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Présidentielle polonaise, quelles leçons pour l’Europe ? Avec Isabelle Davion, historienne à Sorbonne-Université, spécialiste de l’Europe centre-orientale, et Jérôme Heurtaux, maître de conférences en sciences politiques à l'Université Paris-Dauphine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-02-juin-2025-6594656

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Transcription
00:00Débat ce matin sur la Pologne, les électeurs du cinquième pays le plus peuplé de l'Union Européenne
00:07étaient appelés aux urnières pour le second tour de l'élection présidentielle.
00:11Résultat extrêmement serré et victoire du candidat nationaliste Karol Nawrowski
00:17avec un peu moins de 51% des voix.
00:21Il devance donc d'un cheveu son adversaire Rafaou Tchasekowski, le maire centriste de Varsovie.
00:30Quelle leçon tirer de ce scrutin pour la Pologne, pour l'Ukraine, pour l'Europe ?
00:35On va poser la question à deux spécialistes de la région.
00:38Isabelle Davion, bonjour.
00:40Bonjour.
00:40Historienne à Sorbonne Université, spécialiste de l'Europe centre-orientale.
00:47Jérôme Heurteau, bonjour.
00:49Vous êtes maître de conférence en sciences politiques à l'université Paris-Dauphine
00:54et ancien directeur du Centre français de recherche en sciences sociales à Prague.
01:01Bienvenue sur Inter.
01:04Analyse à chaud du résultat de cette élection.
01:09Isabelle Davion ?
01:10Moi, je dois bien avouer que j'y ai cru jusqu'à 6h du matin, quasiment.
01:14Je me suis à peu près couché en pensant que Tchasekowski avait gagné.
01:17Je me suis réveillée.
01:18C'était finalement Navrotsky.
01:19Ça m'a rappelé le Brexit et le premier mandat de Trump.
01:23Que des bons souvenirs, donc.
01:25Et voilà.
01:26Et puis, je pense que c'est une catastrophe pour la Pologne et c'est une catastrophe pour l'Union européenne.
01:31Vous nous direz pourquoi sur ce point.
01:34Et vous, Jérôme Heurteau, première analyse sur les résultats qui sont tombés, effectivement, juste avant cette heure ?
01:42Moi, j'étais dans un avion hier soir.
01:43Je n'ai pas assisté à la victoire supposée de Tchasekowski.
01:47Et j'ai donc découvert à l'arrivée que Navrotsky était en tête.
01:53Bon, je dirais que, première observation, c'est le statut couranté.
01:57Puisque nous avons, avant l'élection, un gouvernement de centre droit libéral et un président de la République issu du PIS, de la droite nationaliste.
02:06Nous avons, après l'élection, exactement la même chose.
02:08La même configuration.
02:09La différence, c'est que ce nouveau président élu, évidemment, bénéficie de l'onction électorale, donc d'une légitimité toute fraîche qui va forcément renforcer sa position dans l'équilibre des pouvoirs.
02:20Qui est-il, ce portrait ?
02:23Alors, Navrotsky, ça me fait mal de le dire, mais c'est un historien assez jeune.
02:28Il a une petite quarantaine.
02:30C'est quelqu'un qui a très, très peu d'expérience politique.
02:32Il y en a eu quelques mandats locaux, mais ça s'arrête là.
02:36Et d'ailleurs, on a bien vu, au début de la campagne présidentielle, il fuyait les journalistes.
02:39Enfin, il fuyait, non, il fuyait les questions des journalistes.
02:42Ce n'est pas tout à fait la même chose.
02:44Parce qu'il ne maîtrisait pas les dossiers.
02:46Ça, c'est vu d'ailleurs au débat d'entre-deux-tours.
02:48Mais je voudrais rebondir sur ce que vient de dire Jérôme.
02:51Effectivement, on retombe sur cette forme de cohabitation.
02:54Mais je dirais tout de même que Navrotsky se présentait comme un indépendant.
02:59En fait, c'est un membre du PIS.
03:00Mais c'est quelqu'un qui est gênant, même pour le PIS.
03:02C'est-à-dire qu'on va beaucoup plus loin que ce que pouvait proposer Douda.
03:07Expliquer.
03:08Oui, alors Navrotsky est quelqu'un qui a fait exploser l'espèce d'union bipartisane sur la question ukrainienne.
03:16C'est-à-dire que le PIS, dès le départ, en février 2022, était dans un soutien sans équivoque à l'Ukraine.
03:23Sur les 5 millions de réfugiés ukrainiens qui sont partis, on a 3 millions qui avaient été accueillis en Pologne, etc.
03:29Là, Navrotsky est clairement en retrait par rapport à cette première position.
03:35Alors que vous l'avez rappelé dans le chapeau, mais Navrotsky, c'est pas seulement qu'il est défavorable à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN,
03:42mais c'est qu'il compte s'y opposer.
03:44Et par ailleurs, il compte également remettre en cause la politique d'accueil des produits agroalimentaires ukrainiens
03:52pour défendre les paysans polonais.
03:54Alors même que cette politique est fondamentale pour soutenir l'effort de guerre ukrainien.
04:00Jérôme Herteau.
04:01Oui, alors le président de la République en Pologne est un président qui certes obtient plus de marge de manœuvre,
04:10plus de pouvoir en situation de cohabitation.
04:12Donc là, on peut s'attendre à ce qu'il puisse éventuellement faire obstacle à la politique menée par le gouvernement.
04:17Il y a un pouvoir de nuisance.
04:19Un pouvoir de nuisance.
04:19La différence, c'est par contraste avec la Vème République.
04:23C'est un petit peu l'inverse.
04:24Donc il a un pouvoir de nuisance.
04:27Sur les questions de politique étrangère, il y a tout de même quand même un certain consensus sur le soutien à l'Ukraine,
04:32à la fois politique et militaire.
04:35La Pologne est aussi, comme vous le savez, un lieu de transit des armes qui vont en Ukraine.
04:42Et sur ce plan-là, Navrotsky, je ne pense pas qu'il ait les moyens de mettre son veto.
04:48Il n'a pas la possibilité de le faire, mais de mettre son bémol, si vous voulez, à cette politique.
04:53Certes, il a pris position contre l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.
04:57Donc ça, c'est effectivement un signal tout à fait important.
05:00Mais c'est un peu le doigt sous la porte.
05:01Le consensus ukrainien ne bougera pas, selon vous ?
05:04Il faut voir.
05:06Là, on sort de l'élection.
05:07On va voir aussi ce qui a pu relever dans la campagne de concessions faites par Navrotsky à l'électorat d'extrême droite.
05:14Et je rappelle que, en fait, l'arbitre de cette élection, ça a été le troisième homme du premier tour,
05:20Slavovir Menzen, le leader de l'extrême droite,
05:23qui a demandé aux deux candidats de signer une déclaration,
05:27s'engageant sur huit points, en échange de son soutien.
05:30Et Navrotsky a signé les oeufs fermés, les huit points.
05:33Et parmi ces huit points, il y avait celui-ci, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.
05:36Et aussi le refus que des troupes polonaises aillent en Ukraine, se déploient en Ukraine.
05:44Mais sur ce point-là, Tchaskovsky était sur la même longueur d'onde.
05:47Sur le dossier, entre guillemets, ukrainien, la Pologne a un rôle absolument fondamental.
05:52Est-ce que ça peut bouger ? Est-ce que la position polonaise peut évoluer ?
05:58Qu'en pensez-vous, Isabelle Davion ?
06:00Alors moi, je pense que le consensus a déjà bougé.
06:02Je reviens sur le fait que même Lepi s'était gêné par les prises de position de Navrotsky sur l'Ukraine.
06:10Et je voudrais revenir quand même sur les pouvoirs du président de la République en Pologne.
06:15D'abord, c'est quelqu'un qui a la capacité de mobiliser en cas de guerre.
06:19Bon, visiblement, en tout cas, il ne compte pas le faire.
06:21Mais surtout, le président de la République polonaise a quand même la capacité de faire des initiatives législatives.
06:29Et deuxièmement, a le droit de blocage sur les projets législatifs du gouvernement.
06:34Donc non, non, on est vraiment dans une situation d'impuissance.
06:38Et je dirais par ailleurs, mais ça, voilà, Navrotsky semble vouloir le titre sans signer la fiche de poste.
06:45C'est-à-dire que, malgré tout, le président de la République polonaise, encore plus que sous la Vème République,
06:51c'est quelqu'un qui est censé se présenter comme au-dessus des partis, le président de tous les Polonais.
06:57Et Navrotsky a bien dit qu'il ne serait pas, enfin, il ne l'a pas dit comme ça,
07:01mais il a dit qu'il serait non seulement le président des Polonais qui ont voté pour lui,
07:06mais c'est-à-dire en gros le président des quelques personnes dans son pays
07:10qui, selon lui, méritent le titre de bon polonais.
07:12Ça ne fait pas beaucoup de monde.
07:13Donc, à partir de là, s'il veut être beaucoup plus nuisible que ne l'a été jusqu'ici Douda, il le fera.
07:21Le rôle de Trump ?
07:23Il ne faut pas le surestimer.
07:25Il faut vraiment avoir en tête que la Pologne, depuis une quinzaine d'années,
07:29est sous le signe de l'ambivalence, en tout cas la politique polonaise.
07:32D'un côté, voilà une politique polonaise qui, de majorité en majorité, connaît des alternances.
07:38Plus de sept, trois alternances qui se succèdent avec les mêmes au pouvoir,
07:43c'est-à-dire peace, PO, peace, deux grands partis, un bipartisme très institutionnalisé,
07:49certes imparfait, avec une émergence politique d'un troisième, une troisième force à chaque élection quasiment.
07:56Donc, en quelque sorte, une politique ordinaire.
07:59Et puis, il y a une deuxième grille de lecture.
08:01C'est de comprendre que la Pologne, depuis le milieu des années 2000,
08:05est entrée dans ce que certains appellent l'ère de la post-vérité en politique.
08:08C'est-à-dire que c'est une politique qui est malmenée en permanence par des discours de haine,
08:13par l'outrance qui tient lieu de discours politique.
08:17Et là, cette élection, en fait, en est l'illustration parfaite.
08:19Navrotsky, vous nous avez demandé un peu le profil d'Avrotsky.
08:22Oui, le portrait, oui.
08:23Navrotsky, en fait, effectivement, peut faire penser un petit peu à quelqu'un comme Trump
08:27ou d'autres leaders de ce genre.
08:30parce que c'est un homme de son époque.
08:32D'une certaine manière, Tchaskovsky est un peu un homme des années 90, finalement.
08:37C'est-à-dire un homme politique, bien né, bien formé, professionnel,
08:42un professionnel de la politique qui sait exactement construire une image politique,
08:47faire une offre politique sur un marché électoral.
08:50Navrotsky, c'est le candidat qu'on n'attendait pas.
08:53C'est le type qui vient de nulle part, en quelque sorte,
08:56même s'il ne vient pas nulle part.
08:57Il vient de Gdansk, le berceau de Suède à Noche.
09:00Il vient de chez, en fait, les Kaczynski, de chez Tusk, d'ailleurs, aussi.
09:04C'est un homme politique professionnel qui est un peu à l'image des outsiders actuels,
09:07qui est spontané, qui est sulfureux.
09:09Et peut-être que, justement, ça a très, très largement fonctionné
09:13aux yeux d'une partie de l'électorat.
09:14D'être sulfureux.
09:15Oui, parce qu'il faut voir, on a déjà des sondages de sortie dure,
09:19on n'avait que des profils électorats, de l'électorat d'hier.
09:22Et on voit que Navrotsky, en fait, a fait le plein chez les jeunes,
09:26qui, au premier tour, s'était très, très largement porté vers le candidat d'extrême droite.
09:32Les 18-29 ans ont voté à 52% pour Navrotsky.
09:37Vous allez me dire que ce n'est pas significatif suffisamment pour remporter l'élection.
09:41Un mot, Isabelle Davian ?
09:42De mon point de vue, l'intervention de Trump et de son administration dans la campagne
09:47a été fondamentale pour la victoire, une victoire aussi serrée.
09:51C'est bien, c'est un débat.
09:53Je veux dire, l'administration Trump a très clairement, entre les deux tours,
09:57sans doute en sentant le danger arrivé,
10:00a très clairement fait un chantage à la Pologne,
10:03qui était que les Polonais n'auraient le soutien américain
10:07que si c'était le PIS qui était au pouvoir.
10:09Et moi, je suis persuadée, mais j'en sais rien,
10:11mais je suis persuadée que c'est fondamental.
10:13Vous formulez une hypothèse.
10:15Oui, je formule une hypothèse qui est que,
10:18alors ça, ce n'est pas une hypothèse,
10:19c'est que les Polonais restent absolument fascinés par les Etats-Unis
10:24et restent par ailleurs aussi absolument certains
10:27que leur sécurité dépend des Etats-Unis pour une large mesure.
10:32Et je pense que l'un des échelles de Chasnovski,
10:34ça a été de ne pas réussir à les convaincre
10:36que la sécurité passait par l'UE également.
10:39Et donc, à partir du moment où il y a une forme de chantage,
10:42mais à peine voilé, qui dit que, si vous voulez,
10:45comme nous sommes dans un désengagement sécuritaire,
10:47nous les Américains,
10:48si vous voulez échapper à ce désengagement sécuritaire,
10:51il faut voter PIS.
10:51Voilà, ça, ça a été le discours.
10:53Ensuite, sur Nawrotski, oui, il vient de Gdansk,
10:55effectivement, berceau de solidarité.
10:57Mais bon, solidarité, ce n'est pas vraiment,
10:59je dirais, le centre d'intérêt de Nawrotski
11:05qui dirige l'Institut de la mémoire nationale,
11:08institut qui a décidé de changer le panthéon des héros polonais
11:11et notamment d'en faire chuter la Chevalessa
11:13pour le remplacer par les Kaczynski.
11:15Et en ce qui concerne le vote des jeunes,
11:17je dirais que là, d'une certaine manière,
11:20le PIS récolte aussi sa politique scolaire.
11:23On a une école qui est idéologisée
11:25depuis très très longtemps par le PIS
11:26et je ne sais plus comment le dit Victor Hugo,
11:29mais d'une certaine manière,
11:30ils ont répandu l'obscurité dans les salles de classe
11:33et maintenant, ils en récoltent la nuit.
11:35Il le dit mieux, Victor Hugo.
11:37Et à Bruxelles, ça va se passer comment ?
11:40Là, il y a...
11:41Van der Leyen a déjà réagi
11:43avec des mots très diplomatiques.
11:46Mais cette nouvelle donne risque d'avoir des effets ?
11:50Absolument, parce que...
11:51Desquelles ?
11:52Navrotsky tient un discours très très anti-Bruxelles.
11:56Il oppose une sorte...
11:59Ce qui existerait comme une élite bruxelloise cosmopolite
12:02contre le vrai citoyen
12:04qui est évidemment l'électeur du PIS.
12:08Il a sans doute, même certainement,
12:10bénéficié du report de voix
12:12du quatrième candidat arrivé au premier tour
12:17qui est une extrême droite antisémite,
12:19complètement déconnectée
12:21de toute réalité
12:22qui brûle les drapeaux de l'Union européenne.
12:25Donc, je pense que ça va poser problème, oui.
12:27Une catastrophe, vous le disiez.
12:29Ah, je le disais.
12:29À vous entendre.
12:30Ah oui, oui, je suis désolée.
12:32Non, non, vous avez bien le droit.
12:34D'un mot de conclusion, Jérôme Horteau ?
12:37Écoutez, sur la question du rapport à l'Union européenne,
12:40il est clair que symboliquement,
12:42c'est un message envoyé à l'Union européenne
12:44qui n'est pas très positif
12:45du point de vue de la Commission européenne,
12:47du point de vue des institutions
12:48et des grands partenaires de l'Union européenne.
12:49C'est l'international réactionnaire
12:51dont parlait Emmanuel Macron ?
12:53Oui, mais alors, il faut quand même
12:55être un petit peu factuel
12:57et voir aussi que le gouvernement Tusk,
13:00Tusk, pardon,
13:02quand il est à Bruxelles,
13:05sait aussi négocier les intérêts de la Pologne.
13:07Je rappelle que Tusk a obtenu
13:09une suspension du droit d'asile provisoire,
13:13a obtenu de Ursula von der Leyen,
13:15qui était de son même parti parlementaire européen,
13:20de ne pas appliquer, en tout cas,
13:22de repousser l'application du pacte vert,
13:24le pacte migration et asile.
13:25Donc, l'Union européenne sait à quoi sentir
13:28avec la Pologne,
13:29quel que soit son représentant.
13:31Il est clair que, d'une certaine manière,
13:34la perception qui sera faite de la Pologne
13:36au sein de l'Union européenne
13:38sera dans la rupture et dans la continuité.
13:41Merci à tous les deux, Jérôme Heurto,
13:43Isabelle Davion,
13:44pour cette première analyse
13:46du résultat de cette élection présidentielle polonaise.

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