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  • il y a 22 heures
Chloé Morin, politologue et essayiste, était l'invitée de Laure Closier dans Good Morning Business, ce mardi 18 novembre. Elle est revenue sur ses opinions dans son essai publié "Désalignée", affirmant que la démocratie représente un risque sérieux à court terme en raison des plateformes qui changent la manière dont la société se pense, sur BFM Business. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.

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Transcription
00:007h45 sur BFM Business et sur RMC Live. Notre invité ce matin c'est Chloé Morin.
00:04Bonjour, vous êtes politologue et essayiste, vous publiez votre huitième essai, ça s'appelle
00:08Désaligné, c'est sorti en novembre, début novembre aux éditions de l'Observatoire.
00:14Ça fout la frousse franchement quand on le lit, c'est même assez inquiétant.
00:17Selon vous la démocratie est en risque sérieux, mais sérieux à court terme,
00:21notamment en raison des plateformes qui changent complètement la manière dont la société se pense aujourd'hui.
00:28A l'heure des GAFAM, on ne pense plus pareil, c'est soit face au reste du monde, on ne peut plus faire société.
00:35C'est exactement ça. Et d'ailleurs si on veut savoir ce qui va se passer en France dans quelques années,
00:39il suffit de regarder les Etats-Unis parce qu'aujourd'hui il faut bien voir que la majorité des Français
00:44ne s'informent pas via les réseaux sociaux, mais c'est le cas aux Etats-Unis.
00:47Et en fait le fait de passer par des plateformes pour s'informer au lieu de regarder les médias traditionnels,
00:53ça change complètement ce que vous allez voir, ce que vous n'allez pas voir,
00:56et la manière dont vous allez le percevoir et le temps que vous avez pour le comprendre.
01:00Et en fait l'algorithme accélère le temps politique.
01:03Et quand on est dans l'accélération permanente, on est dans la réaction et on n'est plus du tout dans la réflexion.
01:08Et en fait j'ai essayé de prendre dans ce livre toutes les implications concrètes
01:11de l'entrée progressive des algorithmes dans nos vies.
01:15à la fois sur la manière dont les journalistes font leur travail,
01:19à la fois sur la manière dont les politiques font de la politique,
01:22parce qu'on ne se rend pas compte, mais aujourd'hui faire de la politique,
01:25c'est consacrer un temps énorme à gérer cette espèce de machine infernale
01:29qui accélère en permanence, où vous devez donner, nourrir le flux en permanence,
01:34sinon vous disparaissez.
01:36Et quand vous êtes un responsable politique, moi je donne des témoignages dans le livre,
01:39de responsables politiques de haut niveau qui me disent
01:42mais aujourd'hui si je ne fais pas du clash, du clivant,
01:46si je fais des messages trop longs, trop complexes, trop nuancés,
01:49ça ne passe pas et je disparais.
01:51Et donc c'est cette machine-là qui est en train petit à petit de nous avaler.
01:55Et l'avantage que l'on a de nous, c'est que je pense qu'on peut encore dire qu'il faut réguler
02:00et dire qu'il faut ralentir et sauver la presse,
02:02parce que la presse vraiment, pour le coup, et surtout la presse écrite,
02:05mais tous les médias traditionnels sont en danger.
02:09Donc je pense qu'on peut encore faire quelque chose,
02:11mais évidemment mon souci c'est pour 2027,
02:13parce qu'au rythme où vont les choses,
02:15je pense qu'on n'aura pas de débat présidentiel en 2027.
02:18Mais vous considérez que c'est un sujet à la fois de santé publique,
02:23à la fois de démocratie, et que la seule solution c'est l'interdiction ?
02:28Alors ça dépend pour qui, c'est-à-dire que pour les enfants,
02:30je pense qu'il faut des interdictions.
02:32Je suis pour l'interdiction des réseaux sociaux.
02:34Est-ce que c'est avant 14 ans, 15 ans, 16 ans, je ne sais pas,
02:36mais je pense qu'il faut des mesures d'interdiction.
02:40Je pense qu'il faut informer les gens aussi,
02:41parce que beaucoup de gens ne savent pas qu'avant 3 ans,
02:45les écrans c'est interdit, avant 6 ans c'est fortement déconseillé.
02:48Il y a des choses comme ça que beaucoup de parents ne savent pas encore.
02:51Et puis, pour ce qui est des plateformes,
02:53je pense qu'il faut penser les choses
02:55exactement comme l'industrie agroalimentaire dans les années 90.
02:58C'est-à-dire qu'il y a eu une flambée de l'obésité,
03:03et avant on considérait que finalement,
03:05si vous mangez n'importe quoi, c'était votre responsabilité.
03:08À un moment donné, on s'est dit,
03:09c'est la responsabilité de l'industrie
03:12qui produit des aliments
03:14qui sont faits pour nous rendre addicts.
03:17Pour gérer ça comme le sucre.
03:18Voilà.
03:19Et donc, exactement de la même manière,
03:22on a réduit le sucre, réduit le gras,
03:24réduit tous les composants nocifs dans la nourriture.
03:27Là, il faut dire aux plateformes,
03:29il faut arrêter de pousser des contenus nocifs,
03:32extrêmement émotionnels,
03:34et des contenus pornographiques, évidemment,
03:37des contenus violents.
03:39Mais même, si vous voulez,
03:40quand moi je fais une vidéo,
03:41si on poste la vidéo de cette interview,
03:45on sait très bien que ça ne va pas buzzer
03:46de la même manière que, je ne sais pas,
03:48un responsable politique qui en insulterait un autre sur un plateau.
03:51Eh bien, ça, c'est l'algorithme qui décide de ça.
03:53C'est l'algorithme qui décide que tel contenu
03:55va avoir énormément de résonance
03:58et tel autre contenu, pas du tout.
03:59Et c'est là-dessus que les plateformes doivent travailler.
04:02Moi, je ne suis pas pour l'interdiction des plateformes, évidemment.
04:04Mais ça veut dire quand même qu'elles doivent filtrer les contenus.
04:06On a essayé de les forcer à mettre des modérateurs.
04:10Bon, maintenant, c'est terminé.
04:11Facebook a dit qu'ils arrêtaient complètement avec les modérateurs.
04:13Donc, c'est là-dessus qu'il faudrait revenir
04:15en qualifiant les contenus,
04:18la manière dont ils sont créés
04:19et ce qu'ils disent.
04:20C'est ça qui est compliqué, quand même.
04:21C'est compliqué, mais c'est possible, si vous voulez.
04:24En fait, aujourd'hui, les plateformes,
04:25ce qu'elles vendent, c'est votre temps d'attention.
04:28Donc, ce qu'elles ont intérêt à faire,
04:29c'est que vous restiez le plus longtemps possible
04:31devant votre écran.
04:33Donc, elles vont poster des contenus
04:35qui vont vous faire plaisir,
04:36qui vont libérer de la dopamine,
04:38qui vont faire que vous allez continuer à scroller.
04:40Mais c'est normal qu'elles fassent ça, en quelque sorte.
04:44Je veux dire, elles se rentabilisent
04:45en vendant de la pub sur le temps que vous y passez.
04:49Mais cette logique-là
04:50n'est pas du tout une logique saine pour la démocratie.
04:53Parce que des gens qui passent leur vie
04:56à consommer des contenus hyper courts,
04:59pas très informatifs,
05:00il faut savoir qu'on retient à peu près 5% de ce qu'on scrolle.
05:02Donc, le temps qu'on passe à scroller,
05:05c'est du temps perdu.
05:06Et aujourd'hui, pour un adulte,
05:08ça représente des heures par jour.
05:10Donc, il faut qu'on prenne conscience de ça.
05:13Et je pense qu'il faut qu'on inverse la logique
05:16qui est celle des plateformes
05:18et qu'elle passe dans une logique qui est vertueuse
05:20sur le plan informationnel et sur le plan éducatif.
05:22Vous considérez que dans ce combat pour la démocratie,
05:24ceux qui sont les résistants, c'est ceux qui lisent.
05:26Donc, ceux qui acceptent une sorte de pensée complexe
05:29de se plonger longuement dans quelque chose,
05:32mais leur nombre diminue.
05:33Leur nombre diminue chaque année.
05:35Il y a un baromètre qui mesure ça,
05:37qui est fait par le Centre national du livre,
05:39qui montre que, quasiment inexorablement,
05:42j'allais dire, la lecture chute chaque année.
05:45Et en fait, c'est directement corrélé
05:46à l'essor des écrans.
05:48On le voit chez les enfants, d'ailleurs.
05:49L'âge à peu près du premier téléphone portable,
05:51c'est à peu près 11 ans.
05:52C'est l'âge aussi où ils commencent à ne plus lire.
05:55Or, il faut savoir que lire,
05:56ce n'est pas seulement acquérir des connaissances.
05:58Ça entraîne notre cerveau.
06:00Et ça lui donne des compétences qui sont essentielles
06:02au bon fonctionnement démocratique.
06:03Par exemple, l'empathie.
06:05Lire, ça développe l'empathie.
06:06Ça développe la capacité à rentrer dans une vie
06:09qui n'est pas la nôtre.
06:10Et donc, en fait, c'est exactement...
06:12Précisément l'exercice qu'il faut faire...
06:13C'est de sortir de son algorithme.
06:14Voilà.
06:15C'est précisément l'exercice qu'il faut faire
06:16quand on essaye de penser à l'intérêt général
06:19lorsqu'on vote.
06:20Et donc, la lecture, c'est très, très important.
06:23Et effectivement,
06:24on voit assez peu de responsables politiques,
06:26aujourd'hui, le dire et dire que c'est une priorité.
06:28Mais à mon sens,
06:29c'est l'un des vrais actes de résistance
06:32aux logiques qui structurent notre époque.
06:34Mais quand on vous entend,
06:35on se dit qu'il n'y a pas d'espoir
06:36à aller chercher vis-à-vis des politiques
06:38parce qu'eux aussi ont besoin de cette machine
06:40et rentrer dedans.
06:42À un moment donné,
06:43qui peut nous sortir de cette difficulté ?
06:46Moi, j'ai bon espoir
06:48que les responsables politiques
06:49vont prendre conscience de ça.
06:50Et d'ailleurs, si je publie ce livre-là,
06:52c'est aussi...
06:52Parce que j'espère que ce sera un sujet pour 2027.
06:55Oui, aujourd'hui,
06:56les politiques sont complètement prisonniers
06:58de leurs followers,
06:59de leur communauté,
07:00de leurs likes.
07:01Ils ont peur, du coup,
07:02de sortir de ces logiques-là.
07:04Et ils sont un peu comme tétanisés,
07:07en quelque sorte.
07:08Et puis, ils se disent, finalement...
07:11Beaucoup, je crois, se disent
07:12que c'est l'ordre des choses.
07:15Il faut faire avec.
07:16Moi, je pense qu'il ne faut pas faire avec
07:17parce que c'est une logique
07:18qui détruit la démocratie,
07:20qui détruit la complexité,
07:21la nuance, la modération.
07:22Enfin, tout ce qui fait le socle symbolique,
07:25j'allais dire, de la démocratie.
07:27Donc, le président de la République
07:29a lancé une initiative sur le sujet.
07:32C'est forcément des choses, de toute façon,
07:33qui se feront au niveau international.
07:35Donc, il faut espérer que l'Europe sera...
07:37Qui a déjà fait des choses, d'ailleurs,
07:39là-dessus, l'Europe.
07:41Il faut espérer qu'elle sera en pointe.
07:43Mais ce qui m'inquiète, si vous voulez,
07:44c'est qu'on n'a pas beaucoup de temps, en fait.
07:46C'est pas...
07:48C'est à échelle de 10 ans,
07:49la bataille, elle est finie.
07:50Donc, il faut bien se rendre compte
07:53que si on ne veut pas se retrouver
07:54dans la situation de tension
07:55qui est celle des États-Unis aujourd'hui,
07:57il va falloir agir,
07:59en parler et réguler rapidement.
08:01Merci beaucoup, Chloé Morin,
08:02d'être venue ce matin
08:03dans la matinale de l'économie.
08:05Je rappelle le titre de votre essai.
08:07Désaligné, c'est aux éditions de l'Observatoire.
08:09Merci.
08:10Merci.
08:11Merci.
08:12Merci.
08:13Merci.

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