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Dans cet extrait diffusé sur Mediapart, l’historien Jean Baptiste Fressoz, chercheur au CNRS et à l’EHESS, le philosophe et historien des sciences Sébastien Dutreuil du CNRS, et l’anthropologue Laurence Marty débattent de la manière dont les États abordent la crise climatique. Ils analysent l’histoire des politiques climatiques depuis les années 1970, la croyance dans les solutions technologiques, les illusions de la neutralité carbone et le glissement du discours vers une simple adaptation au réchauffement. Une discussion essentielle sur la responsabilité politique, la justice climatique et la dérive technocratique face à la catastrophe annoncée.

#climat #écologie #cop #co2 #transition

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Je trouve ça affligeant.
00:01Enfin, je trouve ça à vomir, en fait.
00:04Enfin, je me dis, c'est plus facile
00:06de promouvoir un discours d'adaptation
00:09qu'on comprenera vraiment sur des degrés,
00:11comme vous disiez, on ne sait pas vraiment ce que ça va impliquer.
00:14Bon, on sait que sur le territoire hexagonal, ça va aller,
00:16mais les dom-toms, alors rien à foutre, quoi.
00:18Et c'est plus facile de réfléchir à ça
00:21que d'imaginer une sortie, même partielle,
00:25il n'y a aucun moment où il y a une remise en cause
00:27du système capitaliste néolibéral, pour le dire avec des gros mots, quoi.
00:38Vous, je ne sais pas si vous attendez quelque chose en particulier de cette COP,
00:41en tout cas, ce que vous dites depuis longtemps,
00:43pour cette COP comme pour les précédentes,
00:45en réalité, les États ne sont pas en train de renoncer
00:50et n'ont jamais voulu vraiment agir.
00:52Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?
00:54C'est d'abord un constat d'historien, en fait,
00:56quand on se plonge dans les archives
00:58de la manière dont les gouvernements ont reçu
01:02les alertes climatiques depuis la fin des années 1970.
01:07Je dirais que, en tout cas jusqu'aux années 2000,
01:11c'est très clair que le sujet,
01:13ce n'est pas du tout on va arrêter le changement climatique.
01:16Personne ne pense vraiment qu'on peut arrêter cette chose-là.
01:19Dès 1976, il y a un congrès qui se tient proche de la Maison-Blanche,
01:25à Washington, le titre, c'est Living with Climate Change,
01:28vivre avec le changement climatique.
01:31Dès 1979-1980, c'est un petit peu la doctrine officielle,
01:36en fait, aux États-Unis, en disant que le changement climatique
01:37va avoir lieu, est-ce que c'est grave pour les États-Unis ?
01:41Et le constat qui est fait,
01:44les conclusions qui sont faites dans ces colloques
01:47de la fin des années 1970 et des années 1980,
01:50c'est qu'en fait, 3 degrés pour les États-Unis,
01:53c'est encaissable, en fait.
01:54C'est-à-dire, le secteur le plus impacté
01:57sera sans doute l'agriculture,
01:58mais à l'échelle des États-Unis,
01:59on peut toujours relocaliser une partie de la production
02:02dans d'autres zones.
02:04Et c'est une vision assez cynique du monde,
02:05parce qu'ils savent très bien que pour d'autres pays,
02:07ça va être beaucoup, beaucoup plus compliqué,
02:08surtout le Bangladesh, qui est cité à l'époque.
02:11Mais même pour ces pays-là, leur enjeu,
02:13enfin, l'enjeu, c'est de dire,
02:14plus ils seront riches et développés,
02:16donc plus ils auront brûlé d'énergie fossile,
02:18en fait, plus ils seront capables d'encaisser
02:19le réchauffement climatique.
02:22Dès 1900, enfin, dans les années 1980,
02:25en Angleterre, on a à peu près le même constat qui est fait,
02:28en disant, on ne peut pas faire grand-chose
02:29sur cet énorme phénomène global,
02:33le mieux qu'on puisse espérer,
02:34c'est que ce ne soit pas trop grave pour les Anglais.
02:36Donc, il y avait vraiment, à mon avis,
02:37une conviction assez forte
02:38de la part des pays riches,
02:39les archives que j'ai vues sont simplement
02:40des archives des pays riches,
02:42qu'ils seront capables de s'adapter
02:46à plus 2, plus 3 degrés.
02:48Est-ce que c'est toujours aujourd'hui
02:49le même langage qui prévaut,
02:51le même cadrage, je veux dire,
02:53parce que vous dites notamment
02:54que l'accord de Paris,
02:56quand on a préparé cette émission,
02:58vous avez dit à ma collègue Jade Lingard
02:59que finalement, d'une certaine façon,
03:01l'accord de Paris,
03:01dont on a parlé tout à l'heure,
03:02c'était un peu un anachronisme,
03:04c'est-à-dire qui, par ailleurs,
03:06peut avoir ouvert la porte
03:07à d'autres illusions.
03:08Est-ce que vous pouvez nous raconter
03:09de façon synthétique ?
03:10J'en suis désolé,
03:11mais c'est hyper important
03:12de comprendre ça.
03:13Non, mais en deux mots, en gros,
03:14on pense qu'on peut ralentir
03:16le changement climatique,
03:17mais on ne pense pas
03:17qu'on peut l'arrêter
03:18dans les années 80
03:19et encore dans les années 90.
03:21Et puis, à partir des années 2000,
03:23il y a vraiment l'objectif
03:23de dire qu'il faut respecter
03:24les deux degrés
03:25et pour ça,
03:26il faut atteindre
03:26la neutralité carbone
03:28quelque part en 2050.
03:30C'est toujours le discours
03:31qu'on entend aujourd'hui,
03:32même si de plus en plus de gens
03:33savent que ce ne sera
03:34probablement pas atteignable.
03:35Alors, de fait,
03:36pour atteindre la neutralité carbone,
03:38on est obligé de développer
03:40des technologies
03:40qu'on appelle
03:42d'émissions négatives,
03:43de capture et de stockage
03:44du carbone,
03:44des technologies
03:45qui n'existent pas vraiment,
03:47en tout cas,
03:47qui ne sont pas du tout...
03:49On peut les faire passer
03:49à l'échelle.
03:50Il faudrait capturer
03:50des milliards de tonnes
03:51de CO2 par an
03:52après 2050,
03:53ce qui n'est pas trop bien
03:54comment on peut faire ça.
03:55Et donc, le problème,
03:56c'est que ça a nourri
03:57d'autres types
03:58de spéculations technologiques.
03:59Parce qu'on sait très bien
04:00qu'il y a des secteurs
04:00qui vont être très difficiles
04:01à décarboner.
04:02Donc, pour compenser ça,
04:03il faut capturer
04:05énormément de CO2.
04:06Et le problème,
04:06c'est que ces objectifs
04:07de neutralité carbone,
04:08ça peut aussi nourrir
04:09d'autres formes
04:10d'illusions technologiques.
04:11Ça peut aussi nourrir
04:11des bulles spéculatives.
04:13Il y a plein de start-up
04:14qui se montent
04:14et qui prétendent
04:15faire des émissions négatives
04:16alors qu'en fait,
04:16elles émettent du CO2.
04:18Elles ne sont même pas
04:19elles-mêmes neutres en carbone.
04:21Donc voilà,
04:22ça produit d'autres formes
04:23d'illusions
04:23qui peuvent être aussi
04:24assez problématiques.
04:25Et le problème,
04:30vous dites d'ailleurs
04:37que cet enjeu-là
04:38autour des questions
04:39technologiques s'insère même,
04:41y compris dans les rapports
04:42du GIEC,
04:43le groupement intergouvernemental
04:46des experts sur le climat.
04:47Vous avez fait un article
04:48là-dessus qui évalue
04:49un certain nombre de polémiques
04:50avec des climatologues,
04:51par exemple.
04:51C'est-à-dire,
04:52quand on regarde
04:53les six rapports
04:54du groupe 3 du GIEC,
04:55celui qui s'est en charge
04:55de la mitigation,
04:56de l'atténuation
04:57des émissions de CO2,
04:58on voit qu'il parle
04:58quasiment exclusivement,
05:00alors ce n'est pas que,
05:01mais c'est presque,
05:02de technologie
05:03et souvent de high-tech.
05:04Dans le dernier rapport,
05:05tout va devenir smart.
05:06Smart agriculture,
05:07smart grid,
05:08smart cities,
05:08tout,
05:09c'est très technologique.
05:09Donc des vœux pieux
05:10d'une certaine façon.
05:11Des vœux pieux,
05:12des paris technologiques
05:13et le problème,
05:15c'est que l'économie du climat
05:16s'est construite
05:16sur cette promesse technologique,
05:18sur cette idée
05:19qu'il y aura
05:19ce qu'on appelle
05:20un filet de sécurité technologique.
05:22L'expression,
05:22c'est backstop technology,
05:24une technologie neutre en carbone
05:25qui nous permettra
05:26de décarboner
05:27tout un tas de secteurs
05:27et une bonne partie
05:28de l'économie du climat,
05:30en fait,
05:30c'est comment on fait
05:31advenir le plus vite possible
05:31l'innovation verte.
05:33Le récent prix Nobel
05:34d'économie,
05:35Philippe Aguillon,
05:36était complètement
05:36dans cette ligne-là.
05:38L'économie du climat,
05:39en fait,
05:39depuis les années 70,
05:40ressasse une vieille réfutation
05:42du club de Rome,
05:43de l'alerte sur les limites
05:45de la croissance
05:45qui consistait à dire
05:47qu'en fait,
05:47ils ont mal pris en compte
05:48l'innovation technologique,
05:49ce qui était vrai.
05:50De fait,
05:50pour la raréfaction des ressources,
05:51grâce à l'innovation,
05:52on arrive à reporter
05:54à plus loin
05:55les conséquences
05:55de la raréfaction des ressources.
05:57Ils ont recyclé
05:58ces raisonnements-là
06:00pour la question
06:01du changement climatique.
06:02Le problème,
06:02c'est que ça marche
06:03très très mal
06:03pour les émissions de CO2.
06:04Alors,
06:05on va faire une petite pause là
06:06et pour vous faire rebondir,
06:07après j'ai d'autres questions
06:08pour vous,
06:09mais pour vous faire rebondir,
06:09peut-être l'incarnation
06:11de ce que vous venez de dire,
06:13c'est par exemple
06:14ce qu'a dit
06:15il y a peu de temps,
06:17je crois que c'était
06:17il y a deux ans,
06:18l'ancien ministre macroniste
06:20de l'environnement,
06:21Christophe Béchut,
06:22qui nous parle du futur,
06:24de la façon
06:24dont nous allons
06:25devoir nous adapter,
06:27vous avez parlé d'adaptation,
06:29dans un monde
06:29avec beaucoup de degrés.
06:31En plus,
06:31écoutez dans la longueur
06:32et je vous fais réagir après.
06:34À la minute où on se parle,
06:35on est déjà 1,7 degré
06:37d'augmentation des températures
06:39par rapport à l'ère pré-industrielle
06:40en France.
06:41Les experts du GIEC
06:41nous disent
06:42on n'est pas dans la bonne trajectoire,
06:44on va aller vers 2,8,
06:453,2 à l'échelle mondiale.
06:46Ça voudrait dire
06:47au moins 4 degrés en France.
06:48Préparer notre pays
06:49à 4 degrés,
06:50ça veut dire anticiper
06:51beaucoup de changements.
06:52À 4 degrés,
06:53on va atteindre jusqu'à
06:541,20 m d'augmentation
06:55des eaux
06:56dans la deuxième moitié du siècle.
06:58Se préparer à ça,
06:59ce n'est pas le souhaiter,
07:00c'est au contraire
07:01sortir du déni.
07:03Alors,
07:03j'ai trouvé cet extrait intéressant,
07:05Sébastien Dutreux.
07:06Qu'est-ce qui vous inspire,
07:07vous qui réfléchissez beaucoup,
07:09à la façon dont finalement
07:10nous collectivement
07:11réfléchissons
07:12à ce qui se profile
07:13devant nous ?
07:15C'est un ministre,
07:15c'est un responsable
07:16qui en fait
07:17nous prédit
07:18le pire
07:19avec des termes,
07:21avec des chiffres
07:22qu'on ne va pas forcément
07:23comprendre.
07:24Et finalement,
07:25on nous dit,
07:25en fait,
07:25nous avons des raisons
07:26alternatifs,
07:27c'est s'adapter.
07:28On ne sait pas très bien
07:29ce dont il s'agit.
07:29Qu'est-ce que ça vous inspire,
07:30vous,
07:30du point de vue
07:31de le philosophe ?
07:32Qu'est-ce qu'il en pense ?
07:33Le philosophe,
07:33je ne sais pas,
07:34en tout cas,
07:34ça vient confirmer
07:35exactement le diagnostic
07:35que venait de poser
07:36Jean-Baptiste.
07:38D'une certaine manière,
07:40on est rassuré
07:41qu'une forme d'adaptation
07:43se prépare.
07:44Ça a été longtemps
07:44une des critiques
07:45de ne pas s'atteler
07:47à cette question-là.
07:48Et d'un autre côté,
07:49ça vient accepter tacitement
07:52que l'accord de Paris
07:53est en fait
07:53un peu illusoire.
07:56Oui.
07:57Comment vous ressemblez ça,
07:58Laurence,
08:00cette déclaration-là,
08:02politique,
08:02dont on a beaucoup parlé ?
08:03Et lui,
08:04il prétend
08:04nous adapter,
08:06adapter le pays,
08:07dire qu'il faut anticiper
08:08parce qu'il y aura des...
08:10Ce sera très grave.
08:11Je trouve ça affligeant.
08:12Enfin,
08:12je trouve ça
08:12à vomir,
08:15en fait.
08:15Je me dis,
08:16c'est plus facile
08:17de promouvoir
08:19un discours d'adaptation
08:20qu'on comprenera vraiment
08:21sur des degrés,
08:22comme vous disiez.
08:23On ne sait pas vraiment
08:24ce que ça va impliquer.
08:25On sait que sur le territoire
08:26hexagonal,
08:26ça va aller,
08:27mais les dom-toms,
08:27alors rien à foutre.
08:29Et c'est plus facile
08:31de réfléchir à ça
08:32que d'imaginer
08:33une sortie,
08:35même partielle,
08:36du capital.
08:37Il n'y a aucun moment
08:37où il y a une remise en cause
08:38du système capitaliste néolibéral,
08:41pour le dire
08:41avec des gros mots.
08:42C'est plus facile
08:43je ne sais pas,
08:46je trouve,
08:46il y a un truc,
08:47c'est dissonant,
08:48c'est du foutage de gueule.
08:50C'est une gestion
08:51technocratique
08:51de la catastrophe,
08:52c'est ça ?
08:52Oui,
08:53c'est comment
08:54le système
08:56qui produit le problème
08:57auquel on est en train
08:57de faire face,
08:58c'est-à-dire
08:59un capitalisme financier,
09:00un capitalisme technologique,
09:02etc.,
09:03est censé être la solution,
09:05alors que,
09:07comme le disait tout à l'heure
09:07Jean-Baptiste,
09:08c'est une question de justice,
09:09c'est une question
09:09de redistribution,
09:10c'est une question politique,
09:12d'organisation,
09:13et c'est vraiment
09:15comment on,
09:17c'est une fuite en avant
09:18vers préserver ses privilèges
09:19de confort occidental,
09:23c'est,
09:23en fait,
09:23c'est eugéniste
09:24comme projet.
09:25Eugéniste.
09:26C'est genre,
09:27c'est...
09:27C'est juste pour quelques-uns,
09:28c'est ça ?
09:29Oui,
09:29c'est ça.
09:29Ceux qui pourront s'en sortir.
09:30Oui,
09:30c'est ça.
09:30Sous-titrage Société Radio-Canada
09:44Sous-titrage Société Radio-Canada
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