Les mots de l’année 2023, avec Madame Langage

Sud Radio

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Transcript

00:00 [Musique]

00:02 Sud Radio, Madame Langage, Jeanne Bordeaux.

00:04 Bonjour Jeanne Bordeaux.

00:06 Bonjour Laurence.

00:08 Linguiste et artiste qu'on connaît bien sur Sud Radio.

00:10 Et pour notre rétro de l'année qu'on commence,

00:12 on va parler des mots de l'année,

00:14 des mots de l'époque, des mots de 2023.

00:16 Et on avait besoin de votre regard,

00:18 il a fallu faire un bon petit tri.

00:20 Jeanne.

00:22 Oui, vous avez raison, Laurence, ce sera plutôt un panorama.

00:24 Même si des civilisations

00:26 semblent être un de ceux

00:28 qui restent en tête de liste,

00:30 car tous se défait,

00:32 on marche vers d'autres mondes,

00:34 il est difficile de citer le mot qui domine.

00:36 Car la France est fracturée,

00:38 les diverses communautés possèdent des références

00:40 et sensibilités diverses.

00:42 Et les mots à choisir pourraient donc dépendre

00:44 des références culturelles et sensibles

00:46 de chaque territoire ou chaque communauté.

00:48 De plus, le mot de l'année est-il

00:50 le plus répété ou le plus étonnant ?

00:52 Dans les plus étonnants, on pourrait prendre

00:54 "écoradie". Qu'est-ce que c'est ?

00:56 Ce sont ces paparazzis écolos

00:58 qui se sont acharnés à traquer

01:00 l'empreinte carbone des jets.

01:02 On a eu "surtourisme",

01:04 dont on a déjà parlé ensemble

01:06 sur cette antenne, qui a été entendu tout l'été

01:08 quand le Parthenon ou les plages françaises

01:10 étaient surencombrées.

01:12 On pourrait aussi choisir, Laurence,

01:14 un des mots nouveaux comme "écoanxiété"

01:16 qui a été accepté cette année

01:18 dans le dictionnaire. Donc on le voit bien,

01:20 le langage est une science non exacte

01:22 qui prend en compte des éléments qualitatifs

01:24 et subjectifs. - Oui, forcément.

01:26 "Écoanxiété", "écoradie",

01:28 l'écologie forcément très présente

01:30 cette année. Quels sont

01:32 les mots que vous pouvez choisir

01:34 pour les passer à la loupe ?

01:36 On en parlera d'autres demain matin aussi, mais pour aujourd'hui.

01:38 - Oui, si on dessine un

01:40 paysage lexical, c'est sûrement mon côté artiste,

01:42 on va quand même revenir à "décivilisation"

01:44 parce que c'est un mot qui embrasse

01:46 de façon transversale

01:48 les fractures qui se dévoilent

01:50 et se confirment année après année.

01:52 "Réforme des retraites" avait été formulé au début du XXe

01:54 par un intellectuel allemand dont on a été

01:56 amené à réentendre parler Norbert Elias,

01:58 mais ce mot choisi par le

02:00 président reste vraiment

02:02 tout à fait caractérisant

02:04 ce qui se passe dans notre époque.

02:06 Alors évidemment au premier semestre, inutile de dire

02:08 que "la réforme des retraites", c'était

02:10 un refrain continu. Mais

02:12 intéressant, "la réforme des retraites" a fait

02:14 monter le mot "émeutier".

02:16 Et cela, typiquement, c'est un mot qui existait

02:18 déjà, donc ce n'est pas un mot nouveau,

02:20 mais c'est un mot nouvellement

02:22 entendu et répété.

02:24 Et vous vous souvenez, Laurence, les contestations

02:26 précédentes avaient imposé

02:28 des mots très différents. On a eu

02:30 les bonnets rouges, on a eu les gilets jaunes,

02:32 donc c'est intéressant de voir qu'un phénomène

02:34 provoque un vocabulaire.

02:36 Le mal-être est toujours là,

02:38 donc le mot "colère" est là depuis dix ans,

02:40 mais cette année, au printemps, les éboueurs

02:42 manifestaient. En revanche,

02:44 il est intéressant aussi de

02:46 constater que la violence sociale

02:48 a fait monter le superlatif "ultra".

02:50 L'an dernier, tout était

02:52 "hyper", cette année, tout est

02:54 "ultra". On a l'ultra droite, l'ultra

02:56 gauche, les rixes sont

02:58 constantes. On a entendu parler,

03:00 hélas, de ce qui s'est passé avec Thomas,

03:02 et pour d'autres raisons d'ailleurs,

03:04 un autre prénom a beaucoup marqué l'année,

03:06 qui est "Naël".

03:08 - Naël et Thomas, prénom aussi

03:10 effectivement très évoqué dans l'année.

03:12 La colère sociale, vous en parlez,

03:14 est-ce qu'elle a fait naître d'autres mots aussi,

03:16 madame Langage ?

03:18 - Oui, oui, ça va vous amuser.

03:20 C'est complètement inventif, notre population

03:22 l'est, puisque les citoyens,

03:24 pour protester, ont inventé

03:26 de taper sur des casseroles.

03:28 Donc, on a eu les casseroles là. Ils ont tourné

03:30 autour des ronds-points, ils étaient malheureux.

03:32 C'est assez triste, parce que ça exprime un mal-être,

03:34 vous voyez. Mais je sais pas si vous

03:36 vous en souvenez, il y a quelques années, il y avait les décrocheurs

03:38 de portraits aussi dans les mairies.

03:40 Et toujours, le peuple français

03:42 inventif, en signe de

03:44 suralbol. On a également eu, en fin d'année, vers novembre,

03:46 les agriculteurs qui,

03:48 dans le Loiret, la Mayenne, la Sarthe,

03:50 se sont mis à retourner les panneaux

03:52 des villages. Mais ils n'ont pas fait assez longtemps

03:54 pour qu'on trouve un mot.

03:56 - Oui, effectivement, ou une expression.

03:58 Si on reste dans le secteur politique,

04:00 est-ce qu'il y a d'autres mots, Jeanne, qui ont apparu cette année ?

04:02 - Oui, tristement,

04:04 répété, répété, mais on comprend

04:06 tellement pourquoi, le mot "otage".

04:08 L'attaque du

04:10 Hamas, le 7 octobre, a créé

04:12 une vraie brisure dans l'année.

04:14 Et sont nés les mots comme "déplacé"

04:16 aussi. "Déplacé" habite le vocabulaire

04:18 de cette année. Les "déplacés", c'est clair,

04:20 c'est facile à comprendre. Ce sont

04:22 des personnes contraintes à vivre

04:24 en dehors de leur pays, parce

04:26 qu'il y a guerre ou oppression politique.

04:28 Un autre mot qui a été répété,

04:30 on n'aurait pas pu le dire,

04:32 c'est le "cesser le feu".

04:34 Mais la fin d'année n'a pas été légère, parce qu'on a

04:36 parlé de la loi sur la fin de vie,

04:38 sur laquelle le président prend le temps de réfléchir.

04:40 La loi sur l'immigration,

04:42 qui fait couler beaucoup d'encre,

04:44 jusqu'au réveillon de la Saint-Sylvestre.

04:46 On est en train d'en parler, et on entendra

04:48 dire, je dirais, ce mantra

04:50 de manière incantatoire, parce que

04:52 ça fait 16 ans que je travaille

04:54 sur le langage, et qu'on entend presque

04:56 le "résoudre la crise des migrants".

04:58 Voyez, on pourrait le répéter. "Résoudre

05:00 la crise des migrants". Et ça, ça va

05:02 être des USA à la frontière

05:04 mexicaine ou canadienne, jusqu'à

05:06 Lampedusa ou Calais. C'est quand même

05:08 "migrants", "réfugiés", "clandestins",

05:10 "immigration" sont des mots

05:12 du vocabulaire quotidien, que

05:14 forcément, ni Lamartine, ni Victor Hugo

05:16 n'avaient forcément dans leur littérature.

05:18 - Vous nous parlez de violence,

05:20 donc forcément, ces mots sont rattachés, sont

05:22 miroirs aussi de cette violence, sont rattachés à ce champ

05:24 sémantique aussi ? - Oui, évidemment,

05:26 la violence a bien des causes,

05:28 bonnes questions, et les

05:30 narcotrafiquants, la drogue,

05:32 on a vu des balles qui traversent les

05:34 murs d'immeubles et tuent des citoyens

05:36 au calme chez eux, des règlements

05:38 de comptes et attaquent au couteau.

05:40 Ça devient presque une expression

05:42 habituelle. Les couteaux,

05:44 eh bien, on n'en a jamais autant parlé, là encore,

05:46 ce n'est pas forcément un mot nouveau. C'est bien

05:48 pour ça qu'on pourrait faire remonter

05:50 "couteau" dans les 20 mots du vocabulaire

05:52 de l'année 2023. Et puis,

05:54 se déclenchent des campagnes de harcèlement,

05:56 discours de haine, proférations

05:58 d'insultes. On voit bien

06:00 qu'un des mots de l'année peut être

06:02 "cyberharcèlement". A tel point que Mme Macron

06:04 s'est impliquée dans le débat avec Michael Chanteur,

06:06 qu'Elisabeth Borne a rencontré

06:08 des élèves et que ce cyberharcèlement

06:10 qui conduit à des suicides,

06:12 eh bien, il a fait nommer,

06:14 je dirais, un nouveau ministre de

06:16 l'Éducation nationale et de la

06:18 jeunesse, Gabriel Attal, en mois de juillet.

06:20 Et il est tout de suite monté

06:22 au front de ce combat

06:24 contre le harcèlement. - Et puis, forcément,

06:26 il y a eu la COP 28 qui a eu lieu en fin

06:28 d'année. Là encore, des nouveaux mots

06:30 inspirés, forcément, de tout ce climat aussi,

06:32 cette transition écologique.

06:34 - Oui, vous savez que je tiens au verbe. Je dis que c'est le verbe

06:36 qui donne le sens définitif

06:38 dans une phrase comme mot.

06:40 Eh bien, "décarboné" domine le vocabulaire

06:42 et dans tous les secteurs économiques.

06:44 Mais ce qui est intéressant, c'est

06:46 qu'un nouveau verbe

06:48 est apparu et vous êtes à l'affût de cela

06:50 parce que lors de cette COP 28

06:52 a été décidé quand même

06:54 le début de la fin des combustibles fossiles.

06:56 Et tout cela

06:58 accélère la transition.

07:00 Grâce à l'abandon de ces combustibles,

07:02 le verbe "transitionner"

07:04 a commencé de poindre.

07:06 Donc, je dirais, c'est un verbe à suivre.

07:08 - Un verbe à suivre. Quel est

07:10 l'autre verbe à suivre qui est placé

07:12 en tête selon vous ? - Ah oui, oui, oui.

07:14 L'an dernier, on était ensemble,

07:16 on avait verdir, on avait réparé.

07:18 Eh bien, là, ça ne vous surprendra

07:20 pas en tant que journaliste.

07:22 C'est le verbe "sécuriser". Et ça,

07:24 c'est la première fois. Donc, on voit bien

07:26 que renforcer la sécurité

07:28 devient un enjeu, enfin, vraiment politique.

07:30 Quand un substantif devient

07:32 un verbe, ça vient vraiment

07:34 expliquer qu'il faudrait probablement

07:36 aussi agir. - Voilà. Et pour terminer,

07:38 on se retrouve demain matin.

07:40 Madame Langage avec d'autres mots

07:42 aussi à revisiter pour cette

07:44 année 2023. - Oui.

07:46 Et qui dessinent l'année. Merci beaucoup, Laurent.

07:48 - À suivre. À demain. Merci

07:50 beaucoup, Jeanne Bordeaux. Et à demain.

07:52 SUD RADIO, Mme Lambert.

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