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  • il y a 2 mois
Une saga familiale de 750 pages qui explore les secrets et les souffrances de plusieurs générations... L'écrivain Laurent Mauvignier présente son dernier "La maison vide" paru aux Éditions de Minuit au micro de Sonia Devillers.

Retrouvez « Le Grand portrait par Sonia Devillers » avec Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

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Transcription
00:00France Inter, la grande matinale, Sonia de Villers.
00:06Allez tant pis, je me répète, mais ça fait des jours que je casse les pieds à tout le monde ici avec ce livre, La maison vide.
00:13Je n'ai pas eu envie d'en sortir, à peine terminé, j'ai voulu qu'une chose, le recommencer.
00:18Et pourtant, il fait 750 pages, un siècle et demi de saga familiale, puissance inimaginable de la littérature
00:25qui fait exister plus vrai que nature les corps, les rides, les rictus, les fausses modesties, les désirs louches, les petites humiliations,
00:34les vengeances sociales et le poids des traditions.
00:37On vous dira que La maison vide est une histoire de femmes, broyées de mères en filles par le devoir et les conventions.
00:43Mais c'est aussi une histoire d'hommes dont la masculinité se mesure à l'abus et la virilité se résume à la guerre.
00:52Nous sommes tous les enfants de cette France-là.
00:55Le père de l'auteur s'est donné la mort il y a 40 ans, héritier de tant de souffrances écrasées dans le silence.
01:01Mais est-ce ce suicide-là qu'il fallait raconter ?
01:04Ou bien les trois ou quatre générations qui l'ont précédé et qui l'ont engendré ?
01:09Voyage au bout de la généalogie et voyage au bout de la nuit, portrait numéro 31.
01:14Bonjour Laurent Mauvignier.
01:2065 000 exemplaires vendus de La maison vide qui paraît aux éditions de minuit en un mois et demi.
01:25Le roman est en lice pour les prix Goncourt, le Fémina, le Médicis.
01:29Il a reçu le prix littéraire du journal Le Monde.
01:32Dimanche prochain sur France Inter, Denis Ponalides, dans les admirations littéraires, consacrera ses lectures à La maison vide.
01:41Et moi je suis très impatiente de l'entendre et de vous entendre vous aussi.
01:46Vous êtes un fils de prolétaire.
01:49Et pourtant vous nous racontez, Laurent Mauvignier, une histoire de grande propriété terrienne et de fermage.
01:55Une demeure impressionnante qu'il faut conserver dans la famille, coûte que coûte, une grande maison.
02:01Vous l'avez inventée de toutes pièces, de toutes briques, de tous les volets.
02:05Ou elle a bel et bien existé cette maison ?
02:07Elle a existé mais elle n'est pas aussi grande que ça.
02:13Mais si elle est aussi grande dans le livre, c'est parce qu'en fait c'est une maison qu'on m'a surtout racontée.
02:20Et qu'on m'a racontée quand j'étais enfant.
02:22Donc évidemment l'imaginaire a créé une maison beaucoup plus grande.
02:26Et c'est vrai que j'ai un petit peu toujours envie de dire que c'est un livre qui a été écrit à hauteur d'enfant.
02:30Parce que c'est un livre qui est né des récits que j'ai entendus, que ma mère me faisait quand j'étais enfant.
02:37Sur non pas son histoire à elle, mais l'histoire de mon père.
02:40A qui je n'aurais jamais osé demander quoi que ce soit, ni sur sa mère, ni sur ses grands-parents, ni sur personne.
02:45Il est mort quand vous aviez quel âge ?
02:4616 ans.
02:4616 ans ?
02:47Donc j'aurais pu parler avec lui.
02:49Vous étiez peut-être un peu trop jeune pour poser les questions.
02:53Oui, mais en même temps je le faisais avec ma mère avant.
02:56Mais il se trouve que c'était la campagne.
03:01Je ne sais pas, les hommes de cette époque ne parlaient pas.
03:04Non, les hommes de cette époque ne parlaient pas, ça c'est sûr.
03:07Vous vous êtes imaginé une arrière-grand-mère qui avait une passion pour le piano et pour les compositeurs allemands.
03:32Ça c'est une valse de Brahms.
03:37Quatre générations rongées par la mort jusqu'au passage à l'acte.
03:42En réalité, c'est ça ce livre.
03:44C'est simplement, qu'est-ce qui va amener à la mort de votre père ?
03:47Oui, c'est un peu l'une des origines de ce livre.
03:54Parce qu'il y en a une deuxième qui est aussi liée à mon père.
03:56C'est que, je ne sais pas, quand j'avais 8 ans, 9 ans,
04:01quand je demandais à ma mère de me parler de ma grand-mère,
04:05qui était un petit peu ma grand-mère Marguerite,
04:07qui était un peu le mystère de la famille,
04:09je ne savais rien, sauf que mon père l'avait vu se faire tondre à la Libération.
04:14Et ma mère me raconte ça, mais moi j'ai 8 ans,
04:18et elle me parle d'un enfant qui a 7-8 ans aussi.
04:22Et c'est pour ça que cette phrase qui vient à la fin du livre,
04:26du pauvre petit papa de 7 ans,
04:29cette phrase-là, elle me hante depuis, je pense depuis l'enfance.
04:34En France, on est tondus à la Libération quand on est une femme,
04:39parce qu'on a couché avec un Allemand.
04:42C'est ce qu'on appelle la collaboration horizontale.
04:44Et cette grand-mère Marguerite, vous la sauvez dans ce livre.
04:47Vous voulez la sauver, vous pourriez la haïr,
04:49vous pourriez lui en vouloir,
04:51d'avoir trompé son mari prisonnier en Allemagne,
04:56de ne pas l'avoir attendu, d'avoir couché avec un Allemand,
04:59de s'être laissé tomber dans l'alcool et dans la dépression,
05:02d'avoir laissé partir ses enfants qui en ont souffert,
05:06eux, à leur tour, jusqu'à en crever.
05:07Vous pourriez lui en vouloir, Marguerite ?
05:09Oui, mais il se trouve que ce que j'ai entendu d'elle
05:12ne lui laissait aucune chance.
05:16C'est-à-dire que j'entendais des choses comme
05:19« Non, mais cette femme, c'était rien, c'était rien du tout. »
05:22« Parce qu'une femme qui boit... »
05:28Mais personne ne s'est demandé qui elle était, en fait.
05:29Et moi, je me souviens qu'enfant, c'était ça, ma question.
05:33C'était qui ?
05:35Et j'ai l'impression que ce livre,
05:37ce n'est même pas une tentative de réparation,
05:40c'est une tentative d'essayer de comprendre quelque chose.
05:44C'est l'histoire d'une enfant qui n'a pas été aimée,
05:46qui n'a reçu aucun amour de sa mère,
05:49sa mère qui a été mariée contre son gré.
05:51Alors, ce n'est pas un mariage de force,
05:52mais c'est un mariage de raison,
05:54comme on fait dans les grandes familles bourgeoises.
05:55Donc, c'est une femme qui doit soumettre son corps
05:58à un mari qu'il déteste, en réalité.
06:00Donc, c'est une femme qui finit par tomber enceinte,
06:02mais qui ne pourra jamais aimer son enfant.
06:04Bien sûr.
06:04Jamais.
06:05Donc, c'est l'histoire d'une enfant qui n'a pas été aimée,
06:07qui a été mise en apprentissage très jeune.
06:09Et là aussi, son corps est sacrifié.
06:12Ben oui, mais c'est tous ces paramètres-là,
06:15toutes ces questions-là,
06:16si on ne les relie pas les unes aux autres,
06:18on ne peut pas appréhender cette époque-là,
06:22ce monde-là,
06:24les drames des uns ou des autres.
06:26Moi, je me dis, cette grand-mère,
06:27elle est morte à 41 ans,
06:30seule, alcoolique, etc.
06:33Je me dis, quand même,
06:34il y a bien quelque chose à essayer de comprendre là-dedans.
06:38Je ne peux pas vous raconter la fin de ce livre,
07:04elle est magistrale,
07:05mais il y a une scène avec Schubert
07:06qui est absolument incroyable
07:08et qui fera une très grande scène de cinéma.
07:10Le piano de votre arrière-grand-mère,
07:12vous l'avez inventé, Laurent Mauvignier,
07:14cette passion pour le piano,
07:16pour les compositeurs allemands.
07:18Alors, je ne peux pas dire que je l'ai inventé.
07:22Il se trouve que plus je redescendais dans le temps,
07:27comme ça, plus je remontais vers le 19e siècle,
07:29plus la présence de la littérature
07:32ou de l'art en général,
07:34de l'art qui nous a tous un peu construits,
07:36que ce soit les Balzac, les Zola, etc.
07:40Revenez comme ça.
07:41Il y a un livre que j'ai lu il y a très longtemps,
07:43de René Boilev,
07:44que j'ai lu parce que c'est un auteur
07:47qui vient de ma ville d'enfance,
07:49de Descartes, en Touraine,
07:51qui avait écrit un livre
07:52où il y avait une histoire de piano comme ça.
07:54Et donc, c'est une espèce de réminiscence.
07:58Comment on transforme des personnes en personnages ?
08:00Je vous dis ça parce qu'évidemment,
08:02que quand on commence à lire La Maison Vide,
08:05on se dit « C'est Flaubert ! »
08:06Et puis on avance un peu et on se dit « C'est Maupassant ! »
08:09Et puis on avance encore et on se dit « Ah non, c'est Zola ! »
08:11Et d'ailleurs, Zola est là.
08:13On se demande du début à la fin de ce livre
08:15pourquoi vous, vous écrivez.
08:17Mais pourquoi y a-t-il la collection intégrale
08:19des Rougo-Macquart dans cette maison
08:21où personne n'a jamais lu ?
08:22Parce qu'elle vous annonce, vous, l'écrivain, qui va arriver.
08:25Je ne sais pas si on peut dire ça comme ça.
08:28Je ne sais pas en fait.
08:29Mais c'est un mélange toujours très étrange pour moi
08:32de quand je commence un livre.
08:34Celui-ci est un petit peu particulier.
08:36Mais quand je commence un livre,
08:36il y a toujours cette question au départ
08:37d'avoir des personnages qui sont des silhouettes
08:40toujours un peu stéréotypées, etc.
08:41et puis de creuser jusqu'à trouver un personnage.
08:46Et puis au fur et à mesure, plus on avance,
08:47plus on essaie de faire qu'on dépasse la notion de personnage
08:51pour avoir une rencontre avec une personne.
08:53Et là, ce livre est un petit peu curieux.
08:56Ah, c'est l'inverse !
08:57C'est-à-dire qu'on ne parle pas de personnes
08:58pour fabriquer des personnages,
08:59on parle de personnages pour en faire des personnes ?
09:01Mais là, avec ce livre-là, c'est un petit peu curieux
09:03parce qu'effectivement, il se trouve que ce sont des personnes au départ.
09:06Et donc, il a fallu...
09:07Et cette écriture qui vous caractérise
09:10et qui nous emporte toutes et tous
09:13quand on vous lit cette écriture
09:15qui fonctionne comme ça,
09:16par vagues, par rouleaux,
09:18qui ne s'arrête pas,
09:19ces phrases qui font une page,
09:20qui font deux pages,
09:21qui reprennent leur souffle,
09:22qui se régénèrent.
09:24Comment vous les fabriquez, ces phrases ?
09:27Comment je les fabrique ?
09:28Parce que, justement, vous parlez d'une femme
09:30et puis on parle de sa coiffure
09:32et puis on parle de son chagrin d'amour
09:33et puis on parle de son envie de se suicider
09:35et puis ça n'en finit pas.
09:36Ça s'étale sur deux pages.
09:38C'est un temps qui est très long pour moi
09:43parce que c'est comment faire corps avec quelqu'un, en fait.
09:48Essayer de faire corps avec quelqu'un,
09:50essayer de le rencontrer vraiment
09:52à la fois intimement
09:53et puis dans une langue
09:56qui, j'allais dire,
09:57qui embrasse les gens,
10:01qui embrasse les situations,
10:02qui essaie de faire corps
10:04avec les événements comme ça.
10:07Effectivement, c'est un mouvement,
10:08c'est vraiment presque en termes musicals.
10:11C'est ça.
10:11Ça, c'est extrêmement important.
10:14Et il y a des allers-retours comme ça
10:16entre notion de personnage et de personne.
10:18Et à la fin, moi,
10:19je voudrais que le lecteur,
10:21ils ressortent de là
10:23en ayant la sensation
10:24d'avoir retrouvé des gens,
10:26des intimes, quoi.
10:28Écoutez, Marguerite Duras,
10:30on était en 1976.
10:32C'était extrêmement troublant.
10:34On a l'impression
10:35qu'elle décrit votre livre,
10:37Laurent Mauvigny.
10:38On a l'impression
10:39qu'elle décrit la maison vide.
10:41Il n'y a que les femmes
10:42qui habitent les lieux,
10:43pas les hommes.
10:44Toutes les femmes de mes livres
10:46ont habité cette maison.
10:48On peut voir une maison
10:48comme un lieu
10:49où on se réfugie,
10:51on vient chercher un rassurement.
10:53C'est un périmètre clos
10:54sur autre chose que ça aussi.
10:58Oui, il se passe autre chose
10:59que tout ceci
11:01qui est courant.
11:02La sécurité, le rassurement,
11:03la famille,
11:04la douceur du foyer.
11:06Dans une maison,
11:07il y a aussi l'horreur
11:08de la famille
11:09qui est inscrite.
11:10Le besoin de fuite.
11:12C'est que les gens reviennent
11:13chez eux pour mourir,
11:14d'habitude, vous voyez.
11:15dès qu'on est dans un certain
11:17marasme,
11:18on veut rentrer chez soi.
11:19C'est un lieu mystérieux,
11:21la maison.
11:23Marguerite Duras
11:24en 1976.
11:26Oui, dans une maison
11:27est inscrite.
11:29Les naissances,
11:29les deuils,
11:30les chagrins,
11:30les mariages,
11:31les baptêmes,
11:32les communions
11:32dans les campagnes françaises,
11:34mais aussi l'horreur
11:34de la famille.
11:35Tous les noms dits,
11:36tout ce qu'on a enseveli.
11:38C'est ça que vous faites ressurgir ?
11:39Oui, c'est vrai que ce passage
11:43de Marguerite Duras,
11:45c'est vrai que Duras,
11:46elle fait partie des gens
11:47qui m'accompagnent
11:50depuis tout le temps,
11:52y compris même depuis l'enfance,
11:55je peux presque dire,
11:56puisque je l'avais vu
11:56quand j'étais gosse à la télé
11:58et que j'avais eu la sensation
11:59mais totalement folle
12:01et prétentieuse
12:01qu'elle s'adressait à moi.
12:03C'est vrai ?
12:04Oui, vraiment.
12:05Donc c'est vrai que ça résonne
12:06pour moi très fortement,
12:07même si je ne me souvenais plus
12:08du tout de ces mots-là,
12:10mais c'est tellement juste
12:11ce qu'elle dit.
12:12Alors, dans cette maison vide,
12:15vous faites ressurgir des corps.
12:16Vous venez de nous le dire,
12:17Laurent Mouvinet,
12:17on vient à la rencontre des corps.
12:19Ces corps absents
12:20que vous faites exister
12:21à travers la littérature,
12:24ce sont des corps sacrifiés.
12:26On a parlé des femmes
12:27qui doivent se soumettre
12:28aux appétits sexuels.
12:29Quand vous parlez des hommes,
12:31parce que j'ai beaucoup lu
12:32que c'était une histoire
12:33de femmes sacrifiées,
12:35pour moi c'est aussi
12:36une histoire d'hommes sacrifiés,
12:37c'est aussi l'histoire
12:38d'une masculinité maladive
12:40qui ne fait envie à personne.
12:42Vous êtes d'accord avec ça ?
12:43Complètement.
12:43Cette dimension,
12:44pour moi,
12:45elle est très importante
12:45parce que, certes,
12:47les femmes ne s'appartiennent pas,
12:49mais j'allais dire,
12:50les hommes non plus.
12:51C'est de la chair à canon,
12:53ils sont toujours à l'extérieur,
12:55mais ils sont aussi
12:55prisonniers de l'image
12:59à laquelle ils doivent ressembler.
13:01C'est-à-dire que les quelques hommes
13:03qui sont un peu différents
13:04dans ce roman,
13:06ils sont exclus du roman.
13:08Parce qu'ils sont exclus
13:09de ce monde-là
13:10qui est un monde impitoyable,
13:11vraiment,
13:12qui est d'une violence...
13:12Impitoyable,
13:13et avec des normes
13:15et des critères
13:16pour la virilité
13:17qui sont en réalité
13:18totalement destructeurs
13:20pour les hommes,
13:21pour les femmes,
13:21et pour les enfants
13:23qui viendront.
13:26Et en effet,
13:27l'homme,
13:27c'est le corps dominant,
13:28c'est le corps écrasant,
13:29et puis c'est le corps ravagé
13:31par la guerre.
13:32Parce qu'en réalité,
13:33c'est quand même un livre
13:34sur le XXe siècle,
13:35sur le poids des deux guerres.
13:37Oui,
13:37et puis qu'aujourd'hui,
13:39on peut commencer à regarder,
13:40parce qu'on commence à avoir
13:41un peu du recul historique
13:43sur ça,
13:43comme les deux faces
13:45d'un seul événement,
13:46parce qu'on nous a toujours appris
13:48à regarder la Première Guerre mondiale
13:49et la Deuxième
13:50de manière très séparée,
13:51très cloisonnée,
13:52alors qu'en fait,
13:52on s'aperçoit
13:53qu'il n'y a que 20 ans
13:53entre les deux,
13:54que c'est qu'une histoire
13:55d'une génération.
13:57Ceux de 39,
14:00ce sont les enfants
14:01de ceux de 14.
14:03En fait,
14:03c'est très lié
14:04dans leur façon
14:06de vivre,
14:07d'éprouver.
14:09Pour moi,
14:10c'était quand même
14:10très troublant.
14:11Pour le coup,
14:11ça c'est totalement vrai
14:13de m'apercevoir
14:13que ma grand-mère
14:15déshonneure la famille.
14:18Marguerite.
14:18Et qu'en même temps,
14:20évidemment,
14:21je pensais forcément
14:21à Duras,
14:22parce que j'ai eu la chance
14:23d'avoir une grand-mère
14:23qui s'appelle Marguerite.
14:25Attendez,
14:25vous avez une grand-mère
14:26qui s'appelle Marguerite
14:27et vous avez
14:28un arrière-arrière-grand-père
14:29qui s'appelle Proust.
14:30Pour de vrai ou pas ?
14:31Totalement pour de vrai.
14:34Totalement pour de vrai.
14:34Non,
14:35avoir une arrière-grand-mère
14:35qui s'appelle
14:35Marie-Ernestine Proust,
14:37franchement,
14:37je n'en demandais pas tant.
14:39Et rien à voir avec Marcel.
14:41Rien à voir avec Marcel.
14:42C'est ça.
14:43Donc Marguerite,
14:44elle est à la fois
14:45le déshonneur de la France.
14:47Mais son père,
14:47à elle,
14:48était un héros.
14:49Est un héros de Verdun.
14:50Donc moi,
14:50c'est vrai que la question,
14:51pour moi,
14:52c'est comment on passe
14:52de cet héroïsme
14:55qui a été imposé
14:56à une enfant
14:57à partir de ses 3-4 ans,
14:58on lui impose
14:59l'image d'un père,
15:01là encore,
15:01une fois l'image d'un père,
15:03c'est-à-dire encore
15:03avec cette idée
15:04très masculiniste,
15:06pour le coup,
15:07de ce que doit être
15:08l'héroïsme,
15:09l'homme qui sauve la France,
15:11qui sauve sa famille,
15:12etc.
15:12Donc comment cet enfant
15:15qui est élevé là-dedans
15:17avec le désamour
15:19de sa mère
15:20va se construire
15:22et va se construire
15:23plutôt contre,
15:24finalement,
15:25qu'avec tout ça.
15:26Parce que l'héroïsme,
15:28ça ne laisse aucune chance
15:28aux enfants.
15:29Et alors vous,
15:30en devenant écrivain,
15:31vous accomplissez
15:33le destin de qui
15:34dans cette longue généalogie ?
15:37Je ne sais pas.
15:38J'ai l'impression
15:39de m'adresser
15:41à l'enfant que j'étais
15:42qui entendait tout ça,
15:42qui recevait tout ça,
15:43qui était,
15:44j'allais dire,
15:45mitraillé de tout ça.
15:48Mitraillé,
15:48mitraillé sans les mots ?
15:50Sans les mots,
15:51bien sûr.
15:52Oui, tout à fait.
15:53Mais mitraillé par des...
15:55Parce que les photos,
15:55par exemple,
15:56les photos de ma grand-mère,
15:57les photos découpées,
15:58le visage découpé,
15:58ça je les ai vues,
15:59je ne les ai pas rêvées du tout.
16:01Alors qui a découpé
16:02le visage de Marguerite ?
16:03En réalité,
16:04je ne sais pas.
16:05Alors j'ai une hypothèse
16:06que j'écris dans le roman,
16:08mais en réalité,
16:11je ne le sais pas.
16:12Donc c'est pour ça
16:13qu'on devient écrivain ?
16:14D'une certaine manière,
16:15oui.
16:16En fait,
16:17quand vous êtes mitraillé
16:17de plein de signes contradictoires,
16:19de plein de choses,
16:20moi je sais qu'enfant,
16:21ça m'angoissait terriblement.
16:24Et j'ai l'impression
16:25qu'écrire,
16:26si c'est une réparation,
16:29c'est peut-être
16:29pour réparer une angoisse
16:31de l'enfance,
16:32une peur liée à cette enfance.
16:35Ça me paraissait
16:36tellement monstrueux.
16:37Je sentais
16:38que ce qu'on me taisait
16:39était tellement
16:40affreux,
16:42ou je ne sais pas
16:42ce que ça pouvait être.
16:43Tellement vertigineux,
16:45en tout cas,
16:45que j'ai eu besoin
16:47d'en parler,
16:49de l'écrire,
16:50d'essayer de le comprendre,
16:52d'essayer de comprendre
16:52cette époque.
16:54Parce qu'on nous en parlait
16:55quand même,
16:55on nous en parlait beaucoup,
16:57mais de manière très générale.
16:58de l'indignité de Marguerite ?
16:59Non,
17:00l'indignité de Marguerite,
17:01c'était au contraire,
17:01ça c'était un sujet honteux,
17:03dont il ne fallait pas parler.
17:05Je me sentais coupable
17:06presque de demander.
17:09Et puis,
17:10vous émettez l'hypothèse,
17:12mais vous la racontez
17:13magistralement bien,
17:15qu'il y a eu d'autres
17:15tentatives de suicide,
17:17qu'il y a eu d'autres
17:18volontés de s'autodétruire,
17:19de s'immoler,
17:20de se tailler les veines,
17:22et qu'à chaque fois,
17:24bien séance et catholicisme
17:26ambiant fait qu'on tait
17:28les vraies raisons de la mort.
17:29On les déguise en héroïsme
17:31quand il s'agit de parler
17:32de Verdun,
17:33alors que ça a été
17:33une boucherie misérable
17:35et totalement honteuse,
17:38elle aussi,
17:39et qu'en fait,
17:39on tait le suicide.
17:41Oui, mais ça,
17:41on s'est aperçu pour le coup,
17:44moi, quand mon père
17:44s'est suicidé,
17:46à l'époque,
17:48l'Église refusait
17:49d'enterrer religieusement
17:51les suicidés,
17:52donc il avait fallu
17:53que le médecin,
17:53par exemple,
17:54fasse un certificat
17:55comme quoi mon père
17:55était mort,
17:56des suites d'une dépression,
17:58et ça,
17:59ça m'a vraiment...
18:00Il y a 40 ans,
18:01c'était encore le cas en France ?
18:01Oui, c'était jusqu'en 83.
18:05Donc en fait,
18:06ce que vous racontez
18:06dans le livre
18:08à propos de Marie-Ernestine
18:11puis de Marguerite,
18:12en fait,
18:13c'est l'histoire de votre père ?
18:14Oui, mais c'est vrai que...
18:14Ce mensonge
18:15demandé par l'Église ?
18:16Disons que ça m'a...
18:17En fait,
18:17ça m'a guidé
18:19pour me...
18:20Je me suis dit,
18:21mais je connais
18:22ce mensonge-là,
18:23je le connais,
18:24cette façon de taire les choses
18:25ou en tout cas,
18:26d'esquiver,
18:28de l'ouvoyer
18:30sur certains mots,
18:31sur certaines réalités.
18:32C'est pour ça,
18:32par exemple,
18:33moi, aujourd'hui,
18:34c'est des mots
18:34que je déteste.
18:36Par exemple,
18:37quand j'entends
18:37dire de quelqu'un
18:40qu'il est parti
18:41ou qu'il est décédé,
18:42c'est,
18:42ben non,
18:42il est mort,
18:43en fait,
18:43vous savez.
18:43Moi aussi.
18:44Moi aussi,
18:45j'ai toujours le même...
18:46Pour moi,
18:47c'est pas possible.
18:49Il y a des gens
18:50qui ne pourront jamais le dire.
18:51Oui, je sais.
18:53Ce que je comprends,
18:53d'ailleurs,
18:54je peux comprendre
18:54que ce soit insupportable
18:55à dire,
18:56mais n'empêche que la réalité,
18:57c'est celle-ci,
18:57c'est pas...
18:58Voilà.
18:58Donc, pour moi,
18:59c'est essayer d'écrire,
19:00c'est essayer
19:00de travailler autour de ça.
19:03La Maison Vide,
19:05Laurent Mauvignier.
19:06J'avais sélectionné
19:07des pages
19:07pour vous en lire,
19:08mais comme Denis Podalides
19:10va le faire
19:10sur France Inter,
19:12le week-end prochain,
19:13j'ose pas.
19:14Je comprends,
19:15je comprends.
19:15Lui, c'est la comédie française,
19:16pas moi.
19:17Mais c'est un livre
19:18absolument magnifique.
19:19Voilà.
19:19Il y a plein de prix littéraires
19:20à venir.
19:21On verra ce que ça donne.
19:22Merci infiniment
19:23d'avoir été avec nous ce matin.
19:24Merci beaucoup
19:25de m'avoir invité.
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