00:00Alors, je pense que c'est un mot qui revient, c'est un mot qui vient nous hanter, en quelque sorte. Il appartenait au passé belliciste. Belliciste, c'est-à-dire ceux qui sont à la recherche du conflit pour lui-même, qui sont excités par la possibilité de la guerre.
00:12Eh bien, alors, que nous dit le retour de ce terme? Alors, qu'on s'entende bien, prendre la menace russe au sérieux n'est pas du bellicisme.
00:21Nous sommes devant un empire qui a envahi tout récemment le pays. Nous sommes devant un empire qui désigne l'Occident global, dont la France fait partie, comme une forme d'ennemi civilisationnel.
00:31Prenons-le au sérieux. Nous sommes devant une force qui cherche à déstabiliser les puissances occidentales. Sachons-le.
00:37Il a démenti aujourd'hui, il a dit mieux en petit.
00:38Oui, il peut démentir tout ce qu'il veut, mais dans les faits, on sait que ce n'est pas exactement ce qu'on pourrait appeler un pays ami.
00:42Bon. Donc, une fois qu'on voit ça, ce n'est pas belliciste que de prendre la Russie au sérieux comme menace potentielle.
00:51De même, plaider pour le renforcement militaire de la France dans les temps présents, dans un monde de plus en plus tragique,
00:56qui met de côté en fait les illusions de la paix perpétuelle, dans un monde de plus en plus violent,
01:02ce n'est pas du bellicisme que de dire un pays doit être capable de se défendre et s'en donner les moyens.
01:07Ce n'est pas du bellicisme.
01:08Mais il y a autre chose dans l'air que ces deux éléments essentiels.
01:12Le premier élément, c'est la rhétorique de la guerre avec la Russie, qu'on nous présente comme presque inévitable, imminente,
01:19dans mille jours, nous dit-on quelquefois, dans trois ans, comme s'il y avait une forme d'horloge
01:26qui marquait l'arrivée presque inévitable d'une guerre à laquelle on veut nous préparer.
01:31Donc, dans mille jours, dans trois ans, il y aura la guerre avec la Russie, une forme de conditionnement.
01:36Donc, comme si on ne cherchait pas à repousser cette guerre, à l'empêcher, à tout faire pour qu'elle n'advienne pas,
01:42comme si on cherchait à nous amener à accepter son caractère inéluctable.
01:46Je note, soit dit en passant, que le ministre allemand des armées ou de l'armée, Pistorius, si je ne me trompe pas,
01:52a dit que c'est peut-être ou ce sera peut-être l'été prochain notre dernier été de paix en Europe.
01:56Bon, donc dans deux étés, finalement, c'est la guerre en Europe.
01:59Il faut quand même lancer un tel message.
02:01On ne lance pas ça gratuitement.
02:03Deuxième élément, la libération de la parole des généraux.
02:06Depuis la guerre en Ukraine, les généraux sont devenus...
02:08En fait, vous savez, pendant la COVID, il y a eu les médecins, et maintenant, il y a les généraux.
02:11Donc, les généraux de plateau, les colonels de plateau, qui sont des gens fort honorables, je n'en doute pas,
02:16mais qu'on est à travers la normalisation de la figure du militaire qui parle librement dans l'espace public,
02:21alors que normalement, le militaire avait pour vocation de se taire et de servir le pouvoir.
02:25Eh bien, qu'est-ce qu'il y a? Un conditionnement de l'opinion, une forme de militarisation de l'opinion.
02:29Nous devons désormais nous habituer à penser notre politique sous le signe de la guerre à venir.
02:35De même, le discours absolument sidérant, il y est revenu sur ça, la France doit être prête à sacrifier ses enfants.
02:42Alors, dans un monde normal, c'est plutôt les parents qui se sacrifient pour leurs enfants.
02:46Là, ce qu'on nous explique, c'est que désormais, il faut consentir au sacrifice des enfants pour Moloch,
02:50le sacrifice des enfants pour le dieu de la guerre, le sacrifice des enfants pour Mars,
02:54le sacrifice des enfants et à présenter à la manière d'un acte patriotique ultime.
02:59Un pays peut concevoir l'idée qu'il est nécessaire quelquefois de perdre des hommes dans un conflit,
03:05mais cette formule prête à sacrifier ses enfants, il s'agissait de choquer l'opinion pour nous amener à franchir un seuil, je crois.
03:12Et maintenant, le retour du service militaire sur une base, dit-on, volontaire.
03:16Eh bien, ça, c'est un autre signal envoyé comme quoi la militarisation de l'existence est au programme.
03:20D'ailleurs, décryptons ces quatre éléments.
03:21Je disais la guerre, on nous l'annonce, mais on semble moins la redouter quelquefois que la souhaiter.
03:28Vous savez, Roger Caillois avait une formule, il parlait du vertige.
03:31Roger Caillois, le grand sociologue, il disait le vertige.
03:33Qu'est-ce que c'est? C'est quand on se sent attiré par l'abîme, quand on se sent attiré par la catastrophe,
03:38quand on a le désir du clash, quand on a le désir du chaos.
03:41Ne croyons pas que ceux qui nous gouvernent sont absolument imperméables au désir du chaos, au désir de l'abîme.
03:46De même, la libération de la parole des généraux, ça consiste à nous dire finalement que le militaire est désormais non pas une dimension structurante de la nation,
03:55mais nous devons nous conditionner à l'idée que nous sommes en guerre toujours,
03:59que le général nous éclaire comme le médecin de plateau nous éclairait pendant la COVID.
04:03Le COVID, pardon.
04:04Le sacrifice des enfants, alors ça c'est particulier, c'est non seulement le conditionnement de la population,
04:09mais c'est envoyer le signal à tous, vous devez être prêts au pire.
04:13Le pire est inévitable.
04:14Quand on envoie ce signal du sacrifice des enfants, il y a une dimension sacrificielle justement,
04:19et celui qui refuse l'idée du sacrifice des enfants passe pour un lâche, passe pour un non-patriote.
04:24Et maintenant, le service militaire qui nous est remis de l'avant,
04:29eh bien, il s'agit en fait, c'est le principe de l'armée de masse potentiellement.
04:33C'est la militarisation de la population.
04:35Et si je peux me permettre, à l'échelle de l'histoire, l'armée de masse, c'est l'autre nom,
04:38c'est l'étape avant la tuerie de masse.
04:41Donc il y a ce conditionnement de l'opinion, cette préparation décomplexée de la population
04:46à l'idée que la guerre n'est pas possible, mais inévitable.
04:50Et dès lors, puisqu'elle est inévitable, peut-être devons-nous même prendre de l'avance sur elle.
04:54Alors peut-être, on n'y arrivera pas.
04:56Peut-être le sacrifice humain ne sera pas au rendez-vous.
04:59Mais à tout le moins, il y aura le sacrifice de la prospérité,
05:01le sacrifice des libertés, le sacrifice de la vie démocratique,
05:05le sacrifice de bien des choses qui justifient, de ce point de vue,
05:08le pouvoir prend prétexte de la guerre pour ressaisir la société.
05:12Alors Mathieu, puisque vous ne cachez pas vos doutes,
05:14que craignez-vous à travers cette séquence que vous qualifiez de militariste ?
05:18Je crois que la démocratie n'a pas changé la nature de l'homme.
05:21Je m'explique.
05:22On croyait que la démocratie nous civiliserait, transformerait,
05:24l'être humain en homme nouveau, en soucieux d'égalité, de transparence.
05:28Mon oeil.
05:30À l'échelle de l'histoire, le pouvoir en place, lorsqu'il se sent fragilisé,
05:34est prêt à tout pour se maintenir.
05:36Il faut comprendre, c'était vrai au temps des cavernes, dirais-je probablement,
05:40ou à tout le monde dans les années qui suivent,
05:41et ce sera vrai si l'humanité s'y est encore dans plusieurs milliers d'années.
05:44Le pouvoir veut se maintenir à tout prix.
05:46Et lorsqu'il se sent fragilisé, il y a une technique vieille comme le monde
05:50qui consiste à désigner un ennemi extérieur pour se délivrer d'un souci intérieur.
05:56Et de ce point de vue, quand celui qui est à l'intérieur, l'ennemi de l'intérieur,
06:00ne récite pas le couplet militariste du moment, on l'accuse de trahison.
06:05Donc vous devenez un traître.
06:06Si vous ne partagez pas l'analyse stratégique de la classe au pouvoir,
06:09vous devenez un traître, de là l'usage du mot « pro-russe » de plus en plus ces présentes années.
06:15Je donne un exemple tout simple de ça,
06:16c'est-à-dire comment la guerre peut être instrumentalisée pour des raisons intérieures.
06:211982-83 surtout, en Argentine, la guerre des Malouines,
06:24on l'a un peu oubliée, ça ne fait pas partie de notre imaginaire, mais c'est important.
06:27Le régime argentin était à ce moment-là un régime qui était contesté de l'intérieur,
06:31au seuil de l'effondrement.
06:33Invasion des Malouines, des Falklands,
06:35disaient les Britanniques,
06:37pour être capable de ressouder la nation.
06:38Et Thatcher, de son côté, décide de prendre ce défi au sérieux
06:41pour être capable de se, par la riposte armée,
06:44légitime dans les circonstances,
06:45pour être capable de ressouder un gouvernement
06:47qui alors n'allait vraiment pas très bien.
06:50Donc chacun a vu dans la guerre l'occasion de sortir d'une crise interne.
06:54Donc que la guerre soit un instrument de politique intérieure,
06:57c'est une banalité depuis toujours.
06:59Le rappeler aujourd'hui ne devrait pas être vu comme une transgression.
07:02Et par ailleurs, il faut se poser la question
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