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00:00Bienvenue au Cœur du Crime, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la Gendarmerie Nationale ?
00:19Je m'appelle Yann Kermadek. Je suis commandant de gendarmerie.
00:25Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:41L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls, les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:55« Quel âge avez-vous ? » lui dis-je.
01:03Il ne quitte pas des yeux le pistolet que je tiens.
01:08« Écoutez, monsieur, il n'y a pas grand-chose dans le tiroir-caisse, mais prenez tout. Je ne ferai pas d'histoire. »
01:14« Ce n'est pas votre argent qui m'intéresse. Je veux savoir quel âge vous avez. »
01:19« 42 ans ? » répond-il étonné.
01:24« Quel dommage ! Vous auriez encore pu vivre 20 ou 30 ans si seulement vous aviez été poli. »
01:34« Il ne voit pas du tout où je veux en venir. »
01:38« Je vais vous tuer, » dis-je.
01:41« Je vais vous tuer à cause du timbre et à cause du sucre d'orge. »
01:47Il ne sait pas ce que j'entends par le sucre d'orge, mais pour le timbre, il est au courant.
01:53La panique envahit son visage.
01:56« Mais vous êtes dingue ! Vous ne pouvez pas me tuer simplement à cause de ça ! »
02:01« Si, je peux. »
02:05Et j'appuie sur la détente.
02:08Lorsque le docteur Dust me dit que je n'ai plus que quatre mois à vivre,
02:13je suis, bien entendu, bouleversé.
02:18« Vous savez, je préfère prévenir mes malades.
02:21Ils peuvent ainsi mettre un peu d'ordre dans leurs affaires
02:24et faire quelque folie, si l'on peut dire. »
02:28Le docteur Dust attire à lui un dossier cartonné rouge fermé par une ficelle.
02:33« Et puis, j'écris un livre.
02:36Mais dites-moi, qu'avez-vous l'intention de faire du temps qui vous reste ? »
02:43« À Brûle-Pourpoint, il m'est difficile de vous répondre, docteur.
02:47Ça ne fait que quelques minutes que je suis conscient de cette situation. »
02:53« Bien sûr, bien sûr ! » dit le docteur Dust.
02:56« Bien sûr, ça ne presse pas.
02:57Mais quand vous aurez pris votre décision, vous seriez gentil de me prévenir.
03:02Mon livre traite des choses que font les gens avec le temps qui leur reste à vivre
03:07quand ils connaissent exactement le jour de leur mort. »
03:12Il écarte le dossier cartonné rouge.
03:15« Venez me voir d'ici deux à trois semaines.
03:17De cette façon, nous pourrons mesurer les progrès de votre déclin. »
03:24Il m'accompagne jusqu'à la porte.
03:26« J'ai déjà parlé de vingt-deux cas similaires aux vôtres. »
03:32Son regard paraît plonger dans l'avenir.
03:35« Vous imaginez quel best-seller ça va faire ? »
03:42« J'ai toujours vécu une vie neutre.
03:45Non pas stupide, mais neutre.
03:49Je n'ai rien apporté au monde.
03:50Enfin, je pense que beaucoup de gens sont dans mon cas.
03:55D'un autre côté, je n'ai rien enlevé au monde non plus.
03:58Bref, j'ai toujours cherché à ce qu'on me laisse tranquille.
04:03La vie est déjà assez difficile comme ça pour qu'on ne se mêle pas des affaires d'autrui.
04:07« Que peut-on faire des quatre mois qui vous restent d'une vie neutre ? »
04:17J'ignore combien de temps j'ai marché en réfléchissant à cette question,
04:20mais j'ai fini par me trouver aux abords d'une fête foraine.
04:25À l'entrée principale, un contrôleur avaché règne sur la foule de son boxe surélevé.
04:31Devant moi, un homme, au visage détendu, qui accompagne deux petites filles,
04:37lui tend plusieurs rectangles de cartons qui paraissent être des tickets de faveur.
04:43Le contrôleur parcourt du doigt une liste imprimée.
04:46Son œil se durcit et il regarde d'un air mauvais l'homme avec ses enfants.
04:52Puis, lentement, délibérément, il déchire les billets de faveur en petits morceaux
04:59qu'ils laissent tomber par terre.
05:01« Pas valable, monsieur ! » lui dit le contrôleur.
05:05« Mais je ne comprends pas ! » dit l'homme en rougissant.
05:11« N'ai pas laissé les affiches exposées ! » réplique le contrôleur d'un ton sec.
05:16« Tant pis pour vous ! »
05:18Les petites filles lèvent les yeux vers leur père, surprise.
05:22« Est-ce que papa va répondre au monsieur ? » se demande-t-elle silencieusement.
05:27Le père ne bouge pas et le blanc de la colère s'étale sur son visage.
05:34Il paraît sur le point de dire quelque chose, mais son regard va vers les enfants.
05:40Il ferme les yeux un éclair de seconde, puis se tourne vers elle.
05:45« Allez, venez, les enfants ! »
05:48Le petit groupe regagne le portail d'entrée et s'éloigne.
05:51« Je m'approche du contrôleur. »
05:56« Pourquoi avez-vous été aussi dur ? »
05:58Il baisse les yeux vers moi.
06:01« Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? »
06:03« Justement, ça a beaucoup d'importance pour moi. »
06:08Il m'observe avec irritation.
06:09« Parce qu'il n'a pas laissé les affiches ! »
06:13« Excusez-moi, mais qu'est-ce que ça veut dire, il n'a pas laissé les affiches ? »
06:18Il soupire comme si ça lui coûtait de l'argent.
06:21« Écoutez, on envoie un gars dans la ville deux semaines avant l'avenue du cirque.
06:26Il laisse des affiches qui annoncent la représentation partout où il peut,
06:29dans les supermarchés, les cafés, les boulangeries, etc.
06:32Chez tous les commerçants qui acceptent de les mettre dans leur vitrine
06:34et de les y laisser jusqu'à ce que la foire arrive.
06:37En échange, il leur donne deux ou trois billets de faveur.
06:40Mais ce que les gens ne savent pas, c'est que nous vérifions.
06:44Si les affiches ne sont plus là quand nous arrivons en ville,
06:47les billets de faveur n'ont plus aucune valeur. »
06:51« Oui, je vois, » dis-je.
06:53« Et c'est pour ça que vous avez déchiré les billets devant ces enfants,
06:57seulement parce que cet homme a enlevé les affiches de sa devanture un peu trop tôt.
07:01Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire puisque ces billets n'ont pas de valeur ? »
07:06« Oui, effectivement, vu comme ça, c'est vrai que ça ne change rien. »
07:10« Mais est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? »
07:15« Vous avez été cruel avec cet homme.
07:17Vous avez humilié un père devant ses filles.
07:20Vous lui avez infligé une blessure dans son amour propre
07:23qui restera gravée en lui et en elle pour toujours. »
07:27« J'ai déchiré les billets de faveur ? Bah oui, et alors ? »
07:30« Il avait qu'à acheter d'autres billets ? »
07:31« Quoi, qu'est-ce qu'à vous ? Vous êtes inspecteur de la ville ? »
07:35« Non, non, je ne suis pas inspecteur de la ville. »
07:38« Mais vous pensiez vraiment qu'il allait acheter des billets après s'être fait humilié par vous ? »
07:45« Il ne lui avait laissé aucune chance. »
07:48« Il ne pouvait pas acheter de billets et devant les enfants,
07:51il ne pouvait pas provoquer une scène qui aurait été parfaitement justifiée autrement. »
07:55« Il ne pouvait que partir avec ses deux petites filles qui rêvaient de voir un cirque
07:59et qui maintenant sont privées par votre faute. »
08:03« Vous auriez pu au moins dire, je ne sais pas, désolé monsieur, mais vos billets ne sont pas valables. »
08:09« Et puis vous auriez pu lui expliquer poliment et tranquillement pourquoi. »
08:15« Si vous voulez savoir, on ne me paye pas pour être poli. »
08:18« Et puis je vais vous dire, monsieur, déchirez les billets de faveur, j'adore ça. »
08:24« Et maintenant, faites-moi le plaisir d'aller voir ailleurs avant que je descende de là et que je vous vide. »
08:28« Compris ? »
08:31« Oui, c'est un homme cruel, un animal bipède qui ignore sentiments et sensibilités
08:39et qui passera sa vie à faire du mal aux autres.
08:42C'est une créature à éliminer de la surface de la terre. »
08:48Je regarde encore un moment, ce visage torve, puis je tourne les talons et quitte la fête.
08:56Je prends un autobus et je me rends dans le quartier des magasins de sport,
09:0037e rue.
09:03J'achète un pistolet de calibre .32 et une boîte de cartouches.
09:10Pourquoi ne commettons pas de meurtre ?
09:14Est-ce parce que nous ne trouvons pas de justification morale suffisante à un acte irréversible ?
09:20Ou alors, est-ce que c'est parce que l'on craint les conséquences de ce geste sur son entourage ?
09:28Mais ce n'est pas moi que ça concerne, puisque je n'ai ni famille ni proche.
09:33Et qu'il ne me reste que quatre mois à vivre.
09:40Lorsque je reviens, le soleil est couché.
09:43Les lumières de la fête brillent de tout leur feu.
09:47Je jette un coup d'œil dans l'allée principale.
09:50Le contrôleur s'apprête à quitter son box et laisser sa place à un autre contrôleur.
09:55Il allume une cigarette et part tranquillement.
10:02Je le rattrape dans un tournant masqué par des buissons.
10:05L'endroit est désert.
10:08Il entend le bruit de mes pas et se retourne.
10:12Dans quelques instants, vous apprendrez ce que j'ai à dire à cet homme si désagréable.
10:30Le docteur Dust m'a averti qu'il ne me reste plus que quatre mois à vivre.
10:35Et il m'a suggéré de bien employer ce temps.
10:38D'ailleurs, il prépare un livre où il relate les activités des malades dont les jours sont comptés.
10:47En réfléchissant à cette question,
10:50mes pas m'ont mené jusqu'à une fête foraine.
10:53J'y ai surpris un contrôleur particulièrement cruel avec un père et ses enfants,
10:58dont il a déchiré méchamment les billets de faveur.
11:02Son attitude ne m'a pas plu.
11:04J'ai donc décidé de revenir ce soir à la fête,
11:09exprès pour aborder ce contrôleur cruel.
11:15Un sourire crispé apparaît sur ses lèvres
11:18et il se frotte les jointures d'une main.
11:22« Vous l'aurez cherché, monsieur ! »
11:26Ses yeux s'élargissent quand il voit mon pistolet.
11:28« Quel âge avez-vous, monsieur ? »
11:33lui dis-je.
11:34Ses paupières battent nerveusement.
11:37« Trente-deux ans ! »
11:39Je secoue la tête.
11:42« Vous auriez pu vivre jusqu'à soixante-dix ans ? »
11:47« Peut-être encore quarante années de vie ici.
11:50Simplement, vous aviez pris la peine d'agir en être humain. »
11:55J'appuie sur la détente.
11:57Le contrôleur vacille et s'effondre.
11:59Mort.
12:01Je m'assois sur un banc à proximité et j'attends.
12:05Cinq minutes.
12:07Dix.
12:07Personne n'a donc entendu le coup de feu.
12:13Je prends soudain conscience que je n'ai pas mangé depuis midi.
12:17L'idée d'être interrogé pendant plusieurs heures dans un commissariat
12:20sans avoir mangé m'est insupportable.
12:23Je sors un petit carnet de ma poche et écris
12:26« On peut pardonner un mot dit en l'air.
12:31Mais une vie d'impolitesse cruelle,
12:35on ne peut pas pardonner.
12:37Cet homme a mérité de mourir. »
12:43J'ajoute mes initiales,
12:45je déchire la feuille du petit carnet,
12:47la plie en quatre
12:48et la glisse dans la poche du contrôleur mort.
12:54Je ne rencontre personne quand je gravis le sentier
12:56pour aller me restaurer chez Wachler.
12:59Normalement, les prix ne sont pas à ma portée,
13:01mais je pense que les circonstances
13:04m'autorisent cet extra.
13:08Je décide ensuite de faire une balade nocturne en autobus.
13:13Autant profiter de ma liberté de mouvement,
13:16tant que je le peux.
13:18Le chauffeur est un homme impatient
13:20et visiblement il considère les passagers comme des ennemis.
13:23À la soixante-huitième rue,
13:26une femme fragile aux cheveux blancs
13:28attend sur le trottoir.
13:31À contre-cœur,
13:32le chauffeur immobilise son véhicule
13:34et ouvre la portière.
13:37La vieille dame sourit
13:38et adresse un signe de tête aux autres passagers
13:41en mettant le pied sur la première marche.
13:43« Eh bien, il va vous falloir combien de temps pour monter ? »
13:48lance le chauffeur d'une voix brusque.
13:50Elle se hâte
13:51et lui tend un billet de cinq dollars.
13:54« Vous ne pouvez pas vous arranger pour faire l'appoint, non ? »
13:57Alors qu'elle cherche sa monnaie,
14:00le chauffeur démarre brutalement
14:01et la vieille dame manque de tomber.
14:04Elle se raccroche de justesse à une poignée.
14:07Son visage est pâle.
14:10Sa soirée est gâchée,
14:11sans doute qu'elle y repensera longtemps,
14:13et à chaque déplacement en autobus,
14:16elle craindra de tomber
14:17sur le même employé irascible.
14:23Je suis le seul voyageur à bord
14:25quand le chauffeur atteint le terminus.
14:27Il jette un coup d'œil à sa montre
14:29et allume une cigarette.
14:31Je me lève
14:32et vais vers lui.
14:34« Vous avez quel âge ? »
14:39« Ça ne vous regarde pas ! »
14:41me répond-il en me fixant méchamment.
14:44« Environ
14:45trente-cinq-quarante ans, je suppose.
14:49Vous en auriez eu encore
14:50trente devant vous,
14:52sinon plus. »
14:55Je sors le pistolet.
14:58Il lâche sa cigarette.
15:00« Prenez l'argent ! »
15:01dit-il.
15:01« L'argent ne m'intéresse pas.
15:03Je pense à la vieille dame
15:05de tout à l'heure,
15:06à tous ces gens bons
15:08et inoffensifs,
15:09à votre cruauté envers eux.
15:12Vous êtes un criminel.
15:15Rien ne justifie
15:16ce que vous leur faites.
15:18Rien ne justifie
15:20votre existence.
15:23Je m'assois
15:24et j'attends
15:25dix minutes.
15:26Personne ne vient.
15:32Je suis toujours
15:33seul avec le cadavre.
15:36Je me rends compte
15:37tout à coup
15:37que j'ai sommeil,
15:38terriblement sommeil.
15:40J'aurais peut-être
15:40meilleur compte
15:41à me rendre à la police
15:42après une bonne nuit.
15:44Donc,
15:45j'écris les raisons
15:46qui m'ont poussé
15:47à supprimer
15:48cet individu
15:49sur une feuille
15:50que j'arrache
15:51de mon carnet.
15:52Je signe
15:53de mes initiales,
15:54je plie la feuille
15:55et la glisse
15:56dans la poche
15:57du cadavre.
15:59Je marche
16:00jusqu'à ce que
16:01je rencontre
16:02un taxi
16:02qui me dépose
16:03chez moi.
16:05Je dors profondément.
16:09Mes rêves
16:09sont calmes,
16:11inoffensifs.
16:14Je ne me réveille
16:14que le lendemain
16:15vers neuf heures.
16:16Après une douche
16:18et un petit déjeuner copieux,
16:19je décide
16:20de passer la matinée
16:21à mettre de l'ordre
16:22dans mes papiers.
16:24Et puis,
16:24je décide
16:25de dresser
16:26la liste
16:27des gens
16:28à qui j'ai eu affaire
16:29durant ma vie
16:30et qui se sont montrés
16:31peu civilisés.
16:33L'institutrice
16:34qui m'avait puni
16:35injustement.
16:37Mon premier patron
16:38qui s'était moqué de moi
16:39peu après m'avoir embauché.
16:42L'épicier
16:42qui n'aimait pas
16:43que je mette du temps
16:44à choisir des bonbons.
16:46Un gardien de parking
16:47aimable
16:47comme une porte de prison.
16:49Je cherche
16:50leur adresse
16:50dans l'annuaire.
16:52Vers midi et demi,
16:53je décide
16:55d'aller manger dehors.
16:57Je rentre
16:58dans une pizzeria.
17:00Au bout
17:00de dix minutes,
17:03la serveuse
17:04interrompt
17:04sa conversation
17:05avec le caissier
17:06et s'avance
17:07vers ma table.
17:10« Qu'est-ce que vous voulez ? »
17:11me demande-t-elle
17:12d'un ton
17:13un peu sec.
17:15Je commande
17:16un ossoburco.
17:18Je mets
17:18un certain temps
17:19à identifier
17:20les petits morceaux
17:21de viande
17:22qui nagent
17:22dans la sauce rouge.
17:25En cherchant
17:25à prendre
17:26ma cuillère,
17:27je la fais tomber
17:27accidentellement
17:28par terre.
17:30« Mademoiselle,
17:32ça vous ennuierait
17:33de m'apporter
17:34une autre cuillère,
17:34s'il vous plaît ? »
17:36Furieuse,
17:37elle s'avance
17:37vers ma table
17:38et m'arrache
17:39des mains
17:39à la cuillère tombée.
17:41« Vous avez la tremblote
17:41ou quoi ? »
17:43Elle va au casier
17:44à couvert
17:44et s'apprête
17:45à déposer brutalement
17:46une autre cuillère
17:47sur la table.
17:48Mais
17:48une pensée soudaine
17:51modifie
17:52l'expression
17:52dure
17:53de son visage.
17:55Le geste
17:55de son bras
17:56s'atténue
17:57et
17:57quand la cuillère
17:59finit
17:59par toucher
18:00la nappe,
18:01c'est
18:02très doucement.
18:05« Désolé
18:06si je me suis montré
18:06un peu sèche,
18:07monsieur ? »
18:08dit-elle
18:09avec un petit sourire.
18:12« C'est une excuse
18:13et je me montre
18:15aimable en retour. »
18:16« Non,
18:16je vous en prie,
18:17mademoiselle. »
18:18« Non,
18:18je veux dire,
18:19vous pouvez laisser tomber
18:20toutes les cuillères
18:20que vous voulez
18:20et j'irai volontiers
18:21vous en chercher d'autres. »
18:23« Merci,
18:24mademoiselle. »
18:25« N'êtes pas froissé,
18:26monsieur ? »
18:27reprend-elle
18:28avec insistance.
18:29« Non,
18:29non,
18:29non,
18:29mademoiselle,
18:30pas du tout. »
18:33Lorsqu'elle me quitte,
18:34le caissier
18:35la regarde
18:35avec de grands yeux
18:36et elle anticipe
18:38son commentaire
18:39à coup sûr moqueur.
18:41« On ne sait jamais
18:41à qui on a affaire,
18:42mieux vaut être poli
18:43avec les temps qui courent. »
18:50Le docteur Dust
18:51a terminé son examen
18:52et je suis en train
18:53de me rhabiller
18:53quand il me demande
18:54« Alors,
18:56comment avez-vous décidé
18:57de passer
18:57les derniers mois
18:58qui vous restent ? »
19:00« Je préfère
19:01rester évasif,
19:03ce qu'il déçoit. »
19:05« Vous devriez y penser,
19:07vous savez,
19:07ensuite vous aurez des regrets.
19:09On meurt tous
19:10un jour ou l'autre
19:11et c'est bien
19:12de s'y préparer. »
19:15Un journal traîne
19:16sur son bureau
19:17tandis que je boutonne
19:18ma chemise,
19:20il y jette
19:20un coup d'œil.
19:22« Ah,
19:23le tueur
19:23semble assez occupé,
19:24on dirait.
19:25Mais ce qu'il y a
19:26de plus étonnant,
19:27c'est que les gens
19:28écrivent au journal
19:29pour signaler
19:30au meurtrier
19:31le nom de personnes
19:32fort désagréables.
19:34C'est compréhensible,
19:36docteur.
19:37Il y a tellement
19:38de gens grossiers,
19:39vous ne trouvez pas ?
19:41Je vais me procurer
19:42moi aussi
19:43ce journal.
19:45« Le plus drôle,
19:46reprend le docteur,
19:47c'est qu'une vague
19:48de politesse
19:49a envahi la ville. »
19:52J'ai enfilé
19:53mon par-dessus
19:54et le docteur
19:54me tend la main.
19:56« Au revoir,
19:57cher ami.
19:57Et n'oubliez pas
19:58de penser
19:59à ce que je vous ai dit.
20:00Organisez vos derniers
20:02tendres émissions.
20:04Remenez me boire
20:05dans une quinzaine
20:06de jours. »
20:09Il est près de 22 heures
20:10quand je quitte
20:11le docteur Dust.
20:12Je me dirige
20:13à travers les rues désertes
20:14vers l'arrêt d'autobus.
20:16Comme je tourne
20:17dans Midland Lane,
20:19j'entends un coup de feu.
20:21J'aperçois un homme
20:22de petite taille
20:24armé d'un pistolet
20:26et penché
20:27sur un homme étendu.
20:29Je baisse les yeux
20:31vers le cadavre
20:32et ne peux retenir
20:35un cri d'étonnement.
20:36« Ah !
20:37Mon Dieu ! »
20:39Un agent de police.
20:42Le petit homme
20:43hoche la tête.
20:45« Oui,
20:46ce que j'ai fait
20:47peut vous sembler excessif,
20:48mais vous comprenez,
20:49il utilisait un langage
20:51que je ne pouvais
20:52absolument pas accepter.
20:56Je suis tellement surpris
20:57que je ne peux émettre
20:59aucun son.
21:01Voyez-vous, monsieur,
21:03j'ai garé ma voiture
21:04devant cette bouche
21:05d'incendie.
21:05Oh !
21:06Absolument par distraction,
21:07je vous assure.
21:08Et cet agent m'attendait
21:09lorsque je suis revenu.
21:11En plus,
21:12j'ai oublié
21:13mon permis de conduire.
21:14Eh bien,
21:14au lieu de me remettre
21:15simplement une contravention,
21:17il a fait des remarques
21:18désobligeantes
21:19sur mon intelligence,
21:21sur mon acuité visuelle.
21:23Il a même laissé entendre
21:24que j'avais volé la voiture.
21:26« Vous vous rendez compte ? »
21:29« Oui. »
21:31Je n'ai pas de mal
21:31à imaginer l'humiliation
21:33que le petit homme
21:34a ressentie
21:35devant l'agent de police.
21:38Je regarde le pistolet
21:39qu'il tient dans la main.
21:41« Je l'ai acheté aujourd'hui.
21:43J'avais l'intention
21:44de m'en servir
21:45contre le syndic
21:46de mon immeuble,
21:47quelqu'un de terriblement
21:48désagréable. »
21:50Reprend le petit homme.
21:51« Oui, je comprends, »
21:54lui dis-je.
21:55« Ces gens-là
21:56sont en général
21:57de la pire espèce. »
22:00Le petit homme soupire.
22:03« Mais maintenant,
22:04je suppose que je vais être obligé
22:06de me constituer prisonnier. »
22:10Je réfléchis à la question
22:11tandis qu'il m'observe.
22:13Il s'éclaircit la gorge.
22:15« Hum, hum, hum. »
22:16« Ou peut-être
22:16devrais-je seulement
22:18laisser un petit mot ? »
22:21« Vous savez,
22:22j'ai lu dans le journal
22:23que le... »
22:26Je lui prête mon carnet.
22:29Il écrit quelques lignes,
22:31signe de ses initiales
22:33et dépose la feuille
22:35pliée en quatre
22:36entre deux boutons
22:38de la veste de l'agent.
22:40Il me rend mon carnet.
22:43« Il va falloir
22:44que j'en achète un,
22:45moi aussi. »
22:47Il ouvre la porte
22:48de sa voiture.
22:49« Est-ce que je peux
22:51vous déposer quelque part,
22:52monsieur ? »
22:54« Non, merci, monsieur.
22:57Vous êtes infiniment aimable,
22:59mais la soirée est belle.
23:02Je préfère marcher. »
23:06Quel type sympathique
23:08me dis-je en le quittant.
23:13Quel dommage
23:14qu'il n'y en ait pas
23:15d'avantage comme lui.
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23:23Au cœur du crime,
23:25un podcast issu
23:26des archives d'Europe 1.
23:28Réalisation,
23:29Julien Tarot.
23:30Production,
23:31Estelle Laffont.
23:32Patrimoine sonore,
23:34Sylvaine Denis,
23:34Laetitia Casanova
23:36et Antoine Reclut.
23:39Au cœur du crime
23:40est disponible
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