- il y a 2 jours
Rokia Traoré, chanteuse, pour son livre “Je suis née libre” (JC Lattès).
Retrouvez « Le grand portrait » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00C'est l'histoire d'un tragique tourbillon judiciaire.
00:03Une star de la chanson malienne, Roquia Traoré, se retrouve en prison et entame même une grève de la faim.
00:10Elle vit à Bamako avec sa fille qui était toute petite quand ses parents se sont séparés
00:15et que les discussions sur la garde ont dégénéré.
00:18Le père est belge, il dépose plainte à Bruxelles pour non-présentation d'enfants.
00:22La procédure vire au drame puisqu'un mandat d'arrêt international est lancé contre Roquia Traoré.
00:28Droit de visite et garde d'enfants se sont mués en enlèvement et séquestration.
00:34Aujourd'hui, la chanteuse peut à nouveau voyager.
00:37Ce qu'elle veut, c'est témoigner.
00:38Témoigner de la douleur des menottes sur ses poignets, de la puanteur d'une cellule,
00:42de la violence d'un juge, de la détresse des mères poursuivies, d'un dîner de fête entre co-détenus
00:48et de cette effroyable question, mais qu'est-ce que je fais là ?
00:52De la Seine à la Jôle, l'histoire de Roquia Traoré est celle d'un moment
00:56où toute une existence bascule, après quoi la vie n'est plus jamais la même.
01:02Portrait numéro 48.
01:03Bonjour Roquia Traoré.
01:31Je voulais qu'on commence en chanson, parce qu'avant qu'elle ne bascule, votre vie, c'était la musique.
01:37La musique, la musique et encore la musique.
01:40Et toujours la musique.
01:41Et toujours la musique.
01:42C'était un plaisir d'entendre Rita James en arrivant.
01:44Chanteuse, musicienne, compositrice, danseuse, mère de famille, on va le raconter.
01:52Vous avez donné des concerts dans le monde entier, en Russie, aux Etats-Unis, dans tous les pays d'Europe, en Australie.
01:59Vous avez été membre du jury au festival de Cannes.
02:02Je voudrais parler de ce petit livre qui paraît chez JC Lattès, un récit très personnel,
02:06qui s'intitule « Je suis née libre ».
02:10Et pour comprendre pourquoi vous avez besoin d'affirmer cette liberté,
02:13il faut comprendre comment vous avez été enfermée.
02:16Où a eu lieu votre première arrestation ?
02:19Qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là, Roquia Traoré ?
02:23On ne comprend pas.
02:26Il y a une grande incompréhension.
02:31Parce qu'on ne sait pas ce qu'on a fait.
02:34Et tout est remis en question.
02:37Et on a l'impression qu'on va sortir de la vide,
02:40parce que c'est forcément un malentendu.
02:43Mais c'est impressionnant de voir...
02:44C'est-à-dire que quand vous êtes arrêtée, vous ne comprenez pas pourquoi vous êtes arrêtée ?
02:48Non, même si...
02:49En fait, la toute première fois, ce n'était pas moi directement,
02:52c'était l'enfant qui était déclaré comme enfant disparu.
02:55Et c'était au Sénégal.
02:57Donc comme c'était dans la zone CEDAO,
02:59le Sénégal, le procureur voit un peu,
03:02dès le lendemain de la situation,
03:06où on m'a demandé de me présenter à la police le lendemain.
03:09Évidemment, là, on ne m'a pas arrêtée.
03:11Je n'ai pas été en garde à vue.
03:13Je me suis présentée à la police,
03:15effectivement, pour le lendemain,
03:18comme je m'étais engagée à cela.
03:20Et au regard du dossier,
03:24avec le questionnement de Bamako
03:26par rapport à ma résidence,
03:28et puis le certificat des enfants qui avait été envoyé,
03:32donc j'ai été libérée.
03:33Avec ce doute où j'avais été avertie par quelqu'un
03:36qu'il y avait probablement aussi un mandat d'arrêt européen.
03:39Mais je devais arriver de toute façon en Europe.
03:42Et donc je suis partie,
03:43parce que j'avais cette escale à Paris,
03:45pour Moscou.
03:46Donc pour moi, de toute façon,
03:48je faisais déjà ça et ensuite on gérait le reste.
03:50Mais je n'ai jamais pris l'avion pour Moscou.
03:52Parce qu'à la sortie de l'avion à Roissy,
03:55j'ai été accueillie par quatre policiers
03:57et menée en garde à vue.
04:00Menée en garde à vue ?
04:01Oui.
04:02Et là, qu'est-ce qui se passe ?
04:04Je passe la nuit en garde à vue.
04:07C'était le 25 novembre 2019.
04:10Je vois l'avocat général à Paris menotté,
04:14escorté en voiture de police avec les sirènes.
04:18C'est très impressionnant.
04:19C'est choquant.
04:20Parce qu'après Dakar, déjà, je ne comprenais pas.
04:26Mon enfant était là.
04:28Et heureusement, elle n'a rien compris.
04:29Mais pourquoi pas ?
04:30Elle était toute petite.
04:31Elle avait trois ans.
04:32Elle avait quatre ans.
04:33Donc, pourquoi on ne va pas à l'hôtel, maman, etc.
04:36Donc, on arrive à lui dire
04:38« Oui, mais ça va aller ».
04:39Et puis, je dis doute.
04:40Et puis, qu'est-ce qui se passe ?
04:41Pourquoi cette affaire ?
04:43Que pourtant, j'ai répondu au juge tout de suite,
04:45malgré le fait d'avoir reçu la citation à comparer par email.
04:49J'ai quand même...
04:50Mon avocat malien a tout de suite trouvé un avocat à Bruxelles
04:53pour avertir le juge du fait qu'il y a eu une erreur.
04:57Je vis au Mali et l'enfant aussi.
04:58Donc, une affaire en droit de la famille
05:00ne devrait pas pouvoir être initiée en Belgique.
05:02C'est ça dont on parle.
05:03C'est-à-dire que votre ex-compagnon,
05:05le papa de la petite fille,
05:07dépose plainte pour non-présentation d'enfant
05:09auprès d'un tribunal...
05:10Du mauvais système de justice.
05:13...auprès d'un tribunal de Bruxelles.
05:15Lui, il est belge.
05:16Il vit en France.
05:17Lui, il est belge.
05:18Voilà.
05:18Lui, il est belge.
05:19Et c'est parce que le tribunal belge a statué...
05:23Finalement, c'est-à-dire suite à cette citation à comparer
05:26d'être en droit de la famille reçu par e-mail.
05:29Et malgré un juge averti de ma résidence,
05:33celle de cet enfant,
05:34et même de l'enfant qui n'était pas dans le dossier,
05:36parce que dans le dossier,
05:38c'était comme si j'avais un enfant,
05:39la petite de 4 ans,
05:40sauf que j'en avais un autre.
05:41Vous avez un fils aîné.
05:42Fils aîné dont la garde m'était attribuée
05:44avec résidence à Paris,
05:46reconnue par le tribunal de Paris.
05:47Donc, tous ces éléments sont fournis,
05:49mais le jugement a quand même lieu en droit de la famille,
05:52ce qui permet de porter plainte ensuite
05:54pour non-présentation d'enfant.
05:58Et c'est cette non-présentation d'enfant
06:00pour laquelle je suis arrêtée
06:02avant instruction du dossier,
06:04parce que le premier mandat d'arrêt européen émis
06:06est émis en octobre 2019.
06:09Et c'est comme ça que vous vous retrouvez en garde à vue ?
06:11En garde à vue.
06:11En garde à vue à Roissy.
06:12Avec une demande de l'avocat général à Paris
06:15de me rendre à Bruxelles auprès du juge d'instruction.
06:17Et donc, moi, je me dis, alors, je vais me rendre là.
06:20Et on me dit, d'ailleurs, oui, c'est pour vous expliquer,
06:22parce que c'est vrai que c'est peut-être un malentendu.
06:25Donc, convaincu de cela, en janvier,
06:27comme on m'avait donné jusqu'au 25 janvier
06:29pour me rendre à Bruxelles,
06:31m'entretenir avec le juge d'instruction,
06:33m'entretenir,
06:34donc j'y vais le 22 janvier,
06:37et là, pareil, rebelote.
06:38On instruit enfin le dossier
06:40en me questionnant à la police.
06:42Et dans la foulée,
06:44je suis en garde à vue.
06:46Et le lendemain, je suis inculpée
06:48pour non-présentation d'enfants,
06:50mais comme si j'avais été arrêtée à Bruxelles,
06:53ce qui est le cas,
06:53puisque je me suis présentée.
06:55Donc, voilà.
06:56Non, mais Roquette,
06:56c'est l'histoire d'un emballement judiciaire
06:59absolument effarant,
07:00où vous vivez au Mali,
07:02et chaque fois que vous vous déplacez,
07:03vous êtes arrêtée,
07:04vous êtes jetée en prison.
07:06Vous allez enchaîner la prison
07:08dans plusieurs pays européens.
07:10Vous allez vous retrouver en garde à vue en France,
07:12vous allez vous retrouver en prison en Italie,
07:14vous allez vous retrouver en prison en Belgique.
07:18Transformer en hors-la-loi.
07:20Là où, évidemment,
07:21il y a une communication,
07:22elle a enlevé un enfant,
07:24et puis sur le mandat d'arrêt européen,
07:26il a quand même écrit
07:26« enlèvement, séquestration et prise d'otages ».
07:29Puisque c'est cela qui permet
07:30un mandat d'arrêt européen,
07:32et non une non-présentation d'enfants.
07:35Donc, il y a tout cela vu.
07:36Il y a aussi une image,
07:38la première crainte,
07:40ce sont mes enfants,
07:41et qui va aboutir à une autre crainte,
07:45mon image.
07:46Qu'est-ce qui est en train de se passer ?
07:47Je suis quand même amassatrice
07:48de bonne volonté de...
07:51Du haut commissariat aux réfugiés.
07:52Voilà, aux réfugiés.
07:54J'ai une réputation,
07:56j'ai un passeport diplomatique malien,
07:58avec une grande confiance en moi
07:59des autorités maliennes,
08:01et des autorités à l'international en général.
08:03et il y a une communication
08:05comme quoi j'ai enlevé un enfant.
08:07Donc, quand on parle de mandat d'arrêt européen,
08:10tous ceux qui savent,
08:12savent qu'on ne peut en avoir un sur le dos
08:15que lorsqu'on a commis un acte d'enlèvement.
08:18Donc, j'ai beau m'expliquer
08:20les rares fois que je peux
08:21lorsque je sors de prison,
08:23plus personne ne m'entend,
08:24puisque je suis officiellement
08:26une femme qui s'est crue au-dessus de la justice,
08:29qui a enlevé un enfant
08:30et qui refuse de ramener cet enfant.
08:32Donc, il n'y a pas de logique,
08:33puisque normalement,
08:34le Mali coopère.
08:35Si j'ai enlevé un enfant,
08:37un retour de l'enfant est demandé,
08:38la justice malienne est obligée de coopérer,
08:40mais ça n'a jamais été fait.
08:41Roquette raorée,
09:09la grande voix malienne,
09:10qui se retrouve en prison.
09:11Il y a un moment,
09:12vous avez entamé une grève de la faim.
09:15Une grève de la faim
09:16qui vous a valu le soutien
09:18de nombreux intellectuels,
09:20écrivains, chanteurs, acteurs,
09:22je pense à Omar Sy, par exemple,
09:24qui ont signé une tribune
09:25dans Libération,
09:26en disant,
09:27on se retrouve dans une situation
09:29absolument kafkaïenne.
09:31cette femme ne devrait pas être en prison.
09:33Et même Christiane Taubira,
09:34ancienne garde des Sceaux,
09:36publie un texte court,
09:38mais très virulent,
09:39pour dire de quoi on parle.
09:41C'est ni une terroriste,
09:43ni une criminelle.
09:44Sortez-la de prison.
09:45Vous, pendant ce temps-là,
09:47c'est la grève de la faim.
09:48Oui,
09:49et je comprends,
09:50à ce moment-là,
09:51quelque chose
09:52de la grève de la faim.
09:54C'est que c'est moins,
09:55comme d'ailleurs,
09:56je l'ai dit
09:56à l'agent,
09:58l'officier supérieur
09:59en prison à l'époque,
10:00il m'a dit,
10:00vous savez,
10:01il n'y a pas de bras de fer
10:02possible avec la justice,
10:04parce que c'est ainsi
10:05qu'elle voyait
10:06ma grève de la faim.
10:06Une manière de défier,
10:10de faire pression ?
10:11Ben oui,
10:11et ce n'était pas ça.
10:12C'était quoi ?
10:13La nourriture ne passait pas.
10:15Je ne comprenais pas
10:16ce que je faisais.
10:17Je n'avais pas envie de boire,
10:18pas envie de manger.
10:20J'avais peur pour mes enfants
10:23en plein Covid,
10:24où tout le monde parle
10:25de la faim du monde,
10:26surtout en Afrique,
10:27où il était annoncé
10:28que ce sera l'hécatombe,
10:30et mes enfants,
10:30ils sont isolés.
10:32Avec une personne
10:34très proche
10:36qui a pu faire le voyage
10:37rapidement avant
10:39la fermeture des frontières
10:41pour les rejoindre.
10:42Et qui s'occupe d'eux ?
10:43Et tout mon personnel
10:44qui était là,
10:45qui ont été formidables,
10:46mes amis,
10:47la famille,
10:48etc.
10:49Oui,
10:49mais je n'étais pas là.
10:51Et je m'inquiétais.
10:52Et je m'inquiétais
10:53de ma vie
10:54qui se ruinait.
10:56Parce que déjà,
10:56il y avait eu auparavant,
10:58en novembre,
10:59quand je ne prends pas l'avion
11:00pour Moscou,
11:00pour le Bolshoi,
11:02c'est tout un contrat
11:02qui tombe.
11:04Sur une pièce,
11:05et je me sens aussi coupable
11:06à l'égard
11:07de ce directeur d'opéra
11:09qui m'a fait confiance.
11:10On a fait un travail formidable.
11:12Cette version de Dido Henné
11:14a été appréciée
11:15pour toute la partie
11:16de prologue
11:17justement que je jouais
11:18qui avait été rajoutée
11:19à la pièce,
11:20cette pièce de Purcell.
11:22Et qu'ils avaient dû
11:24trouver quelqu'un
11:25au dernier moment
11:26à Moscou
11:27pour me remplacer.
11:29Alors que
11:29ce que je faisais
11:31était très particulier
11:32et on avait répété
11:33travailler pendant six mois.
11:34Et aux enfants,
11:35vous arrivez à parler ?
11:36Non,
11:37quand je suis en prison,
11:38bien évidemment non.
11:39Je pars,
11:39je leur dis,
11:40je reviens jeudi
11:41en partant lundi
11:42ou mardi,
11:43je ne me rappelle plus.
11:46Et je me retrouve
11:48en prison.
11:49C'était en mars.
11:50Donc après,
11:51la première garde
11:53a vu en novembre
11:54qu'il m'avait valu
11:55l'annulation
11:58de contrats
11:59et de travail
12:01très très important.
12:02Donc il y a
12:03un mélange de choses.
12:04Mais comment je vais faire
12:04avec ma carrière
12:06qui est en train
12:06de s'écrouler ?
12:09Mes enfants
12:09dont je suis seule
12:10à m'occuper,
12:11qu'est-ce qu'ils vont devenir ?
12:11Donc c'est du désespoir ?
12:12C'est du désespoir
12:14et de l'inquiétude.
12:15Ça ne passait pas.
12:16Et j'étais en prison là,
12:17je ne savais pas
12:18ce qui m'arrivait.
12:19C'était ma première fois
12:20en prison.
12:21Et vous passez
12:22de prison en prison,
12:24vous racontez
12:24la prison de Civitavecchia
12:27en Italie,
12:28vous racontez
12:28une prison belge
12:30super moderne
12:31où les détenus
12:33sont isolés
12:34de manière
12:36totalement inhumaine,
12:38en manque
12:39de contact humain.
12:41Mais vous racontez
12:41vos co-détenus.
12:43Qu'est-ce qui s'est passé
12:44avec les femmes
12:45que vous avez rencontrées
12:46en prison,
12:47Rochia Traoré ?
12:48Il y a eu
12:49des moments très difficiles
12:50dont je ne parle pas
12:50dans le livre
12:51parce que ce n'était
12:52pas le plus important.
12:53c'était ce à quoi
12:54je m'attendais ça.
12:56Que ce soit compliqué
12:57avec des co-détenus
12:58qui n'ont...
12:58Nous n'avons pas
12:59les mêmes vies
13:00et aucune d'entre elles
13:01n'a la même vie finalement.
13:03Pas les mêmes histoires.
13:03Elles viennent de partout.
13:05Donc ça, c'est très compliqué.
13:06Des moments difficiles,
13:07c'est quoi ?
13:07C'est des moments violents ?
13:09Oui, oui.
13:10Des femmes qui sont violentes,
13:11qui sont agressives ?
13:12Il y en a.
13:13Il faut s'imposer.
13:14Il faut...
13:14En fait, des femmes
13:16qui ne comprennent
13:16que le langage de la violence.
13:18C'est-à-dire qu'on s'approprie
13:21les choses.
13:24On ne négocie pas.
13:26On s'approprie le respect des autres.
13:29On s'approprie son territoire.
13:30Et vous savez être violente
13:32quand on est violente avec vous ?
13:35Oui.
13:36Comment vous résistez à ça ?
13:37Comment vous résistez à la violence,
13:38à l'agressivité ?
13:40C'est automatiquement...
13:43On change, on comprend.
13:45L'agressivité,
13:46pour quelqu'un comme moi,
13:48c'est déjà quand une surveillante
13:50me demande de me mettre nue devant elle
13:52pour qu'elle me fouille.
13:54Ça, c'est agressif.
13:55L'agressivité, pour moi,
13:57ce sont ces décisions judiciaires
13:59mais qu'il suffisait
14:01de me demander de me présenter.
14:03Je l'aurais fait.
14:04Il suffisait...
14:05Donc, en arrivée là,
14:07tout était tellement violent
14:08pour moi déjà
14:09que la violence de mes co-détenus
14:11n'était rien.
14:12À côté de la violence de l'institution,
14:14de la violence du système judiciaire.
14:15Qui m'avait déjà appris à résister
14:16et à dire non.
14:18Voilà, ce sera...
14:19On apprend vite, en fait, finalement.
14:22Et ce qui m'a vraiment touchée
14:24dont je parle dans le livre,
14:26ce sont les co-détenus
14:27avec lesquels je me suis entendue.
14:28Oui.
14:29Celles qui m'ont tout de suite
14:30fait confiance
14:31et celles qui m'ont dit
14:33au bout de quelques jours
14:35« Tu n'es pas comme nous. »
14:37En fait, tu nous fais pitié.
14:39J'avais souvent ça.
14:40Parce que ce sont des prisonnières
14:41de droits communs,
14:42ce sont des délinquantes,
14:43ce sont des criminels...
14:43Qui sont là et qui savent
14:45et qui savent qu'elles ont un temps,
14:46que c'est un temps pour elles
14:47de répentie
14:50et de changement
14:52et qui comprennent
14:54que je ne comprenne pas
14:56ce que je dois faire là
14:57et qui me disent « Nous ne comprenons pas non plus. »
14:59Déjà, aucune d'entre elles
15:01ne savait qu'il soit possible
15:04d'être en prison
15:05pour avoir enlevé son propre enfant.
15:08Donc, c'est finalement moi
15:09qui me retrouvais à leur dire
15:10« Si, il y a une loi, etc. »
15:12Mais le problème est que
15:13je n'ai pas enlevé d'enfant.
15:16Et donc, d'une manière ou d'une,
15:18ça les faisait rire.
15:19Des fois, il y a celle qui était
15:20un peu plus dure
15:22et puis celle qui disait
15:22« Mais laissez-la tranquille. »
15:24Il y a eu des moments
15:24de grande sororité
15:25et de grande bienveillance.
15:28Absolument.
15:28Et c'est ça que j'ai retenue.
15:29Vous racontez un repas
15:30que vous faites en prison
15:33pour une co-détenue.
15:34Tout à fait.
15:35Qui était triste pour la première fois
15:37et c'est elle qui me consolait tout le temps.
15:39et ça m'a perturbée
15:42de la voir triste tout d'un coup.
15:44Et ce repas,
15:45c'était le jour
15:46où j'allais être libérée
15:47et j'avais envie de rester
15:48partager ce repas avec elle.
15:50Vous l'avez dit,
15:50c'est un restaurant quatre étoiles.
15:52Voilà.
15:52C'est ça.
15:53Et ça la fait rire.
15:53C'est ça.
16:09Il y a une question terrible
16:13quand on a voué toute sa vie
16:16à la musique.
16:17C'est si un jour
16:18on doit aller en prison,
16:20qu'est-ce qu'on emporte
16:21comme disque ?
16:22Normalement,
16:22on dit une île déserte.
16:24Mais on peut faire le jeu
16:25avec la prison.
16:26Oui, absolument.
16:27J'ai pensé à ça
16:28lorsque mon avocate
16:30en Italie,
16:32à Rome,
16:33m'a demandé
16:34si j'avais besoin
16:35qu'elle m'amène de la musique
16:36parce qu'on peut
16:37s'acheter un petit lecteur CD
16:39en prison
16:40et écouter des CD.
16:43Donc,
16:43ce que je voulais
16:43qu'elle m'amène.
16:44Et là,
16:44j'ai pensé à cette question.
16:46Il fallait réfléchir.
16:47Il n'y avait pas...
16:48J'avais le droit
16:49à trois CD.
16:51Et j'ai choisi...
16:52Trois CD.
16:52Tout à fait.
16:53J'ai choisi
16:54Myriam Makeba.
16:56Non, quatre.
16:57J'avais le droit à quatre.
16:58Et finalement,
16:59elle n'a pu m'en ramener
17:00que trois
17:00parce qu'elle n'a pas trouvé
17:01le Fila Kouti.
17:03Donc,
17:03j'ai demandé
17:04Myriam Makeba,
17:05Fila Kouti
17:06et la fille de Gérald
17:07et Billie Holiday.
17:12À retenir
17:13la playlist pour la prison.
17:15Une dernière question
17:16avant de se quitter.
17:17Roquia Traoré,
17:18comment va votre petite fille ?
17:20Les enfants vont très bien
17:21parce qu'elle va bien
17:22parce que son frère va bien
17:24et qu'il a été formidable.
17:26Ma fille a un frère aîné
17:28de dix ans.
17:30Enfin,
17:31un frère de presque neuf ans
17:33son aîné.
17:34C'est ça,
17:34il a une vingtaine d'années.
17:35Voilà,
17:35mon premier enfant.
17:36Elle a une dizaine d'années.
17:37Elle a une dizaine d'années.
17:38Ils ont été formidables.
17:39Ils ont été solidaires.
17:40Cette deuxième arrestation
17:41et séjour en prison
17:43qui a duré plus longtemps,
17:45pratiquement...
17:46Parce que j'ai été en prison
17:47de juin à novembre.
17:49et c'était très dur.
17:53Et puis,
17:54elle était en âge
17:54de comprendre.
17:55Il était possible
17:57de rien lui cacher.
17:58Les moqueries
17:59des camarades à l'école.
18:02Mais son frère
18:02a été formidable
18:03avec elle
18:04qui a dû partir
18:04à son tour
18:05parce qu'il partait
18:06pour commencer
18:06sa fac.
18:08Pour la première fois,
18:09elle s'est retrouvée isolée.
18:11C'était dur
18:11mais elle va bien.
18:13Elle était ravie
18:14de me retrouver.
18:14J'ai retrouvé
18:15une petite femme.
18:16Elle a grandi
18:16en quelques mois.
18:19Tellement grandi.
18:20Des tas de choses
18:21qu'elle a dû apprendre
18:21à faire seule
18:22parce que je n'étais plus là.
18:23S'occuper de ses cheveux,
18:24par exemple,
18:25c'est tout bête.
18:26Mais voilà,
18:27je n'ai plus le droit
18:28de lui brosser les cheveux.
18:29C'est aussi la maman
18:31qui...
18:32C'était un peu trop brutal
18:33la manière dont elle a grandi.
18:35Mais elle va très bien.
18:36Elle est toujours
18:36dans cette école
18:37qu'elle adore.
18:38Elle a toujours
18:38ses camarades d'école.
18:39Ses professeurs d'école
18:40ont été formidables.
18:42Roquette,
18:42à Traoré,
18:43je suis née libre.
18:44Votre récit
18:45de la prison,
18:46de vos co-détenus,
18:47de la violence
18:47de ce système
18:48qui a failli vous broyer.
18:51La preuve que non,
18:51vous êtes face à moi,
18:52ça sort chez J.C. Lattès.
18:54Merci Roquette,
18:55à Traoré.
18:55C'est moi qui vous remercie.
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