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  • il y a 10 heures
Avec Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM (Caisse Nationale de l’Assurance maladie) et Leo Rosell, historien, enseignant en sciences-politiques à l’université Paris-Dauphine. Auteur de “La Sécu, une ambition perdue ? De la solidarité à la rentabilité” (JC Lattès). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-de-la-grande-matinale/le-debat-du-7-10-du-jeudi-02-octobre-2025-9770170

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Transcription
00:00La grande matinale, Sonia de Villers, Nicolas de Morand.
00:04Et débat ce matin sur une grande institution de la République, l'une des rares d'ailleurs
00:09à susciter un large consensus, consensus pardon, je chouinte, chez les Français.
00:16C'est la sécurité sociale qui dans deux jours aura 80 ans.
00:20La sécu est née au sortir de la seconde guerre mondiale, née par une ordonnance du gouvernement
00:26provisoire dirigé par le général de Gaulle. 80 ans après, comment explique-t-on cet
00:33attachement des Français à l'institution ? Comment la sécu a-t-elle évolué depuis sa
00:40création ? A-t-elle perdu certaines de ses ambitions des moments fondateurs au profit
00:46d'une logique budgétaire et de l'obsession pour le trou de la sécu ? On va en débattre
00:52avec Thomas Fatoum, bonjour. Vous êtes le directeur général de la CNAM, la Caisse
00:57nationale de l'assurance maladie. C'est la plus importante branche de la sécu, navire
01:04amiral de la protection sociale en France. Et Léo Rosel, bonjour. Historien, doctorant
01:11à l'université de Bourgogne, enseignant en sciences politiques à l'université Paris-Dauphine
01:17et auteur de « La sécu, une ambition perdue, point d'interrogation de la solidarité à la rentabilité »
01:25paru le mois dernier chez JC Lattès. Soyez les bienvenus au micro d'Inter et commençons
01:32donc par ce chiffre que vous citez dans votre livre, Léo Rosel. 85% des Français disent avoir une bonne image
01:41de la sécu. 88% lui expriment un fort attachement. Alors on sait que les institutions aujourd'hui
01:50subissent la défiance généralisée. Là, on a des chiffres époustouflants. Comment les expliquer ?
02:00Oui, alors la sécurité sociale, c'est un véritable patrimoine national. C'est un trésor national, d'ailleurs
02:06envié un peu dans le monde entier. Et ce très fort attachement des Français que vous soulignez,
02:10il se remarque aussi, par exemple, sur les réseaux sociaux, avec TikTok, sur un réseau
02:15sur lequel la carte vitale est devenue un emblème de fierté nationale. Donc ça, c'est vrai
02:20que c'est assez intéressant. Ça s'explique par tout un tas de raisons. Tout d'abord, le fait
02:23que la sécurité sociale reste, malgré tout un tas de réformes, l'un des systèmes de santé
02:29au monde les plus protecteurs, qui protègent l'ensemble de la population de la naissance
02:33à la mort pour tout un tas de risques sociaux, d'aléas de la vie, que ce soit la maladie,
02:38la maternité, les accidents du travail ou la vieillesse. Et donc, c'est véritablement
02:43une institution ancrée dans le quotidien des Français, à laquelle les Françaises
02:47et les Français tiennent beaucoup. Donc voilà l'essentiel. Et d'ailleurs, oui, peut-être
02:51juste, il y a une enquête du Figaro très intéressante sur le sujet, qui montre qu'il y a des
02:56Américains, des touristes américains, qui choisissent la France essentiellement parce
02:59qu'ils savent qu'ils vont pouvoir rentrer avec des médicaments français.
03:03Quel hommage ! Thomas Fatum, votre explication de cet enthousiasme intact de la part des Français
03:11pour leur Sécu ?
03:12Non, je rejoins vraiment ce qui vient d'être dit. Je pense qu'on le voit, nous, au quotidien
03:16avec nos assurés sociaux, y compris, c'est vrai, quand ils vont à l'étranger, quand ils
03:19sont exposés à des dépenses importantes. Ils nous disent, on a un système ultra protecteur
03:23en France et heureusement qu'on a une assurance maladie qui nous protège. En se redisant,
03:27bien sûr que la Sécu, ce n'est pas que l'assurance maladie, vous l'avez évoqué, c'est
03:29aussi la retraite, c'est aussi la branche famille. Et c'est vrai que, même si elle
03:33est confrontée à des défis importantes, je pense qu'elle s'est adaptée, elle offre
03:36des services différents, on fait de la prévention, on fait du numérique, on y reviendra certainement,
03:40mais on se sent bien. Et le Covid, quelque part, a montré, encore une fois, la puissance
03:44d'un système de santé et d'assurance maladie qui est capable de proposer des tests,
03:48des vaccins, de soutenir l'hôpital. Quand il y a une situation de crise majeure, l'assurance
03:53maladie a répondu présent et ça, je crois que les Français...
03:55Oui, globalement, savent que la Sécu est là.
03:58Exactement, elle est là pour les protéger. Et là aussi, un sondage récent, je crois
04:01qu'il y a 18 mois, qui disait que trois quarts des Français ont le sentiment d'être
04:04bien protégés par le système de sécurité sociale. Donc c'est un atout extrêmement
04:08important pour notre pays.
04:09Un mot des moments fondateurs, Léo Rosel, vous travaillez, vous faites votre thèse sur
04:16Ambroise Croizal, un des pères fondateurs de la sécurité sociale. Quel était l'état
04:22d'esprit des fondateurs ? Vous parlez des origines philosophiques, politiques et sociales
04:30de la Sécu. Politique ? Expliquez-nous.
04:34Oui, tout à fait. J'insiste beaucoup sur l'histoire politique de la sécurité sociale,
04:38le fait que c'est une histoire faite d'espoir, de revendications, de luttes, de compromis
04:43aussi, parfois aussi de recul. Et ça, c'est un élément assez important selon moi. Si
04:50on revient vraiment au moment de 1945, alors tout ne se crée pas en 1945, mais ce qui est
04:54nouveau à ce moment-là, c'est une ambition qui est celle de mettre les Françaises
04:58à l'abri du besoin et de les libérer de la peur du lendemain. Donc ça, ça se concrétise
05:03à travers une réforme révolutionnaire, révolutionnaire par son contexte de création et aussi par
05:08sa portée. Pierre Larocque, dont on parlera sans doute par la suite, qui était un haut
05:13fonctionnaire et qui dit à un moment, c'est une révolution qu'il faut faire et c'est
05:17une révolution que nous ferons. On a un peu de mal à imaginer aujourd'hui un haut
05:21fonctionnaire avoir un discours aussi politique, aussi affirmé. Et donc, on a comme ça une
05:26alliance de circonstances. C'est une réalisation collective, évidemment, mais qui est incarnée
05:30dans les mémoires par deux personnages. Pierre Larocque, dont je vous parlais, un haut
05:34fonctionnaire, donc directeur de la Sécurité sociale et représentant d'une conception
05:39émancipatrice de l'État social. Et de l'autre côté, Ambroise Croizat, qui est un
05:42ancien ouvrier, qui était ouvrier à l'âge de 13 ans, qui a grimpé progressivement
05:46les échelons de la CGT et du Parti communiste et qui devient à la Libération le ministre du
05:50Travail et de la Sécurité sociale.
05:51Et la promesse politique, c'est vous n'aurez plus peur du lendemain.
05:56C'est comme ça qu'on peut la formuler.
05:58C'est l'idée qu'on va libérer les Françaises et les Français de la peur du lendemain.
06:01Et on a parfois tendance à opposer un peu les deux, Larocque Croizat, à travers des
06:04mémoires conflictuelles. Moi, au contraire, j'insiste sur leur complémentarité, sur
06:08le fait qu'ils ont su travailler ensemble et parler le même langage, celui de l'intérêt
06:12général et de la justice sociale.
06:14Que reste-t-il de la promesse initiale ? Faire en sorte de ne plus avoir peur du lendemain,
06:19Thomas Fatome ?
06:20Dans tous les cas, je pense que la Sécurité sociale, elle est restée fidèle à ça.
06:24C'est-à-dire, je cotise selon mes moyens et je reçois selon mes besoins.
06:28C'est fondamental.
06:29Et je pense que tous les partenaires sociaux qui participent de la gouvernance des Caises
06:34de Sécurité sociale, ça a été dit aussi, l'État social, on est fidèle à ça.
06:38Après, elle a aussi considérablement amplifié son champ d'intervention.
06:43Se mettre à l'abri du besoin, à l'époque, en 1945, il faut se souvenir que c'est
06:46essentiellement protéger les travailleurs qui ne pouvaient pas aller travailler parce
06:49qu'ils étaient malades.
06:50Donc c'est d'abord des revenus de remplacement.
06:52Et puis petit à petit, on a étendu le champ, évidemment les soins, évidemment les prestations
06:56familiales et évidemment la retraite derrière tout ça.
06:59Donc bien sûr qu'il y a des défis financiers, on y reviendra, mais quand on regarde ce qu'il
07:03fait en termes de couverture des frais de santé, on est le pays qui reste encore avec un niveau
07:07de reste à charge le plus faible du monde.
07:09Quand on regarde par exemple sur les retraites, on a un pourcentage de retraites des pauvres,
07:14évidemment 10% c'est trop, mais c'est 20% en Allemagne.
07:16Donc je pense que sur beaucoup de sujets, la promesse d'une sécurité sociale qui protège
07:22nos concitoyens, elle est encore là et elle doit évidemment être réinterrogée chaque
07:25jour.
07:26Thomas Fatome, je vais vous citer Léo Rosel et vous demander de commenter sur la sécu
07:33d'une logique de financement des besoins.
07:36On est passé à une exigence inverse de réduction des dépenses, mutation permise par la focalisation
07:43sur un « trou de la sécu », entre guillemets, « largement mythifié ».
07:48Attaquons-nous donc plutôt à son trou de mémoire pour rappeler ses idéaux de solidarité
07:54et renouer avec l'ambition émancipatrice de ses inventeurs.
07:59Vous êtes d'accord ? Vous auriez pu signer Fatome les lignes de Rosel ?
08:04En tous les cas, j'aurais pu en effet aller dans le sens d'un travail de mémoire qui
08:07est extrêmement utile et c'est pour ça que les 80 ans de la sécurité sociale, c'est
08:10un événement mémoriel très important de se redire en quoi la sécurité sociale nous
08:15réunit.
08:15Et l'obsession du trou de la sécu ?
08:17La réalité après, c'est que je le disais, elle a beaucoup grandi cette sécurité sociale.
08:21Aujourd'hui, c'est plus de 600 milliards d'euros de dépenses et de recettes, un peu plus
08:25de dépenses que de recettes puisque de déficit que connaît le système de retraite,
08:28que connaît le système aussi d'assurance maladie.
08:31Donc, je ne crois pas qu'il y ait une obsession, il y a un enjeu de savoir comment on finance
08:36ses dépenses dans un contexte évidemment de démographie qui a énormément changé.
08:40Bien sûr, le rapport entre le nombre d'actifs et le nombre de retraités, c'est un défi
08:44majeur.
08:44Le contexte aussi d'épidémiologie, l'explosion des maladies chroniques, c'est des défis
08:49qui sont majeurs.
08:50Voilà, donc dès lors, ça devient un enjeu financier majeur d'un budget qui est largement
08:55supérieur au budget de l'État.
08:56Et donc, c'est certain que ces enjeux économiques sont présents aujourd'hui dans le débat politique.
09:00Avec le trou de la sécu largement mythifié.
09:04Léo Rosel, vous n'y croyez pas au trou de la sécu ? Il se voit sur un plan comptable.
09:09Si, si, bien sûr.
09:10Il change tout ?
09:11Alors, quand on parle de trou de la sécu, là aussi dans le livre, j'historicise un peu
09:15cette expression.
09:16C'est en fait un déficit de financement, un déficit de ressources.
09:20Il y a un choix qui a été fait et qui peut être compris par rapport à l'évolution économique
09:26sociale du pays.
09:27C'est, on a fait le choix de réduire les dépenses au lieu d'augmenter les ressources,
09:32augmenter les recettes.
09:33C'est un choix politique.
09:34À l'approche du PLFSS, c'est aussi peut-être intéressant de le rappeler.
09:39Et là, en fait, où je mets plutôt un point d'alerte sur ce discours budgétaire, évidemment
09:43que c'est important de faire attention aux finances, c'est notre argent, c'est nos
09:45cotisations.
09:46C'est normal qu'on fasse attention à l'utilisation de l'argent de la sécurité sociale.
09:50Mais là où je mets un point quand même d'alerte, c'est sur le fait que ce discours
09:53budgétaire, il aboutit aussi à favoriser un discours sur un prétendu assistana, sur des
09:58prétendus assistés.
09:59Ça, ça a quoi comme conséquence ? Ça a notamment la conséquence de favoriser le
10:03non-recours, le fait que la population va avoir peur d'une forme de onde sociale et
10:09d'être stigmatisée.
10:10Et ça alimente aussi des discours xénophobes.
10:13Donc, ces deux conséquences-là, ça remet en cause notre cohésion sociale et notre
10:17pacte social républicain.
10:18Thomas, Fatome, réaction et puis une dernière question.
10:22Le temps passe vite.
10:23Peut-être juste se dire, on est dans les pays du monde qui dépassent le plus pour
10:27notre santé.
10:27Après les Américains, après les Allemands, on dépense beaucoup pour notre santé.
10:32On regarde les retraites, on dépense, pardon de donner des chiffres, mais deux points de
10:35plus en PIB que la moyenne des pays de l'Union Européenne.
10:37Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'on est vraiment tapé dans les dépenses, modéré
10:42les dépenses et qu'il y a un problème uniquement de recettes.
10:45Après, ça c'est un débat politique, c'est un débat du Parlement.
10:46Il y a un problème de recettes, selon vous ?
10:48Ce qu'on a documenté, nous, à l'assurance maladie, c'est qu'on a 16 milliards d'euros
10:52de déficit et qu'on a deux problèmes.
10:54Un, on a un Ségur de la santé qui n'a pas été financé.
10:57L'augmentation légitime des revalorisations à l'hôpital liées au Ségur, c'est vrai
11:00qu'il n'y a pas eu de financement en face.
11:01Mais durablement, on a des dépenses qui vont beaucoup plus vite de nos recettes.
11:04Donc, après, ça c'est un débat politique.
11:06Mais on ne peut pas durablement tenir des dépenses de sécurité sociale
11:08qui iraient plus vite que la registre nationale, ça ne tient pas la route.
11:11Citation de Catherine Vautrin, ministre démissionnaire du Travail et de la Santé.
11:16En juin au Figaro, le 80e anniversaire de la Sécurité sociale en octobre prochain
11:21est une bonne opportunité de discuter de notre modèle social avec les Français.
11:27Il faut rappeler que rien n'est gratuit et que tout à un coup,
11:30on doit sortir du refrain « c'est gratuit, j'y ai droit ».
11:35Réaction rapide l'un et l'autre sur cette manière de préparer le 80e anniversaire ?
11:42Évidemment que la santé, ce n'est pas gratuit.
11:44On la paye à travers nos cotisations sociales.
11:47La seule chose que je dirais, encore une fois, je m'exprime en tant qu'historien,
11:52c'est qu'il y a un risque de culpabilisation.
11:55Il ne faut pas non plus que ça aboutisse à une culpabilisation
11:57parce que l'effet principal de cette culpabilisation sur les assurés,
12:00ça va être le fameux non-recours, le fait que les gens ne vont pas faire valoir leurs droits
12:04pour des raisons d'information, pour des raisons de moyens
12:06et parfois aussi par cette peur de la culpabilisation.
12:09Thomas Fatome.
12:10Vous savez, moi je suis frappé par une chose.
12:12Les Français sont très attachés à la sécurité sociale
12:14et en même temps, vous voyez le débat monter sur salaire brut, salaire net.
12:18Évidemment, ils se disent « mais pourquoi j'ai aussi peu de salaire net ?
12:21Qu'est-ce qui se passe ? »
12:22Or, la différence, en réalité, c'est le financement de la sécurité sociale.
12:24Donc, expliquer à quoi sert l'argent de l'assurance maladie,
12:28expliquer, on a fait un poste il n'y a pas longtemps,
12:29sur à quoi sert 1000 euros de l'assurance maladie,
12:31on a eu un écho énorme parce que les gens, ils veulent savoir, ils veulent comprendre.
12:34Et donc, ce n'est pas culpabiliser, c'est juste faire comprendre aux Français
12:37qu'on finance un système qui les protège
12:40et que ça veut dire quand ils vont à l'hôpital,
12:41ça veut dire qu'ils consomment des médicaments innovants,
12:43on est là pour financer ces soins, ça a un coût.
12:45La fierté de la carte vitale sur TikTok.
12:48Merci à tous les deux, Thomas Fatome et Léo Rosel.
12:54On est quelques jours avant le 80e anniversaire de la sécu,
12:57mais on a déjà soufflé les bougies.
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