Il y a un mois, jour de rentrée, une directrice d'école mettait fin à ses jours, victime d'homophobie. Sa veuve dénonce aujourd'hui les responsabilités de l'Éducation nationale et réclame justice pour Caroline. Christine Grandjean-Paccoud a accepté de se confier à Marc-Olivier Fogiel dans RTL Matin. Regardez Face à Fogiel du 10 octobre 2025.
00:02Il est 8h17, face à Fogiel, l'interview de Marc-Olivier Fogiel ce matin, vous recevez Christine Grandjean-Pacou.
00:11Elle était la compagne de cette directrice d'école qui s'est suicidée le jour de la rentrée scolaire, victime de la haine homophobe ordinaire.
00:19Bonjour Christine Grandjean-Pacou.
00:20Bonjour.
00:21Ma première question est simple, un peu plus d'un mois après le suicide de Caroline. Comment allez-vous ?
00:28Pas très bien, bien sûr, évidemment. Je pleure tous les jours, ça c'est sûr. J'ai besoin de pleurer.
00:38Je craque, après je repars, mais j'ai besoin de craquer.
00:42Vous craquez et vous êtes évidemment dans la tristesse, on imagine bien, mais également dans la colère ?
00:48Oui, une colère qui me sert. Je la garde. Je ne crie pas, je ne m'en prends à personne.
00:53Je garde juste ma colère pour avancer, pour qu'on rende justice à Caroline.
00:58On va essayer de comprendre cette colère. Tout d'abord, on va revenir en arrière.
01:02On a tous été choqués par la mort de Caroline, la directrice de l'école de Moussache, chez 200 habitants.
01:07Elle a vécu un véritable calvaire à partir de décembre 2023, lorsqu'on a découvert un premier message homophobe, inscrit sur le mur de l'école,
01:14pour reprendre le film de tout ça. Est-ce que vous vous souvenez de ce moment où l'enfer a commencé ?
01:19Oui, décembre 2023, avec inscription sur le tableau, Salguin.
01:24À ce moment-là, sa hiérarchie lui a dit, c'est pas contre toi, c'est contre ton poste de directrice.
01:33Et là, déjà, elle a dit, non, non, non, c'est pas le poste de directrice, c'est moi. Ça n'a rien à voir.
01:38Ça s'est enchaîné avec mai 2024, des TAC lesbophobes sont également découverts sur 4 véhicules, 2 appartenant à la mairie du village.
01:47En août, un nouveau TAC est découvert et Caroline ne peut pas faire sa rentrée des classes.
01:51À quel moment, Christine, vous avez senti qu'elle perd des pieds ?
01:55À la rentrée 2024, parce qu'elle voulait retourner dans son école et on lui refusait, alors qu'elle, elle n'avait rien fait.
02:02Et elle était victime et elle avait travaillé avec des enfants et elle n'avait pas envie de laisser tomber sa classe.
02:09Caroline n'aimait pas l'injustice et elle trouvait ça tellement injuste que ce soit elle qui soit obligée de partir plutôt que d'essayer de trouver le coupable.
02:17Le coupable qu'on n'a d'ailleurs jamais retrouvé, puisqu'il n'y a pas eu d'arrestation, on ne sait pas qui est ce corbeau.
02:24C'est ça qu'elle a aussi mal vécu. On va revenir au fait qu'elle n'a pas été soutenue par la hiérarchie, mais aussi le fait qu'elle ne savait pas qui était derrière tout ça.
02:31Et non, il y avait des soupçons et il n'y a pas de preuves et du coup ça n'avance pas.
02:36Je disais qu'elle perd des pieds, ça se manifestait comment ? Elle a sombré petit à petit dans la dépression ?
02:41Ah oui, oui, oui, oui, elle a perdu goût à beaucoup de choses.
02:44Caroline, c'était quelqu'un qui aimait la vie, qui aimait vivre dans le Cantal, qui appréciait les montagnes, qui adorait la randonnée, la photo et tout est parti.
02:51Elle n'avait que ça en tête, cette injustice et le manque de soutien des uns, des autres et des erreurs qui ont été commises par les uns et par les autres.
03:00Pour cette rentrée finalement, Christine, qui n'a pas eu lieu, Caroline avait accepté cette mutation.
03:05C'était dans un autre village et cette rentrée dans un autre village, elle n'a pas pu l'affronter en fait.
03:11Non, c'était beaucoup trop dur.
03:12Elle avait peur du regard des gens et de ne pas y arriver et d'être jugée comme elle a été jugée par la hiérarchie et par les familles.
03:21Et le regard des autres et ce sentiment de honte.
03:24Cette rentrée, elle comptait manifestement la faire ou pas du tout ?
03:27Non, non.
03:28Elle ne comptait pas y aller dans cette école ?
03:29Non, non, non, non, non.
03:31Et elle imaginait pouvoir rentrer quand ?
03:33Elle s'était projetée en 2026.
03:35Elle a rentré 2026.
03:37Elle avait besoin d'une année de reconstruction pour elle avant de réaffronter l'école ?
03:42L'école, la vie en général parce qu'elle avait perdu confiance en tout le monde.
03:47Affronter le regard des gens, c'est compliqué.
03:50Être jugée, c'est compliqué.
03:52Parce que de victime, en fait, elle était devenue coupable de quelque chose par sa hiérarchie.
03:57Qui lui a carrément dit, si vous avez ces insultes, c'est sûrement que vous avez fait quelque chose de mal alors qu'elle n'avait rien fait.
04:05Vous voulez dire que son inspectrice lui avait demandé par exemple si elle avait fait quelque chose qui aurait pu motiver le corbeau à la rugine des tags, c'est ça ?
04:10Oui, oui, oui. Elle lui avait dit ça.
04:13Et finalement, c'était ça qui lui pesait presque autant que de vivre l'homophobie au quotidien ?
04:18Je crois que c'était encore pire.
04:20Je pense que l'homophobie a été une arme parce que je ne sais pas pourquoi on voulait faire partir Caroline.
04:27Je pense que ça a été servi comme une arme pour la blesser.
04:30Mais elle, ce qu'elle vivait mal, c'est une hiérarchie, une inspectrice à vous écouter qui finalement ne la soutenait pas.
04:37Oui, elle ne s'est pas sentie soutenue, ni comprise.
04:39Ils n'ont pas compris parce que c'est des insultes comme ça, c'est violent.
04:44Et vous, à ses côtés, vous n'arriviez pas à la remonter, j'allais dire ?
04:47Non. En 2024, c'était les vases communiquants.
04:51Un coup, elle était mal et je la remontais.
04:53Et c'est moi qui, parce que ça m'affectait aussi beaucoup, c'est moi qui tombais, elle me remontait.
04:59Mais au fil de 2024, elle tombait et je n'y arrivais plus. Personne n'y arrivait.
05:05Quelques jours avant son suicide, elle poste dans un groupe sur un réseau social.
05:09La journée de lundi, je vous l'assure, sera bien plus difficile pour moi, chez moi, que pour vous, dans vos écoles.
05:14Vous l'aviez lu, ce poste ?
05:15Non, je l'ai lu après. Je l'ai lu après.
05:18Moi, j'ai tellement culpabilisé ce matin-là d'être allée au travail.
05:22Je savais que ça allait être dur.
05:24Je suis allée travailler. Je ne travaillais que juste le matin et je lui avais laissé des choses à faire à la maison pour lui occuper un peu la tête, qu'elle ne pense pas trop à cette rentrée.
05:35Elle a fait ce qu'elle avait à faire.
05:36Ensuite, elle est montée au-dessus de chez nous.
05:39Et elle a commis l'irréparable.
05:40Elle m'avait envoyé un message comme quoi elle montait et je connaissais cet endroit, donc je me suis inquiétée, bien sûr.
05:49Donc, je l'ai appelée en visio.
05:50Elle était là-haut et là, elle m'a offert son plus beau sourire en me disant qu'il ne fallait pas que je m'inquiète, que je finissais.
05:59Est-ce que je voulais partir du travail ?
06:01Elle me dit « Non, tu finis ton heure. Quand tu vas rentrer, je serai à la maison. »
06:06J'avais juste besoin de prendre l'air.
06:09J'ai parlé au 31-14.
06:11Je lui ai dit « Mais si tu as parlé au 31-14, c'est que tu n'étais vraiment pas bien. »
06:15Mais elle me dit « Mais j'ai parlé avec eux, ça va. »
06:1731-14, c'est l'aide psychologique, j'imagine.
06:19Le numéro SOS Suicide, quoi.
06:22Elle m'a fait son plus beau sourire et elle m'a dit « Je ne te laisserai jamais.
06:28Je vais rentrer à la maison. Je t'aime trop. Je ne te laisserai jamais. »
06:31C'est le dernier mot que j'ai eu avec son sourire.
06:35Ensuite, elle avait pris des cachets et la commune irréparable.
06:39C'était une très bonne enseignante.
06:41J'ai reçu plein de messages d'anciens parents d'élèves, d'anciens élèves qu'elle a eus et qui étaient bouleversés parce qu'elle faisait son travail correctement.
06:52Au moment de la mort de Caroline, on se souvient de la ministre de l'Éducation nationale, Elisabeth Borne,
06:56qui annonçait saisir l'inspection générale de l'éducation pour une enquête administrative pour examiner l'ensemble des faits.
07:01Vous avez des nouvelles de tout ça ?
07:02C'est en cours, ça. Oui, il continue de convoquer des personnes qui ont soit travaillé avec Caroline, qui faisait partie de son entourage.
07:12Moi, j'ai été convoquée aussi.
07:14Vous êtes confiante des résultats de cette inspection, de façon à ce qu'on lui rende justice ?
07:19Alors là, pas vraiment, mais je ne sais pas.
07:22J'espère que ça va faire avancer les choses.
07:24Pour elle, c'est trop tard, qu'elle soit reconnue comme victime et comme quoi il y a eu des erreurs de faits.
07:29Oui, j'espère que ça va ressortir.
07:32Caroline avait laissé des écrits que j'ai trouvés après son décès.
07:35Il y avait 12 pages qu'elle avait tapées où elle relatait tous les faits et tout son ressenti.
07:41Je les ai remis à cette commission.
07:42Et j'espère que ça servira pour gérer des affaires pour d'autres personnes qui auront des problèmes aussi.
07:49Aujourd'hui, c'est ça votre combat.
07:50Vous voulez que les responsabilités soient reconnues et que l'éducation nationale, d'une certaine manière, change ?
07:56Oui, change, oui.
07:57On parle toujours du hashtag pas de vagues et il est bien là.
08:00Chacun pense à sa personne, à sa future promotion et on étouffe les affaires qui ne peuvent être pas très jolies.
08:07Ça, on n'en parle pas parce que ça fait tâche.
08:09Cette reconnaissance finalement de la faute de l'éducation nationale, ça vous permettrait de vous dire que l'expression est un peu galvaudée,
08:15mais que Caroline n'est pas morte pour rien ?
08:17Moi, je ne veux pas qu'elle soit morte pour rien.
08:19Je veux qu'ils reconnaissent leurs erreurs et je veux qu'ils avancent dans la gestion quand il y a des problèmes avec des enseignants.
08:27Leur erreur, il voulait exfiltrer Caroline là où il aurait dû la soutenir, c'est ça ?
08:31Oui, oui.
08:32Elle, elle l'a vécu comme ça et elle était tellement fragile qu'elle l'a vécu, je veux dire, fois 10, fois 100.
08:39Voilà.
08:40La moindre petite graine sable pour elle, c'était multiplié.
08:43Ce village de moussage que vous appelez là-haut finalement, vous y êtes retournée, vous qui vous habitez à combien de moussage ?
08:50Ici, on est à 10 minutes.
08:51Oui, je suis passée une fois parce que pour aller chez mon médecin, je suis obligée d'y passer et je déteste passer là-haut.
08:57J'imagine parce que pour vous, il symbolise finalement ce drame et cette homophobie qu'elle a subie.
09:02Vous êtes repassée devant l'école ?
09:04Non, non, je ne pourrais pas, je ne pourrais pas.
09:08Vous étiez ensemble depuis 13 ans, mariée depuis 9 ans. J'imagine évidemment qu'avancer dans la vie va être compliqué.
09:14Il faut vous souhaiter quoi, voir que l'inspection finalement aille vite et reconnaisse ses erreurs ?
09:19Oui, déjà, oui, que justice lui soit rendue. Moi, il faut que j'apprenne à vivre sans elle et c'est hyper compliqué.
09:26Je ne m'autorise pas grand-chose. Moi et tous ceux qui l'ont aidé, on le culpabilise de ne pas y être arrivé, de ne pas être arrivé à lui sortir la tête de l'eau.
09:38Est-ce que les collègues à l'école ont pour certains ou certaines étaient présentes ?
09:43À ses côtés ? Oui, il y en a eu certains qui étaient présents.
09:47Merci beaucoup Christine d'avoir témoigné ce matin sur RTL. Vous étiez aux côtés de notre correspondant Guillaume Frixon. Merci, on vous souhaite beaucoup de courage.
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