00:00Kevin Lenoir nous rejoint. Bonjour Kevin. Bonjour Guillaume.
00:02Directeur associé d'Avantgarde Family Office, vous allez rendre votre verdict et le prononcer dans un instant en direct sur cette antenne.
00:09Ce verdict qui arrive, qui approche, l'assumez-vous ?
00:12Oui, totalement. Absolument.
00:14J'estime et j'assume que sur la dette française en l'occurrence, jusqu'ici tout va bien et que le véritable test sera 2026.
00:24Alors que Sébastien Cornuche fait toujours un budget et qu'il a annoncé tout à l'heure qu'il ne recourrait pas au 49-3,
00:29vous venez, je ne sais pas, peut-être nous rassurer, vous nous dites sur la dette, pour l'instant tout va bien, le vrai test sera seulement l'an prochain.
00:35Absolument, absolument. Alors on profite un peu finalement que la poussière retombe, même si vous le dites bien,
00:40Sébastien Lecornu va peut-être la faire remonter très légèrement.
00:43Effectivement, la poussière retombant, on a eu une dégradation de la note souveraine française,
00:46on a beaucoup de débats effectivement sur le niveau des dépenses publiques,
00:50mais force est de constater que le marché aujourd'hui obligataire et de la dette française,
00:53eh bien ne subit pas d'à-coups très violents ou de crises en tant que telles.
00:56C'est important et les points finalement de suivi assez classiques que l'on peut évoquer,
01:00c'est pour commencer effectivement le niveau des taux,
01:02et lorsque l'on regarde le niveau des taux, il nous suffit de regarder le classique du 10 ans évidemment français,
01:07eh bien ce niveau de 10 ans français, par rapport à avant l'annonce de François Bayrou du vote de confiance,
01:12il n'a quasiment pas bougé.
01:13On était globalement à 3,45% avant l'annonce,
01:16on est aujourd'hui à 3,52% sur ce 10 ans français,
01:20donc on n'a pas finalement ici un effet de crise très important.
01:22Même chose si on regarde les effets de spread, vous savez c'est ce qui nous intéresse,
01:26l'écart de taux d'emprunt entre la France et ici l'Allemagne, en termes de référence,
01:30eh bien là aussi à 10 ans, on était à 70 bips,
01:32donc 0,7% de taux d'écart entre la France et l'Allemagne,
01:36on est aujourd'hui maigrement au-delà des 80 points,
01:38ce n'est absolument pas exagéré et c'est absolument pas une situation de crise.
01:42Pour le rappeler et le remettre un peu en perspective,
01:44vous prenez décembre 2024, on est monté à près de 90 bips de spread,
01:48là non plus, pas inquiétant, mais c'était déjà au-dessus,
01:50et si vous voulez savoir ce qu'est une vraie crise effectivement,
01:52eh bien prenons l'Italie, l'Italie oui, il y a quelques années,
01:55c'est monté à plus de 300 points de base de spread,
01:57ça c'est une vraie crise obligataire,
01:59je n'évoque même pas 2011, sur laquelle le spread était à plus de 500 points de base.
02:03Donc effectivement, toute proportion gardée, la France n'est pas en crise,
02:07et puis il y a un dernier élément, si vous me le permettez,
02:09qui est assez rassurant, plus technique, c'est ce qu'on appelle les adjudications,
02:12c'est le moment où l'État français, l'agence France Trésor,
02:15se présente devant le marché des investisseurs avec une nouvelle dette,
02:18et ce qui nous intéresse, c'est beaucoup moins le taux dont je viens de parler,
02:21mais plutôt ce qu'on appelle la sursouscription,
02:23c'est-à-dire le volume qui est demandé par rapport à l'offre
02:25qui est offerte par l'État français.
02:28Et ça c'est très rassurant aussi, quand on prend les derniers chiffres,
02:31on est en sursouscription d'à peu près 2,2 fois en septembre,
02:34par rapport à septembre de 2024 ou septembre de 2023.
02:37Pareil sur octobre, on n'a pas du tout de dégradation,
02:39ça ce sont des vrais bons points, en tout cas ces points techniques-là,
02:42ils sont rassurants pour l'instant.
02:43Et par exemple, parmi nos créanciers, il y a les japonais,
02:45un certain nombre de fonds japonais ont expliqué justement,
02:47fin août, début septembre, que si les taux français étaient amenés à monter,
02:50ce serait peut-être une opportunité pour en acheter,
02:51parce que du coup ça rapporte un peu plus.
02:53Mais vous nous dites, alors oui, oui,
02:55pour l'instant on joue à se faire peur,
02:57et c'est une tempête dans un verre d'eau, ça va à peu près bien,
02:59c'est pas une cata pour la France sur le marché de la dette,
03:01loin de là, ça se passe correctement.
03:02Mais vous nous dites, c'est en 2026 qu'on passera un vrai test.
03:04Pourquoi 2026 ?
03:05Oui absolument, je ne dis absolument pas qu'il n'y a pas de problème en soi,
03:08bien entendu, mais c'est vrai que le vrai test va commencer en 2026,
03:11à moins évidemment que la discussion sur le budget ne s'envenime rapidement.
03:15Mais vous connaissez sûrement la théorie ou l'adage
03:17qui dit que la France finalement a une situation très privilégiée
03:19sur le marché de la dette européenne,
03:21parce qu'elle émet globalement la dette la moins risquée
03:23ou de meilleure qualité, juste derrière l'Allemagne.
03:25Et le problème en disant cela, c'est qu'on pose finalement deux théories ou deux facteurs.
03:30Le premier facteur, c'est un facteur de volume de ce point de vue-là.
03:32Et ça, ce volume-là, forcément en 2026, il va potentiellement se retourner.
03:36Rappelons que la dette allemande, globalement,
03:38les Allemands émettaient peu de dettes, avaient peu d'endettements.
03:41Or, l'année prochaine, l'Allemagne, c'est 310 milliards d'euros de dettes
03:44qui vont arriver sur le marché, de nouvelles dettes.
03:46C'est-à-dire qu'ils vont presque émettre autant que nous ?
03:48Absolument, ils vont émettre autant que nous
03:50et surtout, ils vont émettre 40% de plus
03:51que ce qu'ils émettent en moyenne aujourd'hui.
03:53C'est extrêmement important.
03:55Vous rajoutez à cela, effectivement, une dette italienne
03:57qui va, elle aussi, émettre à peu près 350 milliards de dettes.
04:00Quand vous faites le package total France-Allemagne-Italie,
04:03de ce point de vue-là, c'est plus de 1 000 milliards qui vont être émis.
04:05Sauf qu'il y a un nouvel acteur.
04:06Le nouvel acteur, c'est l'Allemagne.
04:08Et donc, là aussi, ça veut dire que le volume va être préempté
04:10par une dette de grande qualité, ce qui n'était pas du tout le cas avant.
04:13Et puis, il y a la question de la qualité, dont j'ai parlé tout à l'heure.
04:16Cette qualité-là, évidemment, l'Allemagne, on la connaît tous,
04:19la qualité est très reconnue.
04:20C'est le quasi sans risque européen.
04:23Mais lorsque l'on parle de l'Italie, on le voit dans les spreads.
04:25Les spreads se sont resserrés.
04:26Aujourd'hui, la dette italienne est certes en notation inférieure à la nôtre,
04:30mais on considère que la trajectoire est plutôt du côté italien,
04:32ce qui crée un effet de qualité.
04:34Aujourd'hui, la dette italienne est prisée.
04:36Elle le restera sûrement en 2026.
04:38Ça signifie que le volume restant pour un achat de dette française,
04:41il va globalement se réduire.
04:42Ce sera un vrai test pour le marché.
04:43Oui, c'est comme en tennis.
04:44Vous savez, quand vous jouez face à un mur, vous gagnez.
04:47Alors que quand vous jouez face à plusieurs, en quelque sorte,
04:50là, c'est un peu plus compliqué quand on vous renvoie la balle
04:53et que ce n'est pas un mur qui vous la renvoie la balle.
04:54À partir de quel écart, à partir de quel spread
04:57ou à partir de quel signal de marché, vous vous direz
04:59« ça y est, là, la France sur le marché de la dette est en difficulté ».
05:01Est-ce qu'il y a un chiffre, un seuil à suivre ?
05:03Le seuil, globalement, le premier seuil technique,
05:05ce sera les 120 à 150 points de base de spread à l'écart.
05:08Ça va donner plusieurs choses.
05:10La première chose, ce sera soit qu'il y ait une dégradation généralisée
05:12de la dette européenne.
05:13C'est tout à fait possible.
05:14On peut avoir une perte de vitesse européenne
05:16et on va le constater selon en relatif de la France.
05:18150 points de base, ça commence à être très problématique pour la France.
05:21Ça voudra vraiment dire qu'il y a une dégradation de cran de notation très importante.
05:26Mais surtout, le sujet qui m'intéresse,
05:28j'allais dire que le spread, c'est un thermomètre à très court terme.
05:31C'est un peu le baromètre classique.
05:32Ce qui m'intéresse, c'est plutôt les adjudications.
05:34J'insiste beaucoup là-dessus parce que l'effet offre-demande,
05:36il est fondamental sur le marché obligataire.
05:39Si cette adjudication, elle passe sous les deux,
05:41voire sous les 1,5 fois de sursouscription,
05:44ça deviendra très inquiétant parce que ça signifiera
05:45que soit la dette européenne n'est plus prisée,
05:47soit c'est la dette française qui est squeezée dans les portefeuilles.
05:49On a un climat de marché qui est plutôt favorable aux actions cotées.
05:55On a un CAC 40 qui est à 8 000.
05:57Et on a parallèlement aussi des entreprises qui arrivent à s'endetter
06:00avec un coupon vraiment intéressant
06:03et qui ont un profil de risque finalement inférieur à celui de certains États souverains
06:08parce qu'on sait qu'ils seront meilleurs payeurs.
06:10Est-ce que vous ne pensez pas que la clientèle et les investisseurs
06:16pourraient être finalement beaucoup plus séduits par la dette d'entreprise
06:20que la dette des États à l'avenir ?
06:22Ils le sont déjà, si vous me permettez.
06:23Alors, ça se voit moins dans les institutionnels.
06:25Quand on parle d'adjudication, n'oublions pas que ce sont des professionnels, effectivement.
06:28Mais je vous rejoins tout à fait aujourd'hui dans les portefeuilles privés
06:30et dans la gestion privée.
06:32Les clients, nos clients sont beaucoup plus adeptes aujourd'hui
06:34de dette d'entreprise parce qu'effectivement,
06:37il y a beaucoup moins de craintes politiques
06:38et on le voit d'ailleurs dans les réactions de marché.
06:41Lorsque l'on a eu l'annonce du vote de confiance,
06:42on a eu tendance à voir des corporate européennes
06:44mid-duration, pour vous donner l'ordre d'idée, du 5-8 ans par exemple,
06:47ce qui est le gros cœur de portefeuille des investisseurs privés.
06:50On a vu ces dettes-là en réalité s'apprécier en termes de prix
06:53plutôt que se dégrader.
06:54Donc, elles n'ont pas suivi le mouvement
06:55et c'est tout à fait vrai.
06:56Ça m'inspire quand même quelque chose,
06:57c'est que le terreau français est d'excellente qualité
06:59et ça, tant mieux.
07:00Et le terreau européen également.
07:01– Oui, il faudrait quand même que la BCE donne un coup de pouce ou pas
07:03parce qu'en Europe, on voit des trajectoires
07:05de plus en plus divergentes.
07:06En matière d'inflation, c'est quasiment en France
07:08qu'elle est la plus faible.
07:09Du coup, difficile pour la BCE de piloter
07:11des trajectoires d'inflation qui divergent de plus en plus.
07:13Elle est l'inflation allemande deux fois plus importante qu'en France.
07:15En Espagne, elle est beaucoup plus importante aussi qu'ici en France.
07:18Est-ce que, si on adopte un point de vue franco-français,
07:21on ne se dit pas que la BCE devrait davantage baisser ses taux
07:23qu'elle ne le fait aujourd'hui ?
07:24Est-ce que sa politique monétaire aujourd'hui,
07:25pour nous Français,
07:26compte tenu de nos situations politiques et budgétaires,
07:29déficitaires,
07:30est-ce que sa politique monétaire n'est pas devenue trop restrictive aujourd'hui ?
07:33– Non, je ne le crois pas.
07:34Il y a plusieurs points de ce côté-là dans ce que vous évoquez.
07:36Globalement, est-ce que la Banque Centrale Européenne
07:38est trop restrictive ?
07:40Globalement, non.
07:41On a un niveau d'inflation, effectivement, qui n'est pas élevé.
07:43Mais surtout, ce n'est pas à la BCE
07:45d'accompagner une réforme structurelle qui est nécessaire en France.
07:48Et donc, de ce point de vue-là,
07:49oui, on pourrait penser qu'effectivement,
07:50la BCE est trop restrictive.
07:52Je me suis amusé, globalement,
07:53à faire un petit calcul pour nos clients récemment.
07:55Vous savez, si on prend la règle de Taylor,
07:57cette fameuse règle très macroéconomique
07:58qui fixe le taux théorique,
08:00figurez-vous, quand on fait la règle de Taylor,
08:01en fait, il y a un problème,
08:02c'est que le taux de chômage en France,
08:03il est en dessous du taux naturel français.
08:05C'est 7% aujourd'hui de taux de chômage.
08:07Alors, le taux naturel, on l'estime plutôt 8,5%, 8,9%.
08:10C'est assez important.
08:11Donc, si on calcule une règle de Taylor,
08:12ça nous pousse un taux qui est quasiment au-delà des 3,50%.
08:15Donc, non, je ne crois pas que la BCE doive intervenir.
08:18Surtout, ce n'est pas la BCE de faire un cadeau
08:19au gouvernement français,
08:21en encore une fois accompagnant une réforme
08:23qui doit être structurelle.
08:24Kevin Lenoir, il est directeur associé
08:26d'Avantgarde Familiers Office.
08:27Merci, Kevin, d'être passé nous voir.
08:28Merci beaucoup.