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  • il y a 12 minutes
Le comédien est notre invité pour le spectacle “Fabrice Luchini lit Victor Hugo – textes, poèmes et Victor Hugo vu par Charles Péguy et Charles Baudelaire” jusqu’au 16 décembre au Théâtre des Bouffes Parisiens, puis au Théâtre de l'Atelier du 19 janvier au 31 mars 2026. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-04-decembre-2025-3240177

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Transcription
00:00Dans le grand entretien avec Benjamin Duhamel, nous recevons donc un comédien, un passeur de littérature exubérant, oui, pour nous faire aimer la langue française.
00:10Bonjour Fabrice Lucchini.
00:12Bonjour.
00:12Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter.
00:15Vous faites un triomphe depuis la rentrée au théâtre des bouffes parisiens en lisant Victor Hugo.
00:20Ça continue au théâtre de l'atelier en janvier.
00:24Appelez-nous, chers auditeurs, pour lui dire votre amour et votre goût pour la littérature.
00:29Fabrice Lucchini, c'est au 01, 45, 24, 7000.
00:33Ce qui nous a frappés, monsieur Lucchini, avec Benjamin, c'est cette magie qui est alors d'opérer tous les soirs, deux heures de Victor Hugo, sans artifice ou presque.
00:43Et ça marche, le public est captivé.
00:46Est-ce que vous avez conscience de la performance que vous réalisez ?
00:51J'ai surtout conscience de l'incroyable qualité, sans aucune démagogie des spectateurs.
00:57C'est qu'ils ne sont absolument pas passifs.
01:01Ils sont acteurs de la soirée.
01:03Ça m'attriste le mot exubérant.
01:06Je ne suis pas exubérant du tout dans le Victor Hugo.
01:09Non, justement, vous êtes sans fioriture.
01:12On sent d'ailleurs que vous vous contrôlez.
01:14Non, je ne me contrôle pas.
01:15C'est qu'il y a des exercices qui demandent, au-delà de l'humilité, d'être...
01:20Une représentation, c'est un mélange d'apparition et disparition.
01:24Si un acteur apparaît constamment et est une entrave entre le texte et lui, ça ne va pas.
01:30Si un acteur disparaît totalement, constamment, et qu'il faut apparaître et disparaître, c'est un peu l'essence de mon travail.
01:43Mais c'est une qualité, l'exubérance, non ?
01:45L'exubérance, pas du tout pour moi.
01:47Ah bon ?
01:48Non, je pense que la qualité, c'est le classicisme.
01:53Après, quand on est très classique, on peut avoir des petits mouvements d'hystérie.
01:58Mais tu ne peux pas être réduit à une démonstration pittoresque.
02:06Il n'y a rien de pire qu'un acteur pittoresque.
02:08Fabrice Lequigny, pour rebondir sur ce que disait Florence et sur ce petit miracle qui est que pendant deux heures, on vous écoute dans un silence religieux.
02:16Sauf quand le public tousse.
02:18Ça, ça vous...
02:18Oui, mais ils toussent rarement.
02:19Ça, ça vous avez remarqué.
02:20Oui, mais vous les engueulez quand ils toussent.
02:22Non, je les redemande très gentiment.
02:24J'essaye d'être très très gentil parce que parler de la mort de la fille de Victor Hugo, comment c'est un...
02:30S'il y a une toux, la toux est plus forte que le poème.
02:34Donc je leur demande, mais il y en a trois sur 650.
02:37Mais c'est hyper efficace.
02:38Vous devriez être remboursé par la sécu parce que les gens ne toussent plus à ce moment-là.
02:42Parce que j'ai une thèse, si on a le temps, je vous la donnerai rapidement, quand vous voulez.
02:46Allez-y, allez-y.
02:47Elle est très rapide.
02:48La toux est une science absolument qu'on peut reconsidérer.
02:53Et quand tu dis quelque chose de comique, d'un peu bas de gamme, d'un peu sexe ou d'autres spectacles, il n'y a plus aucun bruit.
03:02Par exemple, il y a des moments où je parlais d'un truc personnel de mon existence qui faisait rire.
03:10Johnny Hallyday ou je ne sais pas.
03:11Et je disais, il m'a dit et je laissais du temps.
03:15Il n'y avait plus un bruit.
03:16Dès que j'attaquais Paul Valéry, ça crachoutait.
03:20C'est parce que l'atout, ça n'est pas du tout objectif.
03:24C'est simplement un inconfort et un petit rejet organique de ta proposition.
03:30Car la proposition, quand elle est poétiquement élevée, ce qui n'est pas le cas d'Hugo, le chef-d'oeuvre d'Hugo, c'est que c'est un énorme populaire.
03:39Ce n'est pas au hasard, si j'ai voulu structurer cette lecture, c'est que je n'aurais jamais fait ça avec Mallarmé.
03:44Je n'aurais jamais fait ça avec Rimbaud.
03:46Rimbaud est un poète génial, au sens premier du terme.
03:50Mais Rimbaud, 2h05, personne ne tient.
03:53Hugo, il tient.
03:55Il tient parce qu'il est populaire.
03:57Parce qu'il a une fibre dans laquelle les gens s'identifient.
04:01Qu'est-ce qui fait justement que vous avez eu envie de lire Hugo ?
04:05Vous avez lu Céline, Nietzsche, Rimbaud, vous en parliez.
04:09La Fontaine, évidemment.
04:10Flaubert.
04:11La Fontaine, à l'endroit et à l'envers.
04:13Là, le Hugo populaire, que beaucoup de Français semblent connaître.
04:17Et en fait, vous leur faites découvrir aussi un Hugo parfois qu'ils ne connaissent pas.
04:20Pourquoi avoir eu envie de lire Hugo ?
04:23Parce que je pense que c'est mieux qu'il y ait plein de gens dans la salle.
04:29C'est aussi simple que ça.
04:30Je peux faire des choses un peu plus.
04:33Par exemple, une fois par semaine, je joue Cioran dans une salle de 400 places.
04:38Mais je ne ferai pas Cioran à la Porte Saint-Martin.
04:41Alors donc, j'ai pris Hugo parce que je pensais que c'était quelque part,
04:49pas quelque part, le contraire de Malarmé, qui est un poète extraordinaire.
04:53Même si Jules Renard a dit ce mot merveilleux, Malarmé est intraduisible, même en français.
04:59Bon, ça c'est Jules Renard.
05:01Mais Hugo, il n'est pas intraduisible.
05:03Oui, mais pour autant, ce n'est pas facile.
05:06Vous citez Jouvet qui dit, il y a des gens qui n'aiment pas Victor Hugo.
05:09Il y a des gens qui adorent Victor Hugo.
05:11Mais Hugo est une montagne.
05:13On n'a ni à l'aimer, ni à ne pas l'aimer.
05:17Elle est là.
05:17C'est quoi du coup ? C'est le Mont-Blanc, Hugo ?
05:21C'est un phénomène un peu d'une telle fécondité.
05:27Ce n'est pas structuré et écrit par moment aussi bien que Baudelaire.
05:32C'est génial.
05:34Et par moment, ça y va.
05:35Il en fait des lignes.
05:37Alors moi, j'ai cette chance de parler d'un Hugo qui n'a rien à voir avec le Hugo grandiloquent.
05:42Je ne dis pas qu'il est grandiloquent, mais le Hugo trop abondant.
05:46Moi, c'est le Hugo qui commence par la dépression, qui a l'épreuve la plus immense pour un être humain.
05:55La tragédie de sa fille qui meurt, il la prend dans les journaux et ça va l'entraîner à s'enfermer dans un mutisme total.
06:04Et puis, je le reprends au moment de l'exil, où il va revenir sur cette tragédie.
06:10Et au milieu, évidemment, il y a les tables, la dimension mystique qui est évidemment le moment.
06:17On va y revenir.
06:18Parce que peut-être que ceux qui nous écoutent ce matin ne savent pas la relation qu'entretient Hugo avec le spiritisme.
06:24Mais juste sur le début de votre spectacle et sur ce récit sublime du deuil que traverse Victor Hugo.
06:31Vous le disiez, mort de sa fille Léopoldine à 19 ans.
06:33Pendant 10 ans, il ne parle plus.
06:35Il se met ensuite à écrire et il y a ces deux poèmes sublimes, celui bien connu de Mendeleaube et Elle avait pris ce pli.
06:43Et là, il y a tout le génie d'Hugo.
06:46Oui, il y a le génie d'Hugo parce que quand les gens sortent du boulot quand même, ils arrivent, ils ont traversé Paris.
06:53C'est toujours miraculeux qu'un public vienne.
06:56C'est un miracle.
06:58Guitry disait, c'est un rendez-vous d'amour.
07:01Mais c'est encore plus violent en ce moment.
07:03C'est compliqué d'aller au théâtre.
07:05En plus, j'ai des horaires toujours un peu bizarres parce que je ne veux pas que ça soit une sortie sympatoche avec des potes.
07:11Oui, il y a un gynéco, il y a un avocat.
07:13Allez, on se fait un petit théâtre tranquillou.
07:15On va se faire un comique.
07:17Allez, ben non, moi, s'ils viennent me voir.
07:19C'est haut niveau, quoi.
07:21Ben, c'est pas ça, quoi.
07:22Même si par moments, les gens se détendent.
07:26Mais quand tout d'un coup, tu entends, elle avait pris ce pli dans son âge enfantin de venir dans ma chambre un peu chaque matin, très tôt chaque matin.
07:34Je suis perdu.
07:36Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère.
07:38Elle entrait et disait bonjour mon petit père.
07:41Prenais ma plume, ouvrais mes livres, s'asseyais sur mon lit, dérangeais mes papiers et riais.
07:48Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
07:50Alors je reprenais la tête un peu moins lasse.
07:54J'adore ça.
07:55Alors je reprenais la tête un peu moins lasse.
07:58Mon œuvre interrompue.
08:01Et tout en écrivant parmi mes manuscrits, je rencontrais souvent quelque arabesque folle
08:05et qu'elle avait tracé puis maintes pages blanches entre ses mains froissées
08:10où je ne sais comment venaient mes plus doux verts.
08:13Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts.
08:16Et c'était un esprit avant d'être une femme.
08:18Son regard reflétait la clarté de son âme.
08:23Elle me consultait surtout à tout moment.
08:25Oh, que de soirs d'hiver, radieux et charmants, passaient à résonner langue, histoire et grammaire.
08:30Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère tout près, quelques amis causant au coin du feu.
08:35J'appelais cette vie être content de peu.
08:37Et dire qu'elle est morte.
08:44Hélas que Dieu m'assiste.
08:47Je n'étais jamais gay quand je la sentais triste.
08:50J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux si j'avais un partant, vu qu'elle combrant ses yeux.
08:55Vous voyez, ce qui est incroyable, c'est que tous les soirs, il y a 600 personnes, des fois 1000 personnes à la porte de Saint-Martin.
09:01Mais vous avez vu quand on dit, mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère tout près, quelques amis causant au coin du feu.
09:10J'appelais cette vie être content de peu.
09:12Et il y a tout un public qui est suspendu à ce génie.
09:18J'appelais cette vie être content de peu.
09:20Parce qu'on redécouvre et qu'on la voit.
09:23On voit cet enfant en écoutant les mots d'Hugo, tels que vous nous les dites.
09:27Et c'est le contraire d'un poète abstrait.
09:29C'est le contraire.
09:30Parce que moi, la poésie, c'est une chose à laquelle j'accède difficilement.
09:35Je ne suis pas spécialiste de mal armé.
09:38Moi, j'aime plutôt Baudelaire, Rimbaud, les valeurs plutôt sûres.
09:42Mais la poésie abstraite, avec des sentiments qu'on ne comprend jamais, c'est le contraire.
09:47Hugo, c'est le réel.
09:48C'est la réalité.
09:49Il a l'air de rien, mais c'était un esprit avant d'être une femme.
09:54On dirait que même, il prévoit la dialectique qui arriverait des années plus tard.
10:00Ce n'est pas réduit à être une femme.
10:02C'est un esprit.
10:04Et le public est suspendu.
10:07Moi, autour de moi, il y avait des gens qui pleuraient.
10:08Et ça ne les empêche pas de rire quelques dizaines de minutes plus tard.
10:12Précisément au moment où là, il faut se figurer pour nos auditeurs, vous mimez les scènes de spiritisme du Victor Hugo.
10:20Qui rentre en contact avec qui alors ?
10:23Au 19e, c'était une pratique très, très, très utilisée par Henry James, par énormément de gens.
10:31Ils se réunissent.
10:32C'est très compliqué à expliquer rapidement.
10:34Ils se mettent autour d'une table ovale.
10:37Ils se mettent.
10:38Ils mettent des mains.
10:39Alors, est-ce qu'il est en contact avec Molière, Shakespeare, Jésus, Platon, Échille ?
10:47Alors, évidemment...
10:48Beethoven.
10:49Beethoven, c'est ce que je dis pour essayer d'aérer.
10:52Ils n'ont pas de portable.
10:54Ils n'ont pas la télévision.
10:55Ils n'ont rien.
10:57Ils sont à Jersey en février.
11:01Il faut visualiser Jersey.
11:03Ce n'est pas marrant en février.
11:04Et ils ont...
11:06Alors, il faut raconter quand même la réalité rapide.
11:09Il y a une femme qui arrive et qui arrive le jour des 10 ans de l'anniversaire de la mort de Léopoldine.
11:14Elle lui propose à Hugo, qui déteste cette idée.
11:17Elle lui propose et elle lui dit, si vous voulez, Hugo, je peux te mettre en contact avec ta fille.
11:22Et il a dit oui, après une semaine de refus.
11:26On ne saura jamais ce qu'il s'est dit.
11:27Et à partir de là, il s'est passé.
11:29Il faut lire le livre des tables.
11:31Évidemment, ça sort comique.
11:32J'ai un peu honte, parce que ça sort comique.
11:35Qui est là ?
11:36Communiquer avec Molière.
11:37Qui est là ?
11:38Repasser vendredi à 9h.
11:40Charles est fatigué.
11:42Peux-tu revenir à 9h ?
11:44Oui, dit Shakespeare.
11:46Nous avons Agathe.
11:48Agathe.
11:48Qui, comme nous, a eu le plaisir de vous voir sur scène.
11:51Bonjour Agathe.
11:52Bienvenue.
11:53Oui, bonjour.
11:53Bonjour à tous.
11:54Bonjour M. Lupli.
11:56Bonjour.
11:56Oui, je m'appelle Agathe.
11:58Je suis venue voir le spectacle il y a à peu près une semaine.
12:00Et je voulais dire que ce n'était pas un spectacle.
12:03C'était une vraie rencontre.
12:05Et que c'était comme si on renouait pour la première fois.
12:08Et comme si pour la première fois, on découvrait le théâtre.
12:12Et ce que le spectacle peut apporter à l'individu, à l'être humain que nous sommes.
12:17Voilà.
12:17On retrouve une virginité totale.
12:20Et il n'y a...
12:21Ce n'est pas un monsieur qui fait un spectacle sur une scène.
12:24C'est un monsieur qui joue avec les spectateurs.
12:26C'est un monsieur qui nous entraîne dans son monde, dans son émotion, dans son humanité.
12:32C'est quelque chose de bouleversant.
12:34Et je trouve que ça va au-delà de ce que pourrait faire comme critique d'un théâtre sur Victor Hugo.
12:41Madame Agathe, je voudrais vous remercier profondément.
12:45À mon âge, je ne vais pas mentir.
12:49Ça me bouleverse.
12:50Comme je suis un peu fatigué ce matin, j'en ai un peu...
12:53Il ne faut pas que j'en fasse des kilos, mais ça me bouleverse.
12:55Je voudrais simplement vous dire, Madame Agathe, vous êtes venue il y a combien de temps exactement ?
13:00Je suis venue la semaine dernière.
13:02C'était une période miraculeuse.
13:06Vous savez, ça fait deux ans que je joue.
13:08Et le spectacle est évidemment défendu tout le temps.
13:11Mais la semaine dernière, je vous jure que c'est vrai.
13:14Je vous donne ma parole d'honneur sur la tête de ma fille.
13:16Je confirme, j'y étais.
13:17J'y étais.
13:18Il y a eu une dizaine de séances miraculeuses.
13:22Vous avez...
13:23Alors, les autres sont évidemment...
13:25Je fais ce que je peux.
13:27Mais il y a eu pendant 8-10 jours, et dans cette période-là, la grâce.
13:32La grâce.
13:33Voilà.
13:34C'est merveilleux ce que vous me dites, Madame.
13:36C'est là le soir de M. Duhamel.
13:38M. Duhamel était dans la salle ce même soir.
13:40Ah bah alors...
13:41C'était un moment miraculé.
13:44Enfin, vraiment, c'était un petit miracle, cette soirée.
13:47Parce qu'il y avait...
13:47On en sortait intelligent, beau et humain.
13:54C'est merveilleux.
13:55Et on était absolument en état de grâce.
13:59Je n'ai pas la foi.
14:00Et tout à coup, j'avais la foi cette soirée-là.
14:02Et je peux vous poser une question, Madame ?
14:04Oui ?
14:04Vous êtes dans une activité qui est liée à la littérature ?
14:08Je suis comédienne.
14:08Ah, vous êtes comédienne ?
14:11Ah oui, d'accord.
14:11Vous avez une voix sublime.
14:13Parce que vous avez une voix qui a la tessiture à la fois fragile et à la fois affirmée.
14:19Merci à vous.
14:20Merci Agathe.
14:21Merci Agathe.
14:22Merci beaucoup.
14:23Merci Agathe.
14:24Je tiens à dire que moi, je suis venue cette semaine, c'était bien quand même.
14:25Ah, c'était remarquable.
14:27Mais il y a eu des phases.
14:28Il y a eu des phases.
14:29Cette semaine, c'est mon boulot.
14:31C'est mon boulot, c'est tous les soirs différents.
14:34Fabrice Lucchini, on le disait au début,
14:37ce n'est pas que vous vous bridez dans ce spectacle,
14:39c'est que vous voulez, effectivement, il n'y a pas d'exubérance
14:41parce que vous voulez rendre hommage à Victor Hugo, à ses textes.
14:45On sent même parfois que vous avez envie de faire quelques dégagements
14:47sur l'actualité, sur la politique, que vous vous retenez un peu.
14:50Enfin, vous vous retenez.
14:51Bon, il y a notamment ce moment, moi j'y étais le soir,
14:54et Agathe a dû l'entendre,
14:55où vous vous demandez si Victor Hugo, il est de droite ou de gauche.
14:58Et vous dites, ouais, c'est peut-être la gauche,
15:00mais pas la gauche qu'on connaît aujourd'hui.
15:02Pourquoi ?
15:03Alors, d'abord, je n'ai pas le droit.
15:05Ma compagne peut me taper sur les doigts si je fais un aparté,
15:09mais comme je suis un enfant turbulent,
15:11même à 74 ans, c'est un peu pathétique.
15:14Mais des fois, je ne peux pas m'empêcher.
15:16C'est au moment où Peggy,
15:18parce que c'est très important, Peggy, dans le spectacle,
15:21Peggy comme un socialiste,
15:23mais un socialiste dont on n'a même pas idée actuellement.
15:26Un socialisme qui te rendrait socialiste,
15:32parce que c'est pas...
15:33Mais évidemment, même moi, même moi,
15:35évidemment, parce que c'est un socialiste
15:37qui ne fait pas la morale,
15:39qui ne dit pas ce que tu dois penser.
15:41C'est un socialiste qui adhère à la vie,
15:44à la puissance de la vie.
15:45Et à un moment, il se transforme,
15:47c'est un socialisme, en mysticisme,
15:50et il devient chrétien.
15:51Et il devient un personnage essentiel
15:54dans la politique autour de 1913.
15:56Et c'est vrai que Jean Jaurès veut lui parler,
16:02que Léon Blum, tout ça.
16:03Et il est tellement caractériel qu'il répond
16:06« Je ne parle pas des gens qui ne travaillent pas ».
16:09Alors, c'est dément, parce que c'est pas du populisme.
16:14Alors, effectivement...
16:15Et là, vous ne pouvez pas vous empêcher ?
16:16Alors, tu fais un petit aparté, parce que...
16:19Ils ont des métiers étranges, les hommes politiques.
16:22J'y pensais en venant et bêté sur la voiture qui m'emmenait.
16:26Ils ont des métiers étranges.
16:27D'abord, ils sont incompréhensibles.
16:29Moi, j'en ai approché pas mal, de gauche, de droite.
16:32Et bien, c'est une énigme.
16:34D'abord, il faut être très, très, très névrosé
16:36pour donner la sensation que tu vas t'occuper de la vie des gens.
16:40Il faut être anti-siorant.
16:41Il faut vouloir avoir une vanité immense,
16:45une volonté de puissance, de combat.
16:49Ils ne peuvent pas être fragiles comme les comédiens.
16:51Si la dame qui était venue là aurait dit le contraire,
16:54j'en serais tombé dans les pommes.
16:56Tandis qu'un homme politique, il reçoit des écouts.
16:59Ils sont là, dans leur cynisme absolu.
17:02Il ne faut pas faire attention à ne pas être poujadiste.
17:05Par exemple, je refuse tout le temps d'analyser théâtralement les hommes politiques.
17:10Ça, c'est du poujadisme.
17:11Mais pourtant, ils sont un peu comédiens, les hommes politiques.
17:13Ils sont comédiens, malheureusement, comme dirait Sacha Guitry.
17:15Tous les êtres humains sont des très bons comédiens,
17:18à part la plupart des acteurs.
17:19Alors, les êtres humains sont des bons comédiens.
17:23Je ne dirais pas que les hommes politiques sont des bons comédiens.
17:26Pour des raisons très simples.
17:27Ils n'ont pas d'éloquence, ils n'ont pas de diction.
17:30Il y en a quelques-uns qui se démarquent quand même, non ?
17:33Le général de Gaulle.
17:34Aujourd'hui, il n'y en a plus aucun qui trouve grâce à vos yeux sur l'éloquence.
17:37Je sais où vous voulez m'emmener.
17:39C'est l'éternel Mélenchon qui serait un peu plus brillant.
17:43Mais j'avoue que, comme dirait Flaubert,
17:47quand Georges Sand lui demande de voter à gauche,
17:49il a répondu, je retourne chez les Bédouins, ils sont libres.
17:53Quant aux idées peu claires, j'ai l'entendement obtu pour les idées peu claires.
17:58Flaubert.
17:58Moi, je suis flaubertien.
18:00Le seul responsable politique que vous citez dans le spectacle, c'est Olivier Faure.
18:04Oui.
18:05Là, quand on passe deux heures avec Hugo et avec Maurice Luchini,
18:08il y a une forme d'étonnement quand on entend le nom d'Olivier Faure.
18:10Il ne cherche pas totalement à plaire.
18:12Il est dans un creux de son hystérie.
18:15Ce n'est pas inintéressant.
18:17Il n'y a aucune volonté chez Olivier Faure de faire le malin.
18:21Il y a une sorte de petite dépression latente, constante.
18:25Et il n'a aucune envie d'être brillantissime.
18:29C'est intéressant.
18:30Il nous écoutera peut-être.
18:31Est-ce que, je sais Fabrice Luchini, parce qu'il nous arrive d'en discuter,
18:35que vous êtes un observateur avisé de la vie publique,
18:38que vous regardez la télévision, que vous vous informez.
18:40Est-ce que quand on passe le soir, deux heures avec Hugo,
18:43qu'on passe aussi du temps avec Cioran,
18:45il n'y a pas un décalage terrible entre parfois,
18:47je ne vais pas dire la médiocrité du débat public,
18:49mais disons parfois quelques bassesses,
18:51et les moments que vous passez avec ces grands auteurs ?
18:53D'abord, on ne peut pas rester avec ces grands auteurs constamment.
18:57C'est pour ça une petite cure de régression.
19:00Quand je sors du théâtre, BFM, CNews, LCI, réseaux sociaux,
19:07grosse aliénation de ma part.
19:09Je connais, je suis au courant de tout.
19:12Parce que malheureusement, si je n'avais pas le théâtre,
19:16je serais devenu une loque.
19:17Parce que je suis comme tous les êtres humains,
19:20je ne suis pas confortable avec moi-même.
19:22Et le réseau social, la télé,
19:25ça te donne l'illusion de sortir de toi.
19:28Et heureusement que j'ai cette activité qui me concentre,
19:32qui augmente ma mémoire et qui me permet.
19:36Je vais vous dire une chose.
19:37Un jour, Jouvet disait, c'est quoi une grande pièce de théâtre ?
19:40Ce n'est pas en sortant quand on dit, c'est une chose merveilleuse.
19:44Non, c'est si le lendemain, dis Jouvet, tu prends ton autobus
19:48et que tu vois un couple s'embrasser et que tu te sens adhéré à cet amour
19:54qu'ils ont l'un pour l'autre, c'est que la pièce a été bonne.
19:58Eh bien, moi, hier, je n'étais pas mécontent de mon travail de la semaine.
20:01Ce n'était pas génial, mais je n'étais pas mécontent.
20:03Et je me suis dit, peut-être que je me sentais plus avec la vie.
20:08J'étais moins avec mes tourments.
20:10Et je pense que s'il y a ce public extraordinaire qui vient,
20:15vous vous rendez compte, à 6h30, 7h, ils viennent 600, 800 personnes.
20:20Eh bien, c'est pour moi un événement majeur de ma vie
20:23parce que la sensibilité est appelée.
20:28On rappelle à la sensibilité que la vie, ce n'est pas des informations,
20:32ce n'est pas des phrases de politique qui n'ont pas de nuances.
20:36La vie, c'est nuances. La vie, c'est contradictions.
20:39Hugo était à la fois conservateur dans sa vie
20:43et hyper progressiste dans sa haine de la misère.
20:47Il était contre la peine de mort.
20:49Il avait vécu la remontée de l'océan.
20:51Il avait prophétisé que toute la côte ouest
20:54allait crever sous la montée de l'océan en 1800.
20:57Et parallèlement, il était un amoureux délirant.
21:00Aujourd'hui, il serait certainement mis en cause dans son appétit sexuel.
21:06Vous savez, il avait une démesure dans le consentement, bien entendu.
21:10Juliette Drouet était folle de lui.
21:12Je suis désolé de vous le dire, mais les lettres, c'est alors ?
21:15Tu me baisses quand ?
21:16Dit Juliette Drouet.
21:17Elle l'écrit.
21:18Tu me baisses quand ?
21:19C'est bien beau.
21:20Ça, vous ne le dites pas sur scène.
21:21Non, pas exactement ces termes.
21:23Mais on comprend à peu près l'idée.
21:24Et elle dit toute étape.
21:26C'est bien joli.
21:27Mais tu viens quand à la baraque ?
21:28Le public, Fabrice Lucchini, il est comme vous.
21:32C'est-à-dire que lui aussi, il scrolle sur les réseaux sociaux, il regarde ou pas les infos.
21:38C'est très rassurant du coup d'avoir 650 personnes devant soi.
21:43Ultra concentré pendant deux heures et disponible à la beauté.
21:47Oui, ça ressemble à être sauvé de quelque chose.
21:55Vous savez, on parle, on vulgarise vivre ensemble.
21:58Voilà aussi la pauvreté des politiques, des termes, des concepts publicitaires.
22:03Jamais de choses habitées comme les génies.
22:06Pourquoi c'est magnifique de dire du goût ?
22:08Parce que cette phrase, appartenir à une communauté,
22:14non pas vivre ensemble, la main dans la main, non pas vivre ensemble.
22:18Moi, je suis beaucoup plus pessimiste.
22:20Respectons-nous, supportons-nous.
22:23Ne nous aimons pas quand même.
22:24On n'est pas obligé de s'aimer.
22:25On n'a aucune obligation d'aimer son prochain, comme disait Nietzsche,
22:29que le prochain est dur à digérer.
22:30Mais respectons-nous, soyons courtois.
22:33Mais par contre, ce moment unique, ce moment où t'as 650 personnes et des fois plus,
22:39qui sont suspendues, qu'il n'y a plus de droite ni de gauche,
22:43qu'il n'y a plus de pauvres ni de riches,
22:45qu'il y a des gens à 18 euros ou 20 euros au dernier étage,
22:48qu'il y a des gens à 70 euros à l'orchestre,
22:50et que tous ces gens, ces gens sont acteurs de la soirée.
22:55C'est que leur âme, ils s'appartiennent à une communauté.
22:59Cette communauté, c'est qu'elles aiment une langue.
23:01Cette langue, elle est incarnée par un génie qui s'appelle Victor Hugo.
23:05Donc, notre identité, c'est notre langue.
23:08Et si vous saviez les compliments que j'ai de gens qui viennent du Liban, d'Afrique noire,
23:13je ne fais pas de la démagogie,
23:14mais si vous saviez à quel point des Marocains m'arrêtent dans la rue pour me dire
23:18« Monsieur, c'est incroyable, on vous a vu, la langue française ».
23:22Et c'est pour ça qu'on ne peut pas accepter que les hommes politiques disent
23:26« C'est juste du bonheur, ou alors, à tant qu'elle est le tic qui me donne envie d'être anglais,
23:31c'est juste inacceptable ».
23:33« Pas de soucis ».
23:33Oui, il y a des mots comme ça.
23:35« Pas de soucis, vous détestez ».
23:36« Pas de soucis ».
23:36Oui, c'est effrayant.
23:37« C'est juste pas possible ».
23:38« C'est juste pas possible ».
23:39« Ils parlent comme ça maintenant, et les journalistes, et les politiques ».
23:42« Les journalistes, ça dépend desquels ».
23:43« Pas vous, mais le mec très très sympa.
23:46Mais pas vous, mais beaucoup de politiques.
23:48Vous vous rendez compte d'où ça vient ?
23:50Expliquez-moi, vous êtes jeune, c'est un truc américain. »
23:52« Le juste pas possible, je suis jeune, oui. »
23:54« Alors dis-moi, c'est quoi juste ? »
23:56« Je ne sais pas, c'est une façon d'accentrer cet amour. »
24:00« Je pense que c'est américain. »
24:01« C'est américain. »
24:01« Mais pourquoi ? C'est grave.
24:03Pourquoi on gueulerait ?
24:04Il faut donner des raisons, il ne faut pas être moral.
24:07C'est qu'au lieu d'argumenter, c'est inacceptable,
24:10parce qu'il y a un désaccord profond entre une identité
24:14qui est ce qu'elle est, mais qui a des besoins,
24:17et quelqu'un qui est dans un état de pauvreté totale.
24:19Donc il faut trouver un moyen d'équilibrer.
24:22Tu donnes des arguments.
24:23Si tu te contentes d'anéantir la langue pour dire
24:28« Non, mais c'est juste inacceptable. »
24:30« Juste inacceptable. »
24:31C'était juste magnifique.
24:33Je vous embrasse profondément.
24:35Je ne me suis levé ce matin à Uri.
24:38Je vous le dis sincèrement.
24:39J'ai pris du Lexo parce que j'avais peur de ne pas me réveiller.
24:42Mais vous m'avez donné.
24:43Je suis bouleversé par un Madame Agathe.
24:46Vraiment, ça me touche énormément.
24:47Je voudrais connaître son numéro au téléphone pour la réinviter.
24:50On peut vous le donner.
24:52Merci beaucoup.
24:53Merci Agathe.
24:54Merci Fabrice.
24:54Je voudrais remercier aussi Adèle Van Red qui m'a fait rentrer dans cette maison.
24:58Pendant presque sept mois, le dimanche soir,
25:01je faisais les exercices d'admiration.
25:03J'ai vécu ça.
25:05C'est merveilleux.
25:06Au niveau de la thune, c'est très moyen, mais c'était merveilleux.
25:10Je précise, Fabrice Lucchini, que vous continuez à lire.
25:13Hugo, au Théâtre de l'Atelier à partir de janvier,
25:17que vous allez partir en tournée.
25:19Et qu'il y a un film, un film qui va sortir.
25:22Non mais taisez-vous parce qu'on n'a plus eu le temps.
25:24T'as raison, t'as raison.
25:25Dire taisez-vous à Fabrice Lucchini, c'est un défi.
25:28Non mais Victor, comme tout le monde, signé Pascal Bonitzer,
25:31vous incarnez un comédien admirateur d'Hugo qui le joue tous les soirs.
25:34Ça s'appelle « Une mise en abîme ».
25:35Elle s'appelait Sophie Filière.
25:39Elle nous a quittés beaucoup trop tôt.
25:40Et en hommage à Sophie Filière, on a tourné ce film.
25:43Parce qu'à ce moment-là, je ne jouais pas à Hugo.
25:46Merci infiniment.
25:47Merci, merci infiniment.
25:49La revue de presse à suivre.
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