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  • il y a 2 ans
Vladimir Poutine a relancé son industrie avec un nouveau modèle économique. Alors que Bruno Le Maire avait promis de mettre la Russie à genoux, la croissance de son PIB pour 2023 devrait se situer autour de 3,6% ou 3,7%. Grâce à une bonne anticipation des sanctions occidentales par le premier ministre russe Michoustine et une politique budgétaire expansionniste, Moscou a permis aux entreprises de faire de réels progrès notamment par une réorganisation de leur production. La croissance industrielle pour 2023 devrait être de 5,3% et de 8,7% pour l’industrie manufacturière. C’est cette dernière qui a été le principal moteur de la croissance. Les exportations sont aussi à l’origine du rebond, celles de l’industrie manufacturière ont retrouvé voire dépassé leur niveau d’avant les sanctions. Et la dédollarisation de l'économie russe poursuit son chemin : le Yuan représentait 8% du volume des transactions internationales début 2022 contre 48% aujourd'hui.

L'économiste Jacques Sapir, directeur d'études à l'EHESS et enseignant à l'Ecole de guerre économique, analyse le nouveau système de croissance russe, un système toujours capitaliste mais beaucoup moins financiarisé qu'auparavant.

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Transcription
00:00:00 [Générique]
00:00:16 Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau numéro de Politique et économie.
00:00:21 Cette semaine en compagnie de Jacques Sapir. Bonjour Monsieur.
00:00:24 Bonjour.
00:00:25 Jacques Sapir, économiste, directeur d'études à l'EHESS, l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
00:00:33 Vous enseignez depuis peu à l'École de guerre économique de Christian Arbulot.
00:00:39 Tout à fait.
00:00:39 Alors on va parler aujourd'hui avec vous Jacques Sapir de la croissance russe, de l'économie russe.
00:00:46 Vous observez dans vos derniers travaux que la Russie a initié un nouveau modèle de croissance.
00:00:53 Vous observez ce phénomène depuis le printemps 2023.
00:00:57 La croissance du PIB pour l'année dernière devrait se situer autour de 3,6 ou 3,7%.
00:01:04 C'est d'abord une déroute, vous le constatez, pour les prévisionnistes occidentaux.
00:01:09 Comment ont-ils pu à ce point sous-estimer la dynamique de l'économie russe ?
00:01:14 Il y a plusieurs raisons.
00:01:16 D'abord il y a des raisons techniques, tout simplement.
00:01:19 Le fait que tous les grands organismes de prévision, alors que ce soit le FMI, la Banque mondiale, l'OCDE, etc.
00:01:25 ont des modèles de prévision.
00:01:28 Ces modèles de prévision ont des bases théoriques tout à fait discutables.
00:01:33 Et évidemment, ils s'adaptent très mal à des changements brutaux, dans un sens ou dans l'autre d'ailleurs.
00:01:40 Il faut le dire, à partir du moment où vous avez l'équivalent d'un choc macroéconomique majeur,
00:01:46 et les sanctions ont été à l'évidence un choc macroéconomique majeur,
00:01:50 ces modèles, pour un temps, perdent largement de leur pertinence.
00:01:55 Il y a une raison technique qu'on retrouve d'ailleurs en partie dans les prévisions de mes collègues russes,
00:02:02 qui eux aussi ont sous-estimé assez largement la croissance.
00:02:05 Après, la deuxième raison occidentale...
00:02:08 Est-ce qu'elle n'est pas aussi idéologique ?
00:02:09 Voilà, elle est largement idéologique.
00:02:12 Cette idée que la Russie ne comptait pas économiquement, ce qui était faux,
00:02:18 donc il y a eu de manière tout à fait évidente un parti pris idéologique.
00:02:24 Et puis il y a un parti pris plus directement politique, pas idéologique mais politique.
00:02:28 Dans la mesure où il était très clair que les pays de l'OTAN, les pays de l'Union Européenne,
00:02:35 ne pourraient pas intervenir dans la guerre en Ukraine,
00:02:40 ne pourraient pas apporter un soutien massif au gouvernement ukrainien,
00:02:46 pour toute une série de raisons.
00:02:47 La première raison, c'est qu'on n'avait pas les armes,
00:02:50 et qu'on n'a toujours pas les armes pour les donner au gouvernement ukrainien.
00:02:55 Il fallait trouver autre chose.
00:02:57 Cette autre chose, c'était l'économie.
00:02:59 Donc il fallait dire, au moins dans le discours,
00:03:03 que les mesures économiques auraient un impact ravageur sur l'économie russe.
00:03:09 – Mettre la Russie à genoux, comme l'avait dit Brunel.
00:03:11 – Voilà, voilà.
00:03:12 Même si on pouvait avoir plus que des doutes par rapport à ce genre d'affirmation.
00:03:18 – Alors, ces résultats de la croissance en 2023, c'était au début de l'année,
00:03:23 Emmanuel Macron avait mis en doute l'indépendance des instituts de statistiques russes.
00:03:29 Qu'est-ce que vous lui répondriez, Emmanuel Macron ?
00:03:32 – Que c'est une remarque stupide.
00:03:33 Alors, le problème n'est pas l'indépendance.
00:03:36 Le problème, c'est, si on veut faire un système de statistiques falsifié,
00:03:43 grosso modo, pour donner les chiffres auxquels on veut obtenir,
00:03:49 comme dans les statistiques nationales,
00:03:51 vous avez énormément de corrélations d'une donnée à une autre donnée,
00:03:58 il faut refaire la totalité du système.
00:04:01 Autrement, les observateurs extérieurs vont tout de suite voir
00:04:03 qu'il y a des incohérences dans le système.
00:04:06 Ce qui veut dire qu'il faudrait que les gens de Rostat aient truqué,
00:04:12 non pas deux ou trois données,
00:04:14 mais qu'ils aient truqué l'équivalent de 500 ou 600 séries.
00:04:18 – Rostat, c'est le principal institut de statistiques.
00:04:21 – Oui, c'est l'INSEE.
00:04:23 – En rappelant que l'INSEE est sous la direction du Premier ministre en France,
00:04:26 donc ce n'est pas non plus un institut indépendant.
00:04:29 – Absolument, l'INSEE n'est pas un institut indépendant.
00:04:32 Bon, donc déjà on voit que ça, ça pose des problèmes considérables.
00:04:36 Et puis il y a un deuxième problème, les statistiques.
00:04:39 On n'en fait pas pour le plaisir de faire des statistiques.
00:04:41 – Oui, on en fait aussi pour soi-même.
00:04:42 – On en fait pour soi-même.
00:04:43 – Les entreprises russes ont intérêt à avoir des statistiques cohérentes.
00:04:47 – Exactement, les entreprises, les administrations.
00:04:48 Donc, ça voudrait dire qu'il aurait fallu avoir deux systèmes de statistiques,
00:04:52 un pour la propagande à l'extérieur,
00:04:55 l'autre pour l'utilisation réelle à l'intérieur,
00:04:58 sans que les occidentaux le sachent.
00:05:02 Or, en fait, nous avons formé les statisticiens russes.
00:05:07 – Si vous voulez, il y a eu un très grand...
00:05:08 – Français ?
00:05:08 – Oui, tout à fait, nous Français.
00:05:10 Il y a eu un énorme programme d'assistance de l'INSEE à Rostat.
00:05:15 – Aux années 90.
00:05:16 – Oui, ça a commencé en 1996 et ça s'est fini en 2004.
00:05:21 – D'accord.
00:05:21 – Bon, d'ailleurs, le programme auquel j'ai moi-même participé,
00:05:26 certains de mes étudiants ont participé au programme,
00:05:29 et donc nous connaissons très bien, même personnellement,
00:05:33 toute une partie des statisticiens russes.
00:05:36 Donc, l'idée que l'on puisse avoir un système complet,
00:05:43 enfin, à côté du système officiel, il y aurait eu des fuites immédiates.
00:05:50 Donc, si vous voulez, en disant ça là,
00:05:53 Emmanuel Macron montre qu'il ne sait pas ce que sont les statistiques,
00:05:57 il ne sait pas comment ça fonctionne,
00:05:59 il n'a aucune idée à l'évidence de comment fonctionne
00:06:03 même le système statistique français,
00:06:05 et dans ces cas-là, il vaut mieux se taire.
00:06:09 – Cette croissance depuis mars 2023 que vous observez,
00:06:14 qu'est-ce qui vous fait croire que la Russie est bien engagée
00:06:17 dans une croissance réelle et pas dans une simple récupération
00:06:21 du choc avec l'Ukraine ?
00:06:22 – Oui, alors, c'est évidemment un des premiers problèmes que l'on pose,
00:06:26 et c'est tout à fait réel, c'est ce qu'on appelle l'effet de base.
00:06:29 Comme les statistiques russes sont données de mois en mois,
00:06:33 par rapport au même mois de l'année précédente,
00:06:37 quand ce mois de l'année précédente a été très faible,
00:06:42 évidemment que le retour à un niveau normal montre une croissance.
00:06:48 Simplement, ce que l'on observe,
00:06:49 c'est que globalement, les statistiques avaient baissé de 3 à 4 %,
00:06:56 bon, pas pendant toute l'année,
00:06:59 mais disons au pire moment des sanctions en 2022,
00:07:04 et qu'elles ont augmenté de 8 à 9 % cette année.
00:07:09 Donc, très clairement, c'est largement plus que l'effet de base,
00:07:13 il y a bien ce qu'on appelle une croissance réelle,
00:07:17 et aujourd'hui, on voit qu'au niveau du Produit Intérieur Brut, du PIB,
00:07:22 eh bien, on aura plus que récupéré le choc de l'année dernière,
00:07:28 enfin, de l'année dernière, de 2022.
00:07:30 Donc, 2022, on a été en récession de moins de 2,1 %,
00:07:36 si on est cette année entre 3,6, 3,7,
00:07:40 bon, j'ai même vu que dernièrement, Vladimir Poutine avait annoncé 4 %,
00:07:45 je lui demande d'avoir là 4 %, ça me semble un peu haut,
00:07:48 mais c'est pas impossible non plus,
00:07:51 mais de toutes les manières, 3,6 ou 3,7 %,
00:07:53 ça veut dire qu'on est au-dessus du niveau de 2021,
00:07:59 et que donc, la Russie a bien retrouvé une croissance,
00:08:03 je dirais, au-delà du choc des sanctions.
00:08:07 – Pendant qu'en France, je crois que pour l'année 2023,
00:08:10 la croissance se situe autour de 0,9 %.
00:08:12 – Même en dessous, même en dessous, on est plutôt de l'ordre de 0,6.
00:08:18 – Une croissance au rendez-vous,
00:08:20 malgré trois hausses consécutives du taux directeur de la Banque centrale russe,
00:08:26 c'était en août, septembre et en octobre,
00:08:28 pour un total de +7,5 % d'augmentation.
00:08:32 – Il y avait même eu une augmentation de 1 % en décembre, 4.
00:08:35 – Alors, comment vous expliquez cette hausse de la croissance,
00:08:38 malgré ces augmentations du taux directeur ?
00:08:43 – Alors, il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer le maintien de la croissance.
00:08:48 Premier facteur, c'est que, oui, cette hausse est impressionnante,
00:08:52 mais rapportée en termes réels.
00:08:55 Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:08:55 Ça veut dire que l'inflation vient se retrancher du taux d'intérêt.
00:09:03 Il faut que le taux d'intérêt soit supérieur à toute la moyenne de l'inflation.
00:09:05 Et comme l'inflation est élevée actuellement en Russie,
00:09:09 on n'est pas en réalité avec un taux d'intérêt de l'ordre de 16 %,
00:09:13 mais on est avec un taux d'intérêt réel de l'ordre de 8 %.
00:09:17 Alors, c'est beaucoup, bien sûr, mais ce n'est pas non plus les 16 % annoncés.
00:09:21 Ça, c'est le premier point.
00:09:23 Le deuxième point, quelle est la part de l'investissement
00:09:29 qui est financée par le crédit bancaire ?
00:09:32 Et le taux d'intérêt, ça porte sur le crédit bancaire.
00:09:35 Et là, ce que l'on constate, c'est que quand on regarde les investissements en capital fixe,
00:09:41 ce que l'on appelle en France la FBCF, la formation brute de capital fixe,
00:09:46 on voit que le crédit bancaire ne joue que sur 10 % du total.
00:09:52 D'ailleurs, c'est tout à fait étonnant.
00:09:55 Et on voit d'ailleurs que les entreprises russes
00:09:59 ont beaucoup réduit leur exposition au crédit bancaire
00:10:04 au profit de l'autofinancement et au profit de formes de financement croisées entre les entreprises.
00:10:11 Donc, ça, c'est le premier point.
00:10:13 Alors, après, il est clair que les prêts bancaires
00:10:18 jouent un rôle plus important sur le capital circulant.
00:10:22 Autrement dit, une entreprise achète des matières premières ou des produits semi-finis,
00:10:29 elle va les transformer, elle va les revendre.
00:10:32 Et pour faire cet achat de matières premières, elle va emprunter.
00:10:37 Sauf que, comme on a une forte inflation, et comme ce cycle est un cycle assez court,
00:10:46 d'ailleurs, c'est classique, le crédit lié au capital circulant,
00:10:52 il est sur 3 mois à peu près, il est sur 90 jours.
00:10:56 Comme en France d'ailleurs, c'est ce qu'on appelle les effets à 90 jours en France.
00:11:01 Eh bien, l'impact des fortes hausses de taux d'intérêt est largement amoindri.
00:11:08 Reste le troisième point qui est, et les ménages,
00:11:13 parce que les ménages, quand ils font de la consommation,
00:11:16 et ils ont fait beaucoup de consommation en 2023, ils s'endettent.
00:11:21 Ils prennent un crédit, ils prennent un crédit sur 3 ans, sur 5 ans, etc.
00:11:27 Alors là, il faut voir une chose,
00:11:29 c'est que le salaire réel, et globalement le revenu réel des ménages, a augmenté.
00:11:36 Alors le salaire réel, il a augmenté d'à peu près 8% cette année.
00:11:40 8% d'augmentation du salaire réel, plus l'augmentation de l'inflation,
00:11:44 parce que quand on parle de l'augmentation du salaire réel,
00:11:48 c'est le salaire nominal moins l'inflation,
00:11:51 donc l'augmentation du salaire nominal, c'est 16%, c'est entre 15 et 16%.
00:11:56 Autrement dit, c'est le niveau du taux d'intérêt.
00:12:00 Et donc c'est pour ça que, oui, ça commence à peser sur les ménages,
00:12:06 mais en fait, pas tant que ça,
00:12:09 et les ménages continuent d'être avec un flux d'entrée de revenus tel,
00:12:15 qu'ils sont parfaitement capables de payer des taux d'intérêt extrêmement élevés.
00:12:21 Donc on voit que les gens qui travaillent à la Banque centrale russe
00:12:24 ont des compétences que les techniciens de la BCE n'auraient pas ?
00:12:29 Alors, je ne sais pas si c'est des compétences.
00:12:32 Je pense que dans ce cas, c'est plutôt, je dirais,
00:12:36 une forme de fixation sur les méthodes occidentales de politique monétaire.
00:12:43 La politique monétaire à l'occidentale,
00:12:45 ce qu'on fait en France, ce que fait la Banque centrale européenne,
00:12:49 voire ce que faisait la Banque de France,
00:12:51 ça consiste évidemment à avoir une politique monétaire
00:12:53 essentiellement par les taux.
00:12:56 Et quand on est dans une économie comme la Russie,
00:13:00 qui est relativement peu exposée aux risques des taux d'intérêt,
00:13:04 je ne dis pas qu'elle n'est pas exposée,
00:13:05 mais qu'elle est quand même largement protégée de ça,
00:13:09 en particulier pour les entreprises,
00:13:12 eh bien on voit qu'il faut utiliser d'autres méthodes.
00:13:16 D'ailleurs, dans les années 50 et dans les années 60,
00:13:19 quand on avait une économie qui n'était pas sans ressembler
00:13:23 à ce qu'est l'économie russe depuis 2023,
00:13:28 ce n'étaient pas des méthodes de taux qui étaient utilisées,
00:13:32 c'étaient des méthodes de volume de crédit.
00:13:35 Autrement dit, on jouait sur la quantité de crédit
00:13:38 et non pas sur le prix du crédit.
00:13:41 Le taux d'intérêt, c'est le prix de l'argent, c'est le prix du crédit.
00:13:44 Donc, je pense que c'est beaucoup plus, d'une certaine manière,
00:13:50 une obsession idéologique au sein des économistes
00:13:53 de la Banque Centrale de Russie,
00:13:55 qui leur visent à dire "nous sommes une économie capitaliste",
00:13:59 ça, personne ne le conteste,
00:14:02 "donc il faut que nous utilisions les mêmes méthodes
00:14:05 que les économies occidentales".
00:14:06 Ben non, en réalité, l'économie russe
00:14:10 est bien une économie capitaliste,
00:14:12 mais une économie capitaliste particulière,
00:14:14 comme l'était d'ailleurs la France ou comme l'était l'Italie,
00:14:16 parce que, si vous voulez, c'est des choses
00:14:17 qui peuvent être étendues à toute une série de pays
00:14:20 dans les années 50 et 60.
00:14:23 Alors, cette reprise de l'économie russe,
00:14:26 vous l'expliquez notamment par la baisse du chômage,
00:14:30 il était en octobre à moins de 3%,
00:14:34 et le retour de la productivité.
00:14:36 Alors, quel progrès les entreprises ont-elles réalisé ces dernières années ?
00:14:42 Alors, il faut d'abord dire une chose,
00:14:43 ce n'est pas simplement la baisse du chômage,
00:14:45 c'est un accroissement de la population en emploi,
00:14:49 de la population employée, qui est tout à fait phénoménale.
00:14:53 La population employée a augmenté de décembre 2022 à décembre 2023
00:15:00 de 2 millions sur 72 millions chiffre de 2022,
00:15:06 à 72,1, 72,2, là il y a une petite incertitude,
00:15:10 à 74,1, 74,2 en décembre 2023.
00:15:17 C'est une augmentation tout à fait énorme,
00:15:20 si vous voulez rapporter à la situation de la Russie
00:15:24 où déjà il n'y avait pas énormément de chômage.
00:15:28 Donc, ça c'est le premier point.
00:15:30 Le deuxième point, effectivement,
00:15:31 ça a été une réorganisation des entreprises russes,
00:15:35 qui fait que…
00:15:36 – De leur production, oui.
00:15:37 – De leur production, de leur méthode de production,
00:15:39 de leur organisation interne,
00:15:41 qui fait que oui, elles ont perdu de la productivité
00:15:44 au moment des sanctions,
00:15:46 et on le voit très bien, si vous voulez, dans les chiffres,
00:15:49 on voit que, globalement, la productivité baisse de 4 à 5%,
00:15:56 au moment où les sanctions commencent à prendre de l'effet,
00:16:00 c'est-à-dire mars, avril, mai,
00:16:02 c'est sur ces trois mois que l'on voit la chute.
00:16:06 Puis, bon, ça reste à peu près stable,
00:16:08 puis la productivité commence à remonter,
00:16:11 et elle a remonté beaucoup plus vite
00:16:15 que ce qui était prévu dans le cours de 2023.
00:16:18 Donc, une remontée de la productivité
00:16:22 et une augmentation de la quantité de travail dépensée dans l'économie,
00:16:27 ça vous donne de la croissance, c'est aussi simple que ça.
00:16:29 – Alors, au-dessus des entreprises,
00:16:31 comment Vladimir Poutine et son administration
00:16:35 ont-ils relancé la machine ?
00:16:37 – Alors, ça, ça a été essentiellement le travail du Premier ministre,
00:16:43 M. Michoustine, et puis évidemment des ministres
00:16:46 de ce qu'on appelle le bloc économique,
00:16:48 et on voit très bien qu'ils ont joué sur trois leviers.
00:16:52 Le premier levier, ça a été de faire des investissements importants
00:16:57 ou des dépenses importantes dans les infrastructures russes.
00:17:01 – Depuis 2014, c'est ça ?
00:17:03 – Depuis 2014, ils ont relancé un programme spécifique face aux sanctions.
00:17:09 C'est un programme qui a été décidé en juin 2022.
00:17:14 Si vous voulez, c'est en réaction aux sanctions.
00:17:16 Et évidemment, quand vous décidez de construire des routes,
00:17:21 des aéroports, vous faites de l'activité, tout le monde travaille.
00:17:27 Bon, ça c'est un premier point.
00:17:28 Le deuxième point, ils ont protégé une partie de la population.
00:17:34 Et ça, c'est assez intéressant.
00:17:36 On voit qu'à la demande, cette fois-ci, de Vladimir Poutine,
00:17:40 il prévoit de protéger tout d'abord les gens qui se battent.
00:17:45 Autrement dit, voilà, pour les soldats de l'armée russe…
00:17:50 – Et leur famille.
00:17:50 – Et leur famille, eh bien, il y aura des taux d'intérêt
00:17:55 nettement plus faibles que les taux d'intérêt de marché,
00:17:58 les hypothèques seront à des taux, eux aussi, très bonifiés,
00:18:03 l'État va reprendre les dettes des entreprises,
00:18:07 des personnes qui se battent, etc.
00:18:11 Et puis, le gouvernement a étendu ce type de politique,
00:18:18 non seulement aux soldats,
00:18:19 mais à l'ensemble des gens qui travaillent pour la défense.
00:18:23 Et là, si vous voulez, ça fait beaucoup plus de monde.
00:18:26 Donc, cela, plus les salaires, les soldes, plus généralement,
00:18:35 qui sont payés aux soldats qui se battent,
00:18:37 et qui sont extrêmement élevés,
00:18:40 un soldat, normalement, n'a pas une solde élevée,
00:18:43 mais s'il se bat, s'il est dans une zone de combat,
00:18:46 immédiatement, il y a toute une série de primes,
00:18:49 système qui existe aussi dans l'armée française,
00:18:51 si vous voulez, un militaire peut gagner
00:18:54 trois fois sa solde normale,
00:18:56 s'il est en théâtre d'opération extérieur, etc.
00:18:59 Tout ceci a correspondu à une injection massive d'argent
00:19:06 au profit de la population.
00:19:08 Ce qui a permis à la population,
00:19:09 ou en tous les cas, à une partie de la population,
00:19:13 qui était en réalité la partie, très souvent, la moins riche,
00:19:17 d'encaisser le choc macroéconomique,
00:19:20 plus facilement, relativement bien.
00:19:22 Après, l'ensemble de ces politiques donnant naissance
00:19:27 à ce retour brutal de la croissance
00:19:30 et à un emploi de plus en plus important,
00:19:33 il y a eu un phénomène, si vous voulez,
00:19:36 très capitaliste, d'une certaine manière.
00:19:39 On a un marché du travail qui est tendu,
00:19:42 les entreprises ont du mal à trouver,
00:19:44 aujourd'hui, des salariés,
00:19:47 et donc les salaires nominaux explosent,
00:19:51 et le salaire réel redevient positif.
00:19:55 Il est redevenu positif en octobre de l'année 2022,
00:20:02 c'est à ce moment-là que le salaire réel est redevenu positif,
00:20:05 et ce qui était intéressant, c'est qu'on voyait dans les chiffres
00:20:08 que dès septembre 2022,
00:20:12 il redevenait positif dans certaines régions de Russie,
00:20:17 Volgaviatka et Ural,
00:20:20 qui sont les deux régions où vous avez
00:20:23 beaucoup d'industries liées à la défense.
00:20:26 Donc on voit bien que c'est un mécanisme qui est parti
00:20:29 des industries de défense,
00:20:31 et qui s'est rapidement étendu à l'ensemble de l'économie.
00:20:34 – Et vous rappelez que c'est plus cette reprise de la croissance,
00:20:39 le fait des entreprises, que le fait de l'État, de l'État de Poutine.
00:20:44 – Tout à fait, et ça c'est un point qui est extrêmement intéressant,
00:20:48 les entreprises, quand elles ont été confrontées tout d'abord aux sanctions,
00:20:52 alors les sanctions c'était quoi pour elles ?
00:20:53 Pour l'essentiel de ces entreprises,
00:20:55 c'était l'arrêt des flux d'importation de matières premières
00:21:01 ou de produits manufacturés qu'elles utilisaient.
00:21:05 Au lieu de se dire, bon on est dans une situation,
00:21:09 on va réduire la production,
00:21:11 ils se sont dit, ah bon, si c'est ça la situation,
00:21:15 on va chercher comment on peut produire en Russie
00:21:19 ce que l'étranger, ou ce que les pays occidentaux plus précisément,
00:21:22 ne veulent pas nous vendre.
00:21:24 Pourquoi est-ce qu'ils ont eu cette réaction ?
00:21:27 Parce que dans le même temps,
00:21:28 vous aviez le départ de certaines entreprises étrangères,
00:21:32 j'ai dit bien de certaines,
00:21:33 d'autres entreprises étrangères sont restées,
00:21:36 par exemple Décathlon est restée en Russie,
00:21:39 mais Renault est parti,
00:21:40 donc toute une série d'entreprises,
00:21:42 McDonald's, etc.
00:21:44 Et donc les entreprises russes,
00:21:47 et les entrepreneurs russes se sont dit,
00:21:49 il y a des parts de marché à prendre.
00:21:52 – Et des chinois.
00:21:54 – C'est après qu'ils sont allés voir les chinois,
00:21:56 justement pour le faire,
00:21:57 mais la première réaction c'est de dire,
00:21:58 il y a des parts de marché à prendre,
00:21:59 autrement dit, si on conquiert ces parts de marché
00:22:02 que nous abandonnent d'une certaine manière
00:22:04 les entreprises occidentales,
00:22:06 nous allons pouvoir faire des profits importants
00:22:10 d'ici un an et demi, deux ans.
00:22:13 Donc on peut très bien accepter une baisse des profits
00:22:18 pendant une période de six mois, un an,
00:22:21 pour investir, enfin des profits distribués,
00:22:24 pour investir de manière très forte pour cela.
00:22:27 Et ça, ça a été un mécanisme,
00:22:29 si vous voulez, qu'on explique a posteriori,
00:22:33 et que l'on explique en allant interviewer
00:22:36 des chefs d'entreprise qui vous disent ce qui s'est passé,
00:22:40 mais que l'on n'avait pas imaginé en tant que tel,
00:22:44 par exemple au mois de mai, au mois d'avril,
00:22:47 ou au mois de mai 2022.
00:22:49 Et ça a été une véritable surprise,
00:22:51 que ce soit pour les collègues russes,
00:22:54 ou que ce soit pour moi-même,
00:22:56 puisque je continue de m'entretenir par courriel,
00:22:59 par Zoom, etc.
00:23:01 Il y avait toute une série de chefs d'entreprise russes,
00:23:04 et j'ai vu, mais j'ai vu a posteriori,
00:23:08 le type de raisonnement qu'ils avaient tenu.
00:23:10 Et ça, c'est extrêmement intéressant,
00:23:12 parce que ça veut dire que ces entreprises
00:23:16 n'ont pas subi les sanctions,
00:23:18 elles se sont servies des sanctions,
00:23:21 et aussi du cadre qu'avait créé le gouvernement,
00:23:25 qui avait fait des crédits bonifiés pendant toute une période,
00:23:30 pour rebondir et pour partir à la conquête,
00:23:34 je dirais, de toutes ces parts de marché,
00:23:36 laissées vacantes par le départ des entreprises occidentales.
00:23:41 Alors après, évidemment, elles sont allées chercher
00:23:43 les entreprises chinoises, elles se sont alliées
00:23:45 avec des entreprises chinoises, pour pouvoir le faire.
00:23:47 Cette nouvelle trajectoire de croissance russe,
00:23:51 vous estimez qu'elle a démarré à peu près en 2017.
00:23:55 Est-ce que vous pensez que l'administration de Moscou
00:24:00 a anticipé ce qui allait se passer en 2022,
00:24:04 à savoir cette guerre avec l'Ukraine,
00:24:06 pour permettre aux privés, aux secteurs privés,
00:24:09 de faire ce qu'il fait en ce moment, à savoir faire de la croissance ?
00:24:12 Alors, c'est assez complexe de répondre à votre question.
00:24:15 Ce que l'on peut dire, c'est que, effectivement,
00:24:18 après une période de relative stagnation,
00:24:21 qui va de 2013 à 2017,
00:24:24 on voit qu'à partir de 2017,
00:24:27 l'économie russe repart de l'avant,
00:24:30 recommence à croître.
00:24:32 Et elle croît essentiellement parce qu'il y a une politique publique,
00:24:36 politique du gouvernement, qui aide les entreprises.
00:24:39 Donc ça, c'est un premier point.
00:24:41 Sur la question des sanctions,
00:24:44 il est clair que la dimension financière des sanctions,
00:24:48 c'est-à-dire le blocage de SWIFT,
00:24:52 le gel des avoirs de la Banque centrale,
00:24:58 de Russie, bon, tout ce genre de choses,
00:25:01 ça avait été anticipé.
00:25:03 Et c'est ce qui explique le fait que
00:25:06 le gouvernement a mis en place des mesures correctives
00:25:12 extrêmement rapidement.
00:25:14 Globalement, si on regarde maintenant l'ensemble des sanctions,
00:25:17 parce qu'il n'y a pas que la dimension financière des sanctions,
00:25:19 il y a toute la dimension qui porte sur l'import-export,
00:25:23 là, on voit que le gouvernement a réagi très vite.
00:25:28 Alors, est-ce qu'il s'agit de quelque chose
00:25:32 qui avait été préparé à l'avance ?
00:25:35 Est-ce que c'est simplement une réaction opportuniste ?
00:25:39 Mais je suis quand même frappé, si vous voulez,
00:25:42 les premières vagues de sanctions, en tous les cas pour l'Union européenne,
00:25:45 sont prises fin février et dans les tout premiers jours de mars.
00:25:51 Or, le projet de loi sur le développement économique
00:25:55 qui va justement contenir l'ensemble des mesures de soutien à l'économie
00:26:00 face aux sanctions, il est présenté au Parlement russe,
00:26:04 à la Douma d'État, le 8 mars.
00:26:07 – Très tôt.
00:26:08 – C'est grosso modo 72 heures après que les dirigeants russes
00:26:14 aient pu faire, je dirais, un premier bilan des sanctions
00:26:18 auxquelles ils étaient confrontés.
00:26:19 Donc, de toutes les manières, il est très clair
00:26:22 que le gouvernement a été extrêmement réactif de ce point de vue-là.
00:26:27 Et alors, chose encore plus importante,
00:26:30 que le gouvernement soit réactif, le gouvernement russe l'est assez souvent,
00:26:34 mais l'administration, elle, l'est beaucoup moins.
00:26:37 Si vous voulez, ça c'est un gros problème,
00:26:39 problème qui existe aussi en France, le gouvernement prend une décision
00:26:43 et le temps que cette décision se traduise sur le terrain,
00:26:47 que les différentes administrations s'adaptent, etc.,
00:26:51 pouvait avoir 6 mois, 1 an.
00:26:53 Par exemple, lors de la crise de 2008-2010,
00:26:56 il avait fallu attendre quasiment 18 mois
00:26:59 pour que les mesures décidées au niveau du gouvernement
00:27:02 commencent à avoir un impact au niveau de la population.
00:27:06 Là, pour le coup…
00:27:07 – Ils ont tiré la leçon.
00:27:09 – Oui, on voit que l'administration a été mobilisée beaucoup plus vite.
00:27:14 Alors, je suppose que, ça c'est assez typique du style de Poutine,
00:27:19 Poutine a dû prendre les grands ministres,
00:27:22 si vous voulez, le ministre de l'économie, etc.,
00:27:25 entre 4 yeux, il leur a dit "écoute, maintenant,
00:27:28 tu mets ton administration en ordre de marche
00:27:31 et tu as grosso modo 2 semaines ou 3 semaines pour le faire,
00:27:35 et tu m'en rends compte au bout de 2 semaines, 3 semaines".
00:27:40 Mais c'est très frappant de voir comment, dans cette situation,
00:27:45 qui est quand même une situation très particulière,
00:27:47 parce qu'il faut toujours rappeler,
00:27:50 les sanctions prises contre la Russie
00:27:53 sont des sanctions sans commune mesure et sans comparaison
00:27:59 avec les sanctions qui ont pu être prises contre d'autres pays.
00:28:03 C'est plus important que les sanctions qui ont été prises à l'époque contre l'Irak,
00:28:06 c'est plus important évidemment que les sanctions qui sont prises contre l'Iran.
00:28:10 – Oui, c'est des sanctions en temps de paix.
00:28:12 – C'est des sanctions en temps de paix,
00:28:13 c'est des sanctions qui sont très largement inouïes, inédites.
00:28:21 Et là, on voit que, d'une certaine manière,
00:28:26 il y a eu une réaction de l'ensemble des acteurs en Russie qui ont dit
00:28:30 "bon d'accord, vous nous déclarez la guerre économique,
00:28:32 vous allez voir ce que vous allez voir,
00:28:35 nous aussi on peut faire de la guerre économique".
00:28:38 – L'industrie russe a déjà globalement effacé le choc des sanctions occidentales,
00:28:43 on voit ça dans un instant.
00:28:44 [Générique]
00:28:48 Je le disais à l'instant, l'industrie russe a globalement effacé le choc
00:28:53 des sanctions occidentales,
00:28:55 plus tôt que prévu, dès le troisième trimestre 2023,
00:29:00 tout cela a été oublié.
00:29:02 Sur quelle période les sanctions ont-elles alors eu un réel effet ?
00:29:06 – On peut dire que les sanctions ont réellement pénalisé
00:29:09 l'industrie manufacturière russe,
00:29:13 globalement de fin avril 2022 à fin mars 2023, sur 11 mois.
00:29:21 Effectivement, ça a été une très grande surprise
00:29:25 pour mes collègues russes et pour moi-même.
00:29:27 – Oui, parce que les optimistes misaient sur 14 mois,
00:29:30 et 30 pour les pessimistes.
00:29:32 – Oui, tout à fait, tout à fait.
00:29:33 Après, si vous voulez, au début de l'année 2023, en janvier 2023,
00:29:41 on avait eu encore une réunion par Zoom,
00:29:44 et cette fois-ci les pessimistes disaient "bon, il faudra compter 18 mois,
00:29:48 on pense que l'on verra le bout du tunnel,
00:29:52 quelque chose comme vers octobre, novembre 2023".
00:29:57 Et moi je pensais que ce serait un petit peu plus tôt,
00:30:00 je pensais que le bout du tunnel, on le verrait vers juillet-août 2023.
00:30:06 Et en réalité, on voit dès la fin du mois de mars
00:30:11 que l'industrie manufacturière repart de l'avant
00:30:15 de manière tout à fait spectaculaire.
00:30:17 – Ça peut donner de l'espoir aux industriels français,
00:30:21 ce rebond russe, malgré les sanctions,
00:30:24 comme quoi on peut, à la tête d'un État,
00:30:27 remettre son industrie en marche, malgré des sanctions internationales.
00:30:33 – Oui, c'est évident.
00:30:34 – Si on prend les bonnes mesures.
00:30:35 – Si on prend les bonnes mesures, et si on n'est pas tombé trop bas.
00:30:39 Il faut quand même rappeler qu'en 2021, donc avant les sanctions,
00:30:44 l'ensemble de l'industrie en Russie,
00:30:47 ça représentait à peu près 25% du PIB.
00:30:51 – On est à 9. – Voilà.
00:30:52 – On était à 38 à la fin des années 70, on est à 9 aujourd'hui.
00:30:56 – Voilà, vous voyez bien le problème.
00:30:59 C'est qu'en réalité, la Russie, avant les sanctions,
00:31:04 s'appuyait sur une base industrielle qui était non négligeable.
00:31:08 Et c'est pour cela qu'elle a pu réagir aussi vite.
00:31:11 – Oui, il y avait la structure.
00:31:12 – Tout à fait.
00:31:13 – La croissance industrielle pour 2023 devrait être autour de 5,3%.
00:31:21 Elle serait de 8,7% pour l'industrie manufacturielle.
00:31:26 C'est cette industrie manufacturière qui a été le moteur de la croissance
00:31:30 qu'on observe aujourd'hui.
00:31:32 Quels ont été les facteurs de développement de cette industrie manufacturière ?
00:31:37 – Alors très clairement, il faut quand même le dire,
00:31:42 la première raison, c'est le développement des industries militaires.
00:31:45 Ça explique probablement entre 1/3 et 40% de la croissance.
00:31:50 – L'effort de guerre.
00:31:51 – L'effort de guerre, si vous voulez.
00:31:54 Alors pour cela, on est évidemment tributaire des chiffres
00:31:59 des agences de renseignement occidentales,
00:32:02 mais la CIA estime que la production de munitions a été triplée
00:32:09 entre le début des combats en Ukraine et la fin de 2022.
00:32:15 – Excusez-moi, mais comment la CIA peut-elle être au courant de choses comme ça ?
00:32:20 – D'abord, il y a une chose qui s'appelle le renseignement humain.
00:32:23 – Il y a des espions en Russie, Américains, qui voient ce qui se passe.
00:32:28 – L'autre chose, si vous regardez la quantité de température
00:32:34 émise par les usines d'armement, par satellite.
00:32:36 – Ah oui, ils ont des caméras…
00:32:38 – Par des satellites, des caméras infrarouges.
00:32:40 Et là, ça vous dit, quand vous voyez une forte montée,
00:32:44 vous établissez une forme de corrélation entre l'activité économique
00:32:51 et la consommation d'énergie que vous traquez
00:32:55 à travers les hausses de température locale.
00:32:58 Et à partir de là, vous arrivez à avoir un chiffre qui est crédible.
00:33:04 Alors après, c'est peut-être 3 fois et demi, c'est peut-être…
00:33:08 – Oui, ça donne un ordre de grandeur malgré tout.
00:33:10 – Voilà, mais c'est un ordre de grandeur.
00:33:11 Donc ça, c'est très vrai.
00:33:14 – Et vous citiez tout à l'heure un petit peu
00:33:16 la substitution aux importations et la relocalisation.
00:33:19 – Tout à fait.
00:33:20 C'est un élément qui est important, qui a joué en 2023
00:33:26 probablement autour de 20% de la croissance
00:33:30 et qui est appelé à aller en s'accroissant en 2024 et en 2025.
00:33:38 Parce que si vous voulez, quand on décide de faire
00:33:40 de la substitution aux importations, il faut acheter des machines,
00:33:44 il faut restructurer la production.
00:33:46 Quand on veut produire un nouveau produit,
00:33:48 ça prend du temps, il faut dessiner ce nouveau…
00:33:50 Bref, ça ne se fait pas du jour au lendemain.
00:33:53 Et là, on voit que la substitution aux importations,
00:33:57 elle a commencé à se faire sentir au début de 2023,
00:34:02 elle se fait sentir aujourd'hui de manière nettement plus forte.
00:34:06 Et donc, on sait qu'en moyenne, en 2023,
00:34:09 elle a joué sur 20% de la croissance,
00:34:12 mais elle devrait jouer autour de 30%, peut-être 35% en 2024.
00:34:17 Et puis le troisième facteur, c'est la consommation.
00:34:20 Et là, on voit là aussi une consommation explosive.
00:34:25 – Grâce à un niveau de revenu qui a augmenté.
00:34:28 – Tout à fait, un niveau de revenu qui a augmenté.
00:34:29 Et le fait que les ménages avaient restreint leur dépense de consommation
00:34:36 pendant une grande partie de 2022 et le début de 2023.
00:34:39 Parce que les ménages étaient inquiets, si vous voulez.
00:34:42 Ils ne savaient pas ce qui allait se passer, quelle était cette situation.
00:34:48 C'est extrêmement logique.
00:34:49 Les ménages décident d'épargner et de ne pas consommer.
00:34:55 Et puis quand ils voient que cette guerre se passe,
00:35:02 comme le dit le gouvernement,
00:35:05 que la fameuse contre-offensive ukrainienne,
00:35:09 les Russes n'y ont jamais cru, s'il vous plaît.
00:35:12 Ils ont dit, il n'y a aucune chance que ça puisse arriver à ces objectifs.
00:35:19 Donc ils se sont dit, on peut se remettre à consommer.
00:35:23 Et comme par ailleurs, les revenus des ménages
00:35:26 avaient fortement augmenté depuis la fin de 2022,
00:35:30 on a eu un accroissement du volume des ventes de détails
00:35:35 de l'ordre de 10% à partir du mois de mai ou du mois de juin 2023.
00:35:42 Et qui reste encore, en dépit de la hausse des taux d'intérêt,
00:35:46 extrêmement important.
00:35:47 Oui, le revenu des ménages, c'est 4,8% de plus
00:35:52 entre janvier et septembre par rapport à 2022.
00:35:55 Tout à fait.
00:35:57 En dehors de cette industrie manufacturière,
00:36:00 il y a d'autres secteurs, eux aussi en progression,
00:36:04 que vous citez dans vos travaux.
00:36:06 La production agricole, la construction, le fret,
00:36:09 le commerce de détail, tout cela progresse.
00:36:12 Tout à fait. Alors ça progresse, plus ou moins.
00:36:15 On sait que l'agriculture, il y a des bonnes années,
00:36:20 il y a des années moins bonnes.
00:36:21 Mais globalement, l'agriculture est toujours en forte croissance.
00:36:27 La construction est effectivement en forte croissance.
00:36:30 Il y a même une forme de bulle immobilière,
00:36:34 ou en tout cas de spéculation immobilière.
00:36:37 Pourquoi ?
00:36:38 Tout simplement parce que les gens prennent des hypothèques
00:36:43 parce que le taux d'intérêt sur ces hypothèques
00:36:46 est très souvent subventionné.
00:36:48 On appelle ça bonifié dans le langage technique.
00:36:52 Et les entreprises de travaux publics
00:36:57 sont à peu de choses près en butée de production.
00:37:01 Donc, vous avez de plus en plus de gens qui se disent
00:37:04 "C'est le moment d'acheter un appartement,
00:37:06 une offre de logement qui a du mal à monter,
00:37:12 qui monte, mais qui monte moins vite qu'a monté la demande de logement.
00:37:18 Et donc le résultat, c'est que les prix s'envolent.
00:37:21 Alors, c'est un phénomène qui, il faut le dire tout de suite...
00:37:23 – On y reviendra à l'inflation tout à l'heure avec vous.
00:37:25 – Mais ça c'est un phénomène intéressant.
00:37:27 C'est un phénomène qui concerne essentiellement
00:37:28 Moscou et Saint-Pétersbourg.
00:37:30 Mais par exemple, sur Moscou, sur le centre de Moscou,
00:37:35 c'est ce qu'on appelle le "Komsomol",
00:37:37 l'intérieur du premier cercle de Moscou,
00:37:40 vous avez actuellement des prix au mètre carré,
00:37:44 quand vous les traduisez en euros ou en dollars,
00:37:47 qui sont à peu près les prix de Paris.
00:37:50 Donc si vous voulez, c'est assez extraordinaire
00:37:55 et ça pose d'ailleurs un très gros problème.
00:37:57 – Les exportations russes sont aussi à l'origine
00:38:01 de ce rebond de la croissance.
00:38:03 Celles de l'industrie manufacturière ont retrouvé,
00:38:07 voire dépassé leur niveau d'avant les sanctions.
00:38:11 C'est qui aujourd'hui les partenaires de la Russie
00:38:14 au regard de ces exportations ?
00:38:16 – Essentiellement les pays asiatiques.
00:38:18 La Chine évidemment, bon ça c'est évident.
00:38:21 L'Inde, qui est devenue un énorme partenaire,
00:38:25 alors que ce soit pour les exportations de matières premières,
00:38:29 de pétrole, de gaz de la Russie vers l'Inde,
00:38:32 mais aussi des exportations de camions,
00:38:36 de matériels ferroviaires, etc.
00:38:39 Donc oui, l'Inde est devenue un énorme partenaire
00:38:42 commercial de la Russie.
00:38:44 Et puis après on a toute une série de pays asiatiques,
00:38:47 la Malaisie, l'Indonésie, le Vietnam.
00:38:51 – Oui, la Malaisie pour les puces je crois.
00:38:53 – Ou la Malaisie, alors là c'est plutôt les importations.
00:38:55 – D'accord.
00:38:55 – Mais même chose, les entrepreneurs malais,
00:39:01 ils achètent des camions russes,
00:39:03 ils achètent du matériel, d'équipement en provenance de Russie.
00:39:09 Et puis on voit, même chose,
00:39:14 l'industrie russe faire son apparition en Afrique.
00:39:19 Alors, plutôt en Afrique de l'Est, en ce qui concerne les exportations,
00:39:24 traditionnellement les entreprises russes,
00:39:26 les entreprises minières russes,
00:39:28 avaient un rôle important en Afrique de l'Ouest.
00:39:31 Par exemple, pour la Bauxite,
00:39:33 Roussal est l'un des principaux opérateurs pour la Bauxite,
00:39:38 au Niger et sur l'Afrique de l'Ouest.
00:39:42 Mais là on voit qu'en termes d'exportation,
00:39:45 il y a une entrée sur l'Afrique de l'Est,
00:39:48 c'est-à-dire essentiellement 3 pays,
00:39:51 Kenya, Zambie, Afrique du Sud.
00:39:55 Et puis, mais ça reste encore marginal, Ethiopie.
00:40:00 Et là on voit qu'il y a un retour important des exportations russes.
00:40:06 – Après les sanctions occidentales,
00:40:08 vous expliquez que la Russie n'a en réalité jamais été totalement coupée
00:40:13 du commerce extérieur, même avec l'UE, même avec l'Allemagne,
00:40:18 malgré la destruction de Nord Stream 2,
00:40:21 elles ont servi à quoi ces sanctions occidentales au final ?
00:40:24 – Alors, elles ont très largement…
00:40:26 – C'est qu'il y a eu un effet.
00:40:28 – Elles ont très largement réduit la part du commerce.
00:40:30 Il faut quand même rappeler que le commerce de la Russie,
00:40:34 enfin la part plus exactement de l'Union Européenne
00:40:37 dans le commerce de la Russie, c'était environ 45%, c'est énorme,
00:40:42 45% en 2021 ou en 2019, il vaut mieux prendre 2019,
00:40:48 c'est avant la crise de la Covid, bon.
00:40:52 Et on est tombé actuellement autour de 25%.
00:40:56 – Non mais ce que je voulais dire c'est que l'Occident sanctionne la Russie
00:41:00 – Et continue de commercer.
00:41:02 – Mais c'est une forme d'hypocrisie énorme.
00:41:03 – Oui mais parce qu'on ne peut pas faire autrement,
00:41:06 si vous voulez, on ne peut tout simplement pas faire autrement.
00:41:10 Les États-Unis d'ailleurs continuent de commercer avec la Russie
00:41:13 et ils ont refusé d'introduire…
00:41:17 – Importation de métaux russes, les États-Unis.
00:41:19 – Importation d'engrais russes ou de produits chimiques
00:41:22 qui servent à faire des engrais.
00:41:24 – Oui de l'azote, des produits azotés.
00:41:25 – Tout à fait, Biden avait dit "mais si on se coupe
00:41:28 de cette source d'approvisionnement, il n'y aura plus d'agriculteurs américains".
00:41:33 Oui voilà, tout est dit, puis il y a toute une série de choses,
00:41:36 les moteurs fusées, les fusées de M. Elon Musk,
00:41:40 elles ont des moteurs russes.
00:41:41 M. Elon Musk il a dit "pas question qu'on touche à ce genre de choses".
00:41:47 Donc oui, de toutes les manières, les pays occidentaux ne pouvaient pas,
00:41:54 je ne dis pas qu'ils ne voulaient pas,
00:41:55 mais ils ne pouvaient pas couper du jour au lendemain
00:41:59 la totalité de leurs liens commerciaux avec la Russie.
00:42:02 – Et vous parlez de ces gazoducs dont j'ignorais l'existence,
00:42:05 amitié et fraternité qui continuent à desservir l'Allemagne en gaz.
00:42:09 – Tout à fait, alors bien moins aujourd'hui
00:42:14 en quantité de gaz sous forme gazeuse.
00:42:18 L'Allemagne importe environ entre le quart et 20%
00:42:22 de ce qu'elle importait avant les opérations militaires en Ukraine.
00:42:27 Quand même une réduction tout à fait considérable, mais ce n'est pas zéro.
00:42:32 Et par ailleurs, l'Allemagne a évidemment augmenté très fortement
00:42:36 ses importations de gaz naturel liquéfié, de GNL.
00:42:41 Une partie du GNL, on le sait, vient de Russie.
00:42:46 Alors qu'il vienne directement ou qu'il vienne indirectement…
00:42:49 – Par l'Inde.
00:42:50 – Par l'Inde, il y a d'autres pays qui contribuent à cela.
00:42:56 Et on peut penser aujourd'hui que plus de la moitié du GNL
00:42:59 acheté par l'Allemagne est du GNL russe.
00:43:04 – Alors la croissance de l'industrie, elle est actuellement de 5,3% en 2023.
00:43:12 Elle devrait légèrement baisser au premier trimestre à 4%
00:43:16 et encore au deuxième à 2,2%. Pourquoi ce creux ?
00:43:21 – Alors deux raisons.
00:43:23 Première raison, c'est l'effet de base.
00:43:26 Comme on a été au deuxième trimestre 2023 face à une forte hausse,
00:43:33 eh bien évidemment, la hausse sur la hausse,
00:43:37 en fait c'est une hausse au carré, elle est moins importante.
00:43:42 Mais quand même, avoir dans n'importe quel pays
00:43:48 une industrie qui augmente de 2,5% par an, globalement,
00:43:54 c'est un succès énorme pour l'économie.
00:43:58 Je rappelle que l'industrie allemande est en récession,
00:44:03 que l'industrie française, qui est certes très faible,
00:44:06 mais que l'industrie française, au mieux, elle va stabiliser.
00:44:10 Autrement dit, elle sera à zéro.
00:44:12 Que l'industrie américaine devrait avoir un taux de croissance de l'ordre de 1%.
00:44:20 Donc 2,5%, ça reste important.
00:44:22 Et puis, deuxième raison, c'est le fait que l'industrie
00:44:28 manque d'effectifs.
00:44:30 Si vous voulez, ben voilà, ils sont passés de 72 à 74,2 millions de personnes employées,
00:44:36 mais là maintenant, il y a un véritable problème.
00:44:38 Et dans les enquêtes microéconomiques
00:44:41 qui sont faites par l'Institut de prévision de l'économie,
00:44:45 les collègues avec lesquels je travaille,
00:44:48 on voit que les entreprises signalent que la pénurie de personnel qualifié
00:44:55 est de l'ordre de 30 à 35% des postes offerts.
00:45:02 Donc ils ont du mal vraiment à recruter.
00:45:07 Et la pénurie de personnel non qualifié est de l'ordre de 20%.
00:45:13 – Vous pensez que la Russie pourra avoir recours à l'immigration
00:45:18 ou à une relance de la politique familiale, de la natalité ?
00:45:22 – La relance de la politique familiale…
00:45:24 – Ça se fait pas tout de suite, hein ?
00:45:26 – Voilà, c'est un programme à 20 ans.
00:45:28 – C'est sur une génération, voilà.
00:45:30 – Qu'ils le fassent, très bien,
00:45:32 mais c'est pas ça qui va résoudre le problème immédiat.
00:45:35 Alors oui, je pense que la Russie va continuer à être un pays d'immigration,
00:45:43 ça c'est clair.
00:45:45 Et qu'elle va probablement aller chercher des migrants à haute qualification
00:45:52 dans un certain nombre de pays.
00:45:54 – Dans les anciennes républiques du Sud ?
00:45:56 – Oui, ça peut, mais c'est pas là où on trouvera les gens
00:45:59 avec le niveau de formation, ou plus exactement.
00:46:01 Oui, vous avez des jeunes Arméniens qui ont un très bon niveau de formation,
00:46:08 mais le problème c'est qu'ils travaillent déjà à Moscou,
00:46:10 ils travaillent déjà en Russie en réalité,
00:46:13 donc c'est pas tellement là qu'ils peuvent jouer.
00:46:16 Ce qu'ils peuvent, c'est aller démarcher des jeunes Chinois,
00:46:20 des jeunes Vietnamiens.
00:46:22 – Tous les ingénieurs de Chine.
00:46:24 – Voilà, pour leur dire "venez".
00:46:26 En sachant que, bien sûr il faut savoir parler le russe,
00:46:30 ou en tous les cas l'anglais,
00:46:32 mais très souvent les jeunes diplômés,
00:46:34 que ce soit les Chinois, que ce soit les Vietnamiens,
00:46:38 ou même que ce soit les Indiens,
00:46:40 ils parlent l'anglais et puis ils sont capables de se mettre au russe
00:46:46 assez rapidement, en 6 mois, 6 mois, 1 an.
00:46:50 Donc oui, la Russie va être contrainte
00:46:55 d'avoir recours à une immigration assez importante,
00:46:59 d'ailleurs elle est en train,
00:47:01 elle a déjà mis largement sa surpied,
00:47:03 mais elle est en train de renforcer son dispositif,
00:47:06 ce sont des centres qui sont à l'étranger,
00:47:10 où les gens qui veulent migrer en Russie
00:47:12 viennent se faire enregistrer,
00:47:14 on vérifie qu'ils ont un contrat de travail,
00:47:16 on vérifie leur niveau linguistique,
00:47:18 s'il y a besoin, il y a des cours de langue qui sont donnés,
00:47:24 et on les met au courant de l'ensemble de la législation sociale,
00:47:28 de manière à ce que dès qu'ils arrivent sur le territoire russe,
00:47:31 ils prennent une assurance,
00:47:33 les syndicats sont d'ailleurs présents à ce niveau là,
00:47:38 donc il y a une forme d'organisation de l'immigration,
00:47:43 mais il est clair qu'ils vont avoir recours à cela
00:47:48 pour l'équivalent d'au moins 600 à 700 000 personnes
00:47:52 dans l'année 2024.
00:47:54 – De toute façon, ils ne pourront pas forcément compter
00:47:56 sur ces personnes russes qui ont fui le pays après le déclenchement.
00:48:01 – Alors beaucoup sont rentrés.
00:48:03 – Tous ne reviendront pas.
00:48:05 – Tous ne reviendront pas, en particulier,
00:48:07 parce qu'on avait compté dans les gens qui étaient partis de Russie,
00:48:10 des gens qui en réalité ne vivaient plus en Russie,
00:48:13 il y avait des gens qui vivaient déjà en France, en Allemagne, en Italie,
00:48:19 qui avaient un passeport russe, qui étaient ressortis,
00:48:23 mais bon, les gens qui sont réellement partis,
00:48:27 on peut penser qu'entre le tiers et la moitié sont revenus.
00:48:31 – Oui, d'accord.
00:48:33 On l'évoquait un petit peu tout à l'heure, Jacques Sapir, avec vous,
00:48:35 l'un des problèmes majeurs de la Russie reste l'inflation,
00:48:39 revenue à la fin du printemps dernier,
00:48:43 elle était fin novembre à 7,5% selon la banque centrale russe.
00:48:50 Pourquoi vous pensez qu'elle devrait rester à un niveau élevé ?
00:48:54 – Tout simplement, le marché de l'emploi.
00:48:57 Là, pour le coup, la fameuse courbe de Philips,
00:49:02 dont on avait tant parlé dans les années 60, 70,
00:49:06 elle joue à plein.
00:49:08 Quand vous êtes dans une situation
00:49:11 où il n'y a pratiquement plus de chômage structurel,
00:49:15 bon, il peut y en avoir un tout petit peu dans certaines régions,
00:49:19 mais même là, on voit que c'est en train de diminuer très fortement.
00:49:22 – On est en dessous de 3, donc c'est le plein emploi.
00:49:25 – C'est le plein emploi, le chômage est ce qu'on appelle un chômage frictionnel,
00:49:28 autrement dit, c'est quelqu'un qui quitte son emploi précédent,
00:49:31 parce qu'il n'est pas content, parce qu'il trouve qu'il n'est pas assez payé,
00:49:34 qui s'inscrit au chômage, les 2-3 mois nécessaires
00:49:37 à ce qu'il retrouve un emploi, et comme il y a plein d'entreprises…
00:49:40 – Oui, c'est de la transition.
00:49:42 – Donc c'est un pur chômage frictionnel aujourd'hui.
00:49:45 Et ce qui est très intéressant, c'est que là où il y avait traditionnellement
00:49:48 une poche de chômage importante, c'était le district fédéral sud,
00:49:52 autrement dit, toutes les régions du Caucase du Nord,
00:49:56 la région de Rostov, la région de Stavropol, etc.
00:50:01 Même là, on voit que ce chômage est en train de baisser très rapidement,
00:50:08 et que, assez vite maintenant, on va revenir dans une situation de plein d'emploi.
00:50:14 Donc comme on est dans une situation, globalement, de plein d'emploi,
00:50:18 oui, il est tout à fait logique que l'on ait, si vous voulez,
00:50:24 le maintien de taux d'inflation relativement important,
00:50:28 alors, peut-être pas au niveau de 8%, de 7-8% comme cette année,
00:50:33 mais que l'on soit, par exemple, sur 2024, avec un taux d'inflation de 5%,
00:50:40 par exemple, de 5 à 6%, ne m'étonnerait nullement.
00:50:44 – Alors, là, des dollarisations, on en parle beaucoup sur TV Liberté,
00:50:49 continuent en Russie, le yuan, la monnaie chinoise,
00:50:53 représentait 6% du volume des transactions début 2022.
00:50:58 Aujourd'hui, c'est 48%. On passe de 6 à 48.
00:51:02 La banque centrale russe développe ses réserves en or,
00:51:06 ça représente à peu près un cinquième de ses réserves.
00:51:10 En attendant, dites-vous, une monnaie de remplacement au dollar.
00:51:14 Alors, les DTS, les droits de tirage spéciaux du FMI,
00:51:18 une sorte de panier de grande devise mondiale,
00:51:21 peuvent-ils devenir la nouvelle unité de compte d'un commerce international ?
00:51:27 – Oui, c'est tout à fait possible.
00:51:28 Et d'ailleurs, cette idée n'avait pas été avancée au départ par les Russes,
00:51:33 c'est une idée qui avait été avancée au départ
00:51:36 par des économistes saoudiens et algériens, si vous voulez,
00:51:41 qui proposaient le DTS en opposition au dollar
00:51:46 pour les transactions pétrolières et gazières.
00:51:50 – D'accord, et les Saoudiens, eux, sont déjà passés au yuan.
00:51:52 – Alors, ils sont passés au yuan sur une partie de leur commerce,
00:51:57 et ils font une autre partie du commerce en dollar,
00:52:01 une partie aussi en roupie, etc.
00:52:05 – Je crois que même l'Union Européenne a dû acheter à l'Arabie Saoudite en yuan.
00:52:09 – En yuan, en total, elle a passé un contrat en yuan à l'Arabie Saoudite.
00:52:13 Et on voit très bien que l'Arabie Saoudite cherche à limiter
00:52:18 l'impact du dollar sur son commerce international.
00:52:22 Bon, qui dit l'Arabie Saoudite, dit aussi l'Iran,
00:52:26 il y a une volonté globale.
00:52:29 Après, je pense qu'il faut qu'il y ait un accord international
00:52:37 pour l'utilisation du DTS en sachant…
00:52:40 – Donc là, c'est une révision de Bretton Woods, des accords de vrai nom ?
00:52:43 – Non, ce n'est pas nécessaire, parce que vous allez utiliser le DTS
00:52:47 comme unité de compte et pas comme unité de règlement.
00:52:50 Donc, vous pouvez le faire,
00:52:52 même si le Fonds Monétaire International n'est pas d'accord.
00:52:54 En réalité, on n'a pas besoin de l'accord ou du non-accord.
00:52:58 – Oui, je crois que les Russes s'en passent.
00:53:01 – Du Fonds Monétaire International.
00:53:03 Bon, par contre, ce qui est clair,
00:53:06 c'est que quand on viendra à des monnaies, cette fois-ci, de règlement,
00:53:12 donc pas la monnaie de compte, mais la monnaie de règlement,
00:53:16 la monnaie de règlement sera très probablement des monnaies locales,
00:53:19 alors qu'ils peuvent être le yuan, la roupie chinoise,
00:53:27 le rouble, qui est utilisé maintenant de plus en plus.
00:53:30 Le rouble a beaucoup gagné, il était très faible,
00:53:33 mais il a beaucoup gagné dans les échanges internationaux.
00:53:36 Oui, tout ceci est possible,
00:53:39 mais l'unité de compte, ça serait effectivement important.
00:53:42 Et s'il y avait un accord des pays de l'OPEP
00:53:47 pour dire que désormais le prix du dollar,
00:53:51 c'est-à-dire le prix du Brent ou le prix du WTI,
00:53:54 bon, autrement dit, les grands prix directeurs,
00:53:57 à partir desquels vous avez toute une série d'autres prix qui sont calculés,
00:54:02 devaient être fixés en DTS et non plus en dollars,
00:54:07 oui, ça serait un phénomène absolument majeur
00:54:11 pour la dédollarisation du commerce international.
00:54:14 Et quand The Economist nous parle en 88 de l'arrivée d'une monnaie appelée le phénix
00:54:20 et remet une couche avec les goff coins en 2021,
00:54:23 vous ne croyez pas à l'émergence d'une monnaie mondiale en remplacement du dollar ?
00:54:31 Si vous voulez, une monnaie, c'est trois choses.
00:54:34 C'est une unité de compte, une unité de transaction et une unité de réserve.
00:54:41 Pour qu'une monnaie remplisse ces trois fonctions,
00:54:45 c'est très compliqué, il faut qu'il y ait une banque centrale qui l'appuie
00:54:50 et il faut que derrière cette banque centrale,
00:54:52 vous ayez un État puissant qui l'appuie.
00:54:56 Pourquoi la banque centrale européenne n'a pas réussi à promouvoir l'euro
00:55:02 au niveau international ?
00:55:03 Tout simplement parce que personne ne prend au sérieux l'Union européenne.
00:55:06 – Oui, parce que les Américains avaient 50 ans d'avance, 60 ans d'avance.
00:55:10 – Oui, mais si vous voulez, on le voit depuis quelques années,
00:55:14 la part du dollar ne cesse de baisser dans les réserves internationales.
00:55:18 – Mais oui, mais l'euro ne monte pas.
00:55:19 – Mais l'euro baisse en même temps que…
00:55:21 Et ce qui monte par contre, ce sont les petites monnaies.
00:55:25 Autrement dit, le Rémini convertible, pour l'appeler par son nom,
00:55:30 le Yen, le franc suisse, la livre sterling, le dollar canadien, le dollar australien,
00:55:36 toutes ces petites monnaies qui, il y a 15 ans,
00:55:40 représentaient environ 10% des réserves internationales de change,
00:55:44 représentent aujourd'hui quasiment 23% plus que l'euro qui est tombé à 21%.
00:55:51 Donc, c'est ça, il faut qu'il y ait, si vous voulez, un État puissant,
00:55:57 une banque centrale puissante pour qu'on ait une monnaie complète.
00:56:02 Maintenant, si on veut simplement avoir une des fonctions de cette monnaie,
00:56:07 par exemple la fonction d'unité de compte, c'est beaucoup plus facile,
00:56:11 ça pose beaucoup moins de problèmes que la constitution générale d'une monnaie.
00:56:15 – Ça sera ma dernière question, Jacques Sapir,
00:56:18 avec cette entrée de la Russie en guerre le 24 février 2022,
00:56:25 son modèle de développement est beaucoup moins dans un capitalisme financier
00:56:30 qu'auparavant, comment pourrait-on définir, redéfinir le modèle russe actuel ?
00:56:38 – Effectivement, c'est un véritable problème.
00:56:41 Alors, la Russie est rentrée dans un modèle de capitalisme rentier dans les années 90,
00:56:48 si vous voulez, les années Yeltsin correspondent à un capitalisme rentier,
00:56:53 voire à des méthodes de prédation par les grands oligarques.
00:56:57 Avec l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir,
00:57:00 on est sorti de ce capitalisme rentier,
00:57:04 mais pour rentrer dans un capitalisme qui était relativement financiarisé,
00:57:09 qui allait en fait dans la voie de l'ensemble des modèles capitalistes
00:57:15 au niveau international,
00:57:17 mais avec des éléments de développement industriel qui étaient maintenus,
00:57:21 alors que dans d'autres pays comme la France,
00:57:23 la financiarisation s'est accompagnée d'une désindustrialisation importante.
00:57:28 Et puis, ce que l'on voit aujourd'hui, depuis en fait 2017,
00:57:33 mais qui s'est accéléré de manière extrêmement importante depuis 2022
00:57:39 avec l'impact de la guerre,
00:57:41 c'est un capitalisme qui cette fois-ci se définanciarise,
00:57:46 le rôle de la finance bancaire dans le financement des investissements
00:57:54 est tombé très bas,
00:57:56 il est tombé pratiquement au tiers de ce qu'il était,
00:57:58 et il n'avait jamais été très très très important,
00:58:01 mais quand même, il était à plus de 35% avant,
00:58:03 mais là il est tombé à moins de 10%.
00:58:06 Bon, et il y a une forme de symbiose
00:58:11 entre le secteur public au sens strict du terme,
00:58:16 les entreprises publiques,
00:58:18 il faut toujours le rappeler,
00:58:20 les entreprises publiques sont des entreprises par action,
00:58:22 dont l'État a 51% des actions,
00:58:26 mais donc 49% des actions sont dans le privé,
00:58:30 bon, et les entreprises privées.
00:58:33 Et c'est la combinaison maintenant de ces 3 secteurs,
00:58:38 de ces 3 éléments,
00:58:39 qui est en train de redéfinir une économie,
00:58:42 une économie dans laquelle très clairement,
00:58:47 les perspectives des entrepreneurs
00:58:54 doivent se confronter aux perspectives de la puissance publique.
00:59:00 Et il y a toute une série de mécanismes,
00:59:02 alors certains mécanismes sont formels,
00:59:04 il y a des réunions des entrepreneurs,
00:59:07 auxquelles d'ailleurs vient très souvent Vladimir Poutine
00:59:10 pour expliquer qu'est-ce que va faire le gouvernement,
00:59:12 et quand ce n'est pas Vladimir Poutine,
00:59:13 c'est son Premier ministre, M. Michoustine,
00:59:16 qui vient expliquer quelle est la politique du gouvernement,
00:59:19 bon, ça c'est une chose,
00:59:20 et il y a aussi des mécanismes informels,
00:59:22 autrement dit des réunions,
00:59:24 par exemple les dirigeants d'une branche
00:59:29 peuvent venir voir le Premier ministre,
00:59:31 tout ceci indique en réalité une forme de symbiose
00:59:38 entre le poids de l'État et l'initiative des entrepreneurs,
00:59:43 qui est aujourd'hui très nouvelle
00:59:46 par rapport à ce qui était la doctrine Poutine
00:59:48 exprimée au début des années 2000,
00:59:50 qui consistait à dire bon,
00:59:52 il y a un secteur de l'industrie
00:59:55 sur lequel nous allons conserver le contrôle,
00:59:57 c'était en réalité les industries militaires,
00:59:59 il y a un secteur de l'industrie
01:00:01 sur lequel nous pouvons négocier,
01:00:04 y compris avec des entreprises étrangères,
01:00:07 mais il faut qu'on se mette d'accord,
01:00:09 et c'était en particulier l'automobile,
01:00:12 bon, c'est comme ça d'ailleurs que Renaud est entré en Russie,
01:00:15 et puis le reste de l'économie,
01:00:17 on ne demande aux entrepreneurs que de payer leurs impôts,
01:00:21 et puis pour le reste, l'État n'a pas à intervenir,
01:00:26 et on est passé quand même de ce type de vision
01:00:30 du développement économique
01:00:33 à une forme qui est aujourd'hui beaucoup plus,
01:00:38 si vous voulez, en symbiose
01:00:41 entre la puissance publique et l'activité privée.
01:00:44 – Cette symbiose, est-ce qu'on peut la résumer en un mot ? Planification ?
01:00:48 – Ça devrait être le cas, ça devrait être le cas,
01:00:51 il faut dire que le thème de la planification
01:00:55 est devenu, je dirais, un point central du débat économique en Russie en 2019,
01:01:01 avant la crise Covid, c'est extrêmement intéressant.
01:01:05 – Alors la planification, ça peut faire peur à certains téléspectateurs,
01:01:09 le plan quinquennat de l'Union Soviétique,
01:01:12 mais c'est ce qu'on faisait en France dans les années 60.
01:01:15 – Exactement, et ils regardent beaucoup le modèle de planification chinois
01:01:20 qui fonctionne actuellement,
01:01:22 qui est d'ailleurs lui-même très inspiré du modèle français.
01:01:24 Donc oui, il y a très clairement cela,
01:01:27 même si aujourd'hui, il n'y a pas encore l'ensemble des institutions nécessaires.
01:01:33 Par exemple, il n'y a pas l'équivalent d'un commissariat général au plan,
01:01:38 c'est beaucoup plus le cabinet du Premier ministre qui en tient le but.
01:01:42 – Nous en France, on a François Bayrou au plan, je crois.
01:01:46 Merci à vous, Jacques Sapir, d'avoir répondu aux questions de TV Liberté,
01:01:51 c'est la fin de cet entretien.
01:01:53 N'hésitez pas à cliquer sur le pouce en l'air,
01:01:56 à nous laisser vos commentaires et à partager un maximum cet entretien.
01:01:59 On se retrouve la semaine prochaine, à bientôt.
01:02:02 [Générique]

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