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Orwell, esprit libre que, 75 ans après sa mort, on accommode à toutes les sauces, dont le nom est accolé à chaque privation de liberté ou supposée telle.

Retrouvez « L'édito politique de Patrick Cohen » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique

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Transcription
00:00Bonjour Patrick Cohen. Bonjour Florence.
00:02Votre édito politique ce matin est une supplique après la polémique sur la labellisation des médias.
00:09Laissez Orwell tranquille.
00:10C'est un esprit libre que 75 ans après sa mort on accommode à toutes les sauces,
00:15dont le nom est accolé à chaque privation de liberté au supposé tel.
00:20Après les anti-vaccins et les anti-pass sanitaires qui vipendaient déjà des mesures orwelliennes,
00:25voici les défenseurs autoproclamés de la liberté d'expression,
00:28les amoureux du free speech qui voient dans toute initiative visant à combattre la désinformation
00:33le spectre d'un ministère de la vérité.
00:36Même Donald Trump junior, après la clôture du compte Twitter de son père,
00:40avait invoqué les manes du grand penseur de la dictature en postant ce message
00:44« Nous vivons dans le 1984 d'Orwell ».
00:48Alors je ne suis pas sûr que l'intéressé aurait apprécié tous ses compagnonnages,
00:51lui dont l'idéal était le socialisme démocratique,
00:54mais je suis certain qu'il n'aurait pas aimé ni la prolifération de l'adjectif tiré de son nom orwellien,
00:59ni sa récupération grossière à des fins répulsives.
01:03George Orwell appelait lui-même à se méfier des métaphores usées
01:06et de la corruption du langage orchestré pour que les mensonges paraissent vraisemblables
01:11et les meurtres respectables.
01:13Et à propos de métaphores, sérieusement, comment invoquer Orwell dans nos démocraties
01:18certes imparfaites mais toujours garantes de nos droits et libertés
01:21pour dénoncer des situations sans commune mesure
01:24avec la tyrannie de type soviétique décrite dans 1984 ?
01:28Comment ne pas y voir une insulte aux victimes des vraies dictatures ?
01:32C'est d'ailleurs Orwell que cite Alexei Navalny dans le tout premier message
01:36qu'il poste depuis la colonie pénitentiaire où Poutine l'envoie mourir il y a 4 ans.
01:41Mais la tentation d'un ministère de la vérité peut exister dans nos démocraties ?
01:46Sûrement, mais si on lit bien Orwell, ce qui pose problème, ce n'est pas la vérité, c'est le ministère.
01:51Orwell est un défenseur acharné de la vérité contre toutes les manipulations idéologiques
01:56et dans 1984, le rôle du ministère de la vérité n'est pas de contrôler l'information
02:00mais de la fabriquer entièrement.
02:03C'est un ministère du mensonge qui réécrit l'histoire pour les besoins du présent.
02:06C'est la tâche du héros d'Orwell, Winston Smith,
02:09pour prouver que le parti ne s'est jamais trompé.
02:12Exemple, vous prêtez à quelqu'un des propos qu'il n'a pas tenus,
02:15votre cible serait écrite « Mais c'est faux, je n'ai jamais dit ça, c'est une fake news ».
02:19Et là vous dites « Voyez, il fait marche arrière, il rétropédale ».
02:22C'est un exemple.
02:23Pour en finir, une citation Patrick.
02:25Dans ses réflexions sur la guerre d'Espagne parue en 1942,
02:29Orwell raconte sa prise de conscience de la nature du totalitarisme.
02:33« En Espagne, pour la première fois, j'ai vu rapporter dans les journaux des choses
02:37qui n'avaient plus rien à voir avec les faits.
02:40J'ai vu rapporter de grandes batailles là où aucun combat n'avait eu lieu
02:43et un complet silence là où des centaines d'hommes avaient été tués ».
02:47Orwell évoque alors le sentiment que le concept même de vérité objective
02:52est en voie de disparaître du monde.
02:55Et cette perspective me terrifie beaucoup plus que les bombes.
02:59Voilà comment, sept ans avant 1984, Orwell donne sa définition de l'univers totalitaire.
03:04Un monde qui peut vous faire croire ou qui vous impose de croire que deux et deux font cinq.
03:09Merci beaucoup Patrick Cohen.
03:10Merci beaucoup.
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