leçon de ce livre,
06:16de ce catalogue.
06:17Je ne sais pas s'il y a une leçon dans ce catalogue,
06:19mais, en tout cas,
06:22et s'il y en a, il y en a plusieurs.
06:24Il y a le fait aussi de ne pas être victime d'un échec,
06:28mais retourner.
06:30Moi, j'aime bien retourner les choses.
06:32Quand on est heureux, on ne veut rien retourner.
06:34On se laisse aller, on se laisse vivre.
06:37Mais quand on traverse un moment douloureux,
06:43c'est toujours bien de prendre de la distance.
06:45C'est pour ça que les ruptures amoureuses
06:47sont si importantes dans votre histoire
06:49et dans votre œuvre artistique, sophicale.
06:51C'est pour ça qu'à chaque rupture amoureuse,
06:54pour que ce ne soit pas une fin,
06:56vous fabriquez un jeu, un rituel,
06:58une expérience, un projet,
06:59pour que ce soit le début de quelque chose.
07:01J'ai en effet trois des projets sur les ruptures amoureuses
07:04et j'ai vécu beaucoup plus de ruptures amoureuses
07:08que ces trois cas.
07:11Je crois que je ne connais personne
07:13qui ait été autant quittée que moi.
07:15Donc, je ne fais pas chaque fois quelque chose.
07:19Là, je voyais, il y avait artistiquement,
07:22parce que quand même, je fais ça,
07:23pas pour des raisons psychologiques,
07:26où je fais ça quand je vois
07:27que ça peut occuper les pages d'un livre
07:30ou le mur,
07:31que ça peut intéresser les autres, déjà.
07:34Donc, oui, il y a trois moments
07:37où je me suis dit que d'en faire quelque chose
07:39me libérerait.
07:41Et en effet, c'est souvent beaucoup plus intéressant
07:43et passionnant d'en faire un projet
07:46plutôt que de vivre sa rupture.
07:49Écoutez la voix de Christian Boltanski.
07:51Il est mort il y a quatre ans.
07:52C'était un très grand ami à vous.
07:53C'était un compagnon de route aussi
07:55et c'était l'un des plasticiens français,
07:57probablement les plus réputés au monde.
08:00Je ne sais pas ce que j'appelle la petite mémoire.
08:02La grande mémoire est dans les livres.
08:04Et puis, la petite mémoire, c'est de savoir
08:06où sont les meilleurs Kichleren à Paris,
08:08quelques histoires drôles.
08:10C'est ce que nous sommes.
08:11Et quand quelqu'un meurt,
08:13ce qui est toujours affreux,
08:14c'est que cette petite mémoire disparaît totalement.
08:17Et ce qui nous différencie les uns des autres,
08:19c'est ces petites histoires.
08:20C'est ce que nous sommes.
08:21Et donc, d'essayer de préserver cette petite mémoire,
08:25qui est en fait impossible à préserver,
08:26parce que c'est tellement lié à chaque être humain,
08:28a toujours été une chose qui m'a intéressé,
08:30de sauver ces bribes de vie.
08:32Dans ce catalogue raisonné de l'inachevé, Sophie Kall,
08:37vous glissez à la toute fin des instructions post-mortem.
08:43Voilà ce qu'il faudra détruire quand vous,
08:44vous serez morte,
08:46sans en faire cas,
08:47sans les ouvrir,
08:48sans les lire.
08:49Et là-dedans, il y a beaucoup de choses.
08:51Pas tant que ça.
08:52Non, pas tant que ça, mais quand même.
08:54Il y a tous ces testaments périmés.
08:56Il faut se débarrasser des lunettes qui ne voient plus.
08:59Il faut se débarrasser des clés.
09:00Vous avez gardé toutes les clés de toutes les maisons que vous avez habitées ?
09:03Je crois.
09:04Je crois.
09:04Voilà.
09:05Donc, ces clés qui ne voient plus de serrure.
09:07C'est très poétique.
09:08Il y a vos carnets.
09:11Et puis, j'ai repéré quelque chose.
09:13Il y a les journaux intimes de votre mère.
09:16Et vous dites qu'elle m'avait fait promettre de ne pas dévoiler à certains proches.
09:21Il y avait deux proches.
09:23Elle ne voulait pas, parce qu'elle les traitait avec un petit peu de dureté.
09:30Et elle ne voulait pas.
09:31Elle regrettait, peut-être.
09:32Donc, un de ses proches est mort, mais l'autre est vivant.
09:38Ça signifie qu'elle écrivait ?
09:40Elle voulait écrire.
09:41C'était son rêve d'écrire.
09:43Elle était simplement, elle était un petit peu paresseuse.
09:46Vous avez voulu à sa place ?
09:48Non, je n'ai pas écrit.
09:50Pour ceux qui ne connaissent pas vos œuvres, les textes et l'écriture et les mots,
09:54ils sont absolument majeurs.
09:56Peut-être, parfois, on vous range dans une catégorie de photographe
09:58à laquelle, en fait, vous n'appartenez pas.
10:00Les mots sont très présents tout le temps, tout le temps.
10:03Oui, moi, j'ai fait des images à la place de mon père, qui était collectionneur d'art
10:06contemporain.
10:07J'ai vu sur ses murs des œuvres et j'ai écrit à la place de ma mère, qui ne pensait
10:14qu'à travers la littérature.
10:17Et je me suis aperçue, j'ai pensé également, ce n'est pas uniquement à cause d'eux, mais
10:21j'ai pensé que je n'écrivais pas assez bien pour que mes textes tiennent le coup
10:27seuls et que je ne photographiais pas assez bien pour que mes images aussi puissent vivre
10:34sans texte.
10:36Et c'est comme ça que j'ai trouvé mon style.
10:38Je pense que c'est par doute.
10:41Alors qu'est-ce que c'est que cette généalogie de femmes qui doutent ? Par exemple, un des
10:49plus beaux projets inachevés, en tout cas des plus bouleversants, votre grand-mère, juive
10:56polonaise, qui s'exprimait probablement mieux en yiddish qu'en français, qui avait
11:02beaucoup de mal à écrire, terminaient toutes les lettres qu'elle vous adressait en réclamant
11:07de les jeter.
11:09Elle avait honte.
11:11Elle avait honte.
11:12Elle a toujours eu honte.
11:13Elle n'a jamais voulu qu'on parle du passé.
11:16Elle ne voulait plus en parler.
11:18Mais je n'arrivais pas à les jeter, même petites, parce que je l'aimais beaucoup, que
11:26ça m'attristait, cette manière de terminer ces lettres, qui par ailleurs étaient toujours
11:34très généreuses envers moi.
11:37Mais je ne pouvais ni les montrer, parce que je voulais respecter sa volonté, ni les jeter.
11:45Et c'est compliqué.
11:49Et c'est compliqué.
11:50Voilà encore une bonne raison d'arrêter un projet.
11:53Oui, c'est une raison.
11:54Et d'une certaine façon, je ne l'ai pas arrêté, puisque au lieu de parler de ce qu'elle
11:59disait, je parle de mon impossibilité à m'en débarrasser.
12:04Je me voudrais blonde, comme une américaine, être douce et sage, ou sucrée, t'emmener
12:14sur mon nuage de fumée.
12:20L'amour, c'est comme une cigarette, ça brûle et ça monte à la tête.
12:28Pourquoi vous remerciez Sylvie Vartan ?
12:30Parce que dans les projets inachevés, il y en a un sur une rupture, une fois de plus,
12:41et que j'ai mis une chanson de Sylvie Vartan à la fin.
12:47Sans enfants, voilà un projet hilarant, très beau, très profond, très politique aussi,
12:56mais d'abord très drôle.
12:58Vous remerciez, en plus de Sylvie Vartan, à la fin du livre, Google qui a résumé votre
13:03vie au seul fait de ne pas avoir eu d'enfants.
13:06Oui, ça c'est la vérité.
13:07Ça c'est la vérité.
13:08Vous dites sur le net, je suis tombée sur une description me concernant, ne tenant
13:12qu'en sept mots, Sophie Calle, artiste française, sans enfant, par choix.
13:17Oui, c'est extraordinaire, je ne sais pas d'où c'est sorti, mais en tout cas, c'est
13:21ce que j'ai trouvé.
13:22Alors, en réponse à ceux qui s'étaient acharnés sur vous avec leur prosélytisme,
13:27je cite vos mots, leur bienveillance menaçante, leurs exhortations combinatoires.
13:33J'ai projeté d'intituler mon projet « Sale gosse ». Alors, il y avait des trucs
13:37géniaux dans « Sale gosse ». Racontez.
13:39Oui, j'ai commencé par collectionner des photos d'enfants moches, puisque tout le
13:44monde dit toujours que leur enfant est merveilleusement beau.
13:49J'ai commencé à poser des questions dans la rue à des femmes avec des poussettes,
13:56pour leur demander si elles regrettaient.
13:58Et vous dites 100% de non, comme dans les Républiques Bananières.
14:01Oui, on n'a pas le droit de regretter.
14:04J'ai testé ma tolérance dans une colonie de vacances.
14:07Ça, c'est osé quand même.
14:08Voilà.
14:09J'ai simulé une grossesse.
14:12J'ai reçu avec un faux ventre le photographe Jürgen Teller, qui est une super star mondiale
14:17de la photographie, qui vous a photographié avec un faux ventre.
14:20Oui, il m'avait dit la veille de trouver une tenue intéressante, et je lui ai demandé
14:27d'ailleurs, quand il est rentré, ça vous va ? Il a dit ne toucher à rien.
14:31Et puis, j'ai eu 50 ans, on m'a enfin foutu la paix, je me suis calmée.
14:37Voilà une autre bonne raison d'interrompre un projet.
14:40Il y a péremption.
14:42Oui, parce qu'il faut qu'il y ait quand même un petit peu de vérité derrière un projet.
14:46Dans les ruptures, il y en a une dont je parle, où je m'aperçois que je suis beaucoup
14:54plus heureuse en train de faire le projet que je ne l'étais dans la relation.
14:59Et puis, il y en a une où j'ai eu peur que l'homme ne revienne, parce qu'au fond,
15:04oui, mon projet également m'intéressait plus.
15:07Et s'il était revenu, ce n'était plus possible de faire un projet, parce que ça aurait
15:11été totalement artificiel.
15:13Donc, il faut quand même qu'il y ait une réalité derrière.
15:17Et c'est vrai que je n'en pouvais plus, de mes 25 ans à mes 40 ans.
15:22Il n'y a pas un jour où quelqu'un...
15:25Vous avez même dans le taxi, vous avez des enfants, et pourquoi ?
15:28Tellement c'était suspect, tellement c'était transgressif, tellement ce n'était pas la norme.
15:34Non, oui, ce n'est pas la norme.
15:35Même ma mère, qui ne voulait pas d'enfant, et qui me l'a avoué un jour, m'a dit
15:40« Si tu ne fais pas d'enfant, tu seras malheureuse toute ta vie. »
15:43Donc, la pression venait de partout.
15:45Et vous dites, il y a péremption, donc ce projet, il n'a plus lieu d'aboutir,
15:50parce que j'ai eu 50 ans, qu'on m'a foutu la paix.
15:52Mais moi, je me suis demandé s'il n'y avait pas aussi, de la part de votre génération,
15:56la sensation que des choix, puisque là on parle du choix absolument libre et consenti d'une femme,
16:02si vos choix, vos combats, votre histoire ne collaient plus tellement à l'époque.
16:07Parce que, par exemple, il y a un autre projet inachevé,
16:10où vous dites, dans mon studio du boulevard Edgar Kiné, on était en 1973,
16:14chaque semaine, deux femmes venaient s'allonger sur ma longue table en bois massif,
16:19et là étaient pratiquées des avortements clandestins à ce moment-là.
16:22Oui, c'était avant l'autorisation, avant la loi,
16:24et avec le MLAC, il y avait une méthode relativement douce, si on peut dire,
16:33en tout cas sans avoir à endormir les femmes,
16:36et on avait créé un groupe pour réaliser, sous la protection d'un médecin,
16:43des avortements chez nous.
16:44C'est ça, et puis l'avortement est légalisé,
16:47et puis la table reste, elle ne sert plus à ça,
16:49elle redevient un objet usuel, un objet...
16:51Elle redevient ma table de cuisine, oui.
16:53Voilà, et vous dites, comment raconter ça ?
16:57Et je me suis demandé aussi, dans cet inventaire que vous faites,
17:00ce catalogue raisonné, s'il n'y a pas aussi toute l'histoire d'une génération
17:03qui parfois se dit, ça avait tellement de sens à cette époque,
17:07et puis aujourd'hui, le monde a changé,
17:09est-ce qu'on colle encore au récit ?
17:13Non, on ne colle plus au récit, c'est pour ça que je l'interromps,
17:16et puis aussi, la table n'a plus aucune raison de rester une table d'avortement.
17:23Oui, mais derrière la table, il y a tous vos combats.
17:26Il y a des années de militantisme, de croyance.
17:28Mais c'est pour ça que j'ai gardé la table.
17:30Je ne peux ni la donner, ni la jeter, une fois de plus.
17:34C'est pour ça que je l'ai gardée, et elle m'encombre,
17:36elle est grande, elle prend beaucoup de place,
17:39mais je ne peux ni la donner, ni la jeter.
17:40Alors, pour finir, Sofical, il y a deux autres Sofical en France ?
17:45Ça, c'est une histoire, je ne suis jamais allée les voir.
17:48Encore un projet interrompu ?
17:50Oui, oui, par peur.
17:52Cette fois, j'ai engagé un détective privé de chez Duluc,
17:55c'était à l'époque de Duluc, pour qu'il cherche les Sofical.
17:58Une Sofical, j'en avais trouvé une grâce à mes propres recherches.
18:03Et il est allé dans le nord de la France,
18:05et il en a tout, ça c'est trop beau pour être vrai.
18:08Oui, c'est trop beau pour être vrai, il n'y a qu'à vous que ça arrive.
18:10Oui, et il en a trouvé deux, avec le même nom,
18:14l'une de naissance, l'autre par mariage,
18:17qui vivaient dans la même ville, travaillaient dans la même usine,
18:20ne se connaissaient pas.
18:22Et celle qui m'intéressait, celle de naissance,
18:25en fait, il s'est aperçu qu'elle avait des gros problèmes.
18:30Il m'a conseillé de ne pas y aller, lui-même avait été plutôt mal reçu.
18:34C'est ça, quand le projet artistique se confronte au réel.
18:42Merci mille fois Sofical.
18:44L'inachevé, le catalogue raisonné,
18:46il paraît aux éditions Actes Sud.
18:49C'est un très très beau livre.
18:50Merci d'être venu sur France Inter.
18:51Merci d'avoir regardé cette vidéo !
Écris le tout premier commentaire
Ajoute ton commentaire

Recommandations