Face à l’urgence climatique, les technologies semblent à la fois porteuses d’espoir et sources de débats. Entre défenseurs de la high-tech verte et partisans d’une approche low-tech plus frugale, la société peine à trouver un consensus. Jacques Tiberi, rédacteur en chef du Low-Tech Journal, et Antoine Bueno, essayiste et conférencier, livrent leurs analyses.
00:00On parle low-tech, le rôle de la technologie dans notre transition environnementale.
00:12On parle croissance verte aussi avec mes invités Jacques Tiberi.
00:14Bonjour.
00:15Bonjour.
00:15Bienvenue, vous êtes rédacteur en chef du Low-Tech Journal.
00:18Et puis avec nous en duplex, Antoine Bueno.
00:20Bonjour, bienvenue.
00:22Conseiller, séilliste, conférencier.
00:24Peut-être on peut commencer par définir la low-tech, Jacques Tiberi.
00:27De quoi il s'agit ?
00:29C'est la volonté de concilier à la fois qualité de vie, on peut dire confort, on peut dire
00:36performance quand on étudie une entreprise, et sobriété matérielle.
00:42Donc à la fois énergie, matière première.
00:45Et c'est cette volonté de rééquilibrer les choses.
00:47Donc du discernement technologique, on met de la techno là où elle est vraiment utile,
00:51mais on n'est pas anti-high-tech, et un retour sur un équilibre énergétique, de la descente énergétique.
01:01Donc on arrête de surconsommer l'énergie de façon inutile, et on met l'énergie aussi là où elle est le plus utile.
01:06Antoine Bueno, comment vous percevez cet enjeu et le levier que peut représenter, ou pas d'ailleurs, la low-tech, d'après vous ?
01:16Je trouve ça extrêmement intéressant, et je connais d'ailleurs les travaux de Jacques et son engagement pour les low-tech.
01:25J'ajoute peut-être à cette définition qui était déjà excellente, le fait que la low-tech, c'est une définition relative.
01:32C'est-à-dire qu'un objet va être low-tech par rapport à un autre objet, mais peut-être high-tech par rapport à un autre.
01:39Et par exemple, les vélos actuels connectés, graphite et carbone, sont de la très très très high-tech par rapport aux vélos traditionnels du début du XXe siècle par exemple,
01:49et va être un peu plus low-tech par rapport, je ne sais pas moi, à une voiture électrique, dernier cri.
01:57Ça c'est pour l'aspect relatif, mais il y a quelque chose qui est un peu plus, si j'ai bien compris, en parlant toujours sous le contrôle de Jacques,
02:03un peu plus absolu dans la low-tech.
02:05Donc il a bien dit que c'était une volonté de replacer la technologie au service de l'humain.
02:09Il y a par exemple la simplicité de réparation.
02:12Ça c'est quelque chose qui est très très important, et je pense qu'objectivement on pourra dire qu'un objet est low-tech
02:17à partir du moment où il sera très facile de remplacer des éléments, de les réparer, de se l'approprier d'une certaine manière.
02:23Oui, et d'ailleurs ça rentre de plus en plus, essayant d'être optimiste, dans le schéma d'un certain nombre d'entreprises
02:29qui éco-conçoivent leurs produits pour qu'ils soient plus facilement réparables.
02:34C'est un mode de vie d'une certaine façon, Jacques Tiberi, vous êtes venu il y a quelques mois parler ici du fait que,
02:40et d'ailleurs vous y avez consacré un livre, vous avez banni le smartphone aussi.
02:43Ça fait partie de cette logique, par exemple, je crois aussi que vous ne prenez la voiture que si vous réussissez à être plusieurs à l'intérieur, c'est ça ?
02:52Oui, disons que, et Antoine a tout à fait raison, c'est une démarche.
02:55Et moi je parle souvent, pour rassurer les gens quand je fais, par exemple, une conférence ou une présentation devant une entreprise,
03:03je parle souvent de lower tech, avec le ER, un peu moins high tech.
03:10En fait, l'idée de démarche, c'est l'idée qu'on ne peut pas dire qu'il y a un objet low tech et qu'il y a un objet qui n'est pas low tech.
03:19On ne peut pas dire, moi je suis low tech et vous ne vous l'êtes pas parce que.
03:21Pourquoi ? Parce que c'est un idéal, c'est comme la liberté, on ne peut pas vraiment atteindre la low tech.
03:30Ce qu'on peut faire, c'est rentrer dans une démarche qui va consister, en fonction de ses besoins réels,
03:36qui va consister à aller chercher le niveau de technique qui vous permet de répondre aux besoins,
03:43sans pour autant détruire la planète, dépasser les limites planétaires, trop pomper dans le sol ou trop pomper l'énergie.
03:50Et donc, c'est vraiment, on dit un science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
03:56Là, c'est technologie sans conscience n'est que ruine de la planète.
04:01Et là, c'est remettre de la conscience dans la technologie.
04:04Antoine Bruno, est-ce que c'est un mode de vie qui est un peu,
04:09alors je vais être volontairement caricatural, réservé aux bobos, aux urbains, à ceux qui en ont les moyens, votre avis là-dessus ?
04:15Alors, c'est peut-être le cas aujourd'hui, mais je pense que le but évidemment de la démarche, c'est que ça ne le soit plus demain.
04:27La question que vous posez, la grande question, c'est faut-il freiner l'évolution technologique ?
04:31Moi, je réponds résolument non, même dans une optique low-tech, et toujours en parlant sous le contrôle de Jacques,
04:38mais je vais peut-être vous faire sourire, c'est pas facile de faire simple.
04:41Vous connaissez, let's is more, c'est pas facile de faire de la low-tech.
04:45C'est-à-dire que pour un certain nombre d'applications dans lesquelles on est arrivé dans une extrême complexification,
04:51arriver à retrouver quelque chose qui ait les mêmes fonctionnalités,
04:54qui remplissent les mêmes besoins, mais qui en même temps correspondent à la définition que Jacques a donnée de la low-tech,
05:01aujourd'hui, il y a des esprits extrêmement brillants qui s'y penchent,
05:05et d'ailleurs insuffisamment, c'est-à-dire qu'on devrait peut-être sans doute même attribuer,
05:09je crois que c'est le combat de Jacques, plus de moyens dans cette direction,
05:12pour arriver justement à produire de nouveaux objets, puis de nouveaux matériaux
05:17qui nous permettent de tendre vers cet idéal qui rentre plus globalement dans la tension vers la durabilité et l'économie circulaire.
05:27Une économie développée ne pourra jamais être complètement circulaire,
05:31parce qu'il y a un certain nombre d'usages qui ne permettent pas le recyclage,
05:34il y a une dégradation des matériaux, et puis il y a aussi des usages dissipatifs,
05:39mais il faut tendre vers la circularité, et je pense que la démarche défendue par Jacques de la low-tech,
05:45évidemment, va dans cette direction.
05:46Donc de toute façon, la technologie, que ce soit pour aller vers la low-tech
05:50ou vers d'autres applications qui ne pourront pas être low-techisables,
05:54elle ne peut en aucun cas être freinée.
05:56Vous avez, Jacques Tibéré, un exemple de technologie low-tech,
06:02ou why d'ailleurs, pourquoi pas, qui vient d'émerger,
06:06qui est un peu passé sous les radars et qui justement peut nous donner espoir ?
06:11Oui, aujourd'hui vous avez un exemple qui va en plus faire suture
06:15avec ce que nous dit Antoine, c'est ce qu'on appelle les vélis.
06:19Alors vous ne savez probablement pas ce que c'est, c'est un mot qui est inclus,
06:22ça s'appelle les véhicules légers intermédiaires, véhicules électriques légers intermédiaires.
06:27Donc aujourd'hui vous avez des petites voitures,
06:29des petits pots de yaourt en plastique qui se baladent dans les rues de Paris,
06:34en province aussi, dans les villes qui sont, les villes moyennes,
06:39vous avez beaucoup ça utilisé par les jeunes pour aller…
06:41C'est des véhicules sans permis ?
06:42Alors ce sont des voitures sans permis, mais avec un côté très léger.
06:46Ça c'est ce que vous voyez, et vous dites ça c'est un peu le véhicule du futur,
06:49la voiture légère.
06:50Eh bien vous avez un niveau encore plus low-tech,
06:53où ce sont des véhicules, en fait ce sont des vélos électriques,
06:56vous avez un pédalier, et puis vous roulez à 25 km heure,
07:00vous avez une assistance électrique qui est supérieure sur un vélo simple,
07:03qu'un vélo simple, mais vous n'avez généralement pas de toit,
07:08et vous pouvez comme ça transporter des courses, transporter vos enfants,
07:11on appelle ça quadricycle aussi.
07:13Donc ça c'est un truc qui existe, c'est l'extrême défi,
07:16extrême défi mené par l'ADEME, qui a développé ça.
07:20Il y a eu un salon de l'extrême défi, un salon du Vélie,
07:23qui a été fait à Paris-Porte de Versailles,
07:25il y avait très peu de participants, il y a eu très peu de presse,
07:28donc pour l'instant on est sous les radars,
07:30et moi mon espoir c'est que par le design en fait,
07:33on arrive à convaincre les gens que c'est beau.
07:35Et juste, je voulais dire, quand on va baisser en technologie,
07:39et c'est l'exemple de ces vélos-là où il va falloir se remettre à pédaler pour avancer,
07:44quand on descend en technologie, il y a deux choses qui vont remonter,
07:48trois choses qui vont remonter, ça va vous prendre plus de temps,
07:51ça va vous prendre plus d'efforts,
07:52et ça va vous demander plus de main-d'oeuvre, plus d'humains,
07:57et donc plus de coûts.
07:58Et ce sont ça les trois limites de la low-tech aujourd'hui,
08:02c'est que vous ne pouvez pas passer à côté de cette augmentation du temps,
08:06de l'effort et du coût, et de l'aspect humain.
08:10Or aujourd'hui, notre société est orientée vers,
08:13je veux gagner du temps, mais en gagne-t-on vraiment, question ?
08:17Bonne question, faire le moins d'efforts.
08:18Faire le moins d'efforts, mais il y a une confusion du système aujourd'hui,
08:21c'est qu'on confond le moins d'efforts avec la sédentarité.
08:25Donc vous avez des phénomènes de sédentarité, des phénomènes d'obésité, etc.,
08:28qui se développent, parce que les gens sont sur leur canapé,
08:31et qu'ils n'ont plus d'efforts physiques à faire,
08:33mais effort, ça veut dire autre chose.
08:35Et puis troisièmement, le coût.
08:37Vous cherchez toujours le prix le plus bas,
08:39vous n'allez pas vous mettre à réembaucher 40 personnes
08:41pour faire du maraîchage, par exemple.
08:44Vous ne serez plus compétitif.
08:46Je me reviens vers vous, Antoine Bénaud.
08:48En préparant l'émission, j'ai vu que vous dénoncez un courant de pensée
08:51que vous avez baptisé IDC pour idéologie,
08:54collapso-décroissanciste.
08:56Alors déjà, c'est compliqué à prononcer, j'ai réussi.
08:59Qui en sont les porte-parole ?
09:01Qu'est-ce que vous dénoncez là ?
09:04Alors, je dénonce une voie de l'écologie.
09:09Voie qui est à la fois VOIE et VOIX,
09:13tendante à nous expliquer que nous allons droit dans le mur,
09:18c'est-à-dire que notre société thermo-industrielle va de manière inéluctable
09:23et en particulier pour des raisons environnementales s'effondrer.
09:27Alors, la voie principale de ce mouvement,
09:30c'est quelqu'un que par ailleurs j'apprécie beaucoup humainement,
09:33qui s'appelle Pablo Servigne.
09:34Et puis, par ailleurs, il y a un autre courant,
09:38mais qui est complémentaire,
09:39puisque un certain nombre de ces gens-là
09:41pensent que les deux seules solutions,
09:45c'est l'effondrement ou la décroissance.
09:47Voilà, c'est cette seconde voie qui est la décroissance,
09:50nous disant que nous n'arriverons à rétablir
09:54les équilibres écologiques vitaux
09:56qu'en abandonnant, pour le dire simplement,
09:59la croissance économique et donc le capitalisme.
10:02Et moi, je m'inscris en faux radicalement face à ces deux visions.
10:06Et d'ailleurs, j'ai consacré un essai pour démonter
10:09ou pour contester chacune des deux thèses.
10:13Premièrement, contester l'idée que l'effondrement,
10:15déjà, soit bénéfique,
10:16puisque l'effondrement serait une abomination.
10:18Ça veut dire des milliards de morts sur la planète.
10:20Mais surtout, que cet effondrement soit probable.
10:24Il est sans doute possible,
10:26mais à mon sens, pas probable.
10:27Et c'est tant mieux, c'est une bonne nouvelle.
10:29Et puis aussi, contester l'idée que nous devrions en finir
10:33avec le capitalisme
10:34et passer à une forme de communisme écologiste
10:38pour mettre en place la transition.
10:41Et je démontre donc dans un autre essai
10:43qui s'appelle « Faut-il une dictature verte ? »
10:46La démocratie aussi au bord de la planète
10:48que la seule voie qui s'offre à nous
10:50est une voie de durabilisme
10:52dans laquelle le capitalisme n'est pas aboli,
10:57mais dans laquelle il est, en revanche,
10:58très substantiellement transformé,
11:00sur lequel on a agi.
11:02Merci beaucoup.
11:03« Faut-il une dictature verte ? »
11:04C'est le titre de ce livre.
11:05Publié chez quel éditeur ?
11:07Chez Flammarion, les deux.
11:09Flammarion.
11:09Et votre livre sur le smartphone,
11:10c'est quoi déjà le titre ?
11:11Moi, c'est « Je me libère du smartphone »
11:13chez Dandelion.
11:14Eh bien voilà, on a cité vos deux livres.
11:15Merci beaucoup et à bientôt sur « Be Smart for Change ».
11:18On passe à notre rubrique « Startup » tout de suite.
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