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Alain Deneault, philosophe et auteur, analyse sur la chaîne Blast le souffle de l'info pourquoi notre époque est plus inouïe que les crises passées.
Il montre comment le réchauffement climatique suit désormais une dynamique autonome et exponentielle, indépendante de notre volonté, et explique pourquoi nos sociétés manquent d’objets structurants pour affronter cette réalité.
Il démonte la logique du développement durable qu’il considère comme un faux objet incapable de répondre à lampleur des enjeux. Cet extrait explore langoisse collective, la perte de repères et la nécessité de repenser nos cadres de pensée face à un système Terre qui se dérègle.

#ecologie #climat #effondrement #philosophie #transition

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Éducation
Transcription
00:00Cette activité humaine est bien sûr responsable de la façon dont le système Terre se détraque par rapport à ce qu'on a connu pendant très longtemps, très longtemps.
00:11Mais cette sortie des gonds du système Terre aujourd'hui est autonome et exponentielle.
00:17Quand même qu'on se terrerait tous aujourd'hui à manger de la luzerne et avoir une empreinte écologique à peu près nulle, ça continuerait de lui-même parce que le processus est enclenché.
00:30Je me fais un peu l'avocat du diable.
00:39Est-ce que tu ne penses pas que si on était en 1928, par exemple, avant la crise de 1929,
00:45les observateurs de l'époque ou les philosophes comme toi à l'époque auraient pu dire que ce qu'on est en train de vivre est inouï ?
00:53Ou si on est à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, on était aussi face à une forme d'inouï ?
01:00Pourquoi cet inouï-là que nous vivons aujourd'hui est plus inouï ou l'est-il que les autres inouïs ?
01:07Il est vrai que dans tout événement, il y a deux l'inouï.
01:09Il y a toujours quelque chose de singulier à un événement.
01:11Il y a toujours quelque chose d'irréductible à lui-même.
01:12Ce qui changeait en 1914, c'est l'échelle.
01:17Mais la notion de guerre, elle, restait à peu près la même.
01:21Et l'échelle, on l'a un peu découverte chemin faisant.
01:25On n'a pas su, en 1914, qu'on déclenchait une guerre mondiale.
01:28Ça s'est produit autrement.
01:31C'est après coup qu'on la nomme ainsi.
01:33Et aussi, on pouvait toujours se dire qu'il y allait quand même d'une volonté humaine.
01:39D'où les pacifistes qui disaient qu'on a les moyens politiques de faire en sorte que le pire n'advienne pas.
01:45Aujourd'hui, on est dans quelque chose de tout autre.
01:47Le réchauffement climatique, à moins d'être encore très orgueilleux, ce n'est plus une affaire humaine.
01:52Bien sûr que l'activité humaine que les capitalistes identifient très pudiquement ainsi,
01:58mais qui veut en quelque sorte dire l'activité industrielle, principalement de l'Occident,
02:03et des bénéficiaires principaux du capitalisme.
02:06Cette activité humaine est bien sûr responsable de la façon dont le système Terre se détraque
02:13par rapport à ce qu'on a connu pendant très longtemps, très longtemps.
02:18Mais cette sortie des gonds du système Terre aujourd'hui est autonome et exponentielle.
02:24Quand même qu'on se terrerait tous aujourd'hui à manger de la luzerne et avoir une empreinte écologique à peu près nulle,
02:30ça continuerait de lui-même parce que le processus est enclenché.
02:35Vous avez la fonte des glaciers.
02:37Imaginez que cette table est un glacier, elle fond à vue d'œil, elle réfléchit moins.
02:42Les rayons solaires.
02:43Donc, les espaces océaniques qui sont, eux, grandissants, capent davantage de chaleur,
02:48ce qui entretient le phénomène de lui-même jusqu'à ce que le pergélisol, à un moment donné, se fende,
02:52libère du méthane qui est naturellement contenu depuis des millions d'années.
02:56Et là, on a un gaz à effet de serre plus redoutable encore et de beaucoup.
03:00Et là, on vous est entré dans une logique où on perd une Autriche en forêt par année,
03:04donc moins de puits de carbone et le reste et le reste.
03:06Et c'est parti de lui-même.
03:08Et d'ailleurs, les tonnes de mètres cubes de CO2 qu'on envoie dans le ciel à chaque année
03:13vont avoir leur effet seulement dans dix ans.
03:15Donc déjà, on vit aujourd'hui ce qu'on a généré en 2014.
03:20Donc, vous voyez que le processus est enclenché.
03:22Donc, ne pensons pas, comme on pouvait le faire il y a 100 ou 150 ans, que nous sommes aux commandes.
03:28Nous subissons le désastre que nous avons organisé.
03:31Et le « nous » est problématique.
03:32Je vais justement te lire.
03:34Je poncturerai notre entretien de citations que j'ai relevées dans ton texte qui correspondent.
03:40« Nous enfonçons inexorablement dans le récit tragique de notre régime.
03:44Cela perdurera jusqu'au jour où le réel prendra d'assaut nos sociétés pour leur inculquer
03:49ce qu'elle tarde, le sens des limites. »
03:52La transition énergétique est en réalité une addition énergétique.
03:55Et nous payerons la note.
03:57Mais à t'écouter, on se dit que cette note...
04:03Enfin, quelle est-elle, cette note ?
04:04Enfin, je veux dire, comme elle est en constante évolution,
04:07tu as l'impression que chaque année, chaque mois, chaque jour, tu vas payer l'addition.
04:11Et à la fin, à t'écouter, il y a une sorte de tragique qui, d'ailleurs, peut-être te rend nerveux
04:19ou te rend...
04:19À écrire ce livre, ça n'a pas dû te...
04:22Je ne vais pas te poser la question stupide du pessimisme ou de l'optimisme,
04:25mais ça plombe quand même le moral.
04:29Oui, non.
04:30En fait, ce qui nous plombe le plus, c'est d'être orphelin d'objet.
04:36Nous n'avons pas d'objet.
04:37J'insiste là-dessus.
04:38Et c'est la raison pour laquelle, il y a deux chapitres avant que j'en arrive à une proposition objective,
04:45c'est pour montrer la nécessité de se donner un objet pour ne pas chouard dans l'angoisse ou l'anxiété.
04:56Un objet est quelque chose de structurant.
04:59Pour les gens du Moyen-Âge, la chrétienté était un objet structurant.
05:03Au 18e siècle, la science, la raison était un objet structurant.
05:07Un objet, c'est ce sur quoi la pensée porte, en tant qu'elle organise l'action.
05:11Le socialisme a été un objet structurant.
05:15Aujourd'hui, l'écologie politique peine à se donner des objets structurants,
05:18parce que tout va trop vite.
05:19Je veux dire, soyons indulgents, il ne s'agit pas de jeter la pierre.
05:22Tout va trop vite, va si vite.
05:24Rachel Carson parle des insectes dans les années 60,
05:27qui doivent s'adapter à 500 nouveaux produits chimiques par an.
05:30Mais nous sommes un peu ces insectes-là.
05:31Nous devons nous adapter, non seulement à des effectifs produits chimiques
05:35qui nous pourrissent la vie,
05:37mais sur un plan symbolique, psychologique et intellectuel,
05:41à des mutations qui vont tellement vite
05:43que nous n'arrivons pas à suivre.
05:45Je ne parle pas encore de l'informatique
05:47et de combien de productions qui nous échappent.
05:52Et nous n'arrivons pas à nous donner un objet structurant.
05:54Nous sommes complètement éclatés.
05:56Et lorsqu'on est dans cette situation-là, forcément, on a angoisse.
05:59Qu'est-ce que c'est l'angoisse ?
06:00Beaucoup plus que l'anxiété, l'angoisse est ici le maître mot.
06:04L'angoisse concerne des états d'âme douloureux, privés d'objets.
06:11Lorsqu'on est angoissé, on a des espèces de bouffées d'affects
06:14qui n'ont pas d'objets correspondants.
06:16Et qu'est-ce qu'on fait lorsqu'on est angoissé ?
06:18C'est la pire chose à faire.
06:20On cherche des objets de substitution.
06:22Ça va être qui ?
06:22Ça va être la femme voilée, ça va être je ne sais quelle figure publique.
06:26Ça sera, je veux dire, un bouc émissaire qui servira d'objet
06:30pour consoler le sujet qui est dépourvu d'explications quant à son malaise.
06:36Et ce qui explique énormément de faux débats
06:38qui pourrisse la vie publique aujourd'hui
06:40et qui sont débusqués grâce à des médias comme celui-ci.
06:44Mais pour arriver à s'en sortir,
06:47l'intérêt pour l'écologie politique
06:50est de concevoir des objets qui sont à la fois lucides et joyeux.
06:57Lucides, parce que ce n'est pas la peine de nous parler
06:59de développement durable, de capitalisme vert.
07:02Tu parles de hold-up sémantique à un moment donné
07:05et c'est vrai que c'est très intéressant
07:06parce que en réfléchissant sur tes questions d'objets,
07:11tu définis d'abord des tas de faux objets
07:13ou de fausses directions vers lesquels les médias
07:16et les politiques, mais surtout les médias d'ailleurs nous amènent.
07:22Tu t'en prends par exemple au développement durable,
07:25mais il y en a d'autres,
07:26mais est-ce que tu peux expliquer
07:27pourquoi le développement durable est un faux objet
07:29et pourquoi c'est particulièrement bidon
07:31que d'aller dans cette direction-là ?
07:33Parce qu'on ne voit plus que ce sont des objets
07:34qui ne répondent pas à l'envergure des enjeux.
07:38Le développement durable,
07:39c'est une réponse déjà de 1987
07:44de la commission Brundtland,
07:47commission onusienne portant sur le développement
07:49et l'environnement.
07:52Une réponse, en fait en 1987,
07:55au rapport Meadows de 1972 du Club de Rome
07:59qui lui parlait de société viable,
08:02sustainable society.
08:04Et ça, je reviens sur les termes d'origine anglaise
08:06parce qu'on va voir qu'ils sont mal traduits,
08:08mais la société viable dont parlait le rapport Meadows
08:11qui s'intitulait « Limite à la croissance »,
08:14faisait du développement l'objet de la pensée.
08:18Le développement, c'était l'objet de la critique.
08:20On disait, mais en raison du développement,
08:22pour ne pas dire à cause du développement,
08:24voilà où nous en sommes
08:25et ce qu'il faut limiter, c'est le développement.
08:29Et le tour de passe-passe formidable
08:31de ces sémanticiens idéologues
08:34a été l'air de rien
08:37de faire passer le développement
08:39du statut d'objet au statut de sujet.
08:42Et le développement s'est trouvé,
08:43en quelque sorte, le substantif éventuellement adjectivé,
08:46social, humain, durable, etc.
08:49Le développement s'est trouvé le sujet de l'histoire.
08:52Si vous voulez lutter contre la pollution,
08:56la crise écologique,
08:58il vous faudra penser le développement
08:59d'une façon ou d'une autre.
09:02Et bon, ça tombe bien
09:03parce que nous, on a le pognon,
09:04parce qu'en polluant beaucoup,
09:06on s'est fait énormément de capitaux
09:07et c'est nous qui avons aujourd'hui les fonds requis
09:10pour générer ces grands parcs
09:12de tours éoliennes,
09:15cette énergie solaire.
09:16Écoutez, les gens de Total,
09:18c'est exactement ça.
09:19Donc là, vous avez un tour de passe-passe
09:22qui consiste à faire passer le développement
09:23pour une panacée du moment qu'il est durable,
09:27ce qui est un oxymore.
09:28C'est important.
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