- il y a 15 heures
Léonor de Recondo, violoniste et romancière, est l'invitée de l'émission pour parler de son nouveau livre "Marcher dans tes pas" publié aux éditions l'Iconoclaste. Un récit intime sur l'exil, la mémoire et la transmission.
Retrouvez « Le Grand portrait par Sonia Devillers » avec Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00France Inter, la grande matinale, Sonia de Villers.
00:07Les grands-parents nous font tous le même coup, ils meurent trop tôt.
00:10A l'âge où on voudrait leur poser les bonnes questions, il n'y a plus personne.
00:14Léonore de Recondo, violoniste et romancière, et petite fille de réfugiés espagnols.
00:19Elle écrit pour combler les silences.
00:21Ceux de sa grand-mère, Enrique Etat, terrassé par l'exil.
00:24Ceux de son père, devenu apatride à l'âge de 4 ans, en 1936.
00:28Ceux de la guerre d'Espagne, restés si longtemps absentes des manuels d'histoire de l'autre côté des Pyrénées,
00:35et si mal enseignés chez nous.
00:37Faut dire, nous n'avons pas vraiment aidé les républicains espagnols que massacrait le général Franco.
00:43Difficile donc d'entretenir le souvenir.
00:46Reste la littérature pour redonner de la chair à cette mémoire blessée.
00:50Alors c'est votre tour, petits-enfants de la guerre d'Espagne, ou arrière-petits-enfants de la guerre d'Espagne.
00:56Vous êtes si nombreux en France que tous ensemble, vous pouvez ressusciter ce que les charniers n'ont toujours pas révélé.
01:04Une grand-mère et sa petite-fille.
01:06Enrique Etat et Léonore de Recondo, portrait numéro 61.
01:15Léonore de Recondo, bonjour.
01:17Bonjour.
01:17Alors, on va parler d'abord de deux livres.
01:20Il y a évidemment Le Marché dans Tépa, aux éditions L'Iconoclaste.
01:25Tépa, ce sont ceux d'Enrique Etat, votre grand-mère, que vous tutoyez.
01:29Vous vous adressez à elle, ce qui est si peu courant en littérature à la deuxième personne du singulier.
01:34Et puis, il y a cette petite conférence, ce Goya de père en fille, qui a été publié chez Verdier.
01:40Un tout petit format pour les gens qui n'ont pas le temps de lire et qui se lit tout seul, qui est absolument formidable.
01:47Je précise que la semaine prochaine, le feuilleton du 13-14 sur France Inter sera dédié aux descendants des réfugiés espagnols
01:54qui se sont rués en masse pour demander la nationalité espagnole.
01:59Vraiment un record inattendu d'affluence dans les consulats et les ambassades.
02:03C'est une loi de 2022 qui le permettait et c'était là, jusqu'au mois d'octobre, que la demande pouvait être faite.
02:09C'est ce que vous avez fait, Léonore de Recondo. Pourquoi vous l'avez fait ?
02:13Parce que cette loi porte le nom de la mémoire démocratique.
02:18Donc je pense que déjà dans son nom, tout est dit.
02:20C'est-à-dire la question de la mémoire en Espagne, comme il y a eu 40 ans de dictature avec Franco
02:25et ensuite une transition quand même particulière qui n'a pas été celle de parler, en tout cas de raviver la mémoire.
02:33Je pense qu'il y a quelque chose en nous, les enfants et les petits-enfants,
02:37d'un désir justement de porter haut cette mémoire et de l'incarner.
02:41Et surtout, une sorte de retour au pays.
02:44À partir du moment où les perdants, puisque ceux qui ont été déchus de leur nationalité,
02:47qui se sont exilés, sont les républicains,
02:49à partir du moment où l'État espagnol crée cette loi pour que nous puissions récupérer cette nationalité,
02:57c'est un geste de l'intérieur pour que l'Espagne, en son sein, invite les perdants à revenir.
03:04Alors les perdants, c'est Enrique Etat, mais pas seulement.
03:09Ils sont 11.
03:1011 à partir en août 1936 et à traverser le pont.
03:15Est-ce que vous pouvez nous raconter cette bataille d'Iroun ?
03:18Parce que cette bataille d'Iroun, ça n'est pas seulement le début de cette déchirure familiale,
03:22c'est aussi un marqueur dans la guerre d'Espagne et dans l'histoire de la guerre d'Espagne.
03:28Oui, c'est vrai.
03:29Alors le début du coup d'État du général Franco, c'est un mois à peu près avant.
03:33On est à la mi-juillet 1936.
03:35La République espagnole est très jeune, elle a seulement quelques années.
03:39Et donc le général Franco va partir du sud et va évidemment vouloir avoir la frontière très tôt,
03:44puisqu'elle c'est stratégique.
03:46Iroun, c'est le Pays Basque.
03:48Iroun, c'est juste en dessous de la France.
03:50Donc c'est vraiment Iroun et Handaï en face.
03:52Donc ils vont arriver par là.
03:55La guerre va ensuite durer encore trois ans.
03:58Mais ils vont arriver là et donc pour ce poste stratégique, il va y avoir une énorme bataille.
04:02La bataille d'Iroun va durer à peu près trois semaines.
04:05Moi, ma famille va partir très tôt, le 18 août.
04:08Donc l'incendie final d'Iroun est le 3 décembre.
04:11Et c'est vrai que se joue déjà à ce moment-là la Seconde Guerre mondiale,
04:15puisque et Mussolini et Hitler se sont déjà alliés à Franco.
04:19Les bombardements sur Iroun sont des Juncker 52 de l'armée allemande.
04:23et qu'on se pose la question de la France.
04:27Dix minutes.
04:28Dix minutes, exactement.
04:30Et à ce moment-là, ils arrivent...
04:33Dix minutes, dix minutes pour prendre la décision de partir.
04:36C'est ça.
04:37Dix minutes.
04:37Comment une vie bascule ?
04:40Comment un destin bascule ?
04:41Et ensuite, comment toute une généalogie va basculer en dix minutes ?
04:45Ce sont des Républicains ?
04:47Oui, ce sont des Républicains.
04:48Ils sont aussi membres du Parti Nationaliste Basque.
04:52Donc ils sont très liés à la République.
04:53Et on frappe à la porte, ce 18 août 1936,
04:57ma grand-mère est en train de préparer un gâteau d'anniversaire
04:59pour le frère de mon père, qui a sept ans ce jour-là.
05:02Et on leur dit, vous avez dix minutes.
05:03Sinon, ils sont fusillés.
05:04Parce qu'à ce moment-là, c'est très très rapide.
05:06Soit on meurt, soit on est vivant.
05:07On choisit son camp, comme ça.
05:09C'est la vie ou la mort.
05:10Et donc, en dix minutes, ma grand-mère prend quelques affaires.
05:14Et toute la famille va traverser le pont.
05:16Et en le traversant, être déchu de leur nationalité
05:19et démarrer 40 ans d'exil.
05:21Parce que ce pont, qui est très symbolique dans votre histoire,
05:25c'est vraiment une image très psychanalytique,
05:27mais il devient très symbolique en littérature aussi.
05:30Il traverse la Bidasoa.
05:32La Bidasoa, qui est cette rivière entre Iroun, l'Espagne,
05:36et Andai, la France.
05:38C'est un pont qui est recouvert de confettis.
05:41Et c'est ça qui est très troublant dans le début de votre roman.
05:44C'est-à-dire que c'est une atmosphère de fête.
05:46Il y a eu des confettis.
05:47Les enfants, les trois enfants qui traversent le pont,
05:50que votre grand-mère tient par la main,
05:53ils ramassent les confettis sur le pont.
05:54Et pendant ce temps-là, il y a ce riz au lait.
05:57Parce que c'était un jour d'anniversaire dans la famille de Recondo,
05:59il y a ce riz au lait qui refroidit sur la table.
06:03Oui, je voulais dire comme l'exil nous fauche à n'importe quel moment.
06:07L'exil, être apatrie, tout ça sont des grands mots.
06:09Mais dans le fond, qu'est-ce qu'il y a ?
06:11Il y a une famille, il y a une mère qui prépare un gâteau d'anniversaire
06:14et des enfants qui jouent,
06:15qui s'amusent même à entendre les bombardiers arriver.
06:18Il y a mon père qui traverse ce pont qui va...
06:20Il a quatre ans.
06:21Il a quatre ans.
06:21Ce pont qui va changer sa vie, évidemment, il ne le sait pas.
06:24Et lui, à sa hauteur d'enfant,
06:26et c'est ce que je voulais montrer,
06:27qu'est-ce qu'un exil à hauteur d'enfant ?
06:29Il voit des confettis du 15 août,
06:30il veut s'en remplir les poches.
06:32Et sa mère lui dit non, ce n'est pas le moment.
06:33Mais quand même, il insiste et elle va le laisser faire.
06:36Vous savez probablement que
06:38si le riz au lait qui est resté sur la table à refroidir
06:41est si important pour vous,
06:43c'est que vous aussi, vous regardez cette histoire à hauteur d'enfant.
06:45Parce que vous aussi, si vous aviez été une petite fille,
06:47vous n'auriez pensé qu'à une chose,
06:49c'est ce riz au lait qui était resté sur la table.
06:51Et je pense qu'en effet,
06:53quand mon père me raconte cette histoire,
06:55lui-même enfant, à sa hauteur d'enfant,
06:57et me la raconte moi-même à hauteur d'enfant,
06:59on se pose tous la question,
07:01mais qui a mangé le riz au lait ?
07:02Moi, à un certain moment, quand il me dit ça,
07:04je m'en fiche de savoir s'ils sont apatrides,
07:06l'exil, la guerre, la seconde guerre mondiale,
07:08la guerre civile, la politique.
07:09Non, moi je me dis, où est ce gâteau ?
07:12Est-ce que le gâteau est encore sur place ?
07:13Qui l'a mangé ?
07:14Et on imagine aussi, pour cet enfant dont c'est l'anniversaire,
07:17ce que ça représente cette journée du 18 août,
07:20où c'est son anniversaire,
07:21et après, pour toute sa vie,
07:23c'est marqué comme le début de l'exil.
07:24Écoutez la voix de Pablo Neruda,
07:28il raconte l'assassinat d'un des plus grands poètes du XXe siècle,
07:32alors qu'il n'avait que 38 ans,
07:34Frédérico García Lorca.
07:36Il était en pyjama,
07:39il ne s'était pas rasé,
07:41et après, on l'a appelé par son nom.
07:43Et c'est lui, tout seul, avec un autre désarrêté,
07:47qu'on a conduit en voiture,
07:50pour l'assassiner.
07:51la responsabilité historique,
07:54qui signifie ce crime.
07:57C'est-à-dire qu'il faut se convaincre
08:00que le fascisme est toujours le destructeur du poète,
08:04et qu'en agissant comme ça,
08:06il n'a fait que confirmer l'exil
08:09de toute l'intelligence espagnole.
08:11Frédérico García Lorca a été fusillé
08:16le jour où Félix, votre père,
08:19et Enriqueta, sa mère,
08:21et ils étaient onze,
08:22donc les récondos à fuir à ce moment-là,
08:24le jour où ils sont partis.
08:25Oui, et ça, mon père a toujours fait ce lien,
08:29en me disant,
08:30et la nuit même,
08:31c'est-à-dire dans la nuit du 18 au 19 août,
08:33quelque part en Andalousie,
08:35García Lorca est assassiné,
08:36ils marchent, ils sont quatre,
08:38ils marchent sur une route
08:39et on le fusille de dos.
08:42Et je voulais évidemment rendre hommage,
08:44comme le dit Pablo Neruda,
08:45qu'est-ce qu'on assassine en premier
08:47quand une dictature se met en place ?
08:49C'est la poésie.
08:50Et lui, il incarnait la liberté d'expression,
08:53la liberté de la littérature,
08:55il était homosexuel,
08:56et qu'est-ce qu'on assassine tout de suite ?
08:59Tout de suite, c'est la poésie
09:00et la liberté d'être.
09:02Et ça, pour moi, c'était essentiel de le dire,
09:05pour prévenir, pour se dire,
09:07comme tout ça est là
09:09et qu'il faut être attentif toujours.
09:10Et avec García Lorca,
09:12on assassine des mots
09:12et on assassine une langue.
09:14Il y a dans Marché, dans Tepa,
09:16une réflexion absolument passionnante
09:19sur le rôle de la langue.
09:21Vous, à qui Félix n'a jamais parlé
09:23ni le basque, ni l'espagnol,
09:26vous qui avez grandi donc
09:28dans une langue maternelle
09:30au sens propre du terme,
09:32c'est-à-dire c'est la langue de votre mère
09:33qui est française.
09:34Qu'est-ce que c'est que cette langue basque ?
09:39Parce que vous dites, au fond,
09:39cette langue basque,
09:40elle fait nation,
09:41elle fait patrie,
09:42elle fait pays,
09:42elle fait territoire,
09:43à elle toute seule.
09:44C'est vrai.
09:45C'est vrai.
09:45Et c'est même dans la langue basque,
09:48on ne dit pas être basque,
09:49mais on dit avoir le basque.
09:51Et ou ce qu'elle donne.
09:53Et ce mot, il vient...
09:54Et c'est vrai que les basques,
09:56aujourd'hui,
09:57ils n'ont pas de papier d'identité.
09:58Ils n'ont pas de...
09:59Et ça,
10:01toute leur pensée identitaire,
10:03toute leur vie,
10:04toute leur culture
10:05est dans cette langue.
10:07Et c'est une langue tellement difficile.
10:09J'ai pu...
10:09Donc en effet,
10:10mon père ne m'a parlé ni basque,
10:11ni espagnol,
10:12mais l'espagnol,
10:13j'ai pu l'apprendre.
10:14Le basque,
10:15je n'ai toujours pas réussi.
10:16Je ne désespère pas.
10:17C'est très difficile.
10:18C'est une langue qui date
10:20d'il y a si longtemps
10:20qu'on n'a aucune accroche.
10:22Et je suis allée voir
10:24une spécialiste du basque
10:26et d'Urna Léglia
10:27qui m'a dit
10:27mais Léonore,
10:28c'est très simple.
10:29Tu vas en immersion totale
10:30dans une ferme
10:31et au bout de quatre mois,
10:32tu parleras le basque
10:32et tu seras basque.
10:34Parce qu'être basque,
10:35c'est avoir la langue.
10:36Et je trouve que
10:37comme mise en abîme
10:38de la littérature,
10:39comme territoire d'expression,
10:41comme territoire d'identité,
10:43c'est évidemment là
10:44que ça se passe.
10:45Et la question aussi,
10:46évidemment de l'Espagne,
10:48du basque,
10:48de ces sortes de poupées russes
10:51qui étaient pour moi
10:51la question de la loyauté
10:53aussi à une identité,
10:54c'était important
10:55de tirer ce fil
10:56dans le livre
10:57pour essayer de comprendre
10:59tout ce qui se jouait
11:00aussi pour mon père
11:01et pour moi
11:02une fois qu'il est mort,
11:03de quoi j'hérite.
11:05De quoi vous héritez ?
11:06Vous n'avez pas hérité
11:07de deux pinceaux
11:08alors que vos parents
11:09étaient peintres
11:10et que vous avez grandi
11:11dans leur atelier
11:12de peintres et de sculpteurs.
11:14Vous avez hérité
11:14d'un archet,
11:15en tout cas vous êtes allé
11:16le chercher toute seule,
11:16cet archet.
11:17Je voudrais qu'on vous écoute
11:18au violon
11:19avec cet ensemble baroque
11:21que vous aviez fondé.
11:22A l'âge où Félix de Recondo
11:47traverse le pont,
11:49vous, Léonore,
11:50à quatre ans,
11:51vous réclamez un violon.
11:53Oui.
11:53Le violon,
11:54c'est aussi un territoire
11:55qui est sans mots,
11:57sans idiomes,
11:58qui est universel,
11:59qui est celui
12:00où on peut passer
12:00d'un pays à l'autre.
12:03Le violon,
12:03c'est aussi l'instrument
12:04des diasporas,
12:05celui qu'on peut prendre
12:05en dix minutes.
12:07C'est le violon juif.
12:09C'est le violon juif.
12:09Des juifs ashkénazes
12:11d'Europe de l'Est
12:11qui ont sans cesse
12:13été chassés.
12:14Exactement.
12:15C'est ce petit instrument
12:16qu'on peut emporter
12:17partout avec vous.
12:18On peut prendre sa voix,
12:20on peut prendre son violon.
12:21Il est évident
12:22que si j'avais dix minutes,
12:23parce que moi aussi
12:23je me pose la question
12:24et ça nous arrivera peut-être
12:25un jour d'avoir dix minutes,
12:28et je prendrai évidemment
12:28mon violon.
12:30Et j'ai traversé
12:31tellement de frontières.
12:33Et c'est vrai que mon père
12:33disait qu'il avait choisi
12:36la peinture
12:36puisque justement
12:37c'était le lieu
12:38de l'universel,
12:39c'était le lieu
12:39en dehors des nationalités.
12:41Je veux juste dire
12:43qu'il est resté
12:43apatride 40 ans.
12:45Donc qu'est-ce que c'est
12:45que ce sentiment d'apatride ?
12:46Il est resté, Félix de Recondo,
12:47est resté apatride
12:49pendant 40 ans.
12:50Et c'est son choix
12:51d'être resté apatride.
12:53Il n'a pas voulu choisir.
12:54Il est resté bloqué
12:55au milieu du pont ?
12:55Exactement.
12:56Il est resté
12:57dans cette sorte de sas
12:58et je pense que
12:58quand je parlais
12:59d'une sorte de conflit
13:00de loyauté,
13:01tant que Franco
13:02était au pouvoir,
13:03il était coincé
13:05dans cet espace-là
13:06avec les complications
13:07administratives
13:08qu'on peut imaginer
13:09quand on est apatride.
13:10On écoute la voix
13:10de Félix de Recondo.
13:12C'est important
13:13de traduire
13:14des pulsions,
13:15des sensations
13:16qui font que
13:17la beauté
13:19n'est pas tout à fait
13:20celle que l'on peut attendre
13:22sur le plan de l'art.
13:24Je pense que
13:25ma peinture à moi
13:26c'est peut-être
13:28la conséquence
13:30d'une réalité
13:31qui me gêne
13:32et d'une constitution
13:33ailleurs
13:34de quelque chose
13:34qui me satisfait davantage
13:35ou dans lequel
13:36je me sens mieux
13:37en tous les cas.
13:38Je me sens mieux
13:38dans mes formes à moi,
13:40dans les formes
13:40que j'aménage autour de moi,
13:42des couleurs
13:42que j'aménage,
13:43que dans les choses
13:44qui me sont imposées
13:45dans la réalité.
13:46Vous pourriez les décrire,
13:48ces formes
13:48et ces couleurs ?
13:50Oui.
13:50Parce qu'il y avait
13:51quelque chose
13:51de profondément
13:52tragique
13:53dans sa peinture
13:54et dans sa sculpture.
13:55De tragique
13:56et de douloureux.
13:58Il travaillait énormément
13:59sur les corps,
14:00c'est-à-dire
14:00c'est une peinture figurative.
14:02Vraiment,
14:02où le corps
14:03est son territoire
14:04d'expression,
14:05de déformation,
14:07de suggestion.
14:09et il utilisait
14:11toute la feuille,
14:12il faisait des très grands formats
14:13et il utilisait
14:14tout l'espace,
14:15que ce soit
14:15feuilles
14:16ou peintures,
14:17pour justement
14:18déployer
14:19ces corps.
14:20Et ce qu'il dit là,
14:21c'est la question
14:22de la transfiguration
14:23dans l'art.
14:24Et justement,
14:25je crois que
14:26toute cette épreuve,
14:27tout cet exil
14:28et il y a la Seconde Guerre mondiale
14:31derrière,
14:31c'est-à-dire
14:31c'est vraiment
14:32dix ans d'enfer.
14:32Alors justement,
14:33il y a la Seconde Guerre mondiale,
14:35donc c'est une enfance
14:36arrachée à l'enfance
14:37quand on traverse
14:38le pont en 1936
14:39et ensuite,
14:40c'est une enfance
14:41cachée dans les Landes.
14:43Ça, c'est une histoire
14:43qu'on connaît très mal.
14:44Oui.
14:45Ils sont devenus métayés,
14:46c'est-à-dire
14:46comme en plus
14:48ils avaient des activités politiques
14:49pour le gouvernement basque
14:50en exil,
14:51à partir du moment
14:52où la Seconde Guerre éclate,
14:53ils sont obligés
14:53de rentrer en clandestinité,
14:55ils partent du Pays Basque,
14:57donc en Daille,
14:58où ils vont rester trois ans,
14:59et ils rentrent
15:00en clandestinité
15:00et là,
15:01je pense que
15:01c'est les années
15:02les plus dures
15:03pour les enfants.
15:04C'est des années
15:05de misère
15:07dans une ferme
15:08de terre battue,
15:09sans eau courante,
15:10évidemment,
15:10sans chauffage,
15:11sans rien.
15:11La misère.
15:12Mon père n'a pas pu
15:13aller à l'école
15:14pendant des années
15:14parce qu'ils n'avaient pas
15:15assez d'argent
15:16pour acheter
15:17un troisième vélo
15:18pour les enfants,
15:19donc on faisait des choix.
15:21Donc,
15:21vraiment,
15:22c'est un marqueur
15:23très très profond.
15:24Il y a aussi,
15:24évidemment,
15:25un racisme anti-espagnol
15:27puisqu'il y a la retirada
15:28et des centaines de milliers
15:29d'Espagnols
15:29qui arrivent dans le Sud-Ouest.
15:31Et donc ça,
15:32je pense que c'est là
15:32que se forge
15:33la possibilité
15:35d'une expression
15:36mais transfigurée.
15:39C'est-à-dire,
15:39il y a la guerre,
15:40il y a voir
15:42une famille
15:43qui s'aime encore.
15:44Ils étaient très très unis
15:45mais dans un délabrement
15:46profond.
15:48Moi,
15:48j'ai été très marquée
15:49par cette description
15:50de cette famille
15:51qui part à 11,
15:52qui traverse le pont
15:53à 11
15:54comme une forme
15:55de mêlée
15:56où trois générations
15:58s'enchevêtrent.
16:00Il y a une image
16:00très très forte
16:01avec quelque chose
16:02de très organique
16:03autour d'Enriqueta.
16:04Oui,
16:04très organique
16:05et puis surtout,
16:06la question que je me suis posée aussi,
16:09c'est comment chaque génération
16:10voit cet exil.
16:12On voit que les enfants
16:12très vite s'intègrent,
16:13ils vont apprendre le français
16:14tout de suite
16:15et parler français.
16:16Il y a évidemment
16:17Enriqueta qui a 37 ans,
16:18qui est une jeune femme
16:20avec des enfants
16:20en bas âge.
16:21Comment elle va s'intégrer ?
16:22Il y a ses parents à elle
16:23qui sont déjà
16:24dans une nostalgie impossible
16:26du pays perdu.
16:27Donc,
16:27c'est vraiment en effet,
16:28ils avancent comme ça
16:29ensemble
16:31et récupérer
16:32cette nationalité.
16:33Pour moi,
16:33c'était aussi
16:34être avec eux.
16:36Donc,
16:36vous marchez sur ses pas.
16:37Ça,
16:37c'est ce magnifique roman
16:39que vous publiez,
16:40marchez dans tes pas
16:41aux éditions de l'Iconoclaste.
16:43Il y a aussi ce petit livre
16:44paru chez Verdier
16:45qui est la publication
16:46de cette conférence
16:47où vous racontez
16:48cette enfance
16:48dans l'atelier
16:49de Félix de Recondo
16:51et la façon
16:52dont vous figurez
16:53la guerre d'Espagne
16:54à travers les gravures
16:56de Goya.
16:56J'ai adoré ce petit texte
16:58et je voudrais
16:58qu'il nous reste une minute
16:59et qu'on le consacre
17:00à la condition
17:01qui est ce film
17:01de Jérôme Bonnel
17:02qui sort au cinéma
17:03qui est éblouissant
17:05et qui est l'adaptation
17:07d'un de vos romans
17:08qui s'appelle Amour.
17:09C'est ça,
17:10qui est sorti il y a 10 ans
17:11et Jérôme Bonnel,
17:13le film sort aujourd'hui.
17:15J'ai eu la chance
17:16de le voir.
17:17C'est un film
17:17intelligent, sensible
17:19et il y a souvent
17:20quand on est auteur
17:21on se dit
17:22on a peur,
17:23on a peur d'être trahi
17:24et là il a réussi
17:25quelque chose
17:26d'extrêmement sensible,
17:27de vraiment merveilleux.
17:28C'est un très très beau film.
17:29Merci Léonore de Recondo.
17:30Merci à vous.
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