- il y a 2 mois
Chaque week-end, l’émission pilotée par Philippe Gaudin avec à ses côtés Dominique Rizet, consultant police/justice BFMTV, traite d’un événement majeur de la semaine, ainsi que d’autres affaires qui sont revenues sur le devant de la scène.
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00:00Un peu plus de deux ans après la condamnation du meurtrier de Chahina,
00:04poignardée, brûlée vive à Creil dans l'Oise,
00:06l'avocate de sa famille, maître Negara Eri, publie un livre,
00:09« La jeune fille et la mort ».
00:10On en parle avec elle dans un instant, mais d'abord, retour sur l'affaire,
00:13avec Pierre-Louis Bousset.
00:16Les dernières années de la vie de Chahina ont été marquées par une succession de drames.
00:20En 2017, elle est victime d'agressions sexuelles à l'âge de 13 ans.
00:24Deux ans plus tard, pour avoir déposé plainte, elle est passée à tabac.
00:28Puis le 25 octobre 2019, l'horreur franchit un nouveau palier.
00:33Le corps calciné de Chahina est retrouvé dans ce cabanon de Creil.
00:37Les expertises révèlent que l'adolescente de 15 ans a été poignardée avant d'être brûlée vive.
00:43Pour les parents de la jeune fille, la peine est immense,
00:46mais ils restent décidés à obtenir justice.
00:48Ils font avancer, on n'a pas le choix aussi.
00:51Et on avance aussi pour elle.
00:53Elle n'est pas partie pour rien, elle n'est pas partie comme ça.
00:56On ne peut pas laisser une chose comme ça arriver en France au jour d'aujourd'hui, non.
01:00Quelques jours après le meurtre, le petit ami de Chahina, un lycéen sans casier judiciaire,
01:05est arrêté puis mis en examen pour assassinat.
01:08Selon l'enquête, Chahina était enceinte de lui et souhaitait garder l'enfant.
01:12Son petit ami, en revanche, voulait la convaincre d'avorter.
01:15D'après le parquet, le suspect craignait la réaction de ses parents très stricte en matière de sexualité.
01:20De plus, son téléphone a borné, tout comme celui de Chahina, près du cabanon, peu avant les faits.
01:27Lors de son procès, l'avocat général requiert 30 ans de récusion criminelle contre l'accusé.
01:32Il est finalement condamné à 18 ans de prison.
01:34Bonjour Négaré, soyez la bienvenue dans l'affaire suivante.
01:39Vous êtes l'avocate de la famille de Chahina.
01:42Vous publiez donc La jeune fille et la mort aux éditions du Seuil,
01:45un livre dans lequel vous revenez bien sûr, vous l'avez lu aussi Laurent,
01:48sur les faits, les procès, notamment le dernier qui a abouti à la condamnation de l'assassin de Chahina,
01:54mais aussi sur les raisons de ce que vous qualifiez de calvaire judiciaire pour Chahina en premier lieu évidemment.
02:00D'abord, maître, j'aimerais savoir, vu l'horreur qui est partout dans ce dossier, dans ce livre aussi, il faut bien le dire,
02:07comment on fait face en tant qu'avocat, en tant qu'avocate,
02:10comment on réussit à rester concentré, à accomplir sa mission au service de ses clients, en l'espèce la famille de Chahina ?
02:18On fait face en travaillant, on fait face en donnant de la matière à son sentiment de colère.
02:25Moi, quand j'ai découvert Chahina, c'est quelques jours après son assassinat, les parents de Chahina viennent me voir,
02:33et c'est à cette occasion-là qu'ils m'apprennent l'existence de deux précédentes procédures.
02:39La première, c'est une procédure pour viol en réunion que Chahina avait initiée en déposant plainte deux ans auparavant,
02:45à 13 ans donc, contre une autre personne que le meurtrier.
02:50Et quelques mois plus tard, un an exactement, un an et demi après,
02:55elle porte à nouveau plainte contre ce même individu pour violences en réunion.
03:00Et donc, moi, je me suis retrouvée en charge de trois affaires, en ayant la mort pour point de départ.
03:05Et c'est sûr que j'ai dû revoir, réanalyser, réétudier le traitement judiciaire
03:11qui avait été fait au cours de ces deux précédentes affaires.
03:14Et c'est là que j'ai en effet constaté qu'il y a des choses qui n'allaient pas.
03:19La parole de Chahina n'avait pas été correctement entendue.
03:21Parce qu'à ce moment-là, fin 2019, quand vous découvrez, non pas le, mais l'aide aussi, en réalité,
03:26vous avez face à vous une famille dévastée, évidemment,
03:30mais qui croit à ce moment-là, qui a confiance à ce moment-là en la justice.
03:35Qui croit à ce moment-là en la justice.
03:36Alors, la justice a commencé à travailler sur les différentes affaires Chahina deux ans auparavant.
03:42Simplement, là, on en est à l'assassinat.
03:44Et évidemment, je vais mobiliser tout mon effort, tout mon travail sur l'assassinat.
03:48Mais je découvrirai également qu'il y aura eu des défaillances judiciaires
03:53lors des deux précédentes affaires.
03:54Et c'est justement cette colère qui va progressivement m'envahir
03:58et qui va faire que je vais travailler et plus tard écrire ce livre.
04:05Pour répondre à votre question, ce qui permet de faire face, quand on est un avocat,
04:09c'est évidemment de travailler sur les dossiers.
04:11Et puis moi, j'ai la chance d'avoir pris la plume pour justement faire...
04:16Justement, vous dites « j'ai pris la plume ».
04:18Pourquoi vous l'avez écrit, ce livre ?
04:22On a l'impression, parce qu'on sent bien, Laurent,
04:25que vous, maître, vous avez tenu à mettre de l'humanité, de la dignité,
04:28restaurer la parole de Chahina au cœur de ce livre.
04:31Mais c'est quoi ? C'est une forme de rattrapage, de compensation,
04:35de suite logique, selon vous, en tout cas, du procès ?
04:38Il y a plusieurs choses.
04:39D'abord, il y a eu cinq procès qui ont eu lieu, à chaque fois à titre posthume.
04:44Deux pour le viol en réunion correctionnalisé,
04:47deux pour les violences en réunion,
04:48et puis un procès pour l'assassinat.
04:50Et à chaque fois, je me suis rendu compte que la parole de Chahina,
04:53sa réputation a été salie.
04:57Elle, la victime ?
04:58Elle, la victime, absolument.
05:00Elle gardée, brûlée, vive ?
05:02Sans cesse.
05:03C'est-à-dire que jusqu'au procès de son assassin,
05:07elle a été traitée de fille facile.
05:08Et ça, c'est quelque chose qui a été assez pénible à entendre.
05:11Et il m'a fallu, à un moment donné,
05:13prendre la plume pour reprendre l'expression,
05:15afin de réhabiliter sa parole et sa dignité.
05:18Ça, c'est la première chose.
05:19Et ensuite, il y a un constat assez contre-intuitif
05:22que j'ai fait,
05:25c'est que le fait d'avoir gagné chacun de ces cinq procès,
05:29puisqu'à chaque fois, les mises en cause ont été condamnées,
05:31n'a pas fait en sorte que notre amertume,
05:37celle de la famille et de moi-même, cesse.
05:39Bien au contraire.
05:39Et que la réputation de Chahina soit rétablie au passage.
05:41Au passage.
05:42Et surtout, il y a eu une amertume et une colère
05:44qui n'a cessé d'augmenter,
05:45qui n'a cessé d'aller grandissante,
05:47en dépit des victoires judiciaires.
05:50Et c'est ça aussi que j'ai voulu interroger dans ce livre.
05:51Dans le livre, vous répondez d'un seul mot à la question de François.
05:54« Pardon ».
05:56C'est-à-dire, à la fin, au nom de Chahina,
05:58vous demandez « Pardon ».
06:00Et puis, traverse de tout le livre,
06:02l'immense dignité de sa famille.
06:05Alors, sa famille, vous en faites un portrait.
06:07Il leur arrive mille et une aventures avec la justice,
06:10toutes plus dérangeantes, déroutantes,
06:13accablantes les unes que les autres.
06:15Mais alors, vous décrivez une famille,
06:17on a l'impression du roi et d'une reine,
06:20des contes de fées, d'une dignité
06:22qui vous parle très peu,
06:24qui accepte les décisions,
06:26qui sont d'un courage extraordinaire.
06:28Alors, vous rendez hommage à cette famille,
06:30et puis pour elle, vous demandez « Pardon ».
06:32Et puis, la justice,
06:34la justice ne vous a pas toujours entendue.
06:36Moi, j'ai été prise par une très grande tristesse,
06:41en fait, tout au long de ces affaires.
06:44Un grand chagrin.
06:45Parce que je ne peux pas m'empêcher
06:47de retirer cette image de Chahina
06:50qui reçoit les coups de couteau
06:52au moment de son décès
06:54et qui, peut-être, se dit qu'à cet instant-là,
06:57la justice s'est détournée d'elle.
06:58Chahina n'a pas assisté à ces victoires.
07:00Ces victoires ont été posthumes.
07:02Et jusqu'à son décès,
07:03l'idée qu'elle se sera faite,
07:07probablement, de la réponse judiciaire,
07:09c'est une idée de défaillance
07:11et une idée d'indifférence.
07:13Et cette indifférence-là,
07:14au seuil de la mort,
07:16pour cette gamine qui était en réalité une victime
07:19et qui, judiciairement, a été réhabilitée
07:21en qualité de victime,
07:22c'est quelque chose de très dur.
07:23Oui, parce que vous racontez la confrontation
07:25pour la viol en Réunion.
07:27C'est vrai qu'elle est victime,
07:30mais alors, dans le bureau du juge d'instruction,
07:32elle est quasi coupable.
07:34C'est comme si Outreau n'avait jamais eu lieu
07:37quand on relit ce qui s'est passé là.
07:40Cette confrontation,
07:41la lecture de cette confrontation sur le PV,
07:42alors moi, je n'y ai pas assisté,
07:43mais je l'ai lu.
07:44Et rien que la lecture est, en effet,
07:46assez bouleversante.
07:47Parce qu'on imagine cette scène
07:48où, d'abord, numérairement,
07:50elle est en minorité,
07:50parce qu'il y a ces mises en cause
07:51qui sont là avec leurs avocats.
07:52Donc, on a six contre deux.
07:54Mais surtout, il y a une espèce d'acharnement.
07:56Et dès le démarrage de cette confrontation,
07:57encore une fois, pour cette affaire,
07:59ils seront tous condamnés
08:00quelques années plus tard.
08:01Mais dans le cadre de cette confrontation-là,
08:03on a le sentiment que c'est sa parole à elle
08:05qui, dès le démarrage,
08:07est mise en doute.
08:09Et jusqu'au bout.
08:09D'ailleurs, à un moment donné,
08:10elle demandera à sortir.
08:12Et assez rapidement,
08:13on la fera rentrer
08:15en considérant qu'il faut qu'elle réponde aux questions
08:16comme si elle était elle-même accusée.
08:18Vous soulignez, à l'instant, Laurent,
08:20la grande, très grande dignité
08:23de la famille de Chahina,
08:25de ses parents, de son frère,
08:26qui vous amène à cette question,
08:29à un moment, dans votre livre,
08:31que je trouve très intéressante.
08:32Jusqu'à quel point une victime
08:33doit-elle rester digne
08:34en réponse à une justice
08:35qui paraît la mépriser ?
08:36Et si elle le demeure digne,
08:38est-ce de dignité qu'il s'agit
08:39ou de soumission
08:41en demandant à la famille de Chahina
08:43de continuer à croire en la justice
08:44alors que celle-ci défaillait ?
08:46Ne les ai-je pas forcées
08:47à se soumettre à elles ?
08:49Dignité et soumission
08:50deux mots distincts
08:51pour une situation unique.
08:53Et j'ignore encore à ce jour
08:54lequel des deux employés.
08:56C'est fort.
08:56J'ignore encore lequel des deux employés.
08:58Vous-même, vous n'avez pas la réponse ?
08:59Non, je n'ai pas la réponse.
09:00La difficulté, ça a été que,
09:02en tant qu'avocat,
09:03il a fallu que je les accompagne
09:04tout au long de ces audiences posthumes,
09:06donc, pour Chahina.
09:07Et au fur et à mesure,
09:09les parents de Chahina et son frère
09:10comprenaient qu'il y avait eu des défaillances.
09:12Et pourtant, il fallait que la famille
09:14continue à croire en la justice
09:16puisqu'on demandait à la justice
09:18de résoudre, de juger les mises en cause.
09:23Donc, ça a été un jeu d'équilibriste
09:24très désagréable pour moi
09:25parce qu'il a fallu, à la fois,
09:28que je les encourage à poursuivre
09:30jusqu'au bout et, en même temps,
09:32que je leur donne des explications
09:34sur les défaillances.
09:35Il y a un autre constat
09:36qui traverse, au fond,
09:37toutes les affaires judiciaires
09:38dont on parle souvent
09:39et les procès,
09:39surtout quand les procès
09:40ont un jugement
09:41qui peut choquer l'opinion.
09:43C'est que vous dites
09:44« La justice, le coup près est tombé,
09:46il a été condamné à 18 ans,
09:48sans explication. »
09:49Et vous dites « L'explication,
09:51elle manque toujours. »
09:52Il faudrait que la justice,
09:53elle puisse un peu
09:53expliquer ses décisions.
09:56Ça résonne.
09:57Oui, ça résonne.
09:58Mais rendre la justice,
10:01ce n'est pas seulement
10:02prononcer une décision judiciaire.
10:02Exactement.
10:03En fait, c'est la réponse
10:05à cette espèce de constat
10:06contre-intuitif que j'avais eu
10:08et dont je vous parlais tout à l'heure.
10:10Ça paraît naïf,
10:10mais rendre une décision,
10:11ce n'est pas un résultat.
10:12Ce n'est pas atteindre
10:13le résultat à esprunter.
10:14Mais vous racontez cette scène du verbe.
10:14Merci, au revoir.
10:15Ce n'est pas juste une peine.
10:16Ce n'est pas juste une peine.
10:16C'est de dire.
10:17C'est tout le traitement judiciaire.
10:19Et alors, en tant qu'avocate
10:20de la défense,
10:20j'avais capté depuis très longtemps
10:22qu'effectivement,
10:22le traitement judiciaire
10:23est essentiel pour un mis en cause
10:25parce que c'est ce qui lui permet
10:26de comprendre la justice.
10:27Mais en réalité,
10:28cette qualité de traitement judiciaire,
10:31elle doit s'appliquer également
10:32pour les victimes
10:33et les partis civils.
10:34Et ça, on a un peu tendance
10:35à l'ignorer.
10:36Merci, Maître Aéry.
10:37Merci d'avoir accepté
10:38l'invitation d'Affaires suivantes.
10:40Merci, Laurent.
10:40C'était ravi de vous retrouver
10:42pour Affaires suivantes.
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