Le chercheur Raphaël Rodriguez était l'invité de France Inter jeudi 22 mai. Avec son équipe, il vient de découvrir une molécule qui pourrait éliminer les cellules métastatiques.
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
00:00Il est 7h48, Sonia De Villers, vous recevez ce matin un chimiste, biologiste, directeur de recherche au CNRS et chef de laboratoire à l'Institut Curie.
00:11Il a publié sa découverte dans la revue Nature. Elle suscite un espoir immense, un espoir mondial, celui de pouvoir enfin s'attaquer aux métastases.
00:21A-t-on enfin trouvé une arme fatale contre le cancer ? Bonjour Raphaël Rodriguez.
00:26Bonjour.
00:27Métastases, c'est sans doute le mot de la langue française qui fait le plus peur.
00:33Pendant longtemps, qui disait métastases disait mort. Est-ce que vous pourriez d'abord nous dire ce que sont les métastases ?
00:41Les métastases sont des tissus cancéreux, qui sont des tumeurs secondaires, qui sont issus de la tumeur primaire
00:47et qui définissent la capacité de cellules cancéreuses de s'échapper de la tumeur primaire pour migrer dans différents tissus
00:54et aller se nicher dans des organes vitaux et pour développer des tumeurs secondaires qui, progressivement, vont détériorer ces organes
01:00et potentiellement, s'ils ne sont pas traités, conduire à la mort de l'individu.
01:03Sauf que les métastases, au départ, on ne les voit pas, on ne les repère pas. Pourquoi ?
01:09Alors, on les repère souvent tardivement parce que, simplement, il n'y a pas beaucoup de cellules et que nos méthodes de détection sont leurs limites aussi.
01:19Et il y a des cancers qui métastasent de manière très précoce et ça arrive qu'on perçoive des métastases alors qu'on n'arrive pas à détecter la tumeur primaire.
01:28Ce qui complexifie le traitement parce qu'on ne sait pas de quel type de cancer est s'agit.
01:30Et tous les cancers, métastases ?
01:32Tous les cancers ne métastasent pas.
01:35Et puis les cancers sont différents dans leur capacité à métastaser.
01:38Certains métastases de manière très précoce, d'autres de manière très tardive.
01:41Lesquels, par exemple ?
01:43Typiquement, le cancer du pancréas, Pascal Hamel, on parlerait mieux que moi.
01:48Ce sont des cancers qui métastasent très rapidement et ce sont des tumeurs primaires qui sont relativement petites.
01:52Donc ça veut dire que ce sont des cancers qui diffusent des cellules tueuses dans le corps de manière...
01:59Et donc, je lis dans vos articles que dans 70% des cas, on ne meurt pas du cancer premier.
02:07Mais des métastases qui se sont formées à partir de lui.
02:10Ce qui signifie que traiter la métastase, c'est répondre à un besoin médical absolument criant.
02:16Oui, c'est essentiel.
02:17Je dois quand même rappeler que sur 30 ans, la recherche et la médecine a fait des gros progrès.
02:21Il y a 30 ans, il y a des cancers qui étaient incurables, qui sont faciles à traiter aujourd'hui.
02:25Et puis, les traitements se sont faits de manière progressive.
02:28Aujourd'hui, on a des médicaments qui ciblent la capacité d'une cellule cancéreuse à proliférer rapidement,
02:33qui constituent l'essentiel de la masse tumorale primaire.
02:36Et bien évidemment, quand on a ce genre de médicaments, il faut traiter l'autre partie du cancer,
02:40c'est-à-dire la capacité de certaines cellules de la tumeur primaire à ne pas proliférer, mais à s'échapper.
02:45Et donc, les médicaments qu'on a aujourd'hui vont cibler la tumeur primaire parce que ce sont des cellules qui prolifèrent vite,
02:50mais la faible fraction de cellules qui sont plus dormantes, qui prolifèrent moins, sont réfractaires aux médicaments qu'on a,
02:56et ont par ailleurs cette capacité à migrer dans l'organisme.
02:59Et donc aujourd'hui, on est limité sur comprendre comment ça fonctionne et cibler cette capacité d'échappement.
03:04Voilà, et c'est là-dessus que vous travaillez.
03:05Vraiment, c'est là-dessus que vous travaillez, sur ces cellules qui migrent et qui sont résistantes.
03:11Et ça fait donc 13 ans que vous travaillez sur ce sujet.
03:14Alors, je vais essayer de simplifier tel que je l'ai compris.
03:17Vous travaillez sur les métaux que contiennent ces cellules.
03:21Alors, on va commencer par leur point fort.
03:23On viendra après à leur point faible et à votre stratégie d'anéantissement.
03:27Leur point fort, c'est le fer.
03:30Le fer et le cuivre qui rendent ces cellules très méchantes et très résistantes.
03:35C'est ça ?
03:36Voilà, donc ce qu'il faut comprendre dans le cancer,
03:37et le problème auquel on fait face, c'est que les cellules suivent le darwinisme,
03:44c'est-à-dire la capacité de s'adapter.
03:46On le voit tous les jours.
03:47Ce n'est pas les plus forts et les plus intelligents qui survivent,
03:49ce sont ceux qui sont capables de s'adapter.
03:51Vous le voyez tous les jours en société.
03:52Et oui.
03:54Donc, les médicaments qu'on utilise aujourd'hui ciblent la prolifération.
03:58Et donc, ce que vont faire certaines, mais pas toutes les cellules cancéreuses,
04:00c'est échapper de ce statut de prolifération pour devenir réfractaires au traitement.
04:04C'est leur capacité à s'adapter.
04:05À s'adapter.
04:06Et donc, si on comprend la chimie d'adaptation, on comprend leurs points faibles.
04:09Et donc, ce qu'on montre, nous, dans cet article et ce d'avant,
04:12c'est que pour s'adapter, les cellules ont besoin de plus de fer et de plus de cuivre.
04:16Mais, mais, mais, s'il y a trop de fer et trop de cuivre,
04:21elles finissent par mourir, ces cellules.
04:23C'est leur force qui est aussi une faiblesse.
04:25Voilà.
04:26Le fer, comme vous le savez, et le cuivre, il suffit de traverser Paris pour s'en rendre compte.
04:29Ce sont des métaux qui rouillent.
04:31La capacité de rouiller, c'est des échanges électrons.
04:33Et nous, on peut tirer avantage de cette capacité.
04:36contre la cellule.
04:37Donc, on va exploiter l'abondance de fer dans la cellule
04:40pour favoriser cette production d'espèces réactives de l'oxygène.
04:43Voilà.
04:43Qui va irradiquer la cellule.
04:44Donc, en fait, vous avez inventé un composé qui agit en deux temps.
04:48D'abord, il pénètre la cellule.
04:50Et ensuite, une fois qu'il est dans le tube digestif de la cellule,
04:54il fait en sorte que le fer et que le cuivre se démultiplient
04:58jusqu'à anéantir la cellule.
05:00Il provoque un cataclysme à l'intérieur de la cellule.
05:02C'est ça. Donc, on a une petite fenêtre de tir. Il y a un moment où les cellules qui se transforment,
05:06donc qui s'adaptent, on va avoir plus de fer.
05:08On sait où est ce fer. On sait ce qu'il va faire.
05:11Et donc, on a inventé une nouvelle molécule qui permet d'aller capturer ce fer
05:13et de décupler sa capacité à oxyder les membranes et à tuer la cellule.
05:19Alors, sur quoi vous l'avez testé, cette molécule ?
05:21Alors, on l'a testé sur tous les modèles précliniques disponibles.
05:23À savoir, je pense que le modèle le plus avancé, ça serait des biopsies de patients.
05:27Donc, on a des tumeurs de cancer du pancréas, de cancer du sein et de sarcome,
05:33qu'on peut avoir parce qu'on a l'hôpital, l'Institut Curie et nos collègues,
05:36on a les hôpitaux périphériques comme Paul Brousse qui nous donnent ces tissus.
05:40On peut les dissocier et les traiter de suite.
05:43Pour qu'on comprenne bien, une biopsie, c'est un prélèvement.
05:45C'est-à-dire qu'en fait, vous n'avez pas agi sur un patient qui est malade.
05:48Vous avez prélevé un petit bout de maladie, un petit bout de cancer et vous avez vu si ça agit.
05:54Et ça agit sur le cancer du pancréas.
05:56Et ça agit sur les cellules qui ont ces marqueurs de résistance
06:02et qui ont ces marqueurs qui les prédisposent à une dissémination métastatique.
06:05Et donc, aujourd'hui, on voit dans une boîte de pétri que cette molécule arrive à tuer ces cellules
06:10qui sont par ailleurs réfractaires aux médicaments qu'aujourd'hui on utilise en clinique.
06:14Espoir immense que ça suscite.
06:18Non mais vraiment, c'est-à-dire une molécule qui agit contre le cancer du pancréas.
06:22Un cancer du pancréas, c'est un cancer dont on meurt.
06:25C'est un cancer dont on meurt.
06:26C'est un cancer qui a beaucoup d'échecs thérapeutiques.
06:29Après, il y a quelques magiciens qui arrivent à avoir des meilleures réponses que d'autres.
06:33Je pense à Pascal notamment.
06:37C'est vraiment notre objectif.
06:38Jusqu'à ce que j'y crois.
06:39Oui, je dédie ma vie à faire que ça.
06:41J'y crois dur comme fer.
06:42Alors, quelles sont les chances maintenant pour que votre découverte devienne un médicament,
06:49devienne un traitement qui s'applique à l'homme ?
06:52Il y a des chances.
06:53La preuve, c'est que sur 30 ans, des molécules sont sorties sur des cancers qui sont incurables.
06:56Aujourd'hui, ce qu'il faut, c'est simplement qu'il y ait une prise de risque.
06:59Parce que développer un médicament, c'est difficile.
07:01Ce n'est pas parce qu'on a une molécule qui marche dans des modèles pré-cliniques avancés
07:04qu'on pourrait en faire un médicament.
07:05Parce qu'il peut y avoir plein de choses qui font que ça ne marchera pas chez l'homme à la fin.
07:09Les produits peuvent être instables, les produits peuvent être trop toxiques.
07:12Et donc, il y a des limitations sur lesquelles il faut travailler.
07:15Et donc, ça, c'est un autre métier.
07:16Ça sort complètement du cadre académique.
07:18Et donc, il faut maintenant créer des startups pour pouvoir avoir l'infrastructure et le personnel
07:22qui est qualifié pour le développer.
07:24Et il va falloir beaucoup d'argent.
07:25Et il va falloir beaucoup de temps.
07:29Il faut du temps.
07:30Le temps est variable.
07:31C'est entre deux ans.
07:32Ça peut aller jusqu'à dix ans.
07:34C'est ça.
07:34Donc, ce n'est pas pour tout de suite.
07:35Ce n'est pas pour tout de suite.
07:36Évidemment, c'est important de le préciser parce que quand on annonce une découverte
07:39comme la vôtre, qui a un retentissement mondial, ça suscite aussi beaucoup d'attentes
07:45chez des gens qui sont malades et qui sont malades là en ce moment.
07:47Et dont les chances de survie se chiffrent parfois en simples mois.
07:53Le côté rassurant, c'est que nous, on en est là.
07:54Mais il y a vraisemblablement dans le pipeline de développement des molécules
07:57qui sont déjà dans cette période de développement et qui vont arriver.
08:00Voilà.
08:01Donc, nous, on aura sans doute une prochaine génération de médicaments qui sortira
08:05et c'est ce sur quoi on travaille.
08:06Vous avez reçu beaucoup de messages.
08:08Beaucoup de messages de patients.
08:10De patients ?
08:11De familles, de collègues, de médecins.
08:13Et qu'est-ce qu'ils vous disent, les patients ?
08:15Ils sont dans l'attente d'un développement de produits.
08:17Ils demandent...
08:18Déjà, ils louent le travail qui a été fait par toutes les équipes.
08:20Parce que je n'ai pas fait ça seul.
08:21Il y a des gens dans le laboratoire.
08:22J'ai plein de collègues médecins avec qui on a travaillé en France et à l'étranger.
08:26Et donc, je les salue au passage.
08:27Ils louent simplement le travail qui a été accompli.
08:31Et ils ont espoir qu'on puisse avancer vite.
08:34Et vous avez reçu aussi des propositions, comment dire, de débauchage des laboratoires à l'étranger ?
08:39Quelques-unes.
08:40Oui, c'est vrai ?
08:41Mais je ne suis pas le seul.
08:42Oui, quelques-unes.
08:42Qui essayent de vous récupérer ?
08:44Oui, c'est notre lot à l'Institut Curie.
08:46On essaie de nous débaucher.
08:47Mais ça ne marche pas.
08:48Vous seriez prêt à quitter la France ?
08:50Non, je ne serais pas prêt à quitter la France.
08:52Oui.
08:52Je ne serais pas prêt à quitter la France.
08:53Je vous pose la question parce que, comme aujourd'hui, on est en plein dans l'opération Choose France or Choose Europe,
08:59c'est-à-dire l'idée de montrer que la France est un Eldorado de la recherche
09:02pour des chercheurs qui, aujourd'hui, seraient harcelés, par exemple, par l'administration Trump aux Etats-Unis.
09:07Oui, mais je suis attaché au service public français.