Ce 5 juin, c’est la journée mondiale de l’environnement. Elle existe depuis 1973, mais le climat et la biodiversité sont plus que jamais en péril. Quels ont été les manquements de la part des dirigeants politiques et des entreprises ? Comment ces dernières peuvent-elles aujourd’hui faire face aux limites planétaires tout en conservant leur pérennité ? Ce sont les sujets de ce débat.
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00:00Générique
00:00Comment aligner pérennité économique et pérennité environnementale ?
00:09On en débat avec Alexia Germont. Bonjour.
00:11Bonjour.
00:12Bienvenue, vous êtes la présidente de France Audacieuse.
00:15Et avec nous en duplex, Christian Depertuis, fondateur de la chaire Économie du Climat à l'Université Paris-Dauphine, PSL.
00:22Vous publiez Carbone fossile, carbone vivant vers une économie du climat.
00:25C'est aux éditions Gallimard. Bienvenue à vous aussi.
00:30Ce 5 juin, c'est la journée mondiale de l'environnement organisée par les Nations Unies.
00:34Elle existe depuis 1973.
00:39Rien que ça, il y a beaucoup de choses.
00:41Mais voilà, Alexia Germont, je me dis, bon, ok, très bien, il y a une journée mondiale de l'environnement.
00:45Évidemment, elle n'a pas rempli ses objectifs. Comment vous l'expliquez ?
00:48Je pense qu'en fait, pour remplir ses objectifs, il faut que ça parle aux gens et que toutes les parties prenantes,
00:56quelles qu'elles soient, et c'est important, peut-être qu'on y reviendra dans la discussion,
01:00mais qu'est-ce que c'est qu'une partie prenante sur ce sujet-là,
01:02puissent se sentir investis individuellement d'un projet qui est collectif.
01:10Et c'est vrai qu'à la fois, on a besoin de grandes lignes de conduite, quelque part.
01:18Donc, de ce point de vue-là, les objectifs de développement durable, évidemment, remplissent l'objectif qu'ils se sont fixés.
01:26Mais maintenant, comment faire le lien avec nous, chacun d'entre nous, pour que, quelle que soit la place qui est la nôtre,
01:33nous intégrions cette notion, finalement, de collectif.
01:38Parce que l'environnement, c'est du collectif.
01:39Alors après, c'est là où les choses se complexifient un peu.
01:44C'est comment on arrive à intégrer ces objectifs-là dans notre mode de production, de consommation,
01:54également dans notre, je vais dire, corpus démocratique aussi.
01:59Enfin, c'est plein de questions.
02:00– Oui, c'est effectivement des questions vastes.
02:03Et on va faire ce constat, notamment des limites planétaires déjà dépassées
02:07et de leur impact économique déjà réel pour un certain nombre d'entreprises et de secteurs.
02:12Mais je vous pose un peu la même question, Christian de Pertu.
02:13Pourquoi il y a cet enjeu d'acceptabilité, finalement, de la transformation environnementale et sociétale ?
02:21Pourquoi c'est si compliqué de convaincre collectivement, malgré des alertes des scientifiques,
02:26depuis, allez, au moins 50 ans ?
02:29– Alors, d'abord, je pense qu'il ne faut pas dire qu'on n'a rien fait, si vous voulez.
02:34– Ah non, je ne dis pas ça.
02:36– Le constat, il est quand même un peu plus complexe dès qu'on regarde dans le détail.
02:41Bon, je rappelle, 1973, c'était la première conférence sur l'environnement à Stockholm.
02:46C'était déjà les Nations Unies qui faisaient l'alerte.
02:49Et depuis, sur le climat, il y a eu effectivement l'alerte du GIEC depuis 1990.
02:54Bon, pour la partie que je connais de moi mal, qui est le changement climatique et la diversité biologique,
03:00je pense qu'en réalité, la transformation qu'il faut faire, elle est double et elle est traumatisante.
03:09Elle est traumatisante parce qu'elle va nous faire complètement sortir du cadre dans lequel on opère aujourd'hui.
03:14Il y a une première transformation qui consiste à nous libérer de notre addiction aux énergies fossiles.
03:22Ça représente 70% des émissions mondiales de gaz et de feu de serre.
03:27On n'a aucune chance de stabiliser le réchauffement climatique tant qu'on est dépendant de cette énergie fossile
03:34qui produit aujourd'hui à peu près 80% de l'énergie utilisée dans le monde.
03:42Donc ça, c'est une première transformation.
03:44Elle est énorme et elle consiste en deux mots à passer d'une logique de l'addition
03:50dans laquelle on ajoute de nouvelles sources d'énergie fossile à cette déjà existante
03:54à une logique de la soustraction.
03:57C'est-à-dire qu'il faut retirer des énergies fossiles du système énergétique.
04:02Or, notre société et nos modèles économiques sont beaucoup plus à l'aise
04:08avec les logiques de l'addition qu'avec les logiques de la soustraction.
04:13C'est la première transformation.
04:15Il y a une deuxième transformation qui ne concerne plus le carbone fossile,
04:19mais le carbone vivant.
04:21Cette transformation, elle est peut-être encore plus complexe
04:25que celle de la sortie de l'énergie fossile.
04:28Il s'agit là non plus de créer de la rareté sur trois produits,
04:32le charbon, le pétrole et le gaz.
04:34Il s'agit de réintroduire de la diversité, mais de la diversité du vivant.
04:39Pour pouvoir d'abord freiner, puis ensuite reconstituer cette incroyable richesse
04:48qui est la diversité des êtres vivants, végétaux, animaux et autres,
04:53et leur interdépendance, sans lesquelles l'habitabilité de notre planète n'est plus là.
04:59Donc on a cette double transformation, et cette double transformation,
05:03elle est effectivement traumatisante parce qu'elle consiste à complètement sortir des schémas
05:09dans lesquels nous sommes quelque part emprisonnés.
05:13Avec ces chiffres qui nous alertent,
05:17si des mesures ne sont pas prises immédiatement contre le changement climatique,
05:20l'économie mondiale pourrait subir une perte de 50% de son PIB.
05:23Alors on voit très loin, on dit 2070, 2090.
05:26C'est tellement loin que souvent, ça nous permet collectivement
05:30de repousser des décisions difficiles.
05:34Est-ce que c'est un nouveau capitalisme qu'on doit réinventer ?
05:38Est-ce que c'est les dérives d'une forme d'ultralibéralisme dont il faut se débarrasser ?
05:44Qu'est-ce que vous en dites, Alexia Germont ?
05:45Oui, moi je pense que c'est un nouveau capitalisme,
05:47un capitalisme pragmatique aussi.
05:51Vous voyez, en écoutant M. Depertuis aussi,
05:56ce que je me disais, c'est que peut-être un des sujets que l'on a,
06:00c'est qu'on n'a pas, pour rendre ce collectif justement,
06:04en fait il y a eu beaucoup aussi d'idéologies au départ qui ont été mises.
06:07Or il me semble que la meilleure façon d'embarquer tout le monde,
06:11c'est justement par le pragmatisme.
06:12Vous disiez, Thomas, 2070.
06:162070, rares sont ceux d'entre nous qui ont suffisamment d'empathie pour les autres
06:23pour se dire en fait je vais me priver moi pour quelque chose qui est pour 2070.
06:29Alors qu'on peut très bien s'appuyer, dès aujourd'hui, sur des choses qui nous parlent à tous.
06:35On parlait de partie prenante tout à l'heure.
06:37On est tous partie prenante.
06:39Vous êtes partie prenante en tant que salarié dans une entreprise,
06:43en tant qu'investisseur dans une entreprise,
06:47en tant que fournisseur dans une entreprise,
06:51en tant que banque également.
06:53De quelle façon vous souhaitez accompagner le mouvement de financement des entreprises ?
06:57En tant que client ?
06:58En tant que client.
06:59Le pouvoir de la carte bancaire ?
07:00Et justement, ça c'est très important.
07:02Des consommateurs passés au consom-acteur,
07:05qui est quelque chose qu'on a maintes fois entendu.
07:07Mais le meilleur, finalement la meilleure des transformations,
07:11c'est quand elle vient de la demande elle-même.
07:14Et on voit bien qu'aujourd'hui, quand on discute,
07:17ne serait-ce qu'avec toutes les entreprises que vous recevez,
07:20vous voyez bien que les jeunes ou les moins jeunes,
07:22mais qui se lancent dans un projet entrepreneurial aujourd'hui,
07:26ils se projettent dans quelque chose qui est environnemental by design,
07:33comme on dirait, pour faire une analogie avec ce qu'on a vécu avec les données
07:38et avec la protection des données.
07:41Donc en fait, les nouvelles entreprises qui se lancent de façon très courageuse
07:46dans le système actuel ne peuvent pas penser comme leurs aînés pensaient.
07:52Donc on sait très bien qu'aujourd'hui, la demande est différente.
07:55Donc pour avoir un débouché, il faut se mettre au diapason.
07:59La difficulté étant, pour les entreprises qui fonctionnent,
08:03voire qui fonctionnent très bien aujourd'hui,
08:05moi je le vois en tant qu'avocat, dans les entreprises que j'accompagne,
08:10ce qui est plus compliqué, c'est soit sur des thématiques réelles,
08:15alors ce n'est pas forcément d'ailleurs l'industrie,
08:18ça peut être la finance aussi, la finance qui a fait sa mue,
08:22mais est-ce une vraie mue vers la finance durable ?
08:25Mais je vous interromps parce que ça pose aussi la question des réglementations
08:30et de l'ambition européenne, parce que là on voit quand même soit un coup de frein,
08:35soit un recul sur que ce soit la CES-3D sur la compliance,
08:42que ce soit la réglementation sur la déforestation,
08:46on peut prendre le Green Deal, enfin je ne vais pas citer tous les exemples,
08:51mais est-ce que l'ambition européenne, d'après vous, elle est en train de régresser aujourd'hui ?
08:58En tout cas, elle a marqué le pas.
09:01Alors, si c'est marqué le pas pour une meilleure acceptabilité,
09:06pour reprendre son souffle, pour passer la colline d'après,
09:09à ce moment-là, ça ira.
09:11Mais on a besoin de cadres, ça c'est clair,
09:14de cadres à la fois qui donnent une vision,
09:162070 c'est quand même très loin,
09:18quand on parle d'une vision, on est en 2025,
09:21une vision à 2035 ou 2040,
09:24je pense que c'est déjà plus préhensible.
09:27Après, il ne faut pas se tirer une balle dans le pied,
09:29c'est ça qui est compliqué en fait.
09:31Parce qu'en fait, si les autres ne font pas ce que nous faisons nous,
09:35avec le cadre juridique qui va avec,
09:38c'est là où l'acceptabilité est beaucoup plus difficile.
09:41Mais en revanche, les clients, eux, sont toujours là.
09:44Et une fois que vous les avez habitués à quelque chose,
09:47dans une démarche de transition,
09:50qui donne déjà des repères,
09:51où on voit que la société, en l'occurrence,
09:55va vers une démarche de durabilité sincère,
09:59parce que les clients savent aussi faire la différence.
10:02Ce n'est pas parce qu'après les directives,
10:05ou la réglementation va venir marquer le pas,
10:09que c'est acceptable pour des clients,
10:11que les sociétés se désengagent.
10:13Donc une fois que vous avez, en tant qu'entrepreneur,
10:16lancé la démarche, il faut s'y tenir.
10:18En fait, il faut faire plutôt moins,
10:21mais véritablement,
10:23qu'annoncer de grandes objectifs
10:25sur lesquels on ne sera pas au rendez-vous.
10:26Un mot, Christian de Pertuis.
10:30Là, je parlais de l'Europe,
10:31mais si on compare ce que fait l'Europe aujourd'hui
10:34et ce que fait la Chine,
10:35ou ce que la Chine a fait depuis plusieurs années
10:38en matière de transition environnementale,
10:41peut-être que c'est du côté chinois
10:42qu'il faut voir les accélérations les plus fortes ?
10:48Si on prend le système énergétique
10:50et la bascule du système d'énergie basé sur les stocks,
10:55un stock fossile vers l'énergie de flux,
10:57éolien et solaire,
10:58c'est évident que la Chine a pris une longueur d'avance.
11:01Elle a pris une longueur d'avance
11:02parce qu'elle est devenue, en gros,
11:04le centre mondial de production
11:06des biens d'équipement et des infrastructures
11:08de tout ce qui est l'énergie solaire
11:12et de ce qui est bientôt aussi
11:14la filière stockage et l'hydrogène.
11:20Pour autant, la Chine n'a pas encore passé son pic d'émission.
11:23Elle est probablement en train de le faire.
11:25On n'est pas sûr.
11:26Mais je voudrais revenir à votre question antérieure.
11:28Une minute seulement.
11:31Est-ce que le capitalisme peut se réformer spontanément ?
11:34La réponse est non.
11:35Le capitalisme a besoin, effectivement,
11:37qu'il y ait des incitations très fortes.
11:39Il y a des incitations réglementaires,
11:41mais il faut aussi des incitations économiques.
11:44Et l'incitation économique la plus puissante
11:46pour basculer, c'est de tarifer le carbone,
11:49c'est-à-dire de faire payer le coût climatique
11:51des émissions de CO2 d'origine énergétique.
11:56C'est ça qui va faire accélérer la chose.
11:58Et tant qu'on n'a pas trouvé des modèles économiques
12:02basés sur de nouvelles valeurs,
12:04qui sont la valeur de protection de l'atmosphère
12:08pour le climat, du vivant pour la biodiversité,
12:12on ne sera pas dans les temps.
12:14Et quand vous dites 2070 ou 2050,
12:18c'est au-delà de l'horizon habituel,
12:22de la stratégie d'une entreprise, c'est vrai.
12:24Mais le GIEC nous rappelle,
12:26depuis maintenant 30 ans et un peu plus,
12:28même que l'urgence climatique,
12:30c'est bien que les décisions que nous prenons aujourd'hui
12:34font les climats que connaîtront nos enfants
12:37et petits-enfants après 2050.
12:39parce qu'on n'a pas le choix.
12:42Merci beaucoup, Christian Depertus.
12:44Je rappelle le titre de votre livre,
12:45Carbone fossile, carbone vivant,
12:47vers une économie du climat.
12:48C'est aux éditions.
12:48Gallimard, merci, Alexia Lermont,
12:51et à bientôt sur Bsmart4Channel.
12:53C'est l'heure de notre rubrique Startup.
12:54C'est à bientôt sur Bsmart4Channel.
12:56C'est à bientôt sur Bsmart4Channel.