- il y a 4 mois
Dans La Collision, Paul Gasnier relate la mort de sa mère, tuée par un jeune homme lors d'un rodéo sauvage. Il explore les thèmes de la responsabilité individuelle et collective, et la complexité des destins croisés dans une société fracturée.
Retrouvez « Le Grand portrait par Sonia Devillers » avec Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
Retrouvez « Le Grand portrait par Sonia Devillers » avec Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00France Inter, La Grande Matinale, Sonia de Villers.
00:06On peut toujours constater qu'en cette rentrée littéraire, il y a foule d'écrivains qui publient sur leur mère.
00:12On peut toujours citer Emmanuel Carrère, Amélie Nothomb, Catherine Millet, Justine Lévy.
00:18Se dire que c'est la génération qui voit mourir ses parents, ou bien qui a l'âge de s'en souvenir.
00:23Seulement mon invité a 20, 30, 40 ans de moins que ces auteurs-là.
00:28Sa mère à lui n'avait pas l'âge de mourir.
00:31Elle a été percutée en pleine tête par une moto lancée à folle vitesse.
00:36Un jeune qui n'avait pas le permis, qui faisait mugir le moteur et soulever sa bécane sur la roue arrière.
00:41Un rodéo urbain, pour ceux qui se croient dans un western américain, la réalité est bien loin.
00:47Bruits assourdissants, tôles fracassés, verres brisés, cris dépassants, le sang qui coule, pompiers, hôpital, réanimation, la mort au bout du couloir.
00:56Et un fils, pas encore complètement adulte, qui se retrouve sans sa maman.
01:01Une quinzaine d'années après les faits, il écrit le récit de cette collision qui a tué sa mère, sans être ni un meurtre, ni un accident.
01:10Portrait numéro 5.
01:11Bonjour Paul Gassnier.
01:16Bonjour.
01:17Vous ne l'appeliez jamais maman.
01:20Non, et c'était le signe de notre proximité.
01:24J'avais moins un rapport d'enfant à maman que d'ami à ami.
01:28C'était ma meilleure amie, en réalité.
01:30C'est quelque chose qu'on a décrété assez jeune.
01:31Quand j'étais au collège ou au lycée, je l'ai tout de suite appelé par son prénom.
01:34C'est resté.
01:36Et voilà ce que ça traduisait.
01:38Notre grande proximité, notre grande complicité et notre connivence qui n'a pas duré longtemps, mais qui était très intense.
01:43Et vous qui ne l'appeliez pas maman, qui l'appeliez par son prénom, vous n'utilisez jamais son prénom.
01:52Il y a 169 pages de livres et son prénom n'est nulle part.
01:56Pourquoi ?
01:58Oui, c'est quelque chose qui est venu naturellement.
02:00Je pense que c'est de la pudeur naturelle.
02:02Je ne voulais pas trop en dévoiler et c'était une manière de me protéger.
02:07C'est vrai que c'est étonnant.
02:08Beaucoup de gens m'ont fait remarquer.
02:09J'utilise le prénom du jeune garçon qui l'a tué.
02:12Saïd.
02:12Saïd, que je ne connais pas, dont j'essaye de faire le portrait.
02:16Je n'utilise jamais son prénom à elle.
02:18C'est vrai que le livre s'intéresse beaucoup au portrait du jeune qui l'a tué.
02:22Presque plus qu'à ma mère.
02:25C'est étonnant, je ne m'explique pas.
02:26C'est quelque chose qui s'est imposé naturellement.
02:29La collision paraît donc chez Gallimard.
02:31C'est votre premier livre et c'est un récit qui est très fin, qui est dense, qui est précis, qui est pensé.
02:38Vous êtes journaliste dans l'émission d'Yann Barthès, quotidien.
02:41Absolument.
02:42Qui reprend ce soir.
02:43Qui reprend ce soir, 19h25, TMC.
02:45TMC.
02:46Donc il y a deux millions de personnes qui vous regardent tous les soirs,
02:50sans se douter que derrière des gens bien propres et tirés à quatre épingles,
02:53parce que c'est ça la télé, et bien peuvent se cacher des drames et des abîmes de chagrin et de colère.
03:02Le 6 juin 2012 à 17h13, c'est la collision.
03:07Racontez-la.
03:076 juin 2012, 17h13, ma mère est à vélo sur une petite rue des Pentes de la Croix-Rousse,
03:14qui est un quartier populaire très central à Lyon, au pied de l'hôtel de ville.
03:18Elle se rend à son centre de yoga, qu'elle vient d'ouvrir.
03:20Elle était devenue professeure de yoga à la fin de sa vie.
03:23Et à ce moment-là, un jeune du quartier fait des tours du quartier sur une motocross qu'il ne sait pas conduire.
03:28Il n'a pas le permis, il est défoncé au cannabis.
03:31Il décide de faire une roue arrière pour impressionner ses copains.
03:33Il remonte la rue à toute allure, une toute petite rue très étroite, à 80 km heure.
03:37Et il la percute très violemment.
03:41Elle tombe dans le coma quasi immédiatement.
03:44Elle décède une semaine après.
03:46À l'hôpital.
03:47À l'hôpital.
03:48Et voilà comment ça s'est passé.
03:51C'était en pleine journée, il y avait beaucoup de monde dans la rue.
03:53Et ce que je raconte dans le livre, c'est surtout ce qui s'est passé après la collision.
03:56C'est-à-dire que les passants se sont précipités sur ma mère et sur ce jeune pour l'aider.
04:01Et les copains du motard sont arrivés pour retirer la moto et partir avec pour maquiller la scène de l'accident.
04:06Donc une bagarre a éclaté alors que ma mère gisait à terre.
04:10Il faudra 4 jours pour retrouver la moto, 4 jours d'enquête.
04:15Et vous, pendant ces 4 jours, avec votre père et votre sœur, vous êtes confronté à quelque chose d'extrêmement brutal.
04:22On vous demande de donner les organes de votre mère.
04:25Oui, absolument.
04:26Est-ce qu'elle va sauver des vies ?
04:27Absolument, parce que notre priorité à nous n'est pas celle des médecins qui sont au bloc opératoire.
04:31Donc eux viennent tout de suite nous voir en disant, voilà, ils nous disent avec leurs mots,
04:34mais ils nous disent qu'il n'y a aucun espoir, qu'elles s'en sortent, que ces chances de survie diminuent jour après jour.
04:40Et qu'il faut décider tout de suite, immédiatement, si on accepte de donner des organes et lesquels.
04:45C'est très brutal, mais voilà, le rôle de la médecine n'est pas toujours de faire dans l'humain et dans la dentelle,
04:52mais ils sont commandés par l'urgence.
04:53Il y en a des dizaines et des dizaines et des dizaines comme ça, de sons de rap et de clips
05:12qui portent au nu cette roue arrière, ces virées à moto, qui les glorifient,
05:19ces crosses bitumes ou ces rodéos urbains en fonction du vocabulaire.
05:24C'est difficile de critiquer le rap.
05:26On va voir dans quoi on risque de tomber quand on s'y met.
05:31Qu'est-ce que vous pouvez dire de cette moto ? Qu'est-ce que vous en savez ?
05:33Ça me met très mal à l'aise de voir à quel point la roue arrière en moto est devenue un leitmotiv des clips de rap
05:39de la culture de banlieue aujourd'hui.
05:41C'est applaudi par tout le monde, y compris par les élites culturelles.
05:44Et c'est un problème.
05:46Tout comme c'est un problème qu'on trouve normal les paroles sexistes, homophobes dans le rap
05:50et qu'on s'interroge très peu là-dessus.
05:52Parce qu'il y a toute une génération qui n'écoute que ça, qui ne regarde que ça.
05:56Et forcément, ça laisse des traces dans les comportements qui suivent.
05:59Après, le rap n'est pas coupable de ces comportements.
06:03Ou en tout cas, n'est pas le seul.
06:04Mais je trouve que c'est un grand impensé.
06:06Et alors cette moto ?
06:07KTM 654 m3.
06:11Oui, centimètres cubes, heureusement.
06:14Une grosse moto qui évidemment n'est pas faite pour circuler en ville.
06:17Le principe de cette moto, c'est que dès qu'on met les gaz,
06:20elle part tellement vite qu'elle part immédiatement au roue arrière.
06:26Conçue à base de testostérone et d'arsouille.
06:29Oui, ça c'est les sites qui la vendent, qui la décrivent comme ça.
06:31C'est un argument de vente.
06:32Une moto à base de testostérone.
06:34Ça dit tout.
06:35Ça dit tout ?
06:35Ça dit quoi ?
06:37Quand on met de la testostérone dans sa moto ?
06:38Ça veut dire que ceux qui savaient conduire sont des vrais mecs.
06:41C'est un véhicule de la virilité.
06:43C'est un outil qui permet de montrer sa puissance.
06:45Et c'est en ça que le rodeo urbain incarne hélas parfaitement notre époque.
06:49C'est que c'est un engin qui est conçu pour aller vite, faire du bruit et attirer l'attention.
06:54Et je pense que ça, c'est très important pour expliquer ces comportements.
06:57C'est-à-dire que ce jeune-là, Saïd, qui a tué ma mère et tous les jeunes qui font des rôles urbains,
07:00ils sont obsédés par une chose, attirer l'attention de leurs potes qui les regardent.
07:03Ça c'est Mozart, et c'est la figure du commandeur,
07:32qui revient d'entre les morts pour écraser de sa colère Don Giovanni.
07:38C'était un film, parce que ça a été adapté au cinéma par Joseph Lozet, qui adorait vos parents.
07:43C'était un film que vous partagiez avec votre mère quand vous étiez petit.
07:47La colère, la colère, elle vous a envahi, Don Gassnier.
07:52Oui, absolument, parce que c'est un événement très brutal qui arrivait quand j'étais très jeune.
07:56Et surtout qui venait contredire toute l'éducation que j'avais reçue de mes parents, toutes mes valeurs.
08:01Et quand la réalité contredit nos idéaux, c'est très violent, parce qu'on est complètement perdus.
08:08Je m'imaginais passer devant un groupe de jeunes dealers, zonant en jogging basket et dégainer un colt.
08:13Absolument.
08:13Pour le planter sur le front du premier venu, pour contempler la terreur dans ses yeux, ne serait-ce que quelques secondes.
08:19Ça aurait fait du bien ?
08:21Absolument, oui.
08:22Oui, j'aurais pu basculer, devenir jeune d'extrême droite, percu de haine, absolument.
08:27Ça nous prend tout sonné quand il y a un événement comme ça qui nous arrive aussi jeune.
08:29Et ce n'est pas un hasard si ça m'a mis 13 ans pour écrire ce livre.
08:32Heureusement que je n'ai pas écrit juste après l'accident.
08:34Ça aurait donné une...
08:35Ça aurait été un défouloir ?
08:37Oui, ça aurait été un défouloir et puis j'étais...
08:39En fait, j'étais complètement perdu, c'est-à-dire que j'étais ferme dans mes idéaux avant cet accident.
08:44Et après, tout était complètement chamboulé.
08:46Parce que comment on peut être tolérant, ouvert sur les autres, considérer que la préoccupation de la délinquance,
08:51c'est de la lopénisation des esprits, quand soudain elle vient percuter notre vie et vous enlevez votre mère ?
08:55Et vous dites la colère, quand elle commence à nous envahir, est un plaisir narcotique.
08:59Qu'est-ce que ça veut dire ?
09:00Un plaisir narcotique, c'est-à-dire que c'est un plaisir qui endort, qui endort l'essence, la sensibilité et qui simplifie le réel.
09:08Et vous vous êtes imaginé, vous vous êtes imaginé, regardez droit dans les yeux Saïd,
09:13vous vous êtes imaginé en commandeur, comme dans d'autres Giovanni, faire votre retour.
09:17C'est un peu grandiloquent, mais c'était...
09:19Oui, mais en même temps, on fait ce qu'on peut quand on a 21 ans et qu'on...
09:22Oui, absolument, c'était un fantasme et mon père habitait encore à Lyon.
09:25Il habite toujours à Lyon, donc c'est une ville où je vais souvent.
09:28Et à chaque fois que je me baladais dans le quartier, je me disais, peut-être que je vais le croiser, en fait.
09:31Et vous l'imaginez ramper à vos pieds, vous imaginez la scène du 30, vous imaginez ses larves, vous imaginez son pardon ?
09:38Oui, oui, je me suis figuré, je me suis fait plein de scénarios dans ma tête.
09:41Je me suis dit, mais à quoi ça va ressembler, voilà, la situation idéale, si je l'avais en face de moi,
09:45qu'est-ce que je lui dirais ? Qu'est-ce que j'attends de son comportement ?
09:48Et c'est vrai que c'est comme ça que je me l'imaginais.
09:50Alors, les fantasmes et la réalité, ce n'est pas la même chose.
09:53Mais oui, c'est comme ça que je me le figurais.
09:56Je vous emmène à Cannes, Palais des Victoires, janvier 2022, vous, vous étiez dans la salle.
10:03Je ne veux pas que Cannes soit à son tour ensauvagée.
10:08Le logement social est devenu progressivement le logement de l'immigration.
10:12Je ne veux pas de trappe à la campagne.
10:16Je ne veux pas de kebab dans tous les villages de France.
10:19Dans les cités comme ailleurs, nous n'en pouvons plus d'avoir peur.
10:29Je n'en peux plus d'entendre vos témoignages désespérés.
10:33J'introduirai dans notre droit la notion de défense excusable.
10:38Avec cette protection juridique, les commerçants, les braquets, les citoyens cambriolés et les policiers en danger auront enfin le droit de riposter aux voyous.
10:50C'est Éric Zemmour en campagne.
10:53Vous, vous y étiez.
10:54Pourquoi il vous a marqué ce meeting-là ?
10:56Vous y étiez pour Quotidien.
10:58Vous couvriez, vous étiez en ce moment.
10:59Oui, je faisais un reportage sur la campagne de Zemmour pour Quotidien.
11:02Et c'est un meeting qui m'a marqué parce que, alors pour plusieurs raisons.
11:04Déjà pour l'énergie qu'il y avait dans la salle.
11:06Quand je voyais tous ces jeunes qui acclamaient, ils étaient très jeunes, le public, ils avaient mon âge.
11:11Ils acclamaient toutes ces harangues.
11:13C'était terrifiant.
11:14Et en même temps, il y a eu un déclic en moi quand j'ai assisté à ce discours parce que ce discours très radical, très violent d'Éric Zemmour venait valider tout ce que j'avais vécu.
11:25C'est-à-dire que l'accident de ma mère était une illustration du discours d'extrême droite.
11:29C'était un accident très manichéen.
11:31On avait un jeune d'origine maghrébine défoncé au cannabis qui avait tué une femme blanche, française, innocente qui avait croisé son chemin.
11:39Et donc le manichéisme à première vue de mon accident venait confirmer tout ce discours d'extrême droite.
11:45Et par ailleurs, parce que moi je l'ai revu pour préparer cette émission, j'ai revu ce meeting.
11:51Toutes les moins de dix minutes, et le meeting est très long, Éric Zemmour fait siffler les journalistes, fait huer les journalistes, s'en prend aux journalistes, aux médias, etc.
12:01Et ça marche.
12:02La salle est surchauffée.
12:04Il faut quand même rappeler que quelques semaines avant, il y a le meeting de Villepinte.
12:08Absolument.
12:08Où ça dégénère, où il y a une équipe de quotidien qui est exfiltrée.
12:11Vous y étiez ?
12:12À Villepinte, non, c'était une collègue à moi, Sophie Dupont qui y était.
12:14Voilà.
12:15Et donc, toute cette salle qui vous jette des pop-corns à la gueule, c'est vraiment ce qui s'est passé.
12:21Oui, ils ont un peu sifflé, jeté des pop-corns, enfin les moqueries habituelles.
12:24Ils ont convaincu, et c'est une forme de pacte entre Éric Zemmour et ses militants, et convaincu que vous êtes ce qu'on appelle des bobos, des journalistes parisiens déconnectés, hors sol, que vous vivez loin, très très loin de ce qui percute réellement la vie des vrais Français, et que leur colère à eux est légitime, et que vous, vous ne pouvez rien y comprendre.
12:44Oui, absolument, c'est leur présupposé. Ils pensent qu'on vit dans une espèce d'Olympe complètement déconnectée du réel, où on n'est jamais confronté à la brutalité de la société.
12:54Il se trouve que moi, si, et c'est à partir de ce paradoxe qu'est né le besoin et la nécessité d'écrire.
13:03C'est-à-dire que moi, la délinquance qu'ils dénoncent à longueur de meeting, je l'ai vécue. C'est la délinquance qui a tué ma mère, donc je me suis senti autorisé à en parler.
13:11C'est vrai que le point de départ du livre, c'est ce meeting, et plus globalement, c'était la brutalité de cette campagne présidentielle, où la surenchère sécuritaire et le populisme pénal a tout envahi.
13:20Et d'ailleurs, c'est pas près de s'arranger dans les deux années à venir.
13:24Et c'est ce décalage entre d'où je viens, ce que j'ai vécu, et la correspondance de mon vécu avec ce discours d'extrême droite, qui est né le besoin d'écrire.
13:32Les voraces. Il y a quand même deux mots dans ce livre, sur lesquels ce serait précipité Jacques Lacan, probablement.
13:39Il y a les pentes à Lyon, le quartier des pentes à Lyon. Et vous-même, vous le dites, Saïd va glisser.
13:45Comme dans la chanson d'MTM, Saïd va glisser.
13:48Absolument, c'est l'histoire de sa vie. En fait, c'est un garçon qui...
13:52Il y a les pentes et il y a les voraces. On va expliquer pourquoi.
13:55Oui, les voraces, c'était là où il vivait avec sa famille à l'époque.
13:57La cour des voraces, qui est une vieille cour sur les pentes de la Croix-Rousse. C'est très joli.
14:02Et les voraces étaient le nom d'un groupuscule anarchiste au XIXe siècle.
14:07Et les pentes de la Croix-Rousse, oui, j'explique que c'est un quartier dont le nom peut être prédestiné à glisser toute sa vie.
14:12Parce qu'à chaque fois qu'il retombe en prison, qu'il se retrouve devant un juge, il se réinsère dans la société, il refait une connerie et il retombe.
14:20Et l'histoire de sa vie est celle d'une lente glissade.
14:23C'est ça. Et les voraces dévorent leurs enfants de manière absolument terrifiante.
14:29Puisque, en fait, vous vous lancez dans une forme de généalogie de la violence.
14:33Vous avez le même âge que Saïd. Pourquoi lui, il a basculé, pas ses soeurs, pas ses parents, qui respectent scrupuleusement la loi.
14:43Et pourtant, ils sont eux aussi d'origine maghrébine. Ils sont eux aussi fils d'immigrés marocains.
14:48Ils sont eux aussi d'origine sociale modeste. Ils respectent scrupuleusement la loi.
14:53Saïd, lui, il a basculé. Généalogie de la violence, donc.
14:57Et vous découvrez qu'un an avant, le frère aîné de Saïd a été assassiné au vorace.
15:03Absolument. Absolument, ouais. C'est une famille assez étonnante.
15:06Alors, c'est une famille populaire, mais pas misérable pour autant.
15:09Mais où les deux garçons, effectivement, sont tombés dans la délinquance pour plusieurs raisons.
15:13À cause de la drogue qui a commencé à gangréner ce quartier. C'est un sujet qu'on voit partout aujourd'hui.
15:18À cause des mauvaises fréquentations. À cause des filets de l'État qui ne retiennent plus, qui ne marchent plus.
15:24C'est aussi... En fait, quand on ausculte le parcours de Saïd, de son frère et de toute sa bande,
15:29ça raconte aussi une certaine démission de l'État.
15:32La baisse des moyens dans la justice, dans la police.
15:35Mais vous allez voir des policiers, vous allez voir les juges, notamment le juge qui a instruit et qui a jugé l'affaire.
15:42Et ils vous font tous des réponses exactement de cet ordre-là.
15:46C'était inévitable.
15:47C'était inévitable ?
15:48C'est ce qu'ils disent tous.
15:49C'était inévitable parce que...
15:51Parce que voilà, eux, ils me racontent comment ce jeune garçon leur a échappé.
15:55Parce qu'ils se renvoient aussi la balle.
15:57C'est-à-dire que la police considère que la justice est trop laxiste et permet des vices de procédure dans lesquelles s'engouffrent les avocats à chaque fois.
16:05La justice dit que la police brutalise les rapports sociaux avec les jeunes.
16:08Voilà, moi, je ne distribue pas les bons points. Je ne sais pas qui a raison.
16:10Je ne sais pas s'il y a du laxisme policier ou du laxisme judiciaire.
16:12En tout cas, il y a quelque chose qui a raté, qui a manqué.
16:16Et c'est un schéma qu'on voit partout aujourd'hui.
16:17Et dans la collision, en réalité, vous racontez la collision de deux destins parallèles qui n'auraient jamais dû se croiser.
16:25Oui.
16:25Qui racontent une France totalement malade et éclatée, dites-vous.
16:29C'est le destin de votre mère qui vient d'une famille Aristo, une famille à particules qui s'est installée à Versailles.
16:35Vous avez...
16:35Elle me tuerait que je le dise en public, mais oui.
16:39Oui, effectivement, c'est ce qui m'a vraiment frappé dans cette histoire.
16:42C'est que c'était deux archétypes, en fait.
16:45Ma mère venait d'une vieille famille catholique, de l'aristocratie militaire, un peu désargentée.
16:50Et elle, c'est la génération post-68 qui s'est embourgeoisée.
16:53Elle s'est expatriée.
16:54Elle a fait carrière à l'étranger.
16:55Elle est devenue profession libérale, architecte, avant de consacrer la fin de sa vie au yoga.
17:00Enfin, c'est presque une caricature.
17:02La fin de sa vie.
17:03On parle d'une femme qui est morte à 50 ans.
17:05Elle est morte à 54 ans, oui.
17:06Donc, c'était la fin de sa vie.
17:07Et c'est vrai que son parcours personnel a été un calque des évolutions socio-culturelles du pays.
17:14Ça, c'est ma passionnée.
17:15Et elle a été percutée par un autre archétype.
17:18Par un jeune délinquant d'origine maghrébine, tombé dans la délinquance,
17:21dont les parents étaient arrivés en France, de leur Maroc, dans les années 60.
17:25Et c'est vrai que voir ces deux personnages, qui sont des idéotypes parfaits de leur milieu,
17:30entrer en collision, précisément, c'était passionnant.
17:33Vous lui avez pardonné, à Saïd ?
17:37Je suis en train.
17:39Et c'est un début du livre et de l'écriture.
17:43De lui pardonner ?
17:44En tout cas, de regarder ce livre, regarder cet événement avec de la douceur.
17:51Ce qui est révolutionnaire dans notre époque, je pense.
17:54Et oui, il y a un début de pardon, absolument.
17:56Et ça a pris 13 ans et 160 pages.
17:58Il a replongé Saïd.
18:03Et il est repassé en justice pendant que vous écriviez le livre.
18:05Et vous êtes allé au procès.
18:07Et au tribunal, vous auriez pu lui parler.
18:10Vous auriez pu être face à face.
18:11Vous auriez pu l'attraper dans le couloir.
18:13Et vous ne l'avez pas fait.
18:14Oui, absolument.
18:16J'ai appris qu'il est repassé au tribunal.
18:17J'y suis allé, à Lyon.
18:19Le même tribunal où il y avait eu le procès après l'accident de ma mère.
18:22Et il y a eu un moment où il fumait une cigarette à la sortie du tribunal.
18:27J'étais assis à côté de lui, à un mètre de distance.
18:31Et je ne suis pas allé le voir.
18:34Parce que j'avais rien à lui dire.
18:37Merci Paul Gassnier.
18:38La collision paraît chez Gallimard.
18:43C'est votre premier livre.
18:44Ça va ?
18:45Elle s'appelait Christine.
18:47Elle s'appelait Christine.
18:48C'est un très, très joli prénom.
18:50Et il a dû être très doux à prononcer.
18:52Merci.
18:53Merci.
18:54Merci.
18:55Merci.
18:56Merci.
Écris le tout premier commentaire