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  • 08/10/2023
Avec Amin Maalouf, nouveau secrétaire perpétuel de l'Académie française et auteur de “Le labyrinthe des égarés” (Grasset, 2023).

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##EN_TOUTE_VERITE-2023-10-08##

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Transcription
00:00 Et vous l'avez entendu, la guerre qui fait rage au Proche-Orient, une fois de plus, une fois de trop sans doute, mais sans doute pas la dernière malheureusement.
00:06 On va en parler avec l'invité d'Alexandre Devecchio qui va faire son entrée dans quelques minutes dans le studio de Sud Radio.
00:12 Nous avons le bonheur et le privilège d'accueillir le tout nouveau secrétaire perpétuel de l'Académie française.
00:18 Amine Mahalouf, bienvenue à vous sur Sud Radio.
00:20 Vous publiez chez Grasset le labyrinthe des égarés, l'Occident et ses adversaires.
00:26 À quoi ressemblera le monde de demain dans lequel l'Occident n'est plus dominant, où il voit son hégémonie contestée de toutes parts ?
00:32 Est-ce que la guerre qui vient de reprendre au Proche-Orient est une guerre d'ailleurs entre l'Occident et ses adversaires ?
00:37 On pourrait se poser aussi la question. Vous allez y répondre dans quelques instants.
00:41 En tout cas, soyez le bienvenu sur Sud Radio. Dans En Toute Vérité, on vous accueille jusqu'à midi.
00:46 Bienvenue Amine Mahalouf.
00:52 Merci.
00:53 Il y a plus de 30 ans, vous publiez déjà ce livre qui m'avait marqué personnellement, on en parlait auparavant.
00:58 Les croisades vues par les Arabes, la même région qui est à nouveau en proie à la guerre.
01:03 Est-ce qu'il y a un lien entre la guerre qui se déroule sous nos yeux en ce moment même,
01:08 entre le Hamas d'un côté et Israël de l'autre, et ces guerres qui y datent presque de mille ans ?
01:14 Il y a certains liens.
01:17 Comme il y a des liens avec la nouvelle guerre froide qui commence,
01:21 il y a des spécificités liées au Proche-Orient qui font que moi, qui suis né en 1949,
01:28 j'ai connu, je ne pourrais même pas compter le nombre de conflits.
01:34 Et il y en a un qui vient de commencer donc hier.
01:38 Et en même temps, il y a un monde où les guerres se multiplient,
01:44 parce qu'il y a une nouvelle donne des camps qui s'affrontent pour aller vite l'Occident
01:51 et ses adversaires principalement, la Russie, l'Iran, la Chine évidemment.
01:57 Et ce nouveau conflit vient s'ajouter à des conflits qui ont commencé en Europe,
02:04 avec l'Ukraine évidemment, dans le Caucase,
02:09 donc à la limite entre l'Europe et l'Asie, avec le Nicaragua,
02:16 en Afrique, qui est quand même à feu et à sang, toute la région sahélienne.
02:20 Et là, encore, par certains aspects, ce qui arrive est un conflit,
02:25 principalement entre l'Iran et l'Occident.
02:30 L'Iran qui soutient le Hamas, qui soutient l'US Bollah par ailleurs,
02:35 et qui est un ennemi déclaré d'Israël.
02:37 Israël qui est un allié des pays occidentaux.
02:39 Est-ce qu'on peut dire qu'Israël est un pays occidental qui fait face aux adversaires de l'Occident ?
02:43 Il fait certainement partie de l'alliance occidentale.
02:46 C'est un fait.
02:48 Et donc de ce point de vue, le conflit qui est aussi, non seulement un conflit israélo-palestinien,
02:54 mais principalement dans la géopolitique actuelle,
02:58 un conflit entre l'Israël et l'Iran, qui pourrait même dégénérer en guerre,
03:04 c'est un conflit qui est lié aux nouvelles réalités stratégiques d'aujourd'hui.
03:11 Est-ce que ces nouvelles réalités stratégiques, finalement, sont la confirmation de cette thèse qui avait fait grand bruit,
03:16 qui avait été parfois contestée, du choc des civilisations ?
03:21 Je crois que le choc des civilisations est une réalité d'un certain point de vue.
03:31 Nous sommes passés d'un monde où les conflits étaient essentiellement idéologiques,
03:39 à un monde où les conflits sont essentiellement identitaires.
03:43 On le sent au niveau global, on le sent dans chacune de nos sociétés.
03:47 Exactement, en France notamment.
03:49 Partout. Partout on a des conflits à caractère identitaire,
03:53 et par certains côtés on peut dire que ces conflits identitaires représentent des chocs entre les civilisations.
04:01 Exactement. Alors de quoi la guerre qui se déroule sous nos yeux en ce moment, au Proche-Orient, est-elle le nom ?
04:06 Est-ce que c'est une guerre identitaire entre, d'un côté, des Arabes, de l'autre, des Juifs ?
04:10 Est-ce que c'est une guerre religieuse entre des Juifs encore, mais des musulmans, voire des islamistes ?
04:15 Est-ce que c'est une guerre entre deux peuples, deux nations ?
04:18 C'est difficile à dire, ça vient de commencer, et pour être honnête, c'était une surprise pour moi.
04:25 C'était une surprise pour tout le monde ?
04:27 Quand j'ai entendu les premières nouvelles le matin, j'ai pensé que c'était un des petits incidents habituels
04:35 dont on entend parler depuis quelques années,
04:41 et je suis allé au rendez-vous de l'histoire de Blois,
04:45 et dans le train du retour, j'ai lu les nouvelles et j'ai compris que c'était une nouvelle guerre.
04:51 Une nouvelle guerre d'ailleurs avec un effet traumatisant pour Israël, on en reparlera dans un instant.
04:57 Il y a quelque chose de similaire à ce qui s'est passé lors de la guerre du Képour.
05:02 La surprise ?
05:04 L'autre guerre a commencé, et je m'en souviens, parce que j'étais déjà jeune homme, je suivais l'actualité,
05:13 c'était le samedi 6 octobre 1973, 50 ans et un jour plus tard, le samedi 7 octobre 2023,
05:25 il y a quelque chose de similaire qui est arrivé, de nouveau les Israéliens sont surpris,
05:33 et de nouveau, je dirais, on ne connaît pas du tout aujourd'hui les conséquences possibles.
05:43 Est-ce qu'il va y avoir une extension de la guerre dans d'autres directions ?
05:48 Est-ce qu'il va y avoir des bouleversements même à l'intérieur d'Israël ?
05:52 Aujourd'hui on parle d'un gouvernement de coalition qui apparemment est probable.
05:58 C'est le début de quelque chose, donc là nous parlons vraiment au moment où l'actualité est très chaude.
06:05 - Et que nous apportons avec une grande incertitude.
06:07 On peut en revanche commenter les changements, ce qui a changé dans 50 ans et un jour.
06:10 Donc, surprise à nouveau comme à la guerre du Képour, il y a 50 ans et un jour,
06:14 la différence c'est qu'elle avait été déclenchée par deux chefs d'État, Afez El Assad en Syrie,
06:17 et Anwar el-Sadat en Égypte.
06:20 Est-ce qu'on peut vraiment parler d'un État du Hamas dans la bande de Gaza ?
06:24 Pas vraiment, pourtant c'est lui qui met en guerre.
06:26 - Donc il y a une différence majeure, la guerre de 1973 se passait essentiellement
06:32 entre deux pays arabes et Israël.
06:37 Aujourd'hui aucun pays arabe n'est impliqué, il y a un mouvement qui est le Hamas,
06:42 qui par cet acte est devenu le mouvement principal palestinien,
06:51 et il a évidemment marginalisé l'autorité palestinienne.
06:55 Et encore une fois, c'est plutôt la puissance régionale
07:02 qui est en train d'affronter Israël dans cette affaire,
07:05 c'est plutôt l'Iran, mais aucun pays arabe.
07:08 Donc c'est une réalité assez différente quand même.
07:11 - Et justement cette réalité différente, on va l'analyser avec vous Amine Mahalouf,
07:14 dans un instant en compagnie d'Alexandre Devecchio qui fait son entrée dans le studio de Sud Radio.
07:20 Restez avec nous Amine Mahalouf.
07:21 La guerre mondiale, la troisième guerre mondiale aura-t-elle lieu et surtout peut-on l'empêcher ?
07:26 C'est une question qu'on va se poser avec Alexandre Devecchio dans un instant.
07:28 Je rappelle la référence de votre ouvrage "Le labyrinthe des égarés, l'Occident et ses adversaires"
07:33 c'est publié chez Grasset.
07:34 A tout de suite sur Sud Radio avec vous Amine Mahalouf et Alexandre Devecchio.
07:37 - En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
07:42 - Nous sommes de retour en toute vérité avec Amine Mahalouf.
07:47 Je n'avais pas prévu pour tout vous dire de faire le marathon de Paris ce matin,
07:51 mais j'y ai été un peu obligé.
07:53 Heureux de vous retrouver et heureux d'être avec vous Amine Mahalouf.
07:57 Très honoré de vous recevoir dans cette émission.
08:00 Je sais que vous avez parlé avant la pause de la situation tragique en Israël.
08:05 On va venir au sujet de votre livre qui est un sujet finalement assez lié d'une certaine manière.
08:11 Livre passionnant, réflexion puissante sur l'état du monde,
08:15 le labyrinthe des égarés, ça vient de paraître chez Grasset.
08:19 L'Occident face à ses adversaires, peut-être pour faire le lien entre les deux sujets,
08:25 cette attaque extrêmement violente contre Israël,
08:28 est-ce que c'est le signe finalement d'un affaiblissement aussi de l'Occident ?
08:33 Vous expliquez dans votre livre qu'il n'y a plus de superpuissance dominante.
08:38 Certes, les États-Unis continuent à être la principale puissance,
08:41 mais on est dans un basculement total du monde.
08:44 Est-ce que c'est un signe supplémentaire, cette attaque, de ce basculement que vous décrivez dans votre livre ?
08:49 Je dirais que c'est un signe de la dérive vers la violence de cette nouvelle guerre froide qui commence.
09:02 On a pris l'habitude de l'appeler la nouvelle guerre froide.
09:05 Elle n'est plus froide en Europe, elle n'est pas froide du tout en Afrique.
09:09 Et là, ce qui arrive au Proche-Orient, il y a évidemment les réalités proche-orientales
09:14 qui font qu'il y a constamment des guerres à répétition,
09:18 mais cela fait partie aussi de cette nouvelle guerre froide qui devient globale.
09:23 Nouvelle guerre froide, vous êtes parti de là dans votre livre sur la guerre en Ukraine.
09:29 Vous expliquez effectivement que c'est une nouvelle guerre froide,
09:33 mais qu'on la prend peut-être finalement avec une certaine légèreté à Minmalou,
09:38 justement parce que la guerre froide s'est finalement terminée du mieux qu'elle pouvait se terminer,
09:46 avec la chute du mur de Berlin, sans attaques nucléaires,
09:51 et que du coup ça nous a peut-être un peu anesthésiés,
09:54 et qu'on ne voit pas forcément le danger qu'il y a aujourd'hui.
09:58 Vous craignez une escalade de cette guerre entre la Russie et l'Ukraine ?
10:02 C'est possible, en tout cas nous n'avons pas toutes les références pour comprendre la nouvelle guerre froide.
10:10 Nous avions les références, nous avions l'habitude de cet affrontement entre communisme et capitalisme.
10:17 Déjà il y avait le camp de la révolution,
10:20 et aujourd'hui les adversaires de l'Occident ne sont pas le parti de la révolution,
10:27 c'est le parti de l'ordre, donc ça change déjà énormément.
10:30 La Russie, la Chine redoutent les révolutions qui se passent dans le monde.
10:36 Ils parlent avec inquiétude des révolutions de couleur,
10:40 comme Elisabelle ou bien les printemps arabes,
10:43 ils ont très mal réagi, ils ont l'impression que tout ce qui arrive dans le monde,
10:51 ils y voient la main de Washington,
10:53 comme l'Occident voyait la main de Moscou dans tous les troubles qu'il y avait dans le monde.
10:58 - Pendant la guerre froide, justement.
11:00 - Donc les données sont différentes.
11:02 C'est vrai aussi ce que vous dites à propos du risque de guerre.
11:08 Hiroshima et Nagasaki ont créé dans le monde le sentiment
11:12 qu'on avait touché à l'horreur absolue, et plus jamais ça.
11:18 L'écroulement de l'Union soviétique a donné le sentiment que finalement,
11:25 ce risque dont on a tellement parlé d'un affrontement
11:29 entre ces gigantesques arsenaux nucléaires dans le monde,
11:33 était très exagéré, et que c'est un tigre en papier comme on dit,
11:38 donc ça n'aura jamais lieu.
11:40 Et donc on a pris un peu à la légère tous les risques liés à ces arsenaux.
11:46 Heureusement, on n'a pas encore été démentis,
11:49 heureusement jusqu'à présent il n'y a toujours pas eu d'affrontement à caractère nucléaire,
11:54 mais on aurait tort de considérer que c'est impensable,
12:00 parce que ça peut toujours arriver, les arsenaux sont là,
12:03 les détestations sont là, et ça peut déraper.
12:08 - Justement il y a un passage assez glaçant dans votre livre
12:12 où vous expliquez que finalement, on en parle de manière assez détachée,
12:16 presque badine, comme un sujet comme un autre,
12:19 dans les dîners en ville aujourd'hui,
12:21 d'une possible troisième guerre mondiale, d'une possible guerre nucléaire,
12:26 or ça reflète paradoxalement le fait qu'on soit des somnambules
12:32 qui se dirigeant vers la guerre sans s'en rendre compte.
12:36 - Oui, je parle même de...
12:38 je dis que l'écroulement de l'Union soviétique de cette manière,
12:42 sans tirer une balle, sans jamais lancer de fusée,
12:47 aucune de ces milliers de fusées qui sont là,
12:49 ça a eu un effet d'Hiroshima à l'envers.
12:53 On a l'impression que tout cela n'est pas sérieux.
12:56 Et le réveil peut être tragique,
13:03 donc il faut quand même garder le sens de la mesure,
13:07 il faut se dire, le monde passe par des périodes délicates,
13:13 les grands pays sont toujours armés,
13:19 et ils peuvent se comporter d'une manière irrationnelle,
13:24 comme on l'a vu, pas sur le plan nucléaire,
13:28 mais on a vu des comportements irrationnels.
13:31 - Pour vous elle est irrationnelle cette guerre de Poutine ?
13:34 - En tout cas, je pense qu'il a eu tort de lancer cette guerre,
13:40 parce que s'il voulait rétablir la position de la Russie dans le monde,
13:43 il a fait l'inverse.
13:44 Je pense que la Russie est beaucoup plus faible qu'il y a deux ans.
13:49 C'est évident, elle est beaucoup plus faible,
13:52 je crois qu'il a mal calculé.
13:56 Je pense que les dirigeants, parfois,
13:59 quand ils n'écoutent pas les bons conseils,
14:03 ou qu'ils écoutent les mauvais conseils,
14:06 peuvent commettre des erreurs graves d'appréciation,
14:09 je pense que là, ça résulte d'une erreur grave d'appréciation.
14:12 Il voulait rétablir la position de la Russie, à mon avis il l'a affaiblie.
14:17 Il voulait anéantir l'Ukraine,
14:19 à mon avis l'Ukraine aujourd'hui est beaucoup plus faussiste,
14:23 beaucoup plus...
14:24 Historiquement, on a l'impression qu'elle est enracinée en Europe depuis toujours.
14:29 - Ce n'était pas le cas il y a quelques années.
14:33 - Aujourd'hui c'est évident, elle ne disparaîtra plus, tout simplement.
14:37 Il voulait profiter du fait que l'OTAN était en état de coma,
14:48 et en fait il n'est plus du tout en état de mort cérébrale.
14:52 - Il a ressuscité l'OTAN.
14:54 - Il a ressuscité l'OTAN alors qu'il pensait l'achever.
14:57 Donc tout un ensemble de fautes graves et de mauvais calculs.
15:03 - C'est un ensemble de fautes graves de la Russie,
15:08 mais vous expliquez aussi dans votre livre,
15:11 et c'est là où vous revenez à la guerre froide et à l'après-guerre froide,
15:14 notamment que c'est peut-être aussi l'échec de l'Occident.
15:18 Aujourd'hui on se rend compte que l'idée d'une fin de l'histoire
15:22 était sans doute un mythe,
15:24 et sans doute nous n'avons pas mis assez à profit
15:29 cette période post-guerre froide pour créer un équilibre mondial pacifique.
15:34 - Cette idée qui est apparue à la fin de la guerre froide,
15:38 de la fin de l'histoire,
15:40 voulait dire qu'il y a un modèle qui a triomphé,
15:43 et les autres vont disparaître.
15:45 En réalité, le modèle occidental,
15:50 il est sorti gagnant de cet affrontement,
15:53 mais il est lui-même en crise.
15:55 Et il n'arrive pas à s'étendre dans le monde.
16:00 En face, il n'y a rien.
16:04 C'est-à-dire, il y a ce modèle qui est en panne,
16:07 et en face, il n'y a aucun autre modèle.
16:10 Et c'est l'un des drames du monde d'aujourd'hui.
16:12 Il n'y a aucun modèle.
16:14 Il y a ce brouillon d'un modèle global qui est le modèle occidental,
16:23 on est obligé de travailler dessus,
16:25 de l'améliorer, de le modifier,
16:27 mais il n'y a pas d'autre.
16:29 La Russie avait proposé un modèle qui a fait faillite,
16:33 la Russie d'aujourd'hui,
16:35 elle ne propose pas un autre modèle.
16:37 La Chine, son développement est remarquable, impressionnant,
16:43 mais elle ne propose pas un autre modèle.
16:46 Aucun pays ne peut dire "je veux faire comme la Chine".
16:50 La Chine, c'est un cas très particulier.
16:52 Comme le Japon de l'époque Meiji,
16:55 était un cas très particulier, on ne peut pas limiter.
17:00 Donc, dans le monde d'aujourd'hui,
17:02 il n'y a pas de véritable modèle qui s'impose.
17:05 C'est certainement une des raisons pour lesquelles nous sommes tous égarés,
17:09 comme je le dis dans le livre.
17:11 - Le labyrinthe, effectivement, déségaré,
17:14 qui est aussi un livre d'histoire, d'histoire contemporaine,
17:18 mais vous revenez aussi sur le destin des grandes puissances du XXe siècle,
17:22 justement pour peut-être essayer de voir quel pourrait être le modèle,
17:26 et aussi tirer des leçons des réussites, mais des échecs passés.
17:31 Effectivement, vous évoquez le destin de plusieurs grandes puissances,
17:38 le Japon, la Russie, les États-Unis et la Chine.
17:42 Donc, peut-être, commençons par le Japon,
17:45 c'est par là que vous ouvrez votre livre,
17:47 vous expliquez qu'à un moment donné, on a pu penser que le Japon dominerait l'Occident.
17:52 Quels ont été ces points forts, et peut-être ces points faibles,
17:56 qui font que l'expérience ne s'est jamais transformée ?
17:59 - Il y a eu, entre le XVe siècle et le tout début du XXe siècle,
18:03 une période où les puissances européennes dominaient le monde.
18:07 Elles s'étaient partagées le monde,
18:09 on avait l'impression, et elles avaient l'impression,
18:11 que le reste du monde était marginal,
18:13 et qu'elle pouvait rester entre elles indéfiniment.
18:18 Et en 1905, il y a une bataille à Tsushima,
18:24 quelque part entre la Corée et le Japon,
18:28 où la flotte russe est détruite par les Japonais.
18:33 Le Japon s'était réveillé à la fin du XIXe siècle,
18:38 après avoir été complètement fermé au monde pendant très longtemps,
18:42 il s'était réveillé avec un jeune empereur,
18:47 l'empereur Meiji, entouré de conseillers réformistes,
18:52 très à la fois volontaristes,
18:57 et avec un esprit d'ouverture sur le monde.
19:00 Et le pays s'était développé dans tous les domaines,
19:04 pas seulement sur le plan militaire,
19:06 pas seulement sur le plan économique,
19:08 mais également la société japonaise a changé,
19:11 on a laissé se développer une presse libre,
19:14 des parties, des débats, la psychanalyse, etc.
19:19 Beaucoup de choses se sont développées.
19:21 Et en quelques décennies, le Japon est passé d'un pays complètement en retard,
19:28 à un pays moderne,
19:32 et qui a réclamé sa place parmi les grandes puissances du monde.
19:39 Et là, l'Occident a découvert qu'un pays d'Asie
19:45 pouvait rejoindre le club des puissances,
19:51 où il n'y avait jusque-là que des Occidentaux.
19:54 - On continue à en discuter après une courte pause sur Sud Radio,
19:57 on sera toujours avec Amine Malouf pour parler de son livre
20:00 "Le labyrinthe des égarés, l'Occident et ses adversaires".
20:03 C'est passionnant, merci Amine Malouf.
20:05 A tout de suite en toute vérité sur Sud Radio.
20:08 - En toute vérité, avec le nouveau secrétaire perpétuel de l'Académie française, Amine Malouf,
20:14 qui est venu nous parler de son livre,
20:16 qui vient de paraître chez Grassel, "Le labyrinthe des égarés, l'Occident et ses adversaires".
20:21 Avant la pause, Amine Malouf, vous reveniez sur le destin d'une des grandes puissances du XXe siècle,
20:28 puisque votre livre est aussi un livre d'histoire qui revient sur le destin du Japon,
20:32 notamment de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis.
20:36 Vous nous parlez justement du Japon,
20:38 vous nous expliquez que ça avait été une puissance qui avait rayonné,
20:42 qui était presque au niveau des puissances occidentales,
20:45 et puis on s'est quitté au moment de la pause,
20:47 où vous alliez nous parler du dérapage du Japon,
20:50 qui effectivement, après une période de rayonnement, n'a pas su s'imposer définitivement.
20:58 - Absolument, le Japon a dérapé avec la mort de l'empereur Meiji en 1912.
21:05 Les gens qui étaient autour de lui, les grands réformateurs,
21:09 étaient vieux et se sont un peu écartés de la vie active,
21:14 et le pays a été entre les mains de petits groupes d'officiers ultra-nationalistes
21:21 qui l'ont entraîné dans des aventures que le pouvoir n'arrivait pas à empêcher.
21:25 Donc ils l'ont entraîné dans la conquête d'abord de la Corée,
21:29 puis dans la conquête de la Chine, qui était un projet démentiel,
21:32 et ça s'est terminé par l'attaque de Pearl Harbor,
21:37 c'est-à-dire une guerre avec les États-Unis,
21:39 qui était proprement suicidaire.
21:41 Donc le Japon a connu un dérapage,
21:47 heureusement pour lui, il s'est rattrapé après la seconde guerre mondiale,
21:51 et il a pu, dix ans après, nous sortir un miracle économique extraordinaire.
22:00 Mais pendant la période où le Japon était en train de déraper,
22:05 il y a un autre pays qui a repris le flambeau de la lutte contre l'Occident,
22:11 et c'est la Russie, qui en 1917 a proclamé un nouveau type de modèle,
22:24 qui n'était pas basé, comme pour le Japon, sur la race,
22:29 sur les peuples d'Orient qui allaient démolir la présence de l'homme blanc,
22:37 il se fait que la Russie, c'est aussi des hommes blancs.
22:41 - C'était la lutte des classes.
22:44 - C'était essentiellement la lutte des classes,
22:46 et comme vous le savez, ça a pris une ampleur globale très vite,
22:52 et pendant trois quarts de siècle, la Russie a représenté
22:56 la menace la plus sérieuse, le défi le plus sérieux à l'Occident.
23:04 Et puis, la Russie a dérapé à son tour.
23:08 A mon avis, la Russie a dérapé d'une certaine manière dès le début,
23:12 par la manière de prendre le pouvoir,
23:14 Lénine a instauré un système qui n'est jamais arrivé à se démocratiser,
23:20 et ce système centralisé, où tout se décidait par un petit groupe d'hommes au Kremlin,
23:28 a eu des effets catastrophiques aussi en économie,
23:32 l'économie très bureaucratisée, totalement inefficace,
23:38 qui a été le talon d'Achille, de la Russie,
23:41 et de tous les pays qui ont suivi le modèle de l'histoire.
23:44 Et on connaît la suite, le triomphe pendant la seconde guerre mondiale,
23:50 puis, après avoir été l'autre grande puissance dans le monde,
23:56 un écroulement assez rapide finalement, dans les années quatre-vingt-dix.
24:01 En tout temps, il y a un autre pays qui est émergé,
24:05 qui avait pris le modèle russe sur le plan du marxisme-léninisme, de l'idéologie,
24:13 mais avec notamment un homme un peu différent, qui était Deng Xiaoping,
24:19 a remis en cause le système économique qui était pratiqué en Russie,
24:25 et il a établi en Chine un système mélangé,
24:31 autoritaire et en même temps libéral économiquement,
24:36 et qui a fonctionné, et qui a connu des années de croissance extraordinaire,
24:44 qui s'est mis à l'école du modèle occidental par certains côtés,
24:47 et à l'école du modèle japonais également pour le développement,
24:52 et la Chine d'aujourd'hui est en quelque sorte d'héritière de deux défis lancés à l'Occident.
25:01 Le défi japonais d'un développement rapide d'une nation asiatique,
25:06 et le défi russe au système de gouvernement occidental,
25:12 et les deux défis se retrouvent aujourd'hui en Chine,
25:21 qui est la dépositaire de ces défis,
25:24 et qui est devenu de fait le principal adversaire de l'Occident,
25:31 et qui conteste sa suprématie.
25:35 - Oui, justement, et d'un Occident peut-être affaibli,
25:40 puisque ce que vous expliquez c'est que il y a ces trois nations,
25:44 mais il y a aussi la superpuissance américaine,
25:47 superpuissance que vous jugez moins puissante malgré tout que par le passé,
25:52 en tout cas pas en capacité d'imposer son modèle au monde entier.
25:56 - Les États-Unis ont réussi, grâce à une ascension fulgurante,
26:03 à devenir la première puissance de l'Occident,
26:07 et la première puissance globale.
26:10 Et il reste, à l'heure où nous parlons,
26:14 la première puissance militairement, politiquement,
26:17 et aussi par son influence culturelle dans le monde.
26:21 Le modèle occidental, qui est essentiellement aujourd'hui le modèle américain,
26:29 est en crise, c'est vrai, nous allons peut-être en parler un peu,
26:33 mais tous les modèles en face, tous ceux qui contestent ce modèle,
26:37 sont encore plus en crise.
26:39 C'est-à-dire, le modèle occidental traverse une crise au niveau de la démocratie,
26:46 on le voit avec les élections de l'année prochaine aux États-Unis,
26:50 qui déjà paraissent bloquées, avec deux candidats
26:56 qui manifestement n'auraient pas dû être là, ni l'un ni l'autre,
27:02 et en même temps, on ne peut pas dire que le modèle politique,
27:05 ni de la Russie, ni de la Chine, soit préférable.
27:10 Il est clair qu'il ne se propose rien à ce niveau.
27:18 Une des conclusions de ce livre qui raconte le parcours de ces quatre grandes nations,
27:27 c'est que l'Occident est sans doute en déclin,
27:32 mais les adversaires de l'Occident sont eux aussi en déclin,
27:39 et sont aujourd'hui incapables de proposer un modèle alternatif.
27:46 - Oui, c'est une des originalités de votre livre, cette conclusion,
27:49 une conclusion qui d'un côté pourrait paraître rassurante,
27:51 ou pourrait se dire finalement, dans un monde où il n'y a pas de superpuissance qui domine,
27:56 ça peut être un monde multipolaire intéressant et plus pacifique,
28:00 et on comprend à la lecture de votre livre,
28:03 que pour le moment en tout cas, c'est un monde plus imprévisible.
28:06 - Plus imprévisible, parce qu'on ne sait pas empêcher les conflits.
28:12 Prenez le cas du Nagorno-Karabakh.
28:14 Tout le monde sait depuis des mois que cette tragédie va arriver.
28:18 Et il n'y a aucun mécanisme dans le monde qui puisse empêcher une tragédie d'arriver.
28:23 On constate qu'elle approche, et elle se produit, et on dit "ah, il y a une tragédie", mais on savait.
28:31 Et étendons le propos, nous avons le climat par exemple,
28:37 nous savons qu'il y a des dérapages au niveau du climat,
28:43 est-ce que nous faisons ce qu'il faut pour enrayer ce dérapage ?
28:52 Non.
28:53 Est-ce que nous sommes capables dans le monde d'aujourd'hui
28:56 de réunir les forces, les puissances en présence
29:00 pour empêcher un dérapage de l'une des technologies de pointe d'aujourd'hui,
29:05 que ce soit celle qui concerne les manipulations génétiques,
29:08 ou l'intelligence artificielle, ou d'autres.
29:12 Tout peut déraper, tout peut nous apporter le meilleur et le pire,
29:16 et rien dans l'organisation actuelle du monde, dans la gouvernance actuelle du monde,
29:21 ne permet de prévenir un dérapage ou d'éviter une tragédie.
29:26 C'est ça qui est extrêmement inquiétant.
29:28 - Oui, on en rediscutera effectivement si on peut penser des mécanismes
29:32 pour créer une nouvelle organisation mondiale,
29:35 mais peut-être d'abord, vous l'avez dit, l'Occident est en crise, est en déclin,
29:41 quelles sont pour vous les raisons profondes de cette crise aujourd'hui ?
29:45 - Je crois que l'Occident ne parvient pas à propager son modèle dans le reste du monde.
29:53 Entre autres parce qu'il n'y croit pas lui-même.
29:56 Il n'est pas suffisamment attaché à son propre modèle,
30:00 il ne considère pas qu'il s'agit d'un modèle universel,
30:07 il a le sentiment, à mon avis, erroné, mais très répandu,
30:16 que chaque société dans le monde doit avoir son propre modèle.
30:20 A mon avis, c'est faux.
30:22 On ne peut pas dire simplement "chacun va suivre son propre modèle".
30:26 Il y a des modèles, il y a des aspects culturels qui dépendent de chaque pays, de chaque tradition,
30:32 mais il y a des valeurs universelles qui doivent rester universelles, être conçues comme cela.
30:36 - On vous répondra que c'est une forme d'impérialisme,
30:39 mais d'ailleurs dans votre livre, vous montrez aussi que cette volonté de l'Occident d'imposer parfois son modèle,
30:46 parfois maladroitement, vous revenez sur la guerre en Irak,
30:48 notamment sur ce qui s'est passé en ex-Yougoslavie,
30:51 cette volonté d'imposer son modèle est aussi à l'origine d'une partie des conflits actuels.
30:57 La Russie a une volonté de revanche,
31:00 donc toute la question est comment être un modèle universel ?
31:06 Si je vous entends bien, il faut l'être.
31:08 Mais comment l'être sans créer un sentiment de ressentiment par rapport aux autres peuples
31:14 qui estiment peut-être qu'ils ont leur modèle ?
31:17 - A mon avis, c'est cela que l'Occident doit faire aujourd'hui,
31:22 c'est sur cela qu'il doit se concentrer.
31:24 D'abord, définir son modèle,
31:27 ne pas avoir honte de son modèle.
31:30 S'il y a des choses à modifier dans ce modèle, les modifier.
31:34 - Pour vous, c'est quoi le modèle occidental ?
31:36 Qu'est-ce qui fait sa singularité ?
31:39 - Il y a la démocratie, mais qui mérite d'être clairement redéfinie aujourd'hui,
31:49 comme on le voit justement aux Etats-Unis.
31:51 Il ne suffit pas d'aller voter une fois tous les quatre ans ou cinq ans,
31:56 la démocratie c'est autre chose.
31:58 La démocratie c'est de garantir que dans une société,
32:02 personne ne se sent marginalisé.
32:04 Et ça exige un travail beaucoup plus sérieux que d'aller déposer un bulletin dans l'urne.
32:12 Il s'agit qu'il y ait véritablement, dans la gouvernance de chacun des pays,
32:18 une réflexion sur ce que doit être le modèle,
32:25 sur la manière de convaincre tous les éléments de la population
32:31 que ce modèle, ils peuvent s'y identifier.
32:36 Il faut qu'il y ait une politique internationale cohérente
32:42 et une politique de principe,
32:45 où on dise clairement ce que l'on veut,
32:49 et on n'a pas besoin d'imposer tel ou tel système,
32:53 mais il faut se comporter en fonction des valeurs auxquelles on croit.
32:58 Et ça on ne le fait nulle part.
33:00 On a beaucoup parlé du rôle des Etats-Unis,
33:07 par exemple dans un pays comme l'Irak ou l'Afghanistan,
33:10 et on considère que bien entendu,
33:15 ils ne pouvaient pas transformer ces pays en pays démocratiques à l'occidental.
33:20 Je ne le crois pas, je pense qu'ils auraient pu faire beaucoup plus
33:24 s'ils avaient fait les choses intelligemment.
33:27 Et je crois qu'il y a un problème dans la transmission du modèle.
33:31 La preuve, c'est que les Etats-Unis n'ont pas réussi à le transmettre,
33:34 non pas à l'Afghanistan et l'Irak,
33:36 mais même au Mexique, même à l'Amérique latine.
33:40 Ce n'est pas par hasard que les Yankees, comme on les appelle,
33:44 sont aussi détestés en Amérique latine que les Russes en Europe centrale.
33:49 On a besoin d'un modèle auquel s'identifient nos contemporains.
33:58 Et ça, c'est un travail sérieux et approfondi,
34:01 et qui ne se règle pas simplement par des proclamations solennelles.
34:06 On a besoin de travailler cette question.
34:08 Il y a un travail intellectuel à faire pour bâtir un modèle pour aujourd'hui.
34:15 - Merci Amine Malouf. On poursuit la conversation.
34:19 Je vous ai interrompu, je n'aime pas ça, mais c'est passionnant.
34:22 Et on continue de discuter, voir quel peut être ce modèle.
34:26 S'il n'y a pas aussi des détentions culturelles qui l'empêchent de se réaliser.
34:30 On en discute après une courte pause sur Sud Radio.
34:32 En toute vérité, avec Amine Malouf.
34:34 - En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio.
34:37 Alexandre Devecchio.
34:39 - Nous sommes de retour en toute vérité avec le nouveau secrétaire perpétuel
34:42 de l'Académie française Amine Malouf, qui nous fait l'honneur d'être avec nous ce dimanche.
34:47 On discute de son nouveau livre, "Le labyrinthe des égarés, l'Occident et ses adversaires".
34:52 Une réflexion puissante sur le nouveau désordre mondial.
34:57 Je dirais, une leçon d'histoire, puisque vous revenez sur l'histoire du XXe siècle
35:01 pour voir comment nous en sommes arrivés là.
35:04 Et avant la pause, vous expliquiez qu'aujourd'hui,
35:08 il n'y avait plus forcément de modèle dominant.
35:12 L'Occident restait malgré tout le plus puissant,
35:16 mais sans pour autant convaincre finalement les autres peuples,
35:19 les autres modèles de le rejoindre,
35:22 qui ne s'assumaient pas comme un modèle universel,
35:25 et que vous y étiez favorable.
35:28 Mais avant de vouloir être un modèle universel,
35:30 est-ce qu'il ne faut pas d'abord savoir qui nous sommes ?
35:33 D'abord, l'Occident, est-ce que ça existe ?
35:35 Certains vous diraient "il y a la France, il y a les Etats-Unis",
35:38 mais ce sont des pays différents.
35:42 - Vous savez, c'est vrai qu'il est difficile de définir un modèle.
35:47 Si je vous demandais quels sont les éléments qui doivent figurer dans ce modèle,
35:51 on pourrait discuter sur chacun de ces éléments.
35:54 En même temps, nous sentons qu'il y a un modèle.
35:57 Les gens qui viennent de partout dans le monde,
36:00 dont je fais partie, qui viennent s'installer en France, en Europe,
36:05 c'est parce qu'il y a un modèle de société qui les attire.
36:10 Faisons l'effort de définir ce modèle,
36:13 de voir quels sont les éléments essentiels,
36:15 et comment on peut faire en sorte que nos contemporains,
36:21 à commencer par nos concitoyens, adhèrent à ce modèle.
36:26 Encore une fois, il y a un travail intellectuel à faire et qui ne se fait pas,
36:30 pour définir le modèle, pour le faire accepter,
36:36 pour voir s'il y a des amendements à faire à ce modèle, des transformations.
36:41 Mais je crois qu'on a besoin dans le monde,
36:44 et en France aussi, mais pas uniquement, en Europe,
36:49 on a besoin de définir des modèles universels.
36:54 Le monde ne peut pas continuer à aller dans tous les sens,
36:57 on ne peut pas continuer à avoir des sociétés...
36:59 - Est-ce que c'est possible ?
37:01 Il y a un aspect qu'on ne voit pas dans votre livre, par exemple,
37:04 vous évoquiez très peu, c'est l'aspect culturel.
37:07 Certains vous diraient qu'on est aujourd'hui dans un choc des civilisations,
37:12 vous vous parlez plutôt justement de choc des modèles,
37:14 c'est plutôt des affrontements idéologiques qu'il y a dans le livre,
37:18 je trouve, que des affrontements culturels.
37:20 Est-ce que finalement, la culture de chaque pays n'est pas un frein à ce modèle universel ?
37:28 Est-ce que vous inscrivez en faux sur la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington, par exemple ?
37:34 - Je n'en ai pas beaucoup parlé dans ce livre.
37:36 - Vous l'avez fait dans le livre précédent, qui s'appelle "Le naufrage des civilisations".
37:40 - Et avance là dans les identités meurtrières.
37:43 C'est une réflexion qui a commencé il y a 25 ans,
37:47 et qui se décline en quatre livres essentiellement.
37:51 Ce livre-ci, c'est un récit historique de quatre parcours,
37:59 de quatre grands pays,
38:01 qui permet d'expliquer la réalité d'aujourd'hui, comment on en est arrivé là.
38:06 Mais l'aspect culturel est essentiel, l'aspect identitaire est essentiel,
38:11 et il ne se réglera pas de lui-même.
38:14 Il y a besoin d'y réfléchir, de trouver des solutions,
38:19 de faire en sorte que nos contemporains adhèrent,
38:26 adhèrent au modèle tel que nous pouvons l'imaginer.
38:32 Mais ça ne vient pas tout seul.
38:34 Il ne suffit pas d'attendre pour que le modèle se répande,
38:39 pour que les gens y adhèrent.
38:41 - Est-ce que c'est possible, et est-ce que ce n'est pas contre-productif ?
38:44 On parlait tout à l'heure de l'Afghanistan.
38:46 Vous, vous faites partie de ceux qui pensent que si l'Amérique avait,
38:50 c'est écrit dans votre livre, fait une politique autre qu'une politique purement militaire,
38:55 puisque c'est ce qui est expliqué,
38:57 si elle avait fait un plan de développement pour l'Afghanistan,
39:01 économique, démocratique,
39:03 peut-être qu'elle aurait pu changer le visage radicalement de ce pays.
39:08 Est-ce que c'est si simple que ça ?
39:10 Vous-même, vous venez d'un pays qui connaît un certain nombre de chocs culturels.
39:16 On voit bien que c'est extrêmement compliqué.
39:19 Est-ce que l'Occident peut vraiment imposer son propre modèle aux autres nations ?
39:26 - Ce que je vais vous dire est une opinion très minoritaire.
39:30 - Mais c'est pour ça que je vous pose la question.
39:32 - Mais moi j'y crois profondément.
39:34 Un pays comme l'Afghanistan ou l'Irak,
39:38 il y avait dans ces pays une aspiration réelle à la démocratie,
39:44 à l'ouverture, au développement.
39:46 Et ceux qui ont pris le contrôle de ces pays n'ont pas prêté attention à cela.
39:54 Ils étaient obnubilés par la question sécuritaire, je le comprends,
39:58 mais ça n'excuse pas tout.
40:00 Et il y avait un genre de dédain pour ces populations.
40:04 Ils étaient persuadés que ces populations ne pouvaient pas accéder à un niveau de démocratie.
40:11 Je suis persuadé, parce que je viens de ces régions-là,
40:14 que l'aspiration à la démocratie, l'aspiration au progrès,
40:19 est réelle, profonde dans ces pays.
40:23 Et c'est simplement parce que les populations sont constamment déçues
40:27 qu'elles retombent dans quelque chose d'autre.
40:30 Il faut se dire qu'il y a des modèles universels,
40:38 il faut chercher à les développer,
40:40 il faut chercher à encourager les forces qui croient au progrès.
40:49 On ne l'a pas fait.
40:52 En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'on ne l'a pas fait.
40:55 L'Occident ne l'a pas suffisamment fait.
40:57 Et il est allé le plus souvent au plus facile,
41:01 avec les résultats tragiques que l'on voit.
41:07 - On avait ouvert cette émission avec ce qui se passe tragiquement aujourd'hui en Israël.
41:13 Est-ce que c'est un échec d'Israël,
41:17 qui est la seule démocratie malgré tout dans la région,
41:20 qui n'a pas su faire rayonner son modèle ?
41:22 Ou est-ce que tout simplement il y a une aspiration des peuples autour qui est autre ?
41:28 - Je crois qu'il y a un côté spécifique à cet événement
41:35 qui est ressenti d'une certaine manière en Israël.
41:40 Vous avez parlé d'échecs.
41:42 C'est vrai que la presse israélienne parle beaucoup aujourd'hui
41:45 d'un échec similaire à celui de 1973,
41:50 de la guerre du Kippour, d'un traumatisme.
41:53 Je ne sais pas comment ça va être sur le long terme,
41:59 quel bouleversement ça va produire.
42:02 Mais il est clair que dans cette partie du monde,
42:05 il y a beaucoup de problèmes non résolus.
42:07 Moi qui viens du Liban, je sais qu'il y a des pays
42:13 qui sont dans une situation extrêmement précaire depuis longtemps.
42:19 Malheureusement, toute cette partie du monde aurait dû être ailleurs.
42:26 Toute cette partie du monde que j'aime bien appeler le Levant
42:30 aurait dû être un phare pour l'humanité entière.
42:32 Et elle est en train d'aller d'une guerre à l'autre, d'une guerre à l'autre.
42:37 Ça a commencé juste avant ma naissance.
42:40 Malheureusement, je n'ai pas trop d'espoir de voir la paix revenir
42:47 dans cette région de mon vivant.
42:50 - Et donc ce livre, vous l'écrivez pour bien plus tard ?
42:55 - Non, ce livre je l'écris parce que je pense qu'il faut réagir rapidement
43:00 pour avoir des résultats partout dans le monde.
43:04 - On n'en a pas beaucoup parlé, c'est presque la fin de cette émission,
43:08 mais ce qu'on peut redouter à la lecture de votre livre,
43:11 c'est un affrontement mondial entre la Chine et les États-Unis.
43:17 Comment on évite ça ?
43:19 - On va dans cette direction. Ce n'est pas inéluctable.
43:23 Je ne pense pas qu'on soit condamné à vivre cette guerre.
43:32 On peut encore l'éviter, mais on est dans une période d'affrontements
43:38 à tous les niveaux, économiques, politiques, peut-être militaires,
43:42 entre les États-Unis et la Chine.
43:45 Et à un moment donné, il faudra trouver un moyen d'organiser
43:51 la relation, peut-être conflictuelle, mais quand même,
43:56 d'organiser la relation de manière à éviter le pire.
44:01 Ça reste possible.
44:03 Je crois que le monde a besoin d'une gouvernance qui ne soit pas
44:08 uniquement fondée sur la mafiance mutuelle entre les puissances,
44:12 sur le chacun pour soi.
44:14 On a besoin de repenser le monde autrement.
44:19 - Merci beaucoup Amine Malhouz.
44:21 C'était un plaisir de vous recevoir, même si ça a été un peu chaotique
44:26 au début, c'était passionnant.
44:28 Je vous laisse avec les informations et on se retrouve la semaine prochaine
44:32 dans toute durée.

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