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00:00Il va faire son entrée au Panthéon demain, jeudi 9 octobre, jour anniversaire de l'abolition de la peine de mort en France, dont il fut le grand artisan en 1981.
00:09Robert Baninter se raconte dans un livre d'entretien, il s'intitule « À la vie ».
00:14Voici l'ouvrage d'entretien mené à la toute fin de sa vie par vous, Darius Rochebin. Bonjour.
00:19Merci d'être là, cher confrère. Pour une fois, c'est vous, l'interviewé.
00:23Pour nos téléspectateurs du monde entier qui ne vous connaîtraient pas encore, vous êtes un éminent journaliste suisse
00:28et vous officiez depuis quelques années ici en France sur la chaîne LCI.
00:31Alors avec Robert Baninter, ça faisait une trentaine d'années que vous vous connaissiez.
00:35On imagine l'honneur que vous avez ressenti lorsque vous avez été choisi pour ce livre poignant.
00:40C'est vrai, grand honneur, grand plaisir. Et en même temps, je m'attendais à vrai dire à quelque chose peut-être d'un peu formel.
00:44Grand monsieur panthéonisé d'avance en quelque sorte, c'était une évidence très tôt qu'il allait entrer au Panthéon.
00:52Et j'ai pris au lieu de ça une leçon très naturelle de vie, de joie, d'espoir, de rire.
00:56Beaucoup de rire dans un livre qui évidemment aborde aussi des sujets très graves.
01:00Au fil de vos conversations, il retrace bien sûr son parcours politique, son amour pour la littérature,
01:06sans oublier bien sûr son combat pour l'abolition de la peine de mort.
01:10Le mieux c'est de l'écouter. Il nous en parle et on en reparle juste après.
01:13Demain, voyez-vous, demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue.
01:27Demain, grâce à vous, il n'y aura plus, pour notre honte commune, des exécutions furtiles à l'aube, sous le dénoir, dans les prisons françaises.
01:43Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.
01:51Des mots qui résonnent encore. C'est un grand moment de la cinquième, comme on n'en connaît presque plus.
01:57Oui, oui, c'est l'art oratoire, évidemment, de Robert Ballinter.
01:59Il parle beaucoup dans les entretiens de comment devenir orateur.
02:02Il a été un des plus grands orateurs de la Ve République.
02:05Ce qui n'empêche pas qu'il accepte, et c'est toute son ouverture d'esprit,
02:08même de discuter, enfin de mettre en examen les idées de ceux qui sont toujours pour la peine de mort.
02:13Il rappelle que la peine de mort était très populaire encore en France au moment de son abolition.
02:17Aujourd'hui, vous savez, quand on fait des sondages, ça reste une idée soutenue par une partie de l'opinion.
02:22Et il ne dit pas, c'est tabou, il faut faire taire ces gens.
02:24Il n'est pas du tout censeur, mais il dit, ils ont tort.
02:26Et puis, il y a un vieil homme en nous qu'il faut essayer de combattre, qui est celui de la vengeance.
02:30Même s'il admet, il y a des discussions parfois où on s'éloigne beaucoup de l'actualité.
02:33Il parle des chants de l'Odyssée, où il y a des très belles scènes de vengeance.
02:37La vengeance, dans notre civilisation, elle a été longtemps vue comme quelque chose de très noble.
02:42Et il accepte de parler de ça très librement.
02:44Que disaient ses yeux lorsqu'il vous en parlait ?
02:47Une très grande fierté, parce qu'évidemment, il venait de très loin.
02:51Famille paternelle de migrants juifs.
02:54Et on va en parler ?
02:55Plutôt de bonnes familles, en tout cas de classe moyenne.
02:58Mais du côté de sa mère, une origine extrêmement modeste.
03:01Des migrants très pauvres, qui partaient vraiment de rien.
03:04Sa grand-mère ne savait ni lire ni écrire.
03:07Grande fierté d'avoir été formée par Victor Hugo.
03:09Victor Hugo, disait-il, avec l'accent yiddish.
03:12Pas lui, lui, il parlait parfaitement français dès la naissance.
03:14Mais ses parents et ses grands-parents.
03:17Et pour lui, le fait d'être au Panthéon, mais le fait d'être là, à la tribune de l'Assemblée,
03:22d'être dans le bureau du président du Conseil constitutionnel, de garde des Sceaux, place Vendôme,
03:26tout ça était un sujet de fierté, évidemment.
03:28Un mot qui résume peut-être le mieux, Robert Banninter, c'est la liberté.
03:31Liberté de ton, liberté de penser.
03:33Finalement, liberté de celles et ceux qui ne sont pas enfermés dans leur histoire, dans leur carcan.
03:37Il était bien plus que cela.
03:38C'est vrai, liberté, ça surprendra d'ailleurs certains à la lecture.
03:41C'est l'un des titres d'un des chapitres.
03:44Oui, oui, oui, c'est vrai, ce n'est pas un homme de dogme.
03:46Et par exemple, avec Mitterrand, il avoue qu'ils se sont beaucoup amusés, pas dans le style voyou.
03:50Il était très attaché au principe, mais il dit par exemple, ça m'a surpris,
03:54mais quel mot pour vous qualifier ?
03:56Et il dit, ah, aventurier, c'est pas mal.
03:59Je lui ai dit, mais vous êtes sûrs, Robert, aventurier, ça sonne un peu aventure, voyou, etc.
04:03Mais ce n'était pas voyou, encore une fois, mais c'était l'idée qu'il faut tâter un peu de toutes les idées.
04:08Mitterrand, par exemple, il l'avoue, a été philosophiquement plutôt pour la peine de mort, de façon originelle.
04:14Je sais que vous êtes reçus dans le monde entier, notamment au Maghreb.
04:17Il faut rappeler que pendant la guerre d'Algérie, François Mitterrand, garde des Sceaux,
04:21n'était pas très généreux dans les grâces.
04:23Il avait le moyen de proposer les grâces.
04:25Non, non, il y avait beaucoup de gens qui ont été guillotinés sous garde des Sceaux, François Mitterrand.
04:29Donc tout ça existe dans la discussion avec lui.
04:32En quoi était-il différent des autres grands hommes politiques que vous avez pu interviewer ?
04:36Quelle était sa singularité ?
04:38Je dirais quand même une distance d'avec la politique, aussi par ce qu'il avait vécu,
04:42par le traumatisme d'avoir connu une France qui, en quelques semaines, la France de la Troisième République,
04:47je vous parlais de la fierté de devenir français,
04:49ces juifs russes qui vivaient les pogroms dans la Russie des années 1905, 1910, etc.,
04:54qui étaient si fiers d'être devenus français, la patrie de Dreyfus,
04:57la patrie qui avait réhabilité Dreyfus, contre la justice de l'époque, ça paraissait complètement fou,
05:02c'était aussi la puissance coloniale, ce paradoxe existe aussi,
05:05et il avait vu l'écroulement de la Troisième République, les élites de la Troisième République,
05:10alors évidemment beaucoup de nationalistes, mais aussi beaucoup de radicaux socialistes,
05:14beaucoup de gens de centre-droite, de centre-gauche qui étaient devenus des collabos,
05:17et donc il regardait le personnel politique, d'abord ceux qui s'étaient recyclés,
05:21certains même dans le gaullisme, des gens comme Papon,
05:23mais plus généralement en se disant toujours, mais lui, lui, lui, elle,
05:27si on était en 1940, en 1941, en 1942, qu'aurait-il fait ?
05:31Il s'est construit, entre guillemets, grâce à la guerre, c'est la guerre qui l'a construit aussi.
05:35Oui, oui, c'est vraiment l'élément fondateur, c'est le choc de scènes qu'il raconte,
05:40qui sont évidemment vertigineuses, alors la déportation de son père qui est le point le plus dur.
05:46Février 1943, rue 5, Catherine, à Lyon.
05:48Exactement, avec cette circonstance incroyable qui meurt le jour même exactement,
05:519 février 1943, 9 février 2024, et des scènes terrifiantes.
05:57Par exemple, sa grand-mère paternelle, elle s'appelle Chindléa,
06:00elle habite Faubourg-Montmartre, elle est très malade, elle a un cancer avancé,
06:04et un policier français, militien français, arme au point,
06:07qui vont la chercher à l'étage, qui la descendent en brancard,
06:10pour être sûr de pouvoir la déporter et l'assassiner, alors que c'est une pauvre vieille dame.
06:13Et là, il y a des très belles scènes, parce qu'il y a aussi la France qui résiste.
06:17Au moins un peu.
06:18C'est-à-dire les voisins qui sortent sur le palier, qui disent,
06:20mais enfin, qu'est-ce que c'est que ça ?
06:21Et qui prennent quand même le parti de Chindlé.
06:24Et on va justement l'entendre, entretien donné à nos confrères d'envoyé spécial écouté.
06:29Vous avez assisté à la rafle de votre père ?
06:33Ceci n'est pas... Je ne tiens pas à parler de ça.
06:40Non, c'est... Je n'aime pas en parler.
06:43Je n'aime pas.
06:45Dans vos conversations également, il refuse d'en parler.
06:48Oui, oui. C'est un moment où il s'arrête, parce qu'effectivement, dans l'histoire de la guerre,
06:52c'est... On entre là dans l'indicible.
06:54D'autres drames personnels, il a également vécu.
06:58Vous en parlez d'un homme rieur, amusé, que l'humour et l'imagination,
07:01j'ai retenu cette phrase, rendaient toujours neuf, je vous cite.
07:04Où allait-il chercher cette force de vivre ?
07:06Dans la lecture, dans la culture, il dit... Moi, souvent, je suis très fasciné par l'oratoire.
07:11Donc, je questionnais beaucoup. Mais enfin, comment vous êtes devenu orateur ?
07:13Il disait le seul secret. Alors, c'est d'être vrai, d'être naturel, de partir vraiment de ce qu'on a le plus profond en soi.
07:19Et la profonde lecture. Lire, lire, lire. C'était un lecteur immense.
07:22D'ailleurs, toute la... Vous voyez la plupart des interviews.
07:25Moi, j'étais toujours dans ce bureau. Il habitait pas loin du jardin de Luxembourg.
07:29Et il y avait ce bureau tapissé de livres. Et c'était son univers.
07:32C'était un immense lecteur. Alors, Victor Hugo, qui était pour lui le sommet,
07:35il était toujours président d'honneur de la société Victor Hugo.
07:37Il était très fier. Peut-être que c'était le titre qui le rendait le plus fier.
07:40Mais au-delà de ça, c'est la culture vraiment qui l'avait contribué à le sauver.
07:44C'est d'ailleurs assez émouvant pendant toute la guerre,
07:45alors qu'il vit des drames épouvantables.
07:49Il reste un très bon élève.
07:50Et il dit que c'était une manière de défier la bêtise, la méchanceté, l'horreur.
07:54Au lycée Ampère, au lycée Jansson de Sailly, qu'il soit à Lyon,
07:58ensuite à Chambéry, etc.
07:59Il est toujours exact dans ses examens.
08:01Vos entretiens, ils ont duré six mois, c'est ça ?
08:04Six mois, exactement. Les six derniers mois de sa vie jusqu'en décembre.
08:07Et il est mort en février.
08:08En lisant attentivement votre livre, j'ai repéré au moins un point commun entre vous.
08:12C'est l'amour de vos parents pour la France.
08:14Vous dites, vu de Russie pour lui, vu de la Perse pour vos parents,
08:17on ne rappellera pas votre histoire personnelle.
08:18Vous vous sentiez proche de lui d'une certaine façon ?
08:21Oui, parce que c'était un modèle d'assimilation.
08:25Il n'est pas le seul, je sais qu'il y a d'autres modèles d'assimilation et d'intégration.
08:28C'est un mot qui peut faire polémique en France aujourd'hui.
08:29Aujourd'hui, bien sûr.
08:30Mais lui, il assumait complètement.
08:32C'est-à-dire, ces gens, mon père, il était au lycée français de Téhéran,
08:35donc il savait très bien le français avant d'arriver ici en Europe.
08:38Et c'était des non-européens, mais qui avaient une très grande admiration pour l'Europe,
08:43y compris avec ces paradoxes.
08:44Je vous parlais tout à l'heure de l'histoire coloniale.
08:46Mon père iranien avait ce rapport qu'ont souvent les Iraniens avec l'Angleterre,
08:50qui était la grande puissance coloniale, d'admiration et en même temps de distance.
08:54Et chez Robert Malinter, il le dit, il ne regrette pas le temps des colonies,
08:57évidemment pas, mais il dit, oui, il faut avouer que la France des colonies était plus grande.
09:01Et donc, il y a eu une sorte de déclin français dès lors que la décolonisation a eu lieu,
09:05et évidemment, le choc de 1940 et l'écroulement de la France.
09:09Est-ce que Robert Malinter, ce n'est pas finalement l'incarnation de tout ce que l'immigration a offrir de meilleur pour la France ?
09:14Sa panthéonisation, demain, elle envoie aussi peut-être ce message,
09:17à l'heure où certains veulent opposer les Français et ceux qui viennent de l'étranger.
09:20C'est vrai, c'est vrai.
09:21Et de façon générale, je vous dis, il était très attaché à un modèle d'assimilation très, très classique.
09:26Il va jusqu'à dire, vous savez, la fameuse formule,
09:28nos ancêtres les Gaulois, qui a été toujours très polémique parce qu'elle était colonialiste,
09:33mais lui, il dit, pourquoi pas, je me sentais descendant de Vercingétorix.
09:36Il se sentait surtout descendant des grands orateurs de la Révolution française, à vrai dire.
09:39Mais, donc, il y avait tout ça dans son histoire personnelle.
09:43Et puis, oui, la culture qui était quand même le fil conducteur.
09:46On est là dans un moment, nous, critique de la Ve République.
09:49Cinq premiers ministres en moins de 21 mois, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre.
09:51La démission de Sébastien Lecornu, 13 heures seulement, après la nomination d'un gouvernement.
09:56Comment, vous, en tant que Suisse, vous voyez cette démocratie française qui parfois vacille ?
10:01Bon, c'est le charme, enfin le charme et les difficultés.
10:03Évidemment, je suis suisse, je connais bien l'Italie aussi.
10:07Le paradoxe est fou.
10:08Rappelez-vous, on se moquait de l'Italie et de l'instabilité italienne.
10:12Aujourd'hui, c'est la France.
10:12Mais, il faut beaucoup d'indulgence.
10:15Robert Badinter, il y a des pages très drôles où il parle.
10:19Il était très anticommuniste stalinien.
10:22Et il avait été un peu froissé quand même quand François Mitterrand avait fait entrer les ministres communistes au gouvernement.
10:27Et il rapporte leur discussion où Mitterrand avouait que ça ne se tenait pas très bien intellectuellement.
10:32Mais stratégiquement et politiquement, ça en valait la peine.
10:35Et il disait, j'avais moralement raison, on disait Badinter, économiquement raison, mais c'est Mitterrand qui avait raison politiquement.
10:42Si vous ne deviez retenir qu'un seul souvenir de Robert Badinter, ce serait lequel ?
10:48C'est ses formules sur la vie.
10:50C'est pour ça que le livre s'appelle « À la vie, aimez la vie et la vie vous aimera ».
10:53C'est des scènes tout à fait inattendues chez lui.
10:55Il a une sorte de maître à penser qui s'appelle Henri Torres, qui est un avocat, qui l'a formé.
10:59Un personnage très, le contraire de lui, rond, gros mangeur, un peu à bleur, etc.
11:05Mais qui l'a aimé passionnément.
11:06C'était presque une sorte de paire de substitution.
11:09Et il l'emmène vraiment un peu dans les bas-fonds de Paris de l'époque.
11:12Et il y a une discussion entre deux prostituées.
11:14Je lui dis, mais vraiment, c'est la leçon d'oratoire que vous avez retenue ?
11:17Il dit oui, oui, oui.
11:17Parce que les deux prostituées se parlent.
11:19Il y en a une qui dit à l'autre, la plus jeune, dit, mais comment est-ce que tu fais ?
11:22Les clients te payent beaucoup plus.
11:24Et la plus âgée dit oui parce que je les écoute, simplement.
11:27Rien de plus.
11:27Mais je sais les écouter.
11:28Ce rapport humain.
11:30Un rapport humain.
11:30Et il disait, voilà, l'art oratoire, c'est ça.
11:33C'est pas ça briller, c'est pas avoir les plus belles formules.
11:35C'est avoir le don de l'écoute.
11:37Et ça, c'est, on fait le même métier dans nos métiers.
11:39C'est-à-dire l'écoute et le point de départ.
11:41Demain, il entre donc au Panthéon.
11:43Finalement, pas besoin d'y entrer pour l'être immortel.
11:46Oui, il était d'ailleurs, encore une fois, il serait très fier.
11:50Très fier, assurément, de la panthéonisation avec tout l'écho que ça a avec sa famille.
11:54Mais il en plaisante assez.
11:55Il n'est pas très sensible à la, comment dire, à la paramortuaire.
11:58Il dit même que François Mitterrand, qui voulait absolument l'emmener dans les moindres cimetières de province
12:02pour regarder telle ou telle tombe, telle ou telle vitraille, etc.
12:05Il lui avait dit, pas plus de trois cimetières par jour, parce que là, j'en ai assez.
12:08Et il aurait sûrement été très fier de l'hommage que vous lui avez rendu aujourd'hui.
12:11J'espère, merci.
12:12Merci d'avoir accepté l'invitation de France 24.
12:14Merci infiniment.
12:15Merci.
12:16Merci.
12:17Merci.
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