La loi de février 2005 pour l’égalité des droits et des chances avait donné 10 ans pour que tous les établissements recevant du public soient accessibles à toute personne en situation de handicap. C’est encore loin d’être le cas. Grâce à son association À tour de bras et son entreprise Water Connect, Yves Pucheral, agit pour améliorer l’accessibilité urbaine.
00:00Le zoom de ce Smart Impact, on va notamment beaucoup parler d'accessibilité des villes avec Yves Pucheral, bonjour.
00:13Bonjour.
00:13Bienvenue, vous êtes le cofondateur de Water Connect et président de l'association à tour de bras.
00:19Je vais commencer par cette activité d'entrepreneur.
00:22Water Connect, ce n'était pas votre première entreprise, vous l'avez fondée en 2018.
00:26C'est quoi Water Connect ? Qu'est-ce que vous proposez ?
00:29Alors effectivement, Water Connect, on est fabricant de mobiles urbains, pour rendre la ville plus confortable pendant les périodes de canicule.
00:41Donc des îlots de fraîcheur, par exemple ?
00:42Voilà, des îlots de fraîcheur, des fontaines brumisantes, des kiosques brumisants, c'est vraiment effectivement notre fer de lance.
00:53Et avec une moto, en quelque sorte, une mantra qui dit rendre ces îlots de fraîcheur, ces fontaines à bois, accessible à tous.
01:04J'ai vu ça sur votre site et c'est quelque chose de très important pour vous.
01:08Qu'est-ce que vous avez fait pour les rendre les plus inclusives possibles, les plus inclusives possibles ces lieux ?
01:14Alors effectivement, je vais remonter un petit peu en arrière sur la genèse de l'entreprise Water Connect.
01:23C'est une rencontre entre deux associés.
01:28Donc mon associé, c'est Pascal Poncet, spécialiste dans les fontaines, dans la fontainerie.
01:36Et moi, j'ai travaillé longtemps dans le mobilier urbain.
01:41Donc on s'est associé autour de ce projet.
01:45Et le premier projet sur lequel on a travaillé, c'était comment lutter contre l'ouverture des bornes à incendie pendant l'été par les enfants.
01:57Ça s'appelle le street pooling.
01:58Ça vient des Etats-Unis.
01:59Bien sûr, bien sûr.
02:00Et là, voilà, on a été contacté par le cluster au milieu sol qui est à Choisy-le-Roy et qui nous a demandé de travailler sur cette problématique.
02:13Et donc ça, ça a été le premier produit.
02:15Comment effectivement éviter l'ouverture des bornes à incendie ?
02:19Et on s'est dit, si les bornes à incendie sont ouvertes pendant l'été, pendant les enfants, par les enfants, c'est qu'il y a un besoin de rafraîchissement.
02:27Et là, on a créé des îlots de fraîcheur, des kiosques brumisants qu'on installe pendant l'été dans les cités sensibles pour que les enfants puissent se rafraîchir.
02:40Et partout où on est installé en Ile-de-France, il n'y a plus d'ouverture de bornes à incendie.
02:43Donc ça marche.
02:44Ça, c'était le premier produit.
02:45Et suite à ça, eh bien, on a répondu à des appels d'un projet, notamment avec Haute-Paris.
02:52Et Haute-Paris lançait donc un appel à projet qui s'appelait, pour les JO, les Jeux Olympiques, imaginer la fontaine du XXIe siècle.
03:06C'était le titre de l'appel à projet.
03:09Et alors on s'est dit, bon, il faut effectivement que cette fontaine, elle soit inclusive.
03:14Inclusive, ça veut dire en accessibilité universelle pour tous.
03:20Mais ce n'est pas le cas systématiquement.
03:22Il y a des fontaines que si on est en fauteuil, on ne peut pas y accueillir.
03:25Et non, par exemple, il y a des super fontaines.
03:27Tout le monde connaît la fontaine Wallace avec les cariatides.
03:31Et il y a un petit filet d'eau qui coule donc au milieu, mais qui est parfaitement inaccessible pour une personne en fauteuil ou pour un enfant ou pour une personne âgée.
03:42C'est très compliqué.
03:44Et donc, on s'est dit, ben voilà, nous, on va faire une fontaine accessible à tous.
03:49Alors, ce n'est pas simplement les personnes handicapées.
03:52C'est tous les enfants, les personnes en fauteuil, les personnes âgées, les personnes valides.
03:58Et on a même travaillé avec l'APF, l'Association des Paralysés de France.
04:04On a présenté notre projet.
04:06Et ils nous ont même fait rajouter ce qui est amusant.
04:08Ils ont dit, mais pour les chiens d'aveugles, est-ce que vous avez pensé aux chiens d'aveugles ?
04:13Et donc, on a rajouté une option.
04:16Avec une mini-gamelle pour les chiens.
04:18Avec un bouton poussoir.
04:20Et donc, ça déclenche une petite cascade pour les chiens.
04:25Alors, ça rejoint en quelque sorte votre histoire personnelle, Yves Pucheral.
04:30Parce qu'on va parler de cette association à tour de bras.
04:35Il faut dire que vous êtes vous-même en fauteuil roulant.
04:37Qu'est-ce qui vous est arrivé, assez jeune d'ailleurs ?
04:40Ben voilà, alors, c'est vrai que j'ai un parcours personnel et professionnel un petit peu atypique.
04:47C'est que je suis, enfin, j'étais donc diplômé de l'ESTP.
04:51L'ESTP, c'est l'école spéciale des droits publics.
04:53Et donc, mon premier chantier a été en Afrique.
04:58En Afrique noire, en Haute-Ivoire, pour construire des châteaux d'eau.
05:03Et en revenant en France avec mes parents, partant en vacances, à Noël.
05:09La voiture a dérapé dans un virage sur du verglas.
05:12On est tombé dans le ravin.
05:148 mètres en chute libre.
05:15On est tombé sur le toit.
05:17Et il n'y a pas eu de mort, heureusement.
05:20Et d'un seul coup, je ne sentais plus mes jambes.
05:22Je ne savais pas ce qui m'était arrivé.
05:25Et j'ai découvert, plus tard, que j'étais devenu paraplégique.
05:30Donc, là, ça a été, je dirais, effectivement un choc pour moi, pour la famille, pour tout le monde.
05:40Et j'avais 22 ans à l'époque.
05:42Et c'est donc il y a longtemps, parce que le temps a passé.
05:46Mais ça ne vous a pas empêché de faire une carrière, de devenir entrepreneur ?
05:49Et là, justement, il y a 40 ans, trouver du travail en tant que personne handicapée, c'était très difficile.
05:57Et donc, je me suis dit, je vais créer mon emploi.
06:00Et j'ai suivi des cours de gestion et j'ai créé ma première entreprise.
06:04Et ça a vraiment été une planche de salut.
06:07Se dire, ah ben tiens, je suis capable de faire quelque chose.
06:11J'ai oublié ma différence.
06:14Et donc, j'ai mené plusieurs entreprises, dont la première qui était grosse,
06:18puisque quand on a vendu au bout de 15 ans, je l'ai monté avec mon épouse,
06:23on était plus de 150 salariés.
06:26Donc, à chaque fois, je me suis dit, là, on oublie complètement son handicap, sa différence.
06:31Il faut y aller, quoi.
06:33Et puis ensuite, c'est, je dirais, le hasard des rencontres.
06:39Et puis, la passion qui m'a fait, à chaque fois, recréer des entreprises différentes.
06:44D'autres entreprises.
06:45Et aussi créer, parce que le temps file, il nous reste cinq minutes,
06:48et je voudrais qu'on y consacre du temps, cette association qui s'appelle À Tours de Bras.
06:53Alors, peut-être qu'il faut raconter l'histoire à l'origine de l'association À Tours de Bras.
06:58C'est un sacré défi, quand même.
06:59Oui, justement, parce que, comme je disais, au bout d'un moment,
07:05bon, je garde souvent mes entreprises de 15 ans.
07:07Et puis, au bout d'un moment, je les vends.
07:10Et puis, là, la dernière, il a fallu, effectivement, quand je l'ai vendue,
07:15d'un seul coup, on se retrouve de 200 à l'heure à zéro, quoi.
07:19Et là, j'ai eu la chance de prendre ma retraite.
07:25Et donc, je me suis dit, comment faire pour passer de 200 à zéro,
07:29et avec des amis, on faisait des tours de vélo, et moi, on bike.
07:34Le on bike, c'est un vélo couché, et on pédale à la force des bras.
07:38Et on est partis de la mer Noire, de Roumanie, de la mer Noire.
07:42On a remonté le Danube, le Rhin et la Loire jusqu'à l'océan Atlantique.
07:46Et suite à ça, on s'est dit, mais il faut faire participer d'autres personnes.
07:51C'est quand même extraordinaire.
07:53Ce n'était pas de la compétition, mais c'était une victoire sur moi-même.
07:57Et donc, chaque année, depuis 2014, chaque année, on organise un grand périple.
08:05Quand je dis grand périple, c'est qu'on a fait les chemins de Saint-Jacques.
08:08On est partis de Vézelay jusqu'à Saint-Jacques-de-Compestel.
08:11Toujours avec des nouveaux...
08:13À Tour de Brun.
08:14À Tour de Brun.
08:15Toujours à Tour de Brun.
08:17On est allé à Rome.
08:19On a traversé la France dans tous les sens.
08:21Et à chaque fois, c'est une victoire.
08:24Tous ceux qui viennent avec nous, alors on est 10, pas plus, parce que c'est une grosse gestion.
08:29Mais à l'arrivée, tout le monde est heureux.
08:33C'est vraiment une victoire sur nous-mêmes.
08:36Le fait d'avoir traversé autant de villes, ça vous donne une bonne vigie, en quelque sorte,
08:40d'observation de l'accessibilité de ces villes.
08:43En préparant l'émission, on est tombé sur ce classement des métropoles les plus accessibles
08:49aux personnes en situation de handicap.
08:50Alors, c'est la proportion, regardez, d'habitants qui déclarent être rarement ou jamais gênés
08:56lors des déplacements.
08:57Et alors, c'est surprenant les chiffres.
08:59Le mieux, c'est Grenoble, Alpes-Métropole, 30%.
09:02Donc, c'est 30% des habitants de la ville qui disent « je suis rarement ou jamais gênés dans
09:06des déplacements ».
09:06Ça veut dire que 70% sont gênés dans leurs déplacements.
09:09Et puis après, on déroule, c'est moins bien pour Rennes, même s'ils sont sur le
09:12podium, 27%, Nantes, 24%, etc.
09:15Strasbourg, puis Montpellier, Paris et Marseille ferment la marche avec moins de 10% des personnes
09:21interrogées qui disent être rarement ou jamais gênés lors de leurs déplacements.
09:25Ça veut dire qu'il y a une majorité de Français qui ne sont pas satisfaits de
09:28l'accessibilité des villes.
09:29Une grande majorité de Français.
09:30Alors, effectivement, sur l'accessibilité, j'ai le recul de 40 ans, puisqu'il y a eu
09:38quand même des progrès.
09:40Des progrès.
09:41Alors, la loi de février 2005 a aidé, donc donné 10 ans pour que tous les ERP soient
09:47accessibles, tout handicap confondu, les handicaps moteurs, handicaps visuels, auditifs
09:53et autres, bon, on en est loin, mais il y a eu quand même de gros progrès dans ce sens.
10:00Également dans les transports, quand on prend le train, alors le métro à Paris, effectivement,
10:06c'est un mauvais exemple, mais...
10:10Mais vous voyez une amélioration quand même.
10:12Moi, je vois une amélioration, mais je vois une amélioration, encore une fois, pour tous.
10:16Le handicap, c'est quelque chose, encore aujourd'hui, en France, qui fait peur.
10:20Le vieillissement de la population, si tout se passe bien, on sera tous vieux un jour.
10:25Et il faut adapter, effectivement, notre société pour tous.
10:29Et le fait de rendre accessibles les bus, les métros, ça profite à tout le monde.
10:36Au moment, avec une poussette, à tout le monde.
10:39Donc, si on élargit, en fait, le marché de personnes susceptibles, voilà, ça devient
10:48une obligation naturelle.
10:51Les entreprises, on va terminer là-dessus, elles ont un rôle à jouer, évidemment,
10:56mais comment elles peuvent participer à rendre, finalement, les villes, l'environnement professionnel plus accessible ?
11:04Déjà, il y a une obligation d'emploi de personnes handicapées dans les sociétés.
11:09Et bon, alors, jusqu'à présent, effectivement, il y avait la crainte.
11:14Ah, il faut que j'aménage mes locaux.
11:16Est-ce que la personne va être suffisamment formée ?
11:19Est-ce qu'elle ne va pas être plus absente qu'une autre ?
11:23Alors, effectivement, il y a un gros travail, parce que le taux de chômage des personnes
11:28handicapées est deux fois supérieur au taux de chômage des personnes valides.
11:33Alors que, quand une personne handicapée a la chance de trouver un travail, c'est une façon pour elle de se rendre utile, d'être...
11:45Non, mais on se prive de talent, d'intelligence, c'est pas si désespérant.
11:48Voilà, et je peux vous dire qu'elle fait attention d'être présente pour ne pas perdre son poste, tellement c'est difficile à trouver.
11:54Donc, c'est l'inverse.
11:57Une personne handicapée est beaucoup plus présente qu'une autre, quoi.
12:04Donc, à partir du moment où l'accessibilité est faite, voilà, il n'y a pas de raison.
12:12Et je suis un exemple, quand même, dans le côté...
12:18Ça m'a permis, moi, d'aller au-delà de mon handicap, c'est les entreprises.
12:22Et j'ai oublié, par la force des choses, voilà.
12:25Merci beaucoup, Yves Puchral.
12:27Et à bientôt sur Be Smart for Change.
12:30Voilà, on passe au grand entretien de ce Smart Impact, au cœur des négociations de la COP30 qui s'ouvre au Brésil.
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