- 17/07/2025
Code de procédure pénale
Article 62 alinéa 1er
Article 62 alinéa 1er
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00:00Nous terminons cette audience avec la question prioritaire de constitutionnalité numéro 2025 1151 QPC,
00:08portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 62 du Code de procédure pénale.
00:16Madame la Greffière va d'abord retracer les étapes de la procédure d'instruction. Vous avez la parole.
00:22Merci Monsieur le Président. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 mai 2025 par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation,
00:31une question prioritaire de constitutionnalité posée par Monsieur Béchir et l'Abed, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 62 du Code de procédure pénale.
00:43Cette question relative à l'absence de prestation de serment des personnes entendues dans le cadre d'une enquête de police a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel
00:52sous le numéro 2025-1151 QPC. La SCP-Legueret-Bougnol-Brochier-Lassane-Billet a produit des observations dans l'intérêt de la partie requérante les 3 et 17 juin 2025.
01:05Le Premier ministre a produit des observations le 4 juin 2025. Maître Rosanna Landon a demandé à intervenir dans l'intérêt de Monsieur David Massot
01:13et a produit à cette fin des observations le 19 mai 2025. La SCP-Spinozy a demandé à intervenir dans l'intérêt de l'Association des avocats pénalistes
01:21et a produit à cette fin des observations les 4 et 18 juin 2025.
01:25Seront entendus aujourd'hui les avocats de la partie requérante, les avocats des parties intervenantes et le représentant du Premier ministre.
01:31Merci Madame la préfère, Maître Antoine Horry. Vous êtes avocat au barreau de Paris et Maître Vincent Lassal-Billet, vous êtes avocat au Conseil.
01:40Vous représentez M. Béchir et Labed, partie requérante. Nous vous écoutons.
01:44Merci Monsieur le Président. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, l'audition de témoins devant un officier de police judiciaire
01:54agissant dans le cadre d'une enquête de flagrance ou d'une enquête préliminaire est-elle moins importante, moins solennelle que lorsqu'elle est effectuée devant ce même officier de police judiciaire
02:03agissant sur commission regatoire ? L'État actuel du droit répond à cette question par l'affirmative puisque, vous le savez, il ne prévoit pas de prestation de serment au cours de l'enquête.
02:13Il ne le prévoit que lorsque nous sommes dans le cadre d'une commission regatoire ou devant le juge d'instruction, mais pas en enquête préliminaire ou en enquête de flagrance.
02:19Vous savez, la dispense de prestation de serment, elle est possible dans certains cas. Vous l'avez jugé d'ailleurs récemment à deux reprises.
02:25Déjà pour les personnes qui sont le concubin d'un accusé ou le conjoint d'un accusé, effectivement, vous avez considéré que ça plaçait ces individus dans un dilemme moral
02:32tel qu'on ne pouvait pas les forcer à prêter serment. Et puis plus récemment, je crois, en 2023, vous avez validé l'idée qu'une partie civile
02:38puisse être dispensée de prêter serment à la différence de témoins qui sont entendus dans le juge d'instruction.
02:43Et effectivement, c'est une distinction qui est justifiée, je crois, par l'apparente partialité de ces témoins, puisque, on peut le comprendre,
02:49vous avez soit une partialité qui est liée, je crois, au lien entre le témoin et l'accusé, si c'est, par exemple, le conjoint ou le concubin,
02:56et puis une partialité aussi qui peut être fonction du statut procédural. Et je crois que là-dessus, effectivement, on peut tous s'accorder sur le fait de savoir,
03:01sur le fait d'affirmer qu'il est difficile d'attendre et d'espérer d'une personne qui dépose plainte, qui est partie à une instruction pénale
03:08et qui réclame des dommages et intérêts à la fin, qu'elle soit neutre et impartiale dans sa prise de parole lorsqu'elle témoigne.
03:13Mais dans ces deux cas, vous avez soit la qualité du témoin, soit son statut procédural qui viennent finalement faire peser une forme de présomption de partialité
03:21et qui justifie justement cette dispense de prestation de serment. Qu'est-ce qui explique qu'un même officier de police judiciaire
03:27fasse prêter serment à un témoin entendu sur commission obligatoire et ne le fasse pas lorsque ce même témoin sera entendu en flagrance et en préliminaire ?
03:34En réalité, rien. Et la seule différence de cadre d'enquête ne justifie pas qu'on évoque une différence de situation
03:40puisqu'on est face à des témoignages d'ailleurs, et c'est repris dans la dernière page des observations du représentant du Premier ministre,
03:47on est face à des témoignages qui ont la même valeur probatoire en réalité.
03:49Alors, en face, on va vous mobiliser plusieurs arguments là-dessus, et le premier sera sans doute de vous dire qu'en réalité,
03:55en information judiciaire, on est réservé aux cas les plus graves. Effectivement, lorsque l'on est une affaire criminelle,
03:59l'information judiciaire doit nécessairement être ouverte, ou les cas les plus complexes.
04:03Le problème, c'est que vous l'avez compris, il y a beaucoup d'informations judiciaires qui ne concernent pas que des faits criminels,
04:08mais des faits délictuels dont on considérera qu'ils sont un peu complexes.
04:11Donc déjà, est-ce que cette complexité apparente doit justifier qu'un témoin prête serment alors qu'il ne le prêtera pas
04:16en enquête préliminaire ou en enquête de flagrant ? Ce serait une justification, je crois, un peu hasardeuse.
04:21Et puis surtout, la réalité, je crois, de manière encore plus importante, vous avez beaucoup d'informations judiciaires
04:25qui commencent par une phase préliminaire. C'est-à-dire qu'en fait, vous aurez des témoignages
04:29qui vont être faits en enquête préliminaire, qui vont être effectués en enquête préliminaire sans prestation de serment,
04:33qui viendront ensuite nourrir l'information judiciaire, ce qui montre bien en réalité que l'espèce de frontière
04:37qu'on essaie de vous tracer pour vous dire que les deux cadres d'enquête n'ont rien à voir,
04:40elle est en réalité assez ténue. Et c'est une distinction d'ailleurs d'autant plus ténue que vous avez de nombreuses enquêtes préliminaires
04:46dans lesquelles, et c'est un mouvement qu'on connaît depuis quelques années en procédure pénale,
04:50on va essayer de renforcer les droits de la défense, justement pour, je crois, non pas abolir,
04:54mais amenuiser la frontière entre les deux cadres d'enquête.
04:58Et d'ailleurs, le Premier ministre, comme l'avocat général devant la Cour de cassation l'avait fait,
05:02a abattu, je crois, sa dernière carte en expliquant qu'en réalité,
05:05l'information judiciaire d'un côté et l'enquête préliminaire de l'autre poursuivraient des objectifs complètement différents.
05:10Donc en fait, la préliminaire, effectivement, l'enquête préliminaire, c'est rassembler les preuves et rechercher les auteurs,
05:15et l'information judiciaire, c'est la manifestation de la vérité. Bon, très bien.
05:18Donc en fait, ce qu'on vous explique, c'est que ces deux considérations sont complètement imperméables,
05:23cloisonnées, indépendantes, et que le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs
05:26sont sans lien avec la manifestation de la vérité, et que, effectivement, lorsqu'on est en information judiciaire,
05:32tout ce qui nous intéresse, c'est la manifestation de la vérité, mais pas le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs,
05:36et qu'à contrario, lorsque l'on est en enquête préliminaire, la manifestation de la vérité est un objectif,
05:40une considération qui vous est étrangère.
05:42Évidemment, c'est une considération, une espèce de différence de situation qui est complètement artificielle,
05:47qui ne correspond pas du tout à la pratique, à la réalité, et la réalité, c'est que rassembler les preuves,
05:52rechercher les auteurs, participe de la manifestation de la vérité.
05:55Donc c'est une distinction qui est non seulement artificielle, mais qui, je crois, plus importante encore,
05:58est démentie par le Code de procédure pénale lui-même, puisque, je ne citerai que ça, par exemple,
06:02l'article 39-3, qui est donc dans le chapitre sur l'enquête préliminaire,
06:05indique que le procureur de la République doit veiller à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité.
06:11Et je vous ai cité une seule occurrence, mais vous avez, je crois, 6 ou 7 occurrences dans le chapitre
06:15sur l'enquête préliminaire qui sont relatives à la manifestation de la vérité,
06:18ce qui montre bien que cette espèce de distinction qu'on vous mobilise de l'autre côté de la barre,
06:21elle est complètement absconce, et donc elle n'est évidemment pas objective,
06:25ce qui est un des critères de la rupture d'égalité, et elle est surtout sans rapport avec l'objet de la loi.
06:28Alors il est possible aussi qu'on vous rétorque que ce n'est pas si grave,
06:32et que finalement vous avez des palliatifs à ce problème,
06:36par exemple à faire reciter le témoin devant le juge d'instruction lorsqu'il aura été entendu en enquête préliminaire.
06:40En tant que praticien, je peux vous dire que le juge d'instruction,
06:43qui a déjà vu dans son dossier un témoignage d'une personne en enquête préliminaire,
06:47à qui on demandera de réentendre ce même témoin,
06:50et qu'il acceptera, n'est pas né, très sincèrement.
06:52Et de la même manière, devant les juridictions du fond,
06:56on vous dira aussi peut-être de l'autre côté que vous pourrez tout à fait refaire citer le témoin,
06:59mais là je m'en réfère à votre jurisprudence à vous, effectivement,
07:01dans laquelle en fait vous expliquez très nettement que lorsque l'on est devant une juridiction du fond,
07:06le témoignage a vocation à apprécier la culpabilité du prévenu ou de l'accusé,
07:09et donc on n'est plus du tout sur le même objectif de témoignage.
07:12Donc effectivement là cette comparaison n'aurait pas de pertinence.
07:15Donc c'est une différence qui ne peut pas non plus, vous l'avez compris,
07:18être justifiée par un motif d'intérêt général,
07:20et j'irais même plus loin parce qu'à mon sens, lorsqu'on jette un regard aux statistiques,
07:25c'est même contraire à l'intérêt général, selon moi, de prévoir cette espèce de distinction
07:28entre l'enquête préliminaire et la commission obligatoire pour la prestation de serment.
07:32En 2023, vous aviez 4 millions d'affaires traitées par les parquets,
07:3616 000 par les juges d'instruction,
07:37et quand on regarde en 2020, et malheureusement je n'ai pas eu de chiffre plus récent
07:41dans les données auxquelles j'ai eu accès,
07:43vous avez 99,6% des enquêtes qui sont en préliminaire ou en flagrance
07:48contre 0,4% sur commission obligatoire.
07:52Donc ça signifie, c'est même pas l'écrasante majorité des cas,
07:54dans la quasi-totalité des cas, les témoins ne prêteront pas serment,
07:57alors même que leurs dépositions sont susceptibles d'emporter,
08:00vous le savez, des conséquences sur toute la procédure
08:02et sur le sort derrière d'un homme ou d'une femme.
08:04Donc rien ne justifie à mon sens qu'un parjure
08:06vaille moins en enquête préliminaire
08:09que dans le cas d'une commission obligatoire.
08:11Et d'ailleurs, le Premier ministre vous dit
08:12que, encore une fois, tous les témoignages
08:15ont la même valeur probatoire et qu'en fait c'est une question
08:17d'appréciation en fonction de la juridiction
08:20qui décidera la valeur qu'elle apporte à chaque témoignage,
08:22mais ce n'est pas la question, la question qui se pose,
08:23c'est à mon sens celle de la valeur que l'on souhaite
08:26que le témoin lui-même donne à sa propre parole
08:28et il en va, je crois aussi, du respect de l'institution judiciaire.
08:31Alors, on pourrait tenter effectivement de se dire
08:34que ça va entraîner un changement massif des pratiques
08:36et ça va alourdir la tâche des policiers au quotidien.
08:37En réalité, pas du tout.
08:39Ça va simplement entraîner une ligne de plus sur les procès-verbaux
08:41et demander aux témoins de dire toute la vérité,
08:44rien que la vérité, parce que vous l'avez compris,
08:46en toile de fond, l'objectif, c'est effectivement
08:47l'erreur judiciaire et les conditions dans lesquelles
08:51la justice peut se faire instrumentaliser par des tiers
08:53et les exemples sont effectivement assez nombreux.
08:55Et peut-être que si Marianne Diétriche, pardon,
08:57lorsqu'elle partit déposer devant les enquêteurs
08:58pour fournir un alibi mensonger à son mari Léonard Volle,
09:01accusé d'humeur de Miss French,
09:02en témoin à charge de Billy Wilder,
09:04est-ce que peut-être que si elle avait prêté serment,
09:06elle aurait été dissuadée de mentir,
09:08comprenant qu'elle s'explosait à son tour à des poursuites,
09:10ce qui nous aurait privé, je le concède,
09:11au risque d'affaiblir un peu ma position d'un beau moment de cinéma,
09:14mais je crois en tout état de cause qu'il est sain
09:16de rechercher à éloigner au maximum les situations
09:18dans lesquelles une erreur judiciaire peut survenir
09:20et cela passe, je crois, par le fait de rappeler aux témoins
09:23qui sont les yeux et les oreilles de la justice,
09:25l'importance et la solennité des déclarations
09:27qu'ils tiennent devant les enquêteurs,
09:28quel que soit le cadre d'enquête.
09:29Telles sont les raisons pour lesquelles je sollicite
09:31la censure des dispositions à tête.
09:33Merci, Maître.
09:35Maître Lasselbier, vous avez donc également 5 minutes,
09:38mais vous s'en avez dépassé.
09:41Je verrai à faire court, M. le Président, je vous remercie.
09:44M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres
09:45du Conseil constitutionnel, mon confrère Antoine Horry
09:47vient de vous démontrer la constitutionnalité
09:48des dispositions contestées,
09:50jusque dans les implications cinématographiques
09:52de l'absence de prestations de serment du témoin
09:54lors de l'enquête de police.
09:55Maintenons quelques instants les projecteurs sur ce serment
09:59en prenant le parti de la rétrospective historique.
10:03Prêter serment historiquement,
10:05c'était s'engager sous le regard divin.
10:08Le jurisconsulte Potier,
10:09dans son traité des obligations de 1770,
10:11écrivait du serment qu'il est l'acte par lequel
10:14une personne déclare qu'elle se soumet à la vengeance de Dieu
10:18et renonce à sa miséricorde
10:20si elle n'accomplit pas ce qu'elle a promis.
10:22Notre république laïque a fait perdre au serment
10:25toute connotation religieuse,
10:27mais il conserve ses deux qualités,
10:29sa solennité et sa sincérité.
10:32Les termes exacts du serment
10:33peuvent changer selon les situations juridiques.
10:35Je le jure, je promets solennellement,
10:37je fais le serment.
10:38Ces termes ne marquent pas moins l'engagement,
10:41la promesse solennelle.
10:43Dans le cadre pénal qui nous occupe,
10:44le témoin s'engage déjà dans les termes identiques.
10:47Dans l'information judiciaire,
10:48il doit dire toute la vérité, rien que la vérité.
10:51Devant la cour d'assises ou la cour criminelle départementale,
10:54il s'engage à parler sans haine et sans crainte,
10:56de dire toute la vérité, rien que la vérité.
10:58Et devant les juridictions correctionnelles,
11:00il promet de dire toute la vérité, rien que la vérité.
11:03Ce qui compte, c'est l'esprit de cette promesse
11:06et l'espoir qu'elle contient pour la justice pénale.
11:09C'est aussi, pour le témoin qui en prend l'engagement,
11:12une question d'honneur et d'éthique.
11:14Il accomplit ainsi un acte performatif,
11:18pour reprendre l'expression du philosophe John Austin,
11:20l'auteur de « Quand dire, c'est faire ».
11:22Promettre de dire la vérité,
11:24ce ne sont pas des paroles qui volent,
11:26c'est une action,
11:28celle de faire avancer la vérité judiciaire.
11:31L'on retrouve ici l'objet et la finalité
11:34du témoignage dans la procédure pénale.
11:36Qu'il soit recueilli dans une enquête préliminaire
11:39ou de flagrance,
11:40ou lors d'une information judiciaire,
11:42il participe toujours de la manifestation de la vérité.
11:46Mais le témoin doit prendre toute la mesure de cette action,
11:50de son action.
11:51Pour assurer cette prise de conscience,
11:53à tous les stades de la procédure,
11:55il doit prêter le serment de dire toute la vérité,
11:58rien que la vérité.
11:59Il reste à évoquer les effets dans le temps
12:01de la déclaration d'inconstitutionnalité.
12:03Vous ne pourrez abroger avec effet immédiat
12:05les dispositions contestées,
12:07vous priveriez les enquêteurs
12:08de la possibilité d'entendre des témoins
12:10dans les enquêtes de flagrance ou préliminaire.
12:12Il est donc lieu de reporter dans le temps
12:14l'abrogation.
12:15Il faut néanmoins faire cesser l'inconstitutionnalité,
12:19constatée dans toutes les procédures en cours.
12:21Pour celle-ci, il vous appartient de prévoir
12:22une réserve d'interprétation transitoire.
12:24Donc, une simple énonciation peut suffire.
12:28Jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi,
12:30les personnes à l'encontre desquelles
12:31il n'existe aucune raison plausible
12:33de soupçonner qu'elles ont commis
12:35ou tentées de commettre une infraction
12:36sont entendues par les enquêteurs
12:39sans faire l'objet d'une mesure de contrainte
12:41après avoir prêté le serment
12:43de dire toute la vérité, rien que la vérité.
12:45La justice a encore et toujours besoin de solennité.
12:51Ces quelques mots supplémentaires du témoin
12:53pourront y contribuer.
12:55Je vous remercie.
12:57Merci, maître.
13:01Maître Rosanna Mendon, vous êtes avocat au barreau de grâce
13:05et vous représentez M. David Masso, partie intervenante.
13:08Nous vous écoutons, maître.
13:09Monsieur le Président, mesdames et messieurs
13:13les membres du Conseil constitutionnel,
13:15ce qui me conduit à faire des observations devant vous,
13:18c'est l'histoire d'un justiciable,
13:19puisque je suis une avocate de terrain,
13:20une avocate du quotidien,
13:22un justiciable prévenu,
13:23comme il y en a des milliers tous les jours,
13:25qui s'étonne en découvrant la procédure,
13:28les auditions mensongères de témoins qui ont été faites
13:31et qui s'étouffent de savoir que ces mensonges
13:34pourraient être sans conséquence pour leurs auteurs,
13:37alors que, pour lui, prévenu,
13:39elles pourraient avoir des conséquences déterminantes
13:41en termes de sanctions pénales.
13:43Ce n'est pas le cas de ce dossier,
13:44puisqu'on est devant le tribunal de police,
13:46mais avec souvent, dans d'autres dossiers,
13:47des enjeux importants en matière de privation de liberté
13:50dans d'autres procédures.
13:52À moins que, et c'est ce que nous vous demandons,
13:54que vous déclariez contraire à la Constitution,
13:56la disposition qui vous est soumise avec effet immédiat,
13:59et votre Conseil veillera, je l'espère,
14:01à la préservation de l'effet utile
14:03de la question pour le justiciable qui vous saisit
14:06et que j'ai l'honneur de représenter.
14:07Je souscris, bien entendu, à tout ce qui a été dit
14:09par mes confrères.
14:10Je vais peut-être faire un petit pas de côté
14:12dans le prolongement de ce qui vient de vous être dit
14:14en insistant sur le fait que la distinction
14:16entre un témoignage sous serment
14:18et un témoignage sans serment,
14:19ce n'est pas une simple formalité, en réalité.
14:22Elle révèle des différences fondamentales
14:25dans leur fiabilité et la portée juridique
14:28qui est la leur.
14:30La principale faiblesse, en réalité,
14:32du témoignage sans serment, réside dans l'absence
14:34d'engagement solennel.
14:36Le serment agit comme un rappel puissant
14:39de la gravité de l'acte et de ses implications.
14:41Un témoin non assermenté pourrait être enclin
14:43à la légèreté, peut-être à l'approximation,
14:46voire peut-être s'il y a des liens
14:48avec une autre partie, ne pas avoir à les révéler.
14:51Et ce témoignage-là n'a pas la même rigueur
14:54d'introspection et de prudence
14:56qui accompagne la prestation de serment.
14:58La seconde faiblesse, et ça a pu vous être dit,
15:03concerne le cadre juridique des sanctions.
15:05Le délit de faux témoignages
15:06ne s'applique qu'au témoignage fait sous serment.
15:09Et par conséquent, un individu qui ment,
15:11sciemment peut-être, sans avoir prêté serment,
15:13pourrait ne pas être poursuit
15:15de ce chef d'accusation pourtant grave.
15:18Et ça a des conséquences,
15:18et je vais le répéter comme un mantra,
15:20parce que c'est la réalité des dossiers
15:21que nous avons à traiter,
15:23avec des conséquences importantes,
15:24des fois en matière de privation de liberté.
15:26Et le fait de ne pas prêter serment,
15:31c'est de ne pas risquer de condamnation pénale
15:34avec des sanctions quasi inexistantes.
15:38On ne vous dit pas...
15:40Ainsi, l'utilité du serment
15:42et des témoins, elle est multiforme.
15:44Elle rappelle au témoin la gravité de l'acte
15:46qui s'apprête à accomplir.
15:48Ce n'est pas une simple conversation,
15:50c'est une déclaration avec des conséquences,
15:51vous l'avez compris.
15:52Et le témoin s'expose aux rigueurs de la loi.
15:54Et aussi, ça contribue pour le justiciable,
15:57quel que soit son statut,
15:58qu'il soit prévenu ou partie civile,
16:00à renforcer la confiance qu'il a
16:02dans le système judiciaire et en la justice,
16:05parce qu'il sait que les témoignages
16:08seront recueillis avec toutes les précautions
16:10nécessaires avec ce serment,
16:14donc qui est un gage de confiance.
16:17C'est une preuve potentielle également,
16:19ce serment,
16:20puisqu'il a une force probante accrue.
16:22Et c'est un élément essentiel
16:24de la manifestation de la vérité,
16:26parce que souvent,
16:28dans de nombreuses procédures,
16:30les témoignages peuvent être les seuls éléments,
16:32ou en tout cas des éléments prépondérants,
16:34essentiels,
16:35qui permettent la manifestation de la vérité.
16:39Donc, garantir ces témoignages
16:41d'une force probante
16:43et de la solennité qui est nécessaire
16:45paraît être indispensable.
16:47Et comme ça a été dit précédemment,
16:50on ne vous dit pas que toute personne
16:51doit nécessairement prêter serment.
16:53Il y a effectivement des personnes
16:54qui n'ont pas à le faire,
16:56des déclarations d'enfants trop jeunes
16:58pour comprendre la portée du serment,
17:00ou alors des personnes ayant des liens particuliers
17:02avec les partis qui peuvent être confrontées,
17:04comme cela vous a été indiqué,
17:05à un dilemme moral,
17:06ou alors des personnes ayant des troubles
17:08qui peuvent altérer leur discernement.
17:10Donc, leurs déclarations doivent être accueillies
17:12avec la plus grande prudence.
17:13En revanche, pour le reste,
17:16rien ne justifie en l'état actuel
17:18la différence d'origine d'audition du témoin
17:20selon que celui-ci soit auditionné
17:21au cours de l'enquête
17:23ou au cours de l'instruction sur commission rogatoire.
17:26Et cela est susceptible de porter atteinte
17:27au principe d'égalité devant la loi.
17:29Je vous remercie.
17:36Maître Romain Boulay,
17:38vous êtes avocat au barreau de Paris
17:40et vous représentez l'Association
17:42des avocats pénalistes, partie intervenante.
17:44Nous vous écoutons, Maître.
17:45Monsieur le Président,
17:46Madame, Monsieur les membres du Conseil,
17:48quelques mots au nom de l'Association
17:49des avocats pénalistes
17:50et essayer de peut-être battre en brèche
17:54certains arguments mis en avant
17:56de l'autre côté de la barre
17:57en vous racontant ce qui se passe au quotidien
17:59devant un tribunal correctionnel
18:01et quel est le rôle d'un avocat,
18:03qu'il s'agisse d'un avocat d'un prévenu
18:05côté défense ou d'un avocat d'une victime
18:07côté partie civile.
18:09Je m'étonne un peu, comme mes confrères,
18:10de cette distinction qui vient d'être faite
18:12entre ce qui serait une information judiciaire
18:15s'agissant de faits criminels,
18:16donc des faits les plus graves,
18:18et ce qui, finalement,
18:19serait des procédures moins lourdes
18:22menées dans le cadre d'une enquête préliminaire
18:25pour lesquelles le formalisme
18:26aurait moins besoin d'être souligné.
18:30Qu'est-ce que c'est qu'une affaire grave,
18:33M. le Président, M. les membres du Conseil ?
18:35Je ne sais pas si on réalise qu'aujourd'hui,
18:37en France,
18:38vous pouvez comparaître
18:40dans le cadre d'une comparution immédiate,
18:43c'est-à-dire, en réalité,
18:45à l'issue d'une enquête préliminaire
18:46ou d'une enquête de flagrance
18:47qui, parfois, a duré 48 heures,
18:503-4 jours avant votre comparution
18:52devant le tribunal.
18:53Parfois aussi, il faut qu'on le dise,
18:54et on le regrette de plus en plus
18:56du côté de la Défense.
18:58Vous avez des enquêtes préliminaires
19:00qui sont menées par les parquets,
19:01et les parquets de Paris et Bobigny
19:03et de Créteil en ont la malheureuse habitude,
19:06qui peuvent durer des mois,
19:07voire des années.
19:09Et vous vous retrouvez attrait
19:10devant le tribunal correctionnel
19:11à la suite de ces enquêtes,
19:14sans qu'il y ait eu le moindre contradictoire,
19:16c'est-à-dire que sans que la Défense
19:17ait pu, à un quelconque moment,
19:19entrer dans cette procédure
19:20et venir, par exemple,
19:22discuter un certain nombre d'éléments
19:23qui seront réunis.
19:25Et vous encourrez,
19:26Monsieur le Président,
19:26Mesdames, Messieurs les membres du Conseil,
19:28la bagatelle de 20 années d'emprisonnement.
19:31C'est-à-dire qu'en fait,
19:32on vient vous dire de l'autre côté de la barre,
19:33mais ce n'est pas grave,
19:34la prestation de serment,
19:35c'est réservé aux informations judiciaires
19:37aux dossiers les plus graves.
19:38La réalité, Monsieur le Président,
19:39Mesdames, Messieurs les membres du Conseil,
19:40c'est qu'à l'issue d'une enquête préliminaire,
19:42sans qu'aucun autre élément
19:44n'entre dans la procédure,
19:45vous pouvez comparaître
19:46devant un tribunal correctionnel
19:47et encourir, si vous êtes en récidive,
19:4920 années d'emprisonnement.
19:51Alors, qu'on ne vienne pas nous dire
19:53que la prestation de serment
19:54est réservée aux cas les plus graves.
19:56Et je crois qu'il appartient
19:57au Conseil que vous êtes aujourd'hui
19:59d'avoir conscience de ce qui se joue
20:00au quotidien dans le cadre de ces procédures.
20:03Alors, un peu de sonalité,
20:05Monsieur le Président,
20:06Madame, Monsieur,
20:07qu'on vienne rappeler à un témoin,
20:08d'ailleurs, que son témoignage
20:10vienne nourrir le récit d'une victime
20:12ou que son témoignage vienne nourrir
20:14la défense d'un prévenu,
20:16ne me semble pas être de nature
20:17à être économisé.
20:19Oui, qu'on rappelle aux gens
20:20que les mots,
20:21que les oreilles et les yeux
20:23qu'ils sont pour la justice
20:24vont avoir parfois
20:25des conséquences exceptionnelles
20:27pour des individus,
20:28encore une fois,
20:29qu'il s'agisse de prévenus
20:31ou de victimes,
20:32ne me semble pas anodin.
20:34Vous dire ensuite,
20:35et enfin un mot,
20:36sur la question du faux témoignage.
20:38Vous l'avez compris,
20:39cette absurdité,
20:41ou en tout cas,
20:41incohérence procédurale
20:43qui fait qu'un témoin,
20:45alors même, je viens de vous le dire,
20:46que son récit peut faire encourir
20:49à un individu jusqu'à 20 années
20:50d'emprisonnement,
20:52un témoin ne pourrait pas être poursuivi
20:54pour faux témoignage
20:55si jamais ce témoignage
20:56était reconnu dans le cadre
20:58d'une enquête préliminaire,
20:59c'est-à-dire sans prestation de serment.
21:01Eh bien,
21:01qu'il s'agisse des garanties
21:02des droits de la défense,
21:03mais qu'il s'agisse aussi
21:04des garanties du droit des victimes,
21:07il me semble important,
21:08pour la justice
21:09et pour les justiciables,
21:10qu'on rappelle à ces témoins
21:11que ces témoins s'exposent
21:13à d'éventuelles sanctions
21:14si jamais leur récit
21:15ne devait pas correspondre
21:16exactement à la réalité.
21:18Et malheureusement,
21:18nous avons les uns et les autres
21:20trop souvent l'habitude,
21:21quel que soit le côté de la barre
21:22duquel on se trouve,
21:23d'un certain nombre de récits
21:24qui peuvent avoir des conséquences
21:25très importantes
21:26qui ne correspondent pas
21:27exactement à la vérité.
21:29C'est pourquoi,
21:29M. le Président,
21:30Mesdames, Messieurs les membres du Conseil,
21:32au nom de l'Association des avocats pénalistes,
21:34je me joins à la question
21:35qui vous est posée
21:35et je vous demande
21:36de censurer ces dispositions.
21:37Merci, Maître.
21:41M. Canguilhem,
21:44chargé de mission,
21:44secrétaire général du gouvernement
21:46pour le Premier ministre.
21:47Nous vous écoutons.
21:48Merci, M. le Président.
21:49Mesdames et Messieurs les membres
21:50du Conseil constitutionnel,
21:52le législateur a prévu
21:53que les témoins ont l'obligation
21:54de prêter serment
21:55devant un juge d'instruction,
21:56devant un officier de police judiciaire
21:57agissant en exécution
21:58du commissaire obligatoire,
21:59devant le tribunal correctionnel
22:00ou devant la cour d'assises.
22:03En revanche, il est vrai,
22:04aucune disposition du code
22:05de procédure pénale
22:06ne soumet les témoins
22:07entendus dans le cadre
22:08d'une enquête préliminaire
22:08ou de flagrance
22:09à l'obligation
22:10de prêter serment.
22:12Ceux-ci sont entendus librement
22:13au terme du premier aligné
22:14de l'article 62
22:15du code de procédure pénale,
22:17qui est l'objet
22:17de la présente question prioritaire
22:19de constitutionnalité
22:20et qui est applicable
22:21aux enquêtes de flagrance
22:22ainsi qu'aux enquêtes préliminaires
22:23par renvoi
22:24de l'article 78
22:25du code de procédure pénale.
22:28Les auteurs
22:28de la présente question prioritaire
22:30de constitutionnalité
22:31voient dans cette abstention
22:32du législateur
22:33à exiger une prestation de serment
22:34des témoins entendus
22:35dans le cadre
22:36d'une enquête préliminaire
22:37ou de flagrance
22:37une rupture d'égalité
22:38avec les témoins
22:39précédemment cités
22:41et qui sont, eux,
22:42tenus de prêter serment.
22:44Il existe toutefois
22:45une différence objective
22:46de situation
22:47entre le témoin
22:48entendu par un enquêteur
22:49à un stade antérieur
22:51à toute poursuite
22:52et le témoin
22:53entendu par un juge
22:54au cours de l'instruction
22:55et au stade du jugement.
22:57Et je ne sais pas
22:59où mes contradicteurs
23:00ont lu dans nos écritures
23:01que cette différence
23:02de situation
23:03reposait selon nous
23:04sur un critère de gravité.
23:05Cela n'a absolument
23:06pas été soutenu.
23:08Cette différence
23:09de situation
23:10repose sur une différence
23:13de moment
23:14de stade
23:14de la procédure.
23:16En effet,
23:17la phase d'enquête
23:18est antérieure
23:19à l'engagement
23:20des poursuites.
23:22Au terme même
23:23de la loi pénale,
23:24l'enquête vise
23:25à constater
23:26les infractions
23:26à la loi pénale,
23:27à en rassembler
23:27les preuves,
23:28à en rechercher
23:28les auteurs,
23:29notamment par le recueil
23:30de témoignages.
23:31Elle se déroule
23:32donc en dehors
23:33de toute instance
23:34juridictionnelle,
23:35ce qui entraîne
23:36une conséquence essentielle.
23:38Les témoins sont alors
23:38entendus par des enquêteurs
23:40et non par des juges.
23:42A l'inverse,
23:43après la saisie
23:44d'une juridiction,
23:45l'audition du témoin
23:46s'effectue
23:47nécessairement
23:48devant un juge
23:49et si un enquêteur
23:51est susceptible
23:52de mener des auditions
23:53de témoins
23:53en phase d'instruction,
23:54ces actes
23:54s'effectuent toujours
23:55à la requête
23:56et sous l'autorité
23:57d'un juge d'instruction.
23:59Au terme de la loi pénale,
24:01l'audition de témoins
24:02dans les phases
24:03d'enquête préliminaire
24:04d'information judiciaire
24:06et de jugement
24:06poursuit donc
24:07des finalités
24:08distinctes,
24:09justifiant
24:09que les règles
24:10relatives à l'obligation
24:11de prêter serment
24:11ne soient pas identiques.
24:14D'ailleurs,
24:15il peut être relevé
24:15que très récemment,
24:16le 13 février 2024,
24:18la Cour de cassation
24:19avait considéré
24:20que l'audition
24:21du témoin
24:22par un officier
24:23ou agent de police judiciaire
24:24au cours d'une enquête
24:25préliminaire
24:26se distingue
24:27de l'audition
24:28du témoin
24:28devant une juridiction
24:29de jugement
24:29qui constitue,
24:31nous reprenons les termes
24:31de l'arrêt,
24:32l'un des éléments
24:32de preuve
24:33contribuant à l'appréciation
24:34de la culpabilité.
24:36La Cour de cassation
24:37avait alors refusé
24:39de vous transmettre
24:40pour défaut de caractère sérieux
24:41une question prioritaire
24:42de constitutionnalité
24:43portant sur l'article 78
24:44du Code de procédure pénale.
24:46Enfin,
24:48et comme vous l'avez
24:49vous-même rappelé
24:50dans le commentaire
24:50de votre décision
24:51829 QPC
24:53du 28 février 2020,
24:55la déposition
24:56effectuée sans serment
24:57n'a juridiquement
24:58pas de valeur moindre
24:59que celle effectuée
25:01sous la foi du serment.
25:03L'absence de serment
25:04n'affecte donc
25:05ni la validité
25:07ni la force probatoire
25:09du témoignage
25:10qui peut d'ailleurs
25:11toujours être contesté
25:13et remis en cause.
25:13Ainsi, en ne soumettant
25:15pas les témoins entendus
25:16dans le cadre
25:16d'une enquête préliminaire
25:17ou de flagrance
25:18à l'obligation
25:19de prêter serment,
25:20le législateur
25:21n'a pas méconnu
25:22l'étendue de sa compétence
25:23dans des conditions
25:23affectant le principe
25:24d'égalité.
25:25Je vous invite ainsi
25:26à déclarer les dispositions
25:27du premier alinéa
25:28de l'article 62
25:29du Code de procédure pénale
25:30conforme à la Constitution.
25:31Merci, M. le Canguilhem.
25:34Y a-t-il des questions ?
25:38Pas de questions ?
25:41Donc cette question
25:42prioritaire de constitutionnalité
25:44mise en délibéré.
25:45La décision sera publique
25:46le 25 juillet 2025.
25:49Vous pourrez en prendre connaissance
25:50en vous connectant
25:51sur notre site Internet.
25:53L'audience est levée.
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