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  • il y a 2 jours
La Journée internationale de lutte contre le trafic illicite des biens culturels, organisée chaque année le 14 novembre par l’UNESCO, rappelle l’ampleur d’un phénomène qui continue d’évoluer avec les mutations du marché de l’art. Pour faire le point sur ces enjeux et sur les évolutions récentes de la régulation, Guergana Guintcheva, professeure de marketing, spécialiste des industries culturelles à l’EDHEC et co-autrice de l’article « Art et crime organisé : de la prise de conscience aux moyens d’action », est l’invitée d’ART & MARCHÉ.

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Transcription
00:00La journée internationale de lutte contre le trafic illicite de biens culturels est organisée chaque année par l'UNESCO le 14 novembre.
00:12Et donc, lié à cette actualité, je suis ravie d'accueillir aujourd'hui Gergana Gincheva,
00:17qui est professeure de marketing, experte des industries culturelles à l'EDEC, l'école économique.
00:22Et vous êtes co-autrice de l'article Art et Crimes organisés, de la prise de conscience aux moyens d'action, avec également professeur à l'EDEC, Bertrand Monnet.
00:33Merci beaucoup d'être avec nous.
00:34Enchantée, merci de m'avoir invitée.
00:37On entend souvent dire que l'art est l'un des terrains de jeux de trafic illicites les plus importants.
00:43Est-ce que c'est toujours le cas ? Comment est-ce que le marché de l'art se situe par rapport aux autres marchés ?
00:49Oui, c'est le cas, dans le sens où déjà l'art et l'investissement financier sont très liés,
00:57parce que d'après Art Basel, 60 milliards de dollars annuellement sont investis dans l'art.
01:07Ensuite, un autre chiffre important, c'est que d'après Europol,
01:14après la drogue et les armes, c'est l'art qui vient comme une source de blanchiment.
01:24Pourquoi ? J'imagine que c'est important d'expliquer.
01:28D'abord parce que l'art, le prix d'une œuvre d'art est assez subjectif.
01:37Ça dépend de l'évaluation.
01:38Il peut être aussi spéculatif.
01:40Pour vous donner un exemple concret, par exemple, en 2007,
01:43une œuvre de Basquiat a traversé la frontière avec un bordereau
01:49justifiant une valeur de 100 dollars, alors qu'elle valait 8 millions.
01:56Et cette mauvaise évaluation faisait partie d'une opération de blanchiment d'argent, justement.
02:04C'est parce que la douane n'était pas forcément au courant qu'en Basquiat,
02:08ça n'a pas cette valeur-là, alors que c'est vrai que des lingots d'or,
02:10on peut plus facilement se dire que ça vaut plus.
02:13D'accord.
02:14Et après, le marché de l'art manque de transparence,
02:19parce que notamment avec les ventes aux enchères, par exemple,
02:24gré à gré, vous n'êtes pas obligé de dire qui est l'acheteur.
02:27Il peut y avoir des services qui proposent un achat sans dévoiler.
02:34On va revenir justement sur toute cette réglementation qui a évolué,
02:38mais est-ce que tout d'abord vous pouvez nous expliquer
02:40comment fonctionne le blanchiment à travers l'art ?
02:43Est-ce que peut-être vous avez un exemple pour comprendre
02:45quels sont les réseaux, les circuits qui permettent de blanchir de l'argent
02:51via l'achat d'œuvres d'art ?
02:53C'est une très bonne question.
02:54C'est le premier résultat de notre étude, le mode opératoire.
02:58Parce que vous avez raison, peut-être le grand public ne s'imagine pas
03:02comment on peut lier une œuvre d'art à un blanchiment d'argent.
03:06Donc, c'est assez simple et ça s'inscrit dans les trois phases
03:14du blanchiment d'argent, je dirais, traditionnel,
03:18qui sont d'abord le placement, ensuite l'empilement et l'intégration.
03:24Donc, d'abord le placement.
03:25Je prends un exemple très concret.
03:28Imaginons un groupe de crimes organisés de l'Amérique du Sud, par exemple,
03:35qui a fourni de la drogue à un autre groupe de crimes organisés en Europe,
03:44France ou Belgique.
03:46Donc, il va demander à ce que ce groupe en Europe garde, par exemple,
03:545% en cash de la transaction.
03:59Et ce groupe-là va se mettre en lien.
04:03Donc, ça, c'est la phase de placement.
04:05Il va se mettre en lien avec, par exemple, un agent corrompu sur un port franc.
04:10Imaginons, il y en a beaucoup, Genève, Luxembourg.
04:14Et il va demander à cet agent corrompu, à des intervalles réguliers,
04:22imaginons tous les six mois, d'acheter une œuvre à d'art
04:25entre 3 ou 10 millions d'euros.
04:30Et en contrepartie, l'agent, il va recevoir une commission.
04:34Et donc, pendant cette phase-là, qui est la phase de placement,
04:38l'argent sale du transit de la drogue va être investi dans des œuvres d'art
04:44qui sont sur des ports francs.
04:47La spécificité des ports francs, c'est que c'est en dehors de toute douane,
04:52en dehors de toute législation.
04:54Donc, des transactions peuvent se passer tant que l'œuvre ne sort pas du port franc.
04:59du port franc, on ne sait pas qui est l'acheteur ou où elle va.
05:06Et donc, ensuite, on va passer à la partie empilement,
05:11où toujours des agents corrompus dans les galeries
05:14ou des salles de vente vont revendre les œuvres.
05:22Et là, on passe, on perd la trace de l'argent.
05:27Et la dernière phase, c'est l'intégration,
05:29l'intégration dans l'économie légale.
05:34Souvent, c'est des sociétés d'écran
05:35qui sont liées à la première organisation de crimes organisés,
05:40mais qui sont complètement légales,
05:42qui vont récupérer l'argent.
05:44Mais après, plein de phases où on perd la trace.
05:47C'est-à-dire que, du coup, l'œuvre qui a été revendue,
05:51va être achée par ces sociétés d'écran,
05:54puis revendue, et donc l'argent...
05:56C'est l'argent juste qui est récupéré sur ces...
05:57qui ne sont complètement pas du tout dans l'art.
06:00Ça peut être d'autres...
06:01Est-ce qu'on a une idée des montants, des échelles, etc.?
06:05J'imagine qu'il n'y a pas beaucoup d'études sur...
06:08Entre 2 et 5 % du PIB mondial est blanchi.
06:16Pas seulement par l'art, mais encore une fois,
06:18le blanchiment par des œuvres d'art arrive,
06:21c'est en troisième position en termes de sources.
06:24D'accord, donc ça peut être des montants énormes.
06:28Plus récemment, je dirais, des cinq dernières années,
06:31il y a eu quand même pas mal de réglementations
06:33au niveau européen qui ont évolué
06:37avec des demandes d'exigences plus élevées
06:40auprès des marchands, etc.
06:42Est-ce que ça, vous constatez que ça a un effet positif sur le marché ?
06:46Est-ce que c'est effectif ?
06:49Est-ce qu'on remarque moins de blanchiment ?
06:51Tout à fait.
06:52La réglementation est très importante sur le crime organisé.
06:57Et en effet, le marché de l'art manquait de régulation.
07:02Ce qui permettait aussi qu'il était attractif
07:06pour ce type d'opération de blanchiment.
07:09Et en effet, comme vous l'avez dit,
07:11on est à la sixième directive du côté européen
07:14qui stipule que toute transaction
07:18à partir de 10 000 euros
07:20doit être déclarée très transparente
07:25avec les acheteurs, leurs noms, etc.
07:26Et ce qui est très important,
07:28c'est que suite à ces directives européennes,
07:34d'autres États ont fait la même chose,
07:36notamment les États-Unis.
07:38Et c'est très important que les États-Unis l'ont fait
07:42parce qu'au niveau du marché de l'art,
07:4443 % des transactions sont faites sur ce marché-là.
07:49Donc c'est très important.
07:50Les États-Unis ?
07:50Oui.
07:50Oui, c'est une place forte.
07:52Et j'imagine aussi que,
07:53vu que c'est un marché qui est mondialisé,
07:55plus il y a de pays qui se mettent
07:58à la même page de réglementation,
08:00plus ça favorisera quand même
08:01une baisse du blanchiment
08:02parce que c'est ça aussi le problème.
08:03Si seulement, par exemple,
08:05l'Union européenne se met à ces réglementations-là
08:07et d'autres pays non,
08:09ça créera un décalage
08:10qui ne changera pas forcément grand-chose
08:11à l'échelle internationale.
08:13Exactement.
08:14Oui.
08:15Et ce qui est important aussi,
08:16c'est que les ports francs
08:18ont été aussi très réglementés.
08:19D'ailleurs, dans notre méthodologie,
08:22on a analysé la presse
08:24sur 23 années
08:26et comment la presse sensibilise
08:28le grand public sur ces sujets.
08:30Et pour prendre l'exemple juste des ports francs,
08:33dans les années 2000 jusqu'à 2010,
08:37il y avait énormément d'articles
08:38qui montraient des problèmes de corruption
08:42ou des problèmes de blanchiment
08:44qui se passaient sur ces lieux.
08:46Alors qu'actuellement,
08:49grâce à la réglementation des ports francs,
08:51on a de moins en moins d'articles
08:52qui montrent que la réglementation
08:55a fonctionné
08:56et le public a été sensibilisé.
08:58D'accord.
08:58Ok, donc un sujet encore à suivre.
09:00Merci beaucoup, Gergana Gincheva.
09:02Je rappelle que vous êtes professeure
09:03de marketing experte
09:04des industries culturelles à l'EDEC
09:06et co-autrice de l'article
09:08« Art et crime organisé »
09:10de la prise de conscience aux moyens d'action
09:12co-écrit avec Bertrand Monnet.
09:14Merci beaucoup d'avoir été avec nous
09:15et merci à vous toutes et tous
09:16de nous avoir suivis.
09:18C'était Arrêt Marché.
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