- il y a 4 jours
Avec : Anaëlle Lebovits-Quenehen, psychanalyste et présidente de l’École de la Cause freudienne Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives au CNRS et à l’École Normale Supérieure de Paris. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-de-la-grande-matinale/le-debat-du-7-10-du-lundi-24-novembre-2025-4095628
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00France Inter, la grande matinale, Sonia De Villers.
00:05Et pour vous donner un aperçu de la virulence et de la profondeur des discussions qui ont eu lieu toute la semaine,
00:11j'ai demandé à Annaëlle Lebovitz-Kennéen, je prononce bien ? Est-ce que je prononce bien ?
00:15Parfaitement.
00:15Voilà, et à Franck Ramut de nous exposer leurs arguments. Bonjour à tous les deux.
00:20Bonjour.
00:21Annaëlle Lebovitz-Kennéen, vous êtes psychanalyste et présidente de l'école de la cause freudienne.
00:25Franck Ramut, vous êtes chercheur en sciences cognitives au CNRS et à l'école normale supérieure.
00:31Est-ce qu'on peut peut-être commencer avec vous, Annaëlle Lebovitz-Kennéen, pour donner un cadre ?
00:38Parce que, évidemment, quand on consulte un psychanalyste dans un cabinet privé allongé sur un divan ou assis sur un fauteuil,
00:46la séance n'est pas remboursée.
00:48Ça ne signifie pas que la psychanalyse ne bénéficie pas d'argent public. Dans quel cadre ?
00:53Alors, la psychanalyse, en tant que telle, ne bénéficie jamais d'argent public.
00:59Ce qui existe, ce sont des psychologues, pour ce qui concerne le dispositif MonPsy,
01:03qui sont orientés par la théorie psychanalytique et qui reçoivent, au titre de psychologue,
01:09pour douze séances remboursées par la sécu, des patients qui s'adressent à...
01:13Il existe aussi des psychanalystes qui exercent dans les CMP, les CMPP.
01:18Ce sont ces centres médicaux-psychologiques ?
01:20Jamais en tant que tel.
01:21Jamais en tant que tel.
01:23Alors, ils peuvent être psychologues et psychanalystes, psychiatres et psychanalystes,
01:27éducateurs et s'intéressants à la psychanalyse, infirmiers et s'intéressants à la psychanalyse.
01:31En effet, il y a de très nombreux acteurs du champ de la santé mentale qui se réfèrent à cette théorie.
01:35Et c'est là où on voit que ça va être extrêmement difficile de faire le tri.
01:38Si tri, il faut faire.
01:40Vous êtes tombé des nus face à une telle attaque politique de votre discipline.
01:45Vous sentiez venir les coups de butoir.
01:48Écoutez, il y a des attaques régulières et des tentatives de discréditer cette discipline illustre.
01:55Néanmoins, un tel amendement, en effet, est stupéfiant.
01:59Qu'on prétend, dans quelques lignes, éradiquer une pratique qui a plus d'un siècle
02:03et qui a une efficacité certaine, que du reste, certaines études,
02:09des centaines d'études scientifiques auxquelles elle conclut,
02:14eh bien oui, en effet, c'était stupéfiant.
02:16D'autant plus que c'est sur l'intégralité des troubles psychiques.
02:20Franck Ramut, de votre côté, vous pensez que ce débat pose une bonne question.
02:24Même si l'amendement a été retiré, il a soulevé pour vous une discussion qui est parfaitement légitime ?
02:29Oui, tout à fait. L'amendement a le mérite de poser une question qui est légitime,
02:32qui est à quelles conditions est-ce qu'on peut financer des soins
02:35et est-ce qu'on doit continuer à financer à fond perdu des soins
02:38qui soit n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité,
02:41soit ont des résultats qui suggèrent une efficacité moindre ou plus lente
02:46que d'autres types de psychothérapie.
02:48C'est ça. Vous vous dites carrément, plusieurs rapports publics ont souligné
02:51l'absence de preuve d'efficacité.
02:53le caractère inadapté, voire contre-productif de ces approches psychanalytiques,
02:59dans un contexte budgétaire contraint, il est légitime, évidemment, d'y renoncer.
03:06Oui, absolument. De la même manière qu'on a eu ce débat pour l'homéopathie il y a quelques années.
03:10Pour l'homéopathie ?
03:10Oui, qui a été déremboursée suite à une expertise de la HAS et c'était parfaitement justifié.
03:15Là, vous y allez carrément avec l'homéopathie, parce que l'homéopathie,
03:17on a bien dit que c'était un effet placebo à l'époque.
03:20Oui, mais il n'est pas...
03:20C'était quoi, il y a 20-30 ans ces débats-là ?
03:22Non, non, c'était il y a 10 ans.
03:23Il n'est pas exclu que la psychanalyse, ça soit aussi un effet placebo.
03:26Quand on compare contre des groupes contrôle de patients qui ont juste les suivis standards
03:32sans psychothérapie, c'est à peu près ce qu'on voit.
03:35Annaëlle Lebovitz-Kennéhen, la psychanalyse, un effet placebo ?
03:39Je ne crois pas que ce soit un effet placebo.
03:43Je ne crois pas que quand on parle de ce qui nous fait souffrir,
03:47et pas à n'importe qui, parce qu'après tout, on pourrait parler de ce qui nous fait souffrir
03:50à un ami, à sa grand-mère, à son grand-oncle.
03:54Quand on parle à quelqu'un qui sait non seulement nous écouter sans préjuger,
03:58mais en plus susciter notre parole, c'est-à-dire qu'on peut découvrir
04:01que dans ce qui nous fait souffrir actuellement,
04:03il y a des choses du passé qui interviennent
04:08et qu'on arrive à mettre le doigt dessus et qu'on va mieux.
04:12Ce que je disais tout à l'heure à M. Rameau, quand on sort d'une séance et qu'on va mieux,
04:16alors que quand on y entre, on a les mâles,
04:19je ne crois pas que ça relève de l'effet placebo, ça relève de ce qu'on a pu dire.
04:22Là, on voit bien que ce qui est remis en question, c'est la scientificité de la psychanalyse et son efficacité.
04:28Est-ce que vous, vous refusez toute forme d'évaluation des cures psychanalytiques ?
04:32Des cures psychanalytiques en tant que telles, je ne crois pas quiconque s'intéresse à leur efficacité.
04:38Dès lors que de l'argent public est engagé, ça me paraît évident qu'il faut pouvoir évaluer ce qui se passe.
04:43Les services où travaillent les psychologues orientés par la psychanalyse ou les psychiatres sont évalués.
04:48Des études scientifiques indiquent qu'il y a une efficacité égale.
04:56Franck Rameau n'est pas d'accord, mais vous n'êtes pas d'accord.
04:59Et par ailleurs, au-delà de ces débats, si je puis dire, de spécialistes,
05:05je crois qu'il apparaît à chacun que le fait de pouvoir parler de sa subjectivité, ça soulage.
05:12Et que je ne vois pas en quoi être diagnostiqué de troubles neurologiques,
05:18ou supposément neurologiques, empêcherait qui que ce soit de pouvoir s'adresser à quelqu'un
05:23et que sa subjectivité soit prise en compte.
05:26Pour que tout le monde comprenne, c'est-à-dire que les troubles neurologiques,
05:31on est du côté du médical, on est du côté de la psychiatrie, c'est ça ?
05:35En fait, si vous voulez, mon idée...
05:36C'est-à-dire que ça n'empêche pas la complémentarité des soins, la complémentarité des approches.
05:41La façon dont on aborde le trouble psy, il me semble parfaitement évident
05:47que dès lors que notre subjectivité est prise en compte, accueillie sans préjugé,
05:51et qu'on peut parler, eh bien on va mieux.
05:54Et ça, c'est constatable, et ça ne relève pas de l'effet placebo.
05:57Franck Rameau, pour vous, il y a un consensus scientifique suffisant pour dire
06:01la psychanalyse ne sert à rien, ne marche pas, grand bien face à ceux qui veulent le faire à leurs frais,
06:06mais on arrête ?
06:07Oui, Mme Lebovis revendique des études qui ont montré l'efficacité.
06:11En fait, elle parle d'études qui portent sur autre chose, sur des thérapies psychodynamiques,
06:15qui sont inspirées par la psychanalyse, mais de manière assez lointaine,
06:19mais qui ont complètement changé les pratiques,
06:21et qui n'ont rien à voir avec le type de cures psychanalytiques qui se pratiquent en France,
06:26ni avec les traitements qui sont proposés aux enfants dans les centres médico-psychopédagogiques
06:30ou centres médico-psychologiques.
06:31Vous leur reprochez quoi à ces traitements proposés aux enfants dans les CMP ?
06:34Déjà que ce ne sont pas des traitements...
06:36Je rappelle que dans les CMP, il y a des listes d'attente de plusieurs mois,
06:39voire parfois de plusieurs années.
06:41Il y a des adolescents qui attendent deux ans pour pouvoir consulter.
06:44Donc vous leur reprochez quoi à ces traitements ?
06:45Et il y a sept associations de familles de ces enfants,
06:49qui représentent des dizaines de milliers de familles,
06:51et qui ont publié une tribune en soutien à l'amendement,
06:54parce qu'elles n'en peuvent plus,
06:56que leurs enfants soient pris pendant des années dans ces CMPP,
06:59sans diagnostic, sans information sur ce qu'il s'y fait,
07:02sans prise en charge appropriée.
07:03Vous les laissez parler Franck, Rameau ?
07:04Et du coup, c'est seulement quand ils sortent,
07:07quand ils arrivent à sortir de ces institutions,
07:09qu'après ils peuvent avoir un diagnostic et un traitement approprié.
07:11Les familles n'en veulent plus de ça.
07:13Non mais attendez, c'est très grave ce que vous dites.
07:14C'est-à-dire, vous dites que ces centres médicaux psychologiques
07:19sont quoi ? Des repères de psychanalystes ?
07:22Les CMPP, oui, le sont.
07:23Ils ont été construits autour de la psychanalyse.
07:25D'accord.
07:26Mais toute la psychiatrie française a été construite autour de la psychanalyse.
07:30Ce n'est pas seulement les CMPP.
07:32Dès lors qu'on considère...
07:33Non mais ça signifie, parce que je voudrais quand même comprendre
07:35ce que Franck Rameau vient de dire,
07:36ça signifie qu'on laisse des familles en souffrance,
07:39des enfants en souffrance, des adolescents en souffrance,
07:41qui sont mal pris en charge, mal diagnostiqués,
07:43qu'en gros la psychanalyse les leurre et les trompe,
07:46c'est ça, et qu'ils perdent des années
07:47avant d'aller voir, je ne sais pas moi,
07:50des psy comportementaux, des psychiatres.
07:52Oui absolument, c'est exactement ce que je dis.
07:54Et c'est ce dont témoignent des centaines de familles.
07:56Des centaines de familles.
07:56Vous pouvez les trouver sur mon blog et dans plein d'endroits ailleurs.
07:59Monsieur Rameau fait grand cas des personnes
08:03qui discréditent la psychanalyse et de leurs témoignages,
08:05et il ne fait aucun cas, je le constate,
08:07parce que là, ils ne sont pas évalués scientifiquement,
08:10leurs témoignages.
08:11Et il ne fait aucun cas des témoignages
08:14qui, au contraire, donnent la psychanalyse
08:18pour, en tout cas, cette orientation,
08:20parce qu'encore une fois, ça n'est qu'une orientation.
08:22Les personnes qui reçoivent en CMP ne sont pas psychanalystes,
08:25ou en tout cas, ce n'est pas en tant que telles.
08:26Ils sont psychologues, psychiatres, etc.
08:29Que ça puisse orienter et aider, d'une quelconque façon,
08:33les personnes qui s'y rendent.
08:35Vous vous dites, on appliquerait un amendement,
08:37comme il en a été discuté cette semaine,
08:38ce serait carrément la chasse aux sorcières.
08:40D'une part, ce serait la chasse aux sorcières,
08:42et je crois que ça poserait un grave problème de santé publique,
08:45parce que si on renonce à écouter les gens
08:47et qu'on ne leur propose plus que des méthodes
08:50de rééducation standardisées...
08:52Parce que c'est ça qui se passe ?
08:53C'est ça qui se passe si on a la référence
08:55à la psychanalyse disparaît ?
08:57Oui, on va leur proposer...
08:59Oui, je pense que c'est tout à fait ça qui se passe.
09:02Eh bien, on aura des passages à l'acte,
09:04parce que chacun sait...
09:06Moi, ça m'est arrivé de recevoir dans mon bureau...
09:08Des passages à l'acte, ça veut dire quoi ?
09:09Voilà, ça veut dire des suicides, des risques de suicide.
09:11Mais pas seulement de suicide.
09:13Il m'est arrivé dans mes jeunes années de psychologue
09:15de recevoir un patient qui est entré dans mon bureau
09:17en me disant, je vais tuer ma femme, mes enfants,
09:20et je me suiciderai après.
09:21Et évidemment, je lui ai dit, écoutez, l'indication, là, c'est l'hôpital.
09:25Il ne voulait pas en entendre parler.
09:27J'ai pris le temps qu'il fallait
09:28pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait.
09:31On est restés une heure ensemble dans mon bureau.
09:33Si je n'avais pas eu la référence à la théorie freudienne,
09:35je n'aurais pas su où chercher,
09:37comment faire pour le faire parler.
09:39Il a fini de parler,
09:40il n'a tué personne,
09:42il est allé se faire hospitaliser.
09:43On peut dire que c'est la contingence,
09:44ou bien on peut dire qu'il y a une vraie efficacité des repères théoriques.
09:47Vous allez se faire hospitaliser, c'est-à-dire que vous dites aussi
09:51que les CMP et les psys, ou ceux qui...
09:54Il n'y a pas que les CMP, là, on ne parle que des CMP,
09:56mais il y a les hôpitaux psychiatriques,
09:57il y a les hôpitaux de jour,
09:59c'est tout le champ de la santé mentale dont on parle.
10:01Vous dites donc que les psychanalystes ne sont pas fermés
10:04à l'hospitalisation, à la prescription de médicaments,
10:07à la collaboration avec la psychiatrie.
10:08Mais même les diagnostics, tout TND soit-il,
10:15on les fait pratiquer pour les personnes qui en ont besoin.
10:18On peut accumuler les témoignages dans un sens et dans l'autre.
10:21Mais vous aussi vous alertez sur les risques de passage à l'acte.
10:23Mais bien sûr, parce qu'ils existent.
10:27Après, Madame Lebovitz raconte une histoire,
10:30c'est juste une histoire.
10:32C'est l'expérience d'un praticien.
10:35Elle fait croire que ça aurait été différent
10:36avec un thérapeute d'une autre orientation,
10:38mais probablement pas.
10:39Les autres thérapies ne sont pas standardisées
10:43comme vous le prétendez.
10:44Tous les thérapeutes commencent par écouter le patient,
10:47le recevoir, l'écouter, comprendre sa situation.
10:49Comme vous dites, ils commencent, justement.
10:50Et après, là où les thérapies diffèrent,
10:52c'est qu'est-ce qu'on fait avec le patient,
10:54comment on va essayer d'améliorer sa vie, etc. concrètement.
10:57Monsieur Ramy, vous dites vous-même,
10:58ils commencent par les écouter.
11:00Et ça d'ailleurs, c'est grâce à la psychanalyse
11:02qu'on écoute les patients.
11:03Je me permets de le dire.
11:04Je suis d'accord.
11:05Donc, si on doit appliquer l'amendement,
11:08interdisons aussi ceux qui écoutent leur patient.
11:10Allons jusque-là.
11:11Je voudrais un dernier mot,
11:13parce qu'on va être obligés de se séparer,
11:15mais c'est quelque chose dont on rediscutera ensemble
11:17cette année, parce qu'il me semble que ce débat
11:19est absolument passionnant et qu'on l'entend bien.
11:21La guerre est relancée,
11:22donc on voudrait savoir où elle va mener.
11:25Un dernier mot avec vous,
11:26Anna Lebovitz-Kennéen et Franck Ramud.
11:28Vous pensez que c'est un virage idéologique ?
11:30Que les temps changent ?
11:31Complètement.
11:32C'est complètement un virage idéologique et je vais vous dire
11:34ce qui en est la meilleure preuve,
11:36c'est les termes haineux dans lesquels cet amendement est rédigé.
11:40Haineux ?
11:40C'est la haine de la psychanalyse ?
11:41Oui, c'est la haine, parce que pour le coup,
11:43je ne vois pas ce qui peut porter à interdire une telle référence
11:47s'il n'y a pas une haine farouche et décidée d'éradiquer la psychanalyse.
11:51Franck Ramud, mouvement idéologique ou mouvement scientifique ?
11:54Je dirais le contraire, c'est un mouvement anti-idéologique.
11:57La psychanalyse est une idéologie
11:58et l'idée, c'est plutôt de bâtir les soins
12:00sur des considérations pragmatiques,
12:03sur les évaluations de ce qui marche.
12:04Grâce à vous, nous avons du grain à moudre
12:06pour la journée, pour les jours à venir.
12:08Merci à tous les deux d'être venus confronter vos idées
12:11à Naïle Lebovitz-Kennéen.
12:12Je rappelle que vous êtes psychanalyste
12:14et Franck Ramud, je rappelle que vous êtes chercheur
12:17en sciences cognitives.
Écris le tout premier commentaire