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  • il y a 2 jours
Laurent Mauvignier, écrivain, auteur de “La Maison vide” (éditions de Minuit) réagit sur France Inter au lendemain de l'attribution du prix Goncourt 2025. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-05-novembre-2025-1759440

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Transcription
00:00Avec Benjamin Nuhamel, nous avons le grand plaisir de recevoir le lauréat du prix Goncourt
00:05décerné hier, dès le premier tour, pour son roman « La maison vide » aux éditions de minuit.
00:11Bonjour Laurent Mauvignier.
00:12Bonjour.
00:13Bravo.
00:14Merci d'être avec nous ce matin au micro de France Inter.
00:17Amis auditeurs et lecteurs, rappelez-nous nombreux au 01 45 24 7000 pour dialoguer, partager votre enthousiasme.
00:27Vous qui avez peut-être déjà lu ce livre, partagez votre enthousiasme, nous faire vos commentaires.
00:34Notre invité est là et sera ravi de vous entendre.
00:38Laurent Mauvignier, votre livre s'est imposé dès le début de la rentrée littéraire.
00:43C'est un roman monumental.
00:45C'est un grand livre qui traverse l'histoire du XXe siècle, de ces deux guerres mondiales.
00:50Celle de votre famille, à travers quatre générations.
00:52C'est un roman sur la fatalité, sur le destin, sur ses vies empêchées, sur la condition féminine.
00:59Après tout ce travail, qu'est-ce que vous avez ressenti quand vous avez appris hier soir que le Goncourt, c'était vous ?
01:06Hier midi.
01:08Mais en fait, je me suis dit que cette histoire avec ce livre est extraordinaire depuis le début
01:18et que ça continuait à être totalement fou.
01:22Donc j'étais à la fois évidemment surpris et en même temps quelque part pas tant que ça
01:28parce que tout a été fou, mais j'allais dire même dans l'écriture du livre.
01:32Qu'est-ce qui a été fou ?
01:33Cette impression que les choses se sont faites même en écrivant,
01:38alors que c'est un livre que j'attends depuis tellement longtemps.
01:41Et d'un seul coup, même dans l'écriture, les choses sont venues, se sont mises à leur place
01:46assez simplement, assez facilement, avec une sorte d'évidence.
01:50Et dès que le livre est sorti, la réception a été extraordinaire, très vite.
01:56Ce n'est quand même pas mon premier livre, ça fait quand même 25 ans que je publie des livres,
01:59mais je n'avais jamais connu ça à ce point-là.
02:02Donc ça, c'était surprenant.
02:03C'est vrai que le Goncourt hier, et puis ce qui m'a surtout étonné,
02:07ça a été de le recevoir dès le premier tour, parce que quand même, les quatre finalistes,
02:13il y avait quand même des...
02:14Oui, c'est ce que les critiques disaient, c'est un très grand cru cette année.
02:17Il y avait Emmanuel Carrère, Natacha Apana, donc c'est quelque chose de gagné dès le premier tour.
02:21Oui, parce que c'est quand même des écrivains que j'admire, et Caroline Lamarche aussi.
02:29Donc j'étais d'autant plus là, pour le coup, vraiment surpris de ça.
02:32On va bien évidemment parler et reparler de ce livre formidable, dans le détail de ce récit,
02:38ce qu'il raconte du siècle passé.
02:41Mais c'est votre histoire que vous racontez, celle de vos aïeux, surtout de vos aïeuls.
02:45Quand on vous apprend hier que vous avez le prix Goncourt, que vous êtes lauréat du prix Goncourt,
02:50à qui est-ce que vous pensez dans votre famille ?
02:52Est-ce que vous pensez à certains des personnages que vous décrivez dans votre livre,
02:56à votre arrière-grand-mère, Marie-Ernestine, à Marguerite ?
03:00Et on va détailler ensuite ces personnages.
03:02Mais à qui est-ce que vous avez pensé ?
03:04J'ai d'abord pensé à ma mère.
03:06J'ai pensé à ma mère parce que ma mère, de tous ces gens, c'est la seule qui est encore vivante.
03:11Et même si elle n'est pas un personnage du roman,
03:16mais c'est quand même elle qui m'a raconté toutes ces histoires.
03:17Donc toutes ces histoires, j'ai pu les porter et m'en sentir dépositaire par la voix de ma mère.
03:28Parce qu'aussi, dans ce qu'elle me racontait, d'une version à l'autre, c'était toujours un peu différent.
03:33Ce qui fait que ça m'a un peu obligé d'aller vers le roman,
03:37dans la mesure où rien n'était fixé, en fait, dans ce qu'elle pouvait dire.
03:40Et qu'est-ce qu'elle vous a dit, votre mère, quand elle a appris que vous aviez le prix Goncourt ?
03:44Mais en fait, ma mère, maintenant, est en EHPAD, elle est atteinte d'Alzheimer.
03:49Et je n'ai vu qu'hier soir qu'elle a pu regarder le journal télévisé hier soir.
03:56Et donc, elle l'a appris comme ça.
03:57Mais je ne sais pas ce qu'elle comprend de ça, ce qu'elle a vu de ça.
04:00Laurent Mouvigny, vous dites que l'histoire de ce livre est fou depuis son écriture.
04:05Vous étiez malade, en fait, quand vous l'avez écrit.
04:08Vous dites, ce livre m'a sauvé.
04:10Oui, parce que tout partait en lambeaux.
04:17C'était il y a deux ans.
04:18J'avais commencé le livre un peu avant.
04:21Et dès que j'ouvrais l'ordinateur et que je me mettais à écrire,
04:25j'avais l'impression que le roman, lui, savait très bien où il allait.
04:29Et ça, ça me structurait complètement.
04:31C'était assez miraculeux.
04:33Ça ne durait jamais très longtemps parce que je n'avais pas la force d'écrire beaucoup.
04:35Mais dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes d'un seul coup.
04:41Et je reprenais là où je m'étais arrêté.
04:42Et ça, c'était très surprenant.
04:44Alors, entrons dans le roman, entrons dans cette maison vide.
04:48Laurent Mouvigny, qui est un peu le mausolée de votre histoire familiale.
04:54Vous vous y êtes confronté à votre passé, au suicide de votre père, quand vous aviez 16 ans.
05:00Vous avez dit tout à l'heure que vous l'attendiez depuis longtemps, ce livre.
05:04Pourquoi ?
05:04Parce que l'image qui me hante depuis mes huit ans, c'est ce que ma mère me racontait
05:13quand elle me disait que mon père avait vu sa mère se faire tondre à la libération.
05:18Et que mon père avait sept ou huit ans.
05:20Et cette image-là d'un petit garçon voyant sa mère se faire humilier,
05:27moi, ça m'a hanté aussi parce que peut-être je peux me projeter.
05:29Et quand elle m'a raconté ça, j'avais à peu près l'âge de mon père au moment où il a vu ça.
05:35Vous décrivez, je vous cite, mon père, enfant de sept ans,
05:38crachant sa haine à une femme qui est sa mère.
05:41C'est effectivement d'une violence sidérante.
05:45Oui, parce que pour moi, c'était totalement inimaginable ou seulement imaginable, d'une certaine manière.
05:52Et donc, c'est vrai que j'ai l'impression que cette image-là,
05:56elle fait partie des choses qui m'ont fabriqué en tant qu'écrivain.
05:59Qui vous ont fabriqué comme écrivain.
06:02Et c'est le point de départ de ce livre, dans cette maison vide où vous vous rendez
06:07et vous retrouvez des photos où toute trace de Marguerite,
06:12cette femme qui effectivement a eu une histoire d'amour avec un Allemand pendant la Seconde Guerre mondiale,
06:17a été tondue devant son fils,
06:20où toute trace de son visage a été effacée,
06:25où les photos ont été découpées.
06:27Et pour ceux qui nous écoutent ce matin et qui vont avoir envie de découvrir votre livre, de le lire,
06:32qui était Marguerite, ce personnage qui est au cœur de votre roman ?
06:38C'est d'abord une absence pour moi.
06:40C'est-à-dire qu'à l'été...
06:42C'est pour ça que j'ai cette idée de la maison vide.
06:44C'est qu'en fait, tout ce qui est vide arrive à devenir beaucoup plus présent que tout le reste.
06:51Et je me souviens de ces photos, avec le visage découpé, mais de manière très précise.
06:56Et puis surtout, on ne pouvait pas parler d'elle.
07:01C'est-à-dire que quand je demandais à ma mère, je sentais que c'était la question qu'il ne fallait pas poser.
07:06Oui, qu'il ne fallait pas poser parce que...
07:08Et c'est d'ailleurs un des thèmes au cœur du livre, c'est la honte, une forme de déshonneur,
07:14une forme de chape de plomb qui empêche d'en parler.
07:18Et c'est quelque chose, d'ailleurs, vous le racontez, qui est commun à un certain nombre de familles françaises.
07:24D'ailleurs, les lecteurs vous en parlent quand ils viennent vous rencontrer.
07:27Qu'est-ce qu'ils vous disent, ces lecteurs ?
07:29Les lecteurs, c'est très étonnant parce qu'ils sont...
07:33C'est leur livre, en fait.
07:34Ils me parlent de leur histoire à travers ce livre, effectivement,
07:39qui est pourtant, a priori, une histoire, on va dire, encore en roman de famille, etc.
07:44Mais j'espère, en tout cas, qu'il semblerait que c'est ce qui se passe,
07:50que les lecteurs puissent projeter quelque chose de leur propre histoire.
07:56Et c'est très étonnant, j'ai l'impression, comment chacun,
07:59non seulement réinvestit avec sa propre histoire,
08:02mais comment tout ça tisse un sentiment collectif.
08:04Un sentiment collectif qui s'appuie aussi sur ce qu'Henri Rousseau,
08:10le grand historien, appelait ce passé qui ne passe pas.
08:12Ce rapport qu'entretient la France encore aujourd'hui,
08:15avec le régime de Vichy, avec la collaboration.
08:18C'est aussi un des éléments au cœur de ce livre.
08:22Le fait que, là encore, plus de 80 ans après,
08:25il reste des pages qui n'ont pas encore été tournées.
08:28Oui, mais c'est l'autant plus important que...
08:30J'avais, moi, au fond de mes tiroirs, une Légion d'honneur qui traînait.
08:36Et quand même, mon arrière-grand-père, lui, a été un héros de Verdun.
08:40Absolument.
08:41Donc, me dire, mais en fait, comprendre qu'on nous a toujours appris
08:45qu'il fallait séparer la Première et la Seconde Guerre mondiale,
08:47et en fait, non, on ne peut pas les séparer.
08:49C'est les deux faces d'un même objet, d'une certaine manière.
08:52Et pour moi, ce qui est très important, c'est comment on passe de l'honneur d'une famille
08:56qui se raconte une histoire avec Verdun, et au déshonneur de la petite fille.
09:01Pour moi, la Première Guerre et la Deuxième Guerre mondiale,
09:03c'est ça qu'il va falloir interroger.
09:06Intimement lié.
09:08Derrière tout ça, effectivement, il y a la grande histoire,
09:10mais il y a la condition féminine,
09:13et pour employer un grand mot, la psychanalyse,
09:16puisque Marguerite, on vient d'en parler,
09:18c'est la fille de Marie-Ernestine,
09:21donc votre arrière-grand-mère.
09:22Elle a été chérie par son père, elle a été éduquée par les sœurs,
09:25c'est une pianiste passionnée,
09:28puis dévastée, le jour où elle croit qu'elle va pouvoir accéder au conservatoire,
09:33elle apprend qu'elle va devoir se marier avec un homme qu'elle n'aime pas.
09:37C'était important, vous passez beaucoup de temps sur l'histoire de Marie-Ernestine,
09:40c'était important de raconter cette histoire de vie bridée,
09:45comme la genèse de toute la suite de l'histoire familiale ?
09:48C'était fondamental pour moi, oui.
09:50C'est-à-dire que des choses comme ça, qui apparaissent un peu minuscules,
09:54parce qu'on se dit que c'est la petite histoire.
09:56Mais en fait, cette petite histoire, elle porte le terreau de l'histoire tout court.
10:00On ne peut pas démêler, on ne peut pas regarder l'un sans l'autre.
10:06C'est pour ça que petite et grande histoire,
10:07aujourd'hui, j'ai tendance à dire non, il y a une seule histoire,
10:10il n'y a pas de petite histoire.
10:11Pour le plaisir des auditeurs, cette phrase qui est magnifique,
10:15sur ce jour où Marie-Ernestine se rend compte,
10:19comme la plupart d'ailleurs des femmes du début du XXe siècle,
10:22qu'elle ne pourra pas aller au bout de ce qui est sa passion.
10:24Le piano depuis ce jour, l'amertume et le ressentiment
10:26éclatent dans chaque trait de son visage.
10:28Elle ne sera jamais pianiste et les années ont glissé entre ses doigts
10:31en lui marquant des rites sévères au pli des yeux,
10:33de la bouche, du nez, mais surtout en lui laissant,
10:35comme une ombre de malheur,
10:37la présence d'une fillette qu'elle répugne à toucher.
10:41Ces vies empêchées, aussi, sur lesquelles vous écrivez,
10:45il y a quelque chose de, presque, de Madame Bovary,
10:49de cette incapacité à aller au bout de son destin de femme,
10:53qui est, en fait, à l'image aussi de ces femmes du début du XXe siècle.
10:57Oui, et après, c'est vrai pour les femmes,
10:59mais d'une certaine manière, c'est vrai aussi pour les hommes.
11:01Tout le monde est condamné à obéir à des lois sociales, en fait.
11:08C'est-à-dire, personne ne s'appartient.
11:10Les hommes non plus, ils ne sont pas propriétaires de leur corps.
11:13Personne n'est propriétaire de son corps, par exemple.
11:14Ça, c'est un truc qui m'a beaucoup frappé.
11:17Parce que, bon, les hommes, c'est la chair à canon,
11:19mais, effectivement, après, les femmes sont liées à la maison,
11:22elles ne peuvent pas en sortir, quoi.
11:23Laurent Mauvigny, on a des auditeurs en ligne qui aimeraient vous parler.
11:27On va commencer par Marc.
11:28Bonjour, bienvenue, Marc. Vous vous appelez de Toulouse.
11:31Oui, ce n'est pas une petite fierté, aujourd'hui,
11:34de découvrir, depuis hier,
11:36que Laurent Mauvigny, effectivement, ait gagné ce prix.
11:40C'est quelqu'un qui compte beaucoup à Toulouse.
11:43Merci.
11:44Très bien, merci, Marc.
11:46On entend votre émotion.
11:48Je crois que vous n'êtes pas le seul,
11:50puisque nous avons Patrick en ligne, également.
11:53Bonjour, Patrick.
11:55Oui, bonjour.
11:55Qu'est-ce que vous voulez dire à Laurent Mauvigny ?
11:58Alors, d'abord, bravo, bravo et merci pour ce contenu.
12:03J'ai découvert Laurent Mauvigny grâce à mon fils Thilou, il y a un an,
12:08et je me suis empressé d'acheter la maison vide, il y a un mois, que j'ai lu,
12:14et je n'ai pas pu m'empêcher de faire un parallèle entre le contenu de la maison vide
12:20et l'œuvre de Gabriel Garcia Marquez, « 100 ans de solitude ».
12:24Encore un point à vous, M. Mauvigny.
12:26Merci beaucoup.
12:28Ça, c'est un bel hommage.
12:29Oui, c'est bien de commencer la journée comme ça.
12:33Vous savez quoi ? On a aussi Josiane.
12:35Bonjour, Josiane.
12:37Ah, elle n'est pas encore là, c'est dommage,
12:39mais je pense qu'elle a de beaux compliments à vous faire aussi.
12:42Parmi les thèmes, Laurent Mauvigny, de ce livre,
12:45on l'a dit, la question de la mémoire de ces deux guerres,
12:49la question de la condition féminine,
12:50et cette quête pour tenter de comprendre
12:53pourquoi votre père s'est donné la mort quand vous aviez 16 ans.
12:58Et vous écrivez dans ce livre,
13:00ce que je crois, c'est que ce suicide en 1983
13:04est aussi lié à ce mariage forcé de Marie-Ernestine en 1905.
13:08Je crois que ce qui s'est passé là
13:10est une mécanique précise et invisible d'enchaînement
13:14que rien n'aurait pu arrêter comme un mécanisme meurtrier.
13:18Comment est-ce que vous faites ce lien entre ce mariage forcé,
13:22cette vie empêchée de Marie-Ernestine,
13:24et ce qui est arrivé à votre père quand vous aviez 16 ans
13:27qui s'est donné la mort ?
13:30Je pense que Marguerite, ma grand-mère,
13:33est le lien, l'axe, en fait, entre les deux événements.
13:38C'est pour ça que j'avais besoin de remonter vers Marie-Ernestine,
13:41essayer de comprendre, parce que je me disais,
13:43si je veux comprendre le geste de mon père,
13:45il faut que je comprenne sa mère.
13:47Et sa disparition, elle est morte à 41 ans,
13:50on ne me parlait pas d'elle,
13:52on me disait, elle est morte d'alcoolisme,
13:54mais qu'est-ce qu'on mettait derrière ça ?
13:55J'en savais rien.
13:56Et pour moi, il y a quelque chose du suicide déjà là-dedans.
14:00Donc j'avais besoin de ça.
14:01Et pour ça, il a fallu remonter vers sa propre mère,
14:05Marie-Ernestine.
14:06Et en étudiant un petit peu ça, en regardant,
14:11je me disais, mais au fond,
14:14si cette femme n'aime pas son enfant,
14:18parce que, comme on lui dit tout le temps,
14:20elle est très belle, votre fille,
14:22elle ressemble à son père.
14:23Sauf que si ce père, il n'a pas été aimé par sa femme,
14:26comment voulez-vous qu'elle aime cet enfant ?
14:27C'est impossible.
14:28Donc je me disais, ça, c'est quelque chose pour moi
14:31de très important,
14:33parce que tout ce qu'on appelle l'histoire,
14:35c'est lié à des événements souterrains,
14:37comme ça, qui, a priori, ne concernent que les gens,
14:40mais qui font beaucoup de choses.
14:42Et il y a une fatalité, Laurent Mauvignier,
14:43qui est un des éléments centraux de la littérature.
14:46On ne peut pas échapper à son histoire,
14:49on ne peut pas échapper à sa filiation.
14:52Il y a une sorte de fatalité, de destin,
14:54de déterminisme,
14:56même quand on remonte à des décennies
14:58au début du XXe siècle.
15:00Oui, après, on a une capacité d'émancipation
15:02les uns les autres,
15:02mais, vous savez, parfois on entend
15:04des gens à nous dire,
15:06« Ah ben moi, ça ne m'intéresse pas,
15:07je n'étais pas né. »
15:08Ça, c'est des choses que j'entends parfois
15:10chez des jeunes gens.
15:11Et on me dit,
15:11« En fait, si, tu étais né,
15:13mais tu ne le sais pas.
15:14Nous sommes nés avant notre naissance.
15:17Nous appartenons à une histoire
15:18qui a commencé avant nous. »
15:20Vous avez l'impression d'avoir su briser
15:23ce cycle infernal ?
15:26Ah, je ne sais pas ça,
15:29je ne saurais pas dire ça.
15:30Mais en tout cas, d'avoir essayé de le regarder.
15:32Qu'en avez-vous dans cette histoire ?
15:34Moi, j'ai l'impression d'être dépositaire
15:37de tout un tas de choses comme ça.
15:40Et je me souviens, pour mon premier livre,
15:42ce qui m'avait vraiment frappé,
15:45et la leçon que j'en avais tirée,
15:46c'était qu'il fallait accepter
15:50de regarder ces choses
15:52qu'on a plutôt l'habitude de mettre de côté,
15:55parce qu'on se dit que pour avancer,
15:57il va falloir mettre des choses de côté.
15:58Et en fait, non, parfois,
15:59il faut savoir aussi les regarder.
16:02Vous savez quoi ?
16:02On a Josiane.
16:04Josiane est là.
16:05Elle est là.
16:05Bonjour, bienvenue Josiane.
16:07Bonjour.
16:07Bonjour Josiane.
16:08Bonjour.
16:09Bonjour, je vous appelle de Toulouse, bien sûr.
16:11Ici, on a jeté le livre
16:12dès qu'il est sorti, bien sûr.
16:14Mais moi, je voulais parler du style aussi
16:17de Laurent Montvivier,
16:18que je connais depuis longtemps.
16:20Le dernier livre,
16:21l'histoire de la nuit,
16:22était fabuleux aussi.
16:24et surtout du style des phrases
16:26qui justement font une page,
16:30peut-être parfois deux,
16:31je ne sais pas,
16:31parce qu'on ne lit pas avec les points.
16:35Et c'est un style absolument
16:36d'une simplicité incroyable,
16:38avec des mots pas compliqués.
16:40Ça se lit tout seul.
16:42Et pourtant, voilà,
16:42il y a une complexité d'histoire,
16:44une complexité fabuleuse.
16:47Et je tenais à le lui dire.
16:48Et pour moi, c'est un honneur
16:50de le lui dire en direct.
16:52Voilà, c'est tout.
16:53Merci beaucoup, merci.
16:54Voilà, merci.
16:56Sur votre style,
16:57c'est vrai, Laurent Montvivier,
16:59que les phrases sont longues,
17:01le style est ample, super,
17:02mais jusqu'à 38 lignes
17:05sans point final dans cette ouvrage.
17:07Et vous avez cette phrase
17:08qui est assez amusante.
17:10Il faut dire,
17:10je suis admiratif des écrivains
17:11qui s'en tiennent à des phrases courtes.
17:13C'est vrai que de ce point de vue-là,
17:15on n'est pas tout à fait déçus
17:16en lisant le livre.
17:17Non, il m'arrive de faire
17:18des phrases courtes quand même.
17:20Mais non, je disais ça
17:21parce que je suis très impressionné
17:22par l'assurance qu'il faut
17:24pour pouvoir faire sujet,
17:25verbe, complément comme ça,
17:27poser ça.
17:27Alors que moi,
17:28j'ai besoin de...
17:30J'ai toujours le doute
17:31d'être à côté,
17:33de me dire
17:34que je n'arrive pas
17:35à poser ce que je voudrais poser.
17:37Donc, il faut...
17:38J'ai l'impression
17:39d'être une sorte
17:39d'impressionniste
17:41qui avance par petits points.
17:42sur le style
17:43et là encore,
17:44c'est toujours difficile
17:44de faire des filiations
17:45avec des géants
17:46de la littérature.
17:47Il y a dans votre livre
17:48cette scène
17:49où vous allez dans le grenier
17:50et où vous tombez
17:51sur les rougons-macars,
17:52cette fresque historique
17:53et familiale de Zola.
17:55Là encore,
17:55sur cette incapacité
17:56à sortir de son destin,
17:57à sur l'hérédité,
17:59il y a aussi
17:59certains critiques
18:00qui vous ont comparé,
18:02peut-être pas comparé,
18:02mais qui en tout cas
18:03qui ont trouvé là encore
18:04dans les longues phrases
18:05et dans le style ample
18:06une sorte de geste
18:08proustienne.
18:09comment est-ce que vous
18:11appréciez
18:12ces filiations-là ?
18:14Vous savez,
18:15ça fait des...
18:17Depuis mon premier livre,
18:18j'entends toujours...
18:20Ça fait penser...
18:21Une fois,
18:21ça fait penser
18:22à Claude Simon,
18:22une fois,
18:23ça fait penser
18:23à Marguerite Duras.
18:24Il y a pire !
18:25Il y a pire !
18:26Je ne sais pas
18:27si eux seraient ravis
18:28de cette ascendance,
18:31de cette descendance,
18:32mais en tout cas,
18:33moi, évidemment,
18:33c'est une ascendance
18:34qui me...
18:36Mais j'espère juste
18:38à un moment
18:39qu'on pourra me comparer
18:40à mes propres livres.
18:42Puisqu'il est question
18:43de destin,
18:45Laurent Mauvignier,
18:46rien ne vous prédestinait
18:47à l'écriture.
18:49Vous venez d'un milieu modeste.
18:51Votre père était ouvrier,
18:52votre mère a fait des ménages.
18:55Vous n'aimiez pas l'école.
18:56Vous avez commencé
18:57par un BEP
18:58avant finalement
18:58d'entrer au Beaux-Arts
19:00à Tours
19:01à 17 ans.
19:04Est-ce qu'il y a
19:05une forme de revanche sociale
19:06aujourd'hui
19:07à accéder
19:09à ce prix
19:09le plus prestigieux
19:10de la littérature française ?
19:12Non, moi,
19:13je ne le vis pas du tout
19:13comme une revanche.
19:14Un pied de nez peut-être,
19:15un petit peu.
19:16Il y a quelque chose
19:16qui m'amuse
19:17dans tout ça.
19:18Mais c'est vrai
19:19que ça fait quand même
19:20longtemps
19:21qu'au niveau statistique,
19:23je suis un peu
19:23l'exception
19:24qui confirme la règle.
19:25Donc non,
19:26ça m'amuse en fait,
19:27plutôt.
19:27Parce qu'on entendait
19:28hier soir
19:29un témoignage
19:29de votre sœur,
19:31sa grande émotion
19:31au moment où elle découvre
19:32que vous obtenez
19:33le prix concours.
19:34et elle dit effectivement
19:34nous, on est famille
19:35d'ouvriers,
19:36rien ne nous prédestinez.
19:37Et vous avez eu cette phrase
19:38« je n'aurais pas dû écrire ».
19:40Bah oui, oui.
19:41Pourquoi ?
19:42Parce que
19:43j'ai mis très longtemps
19:45avant de savoir
19:45qu'un écrivain
19:46pouvait
19:47vivre ailleurs
19:49qu'à Paris,
19:51au-delà du périph.
19:53Pour moi,
19:54les écrivains,
19:54c'était des noms de rues.
19:56Moi, je viens
19:56d'une zone
19:57pas visionnaire
19:57en pleine campagne
19:59et les écrivains,
20:00ils se sont morts
20:01il y a un siècle en fait.
20:02Et comment vous avez
20:03pris le goût
20:03de la lecture justement ?
20:05Par la maladie
20:07quand j'étais enfant,
20:10j'étais immobilisé,
20:11je ne pouvais pas
20:11faire de sport
20:12alors que j'aimais
20:13beaucoup ça.
20:15Et j'ai commencé
20:16à lire
20:17et puis l'écriture
20:19est venue avec
20:20en même temps.
20:21Vous avez lu quoi ?
20:22J'ai lu
20:23la Comtesse de Ségur
20:24quand j'étais tout petit.
20:26Le goût du drame.
20:28Et non,
20:28parce qu'au contraire
20:29c'était très joyeux
20:30parce que c'était
20:30Oui, c'est épouvantable.
20:31Oui, mais c'était
20:32très joyeux.
20:32C'était un bon petit diable.
20:34Moi, j'étais au fond
20:35de mon lit à l'hôpital
20:36et puis je voyais ce gamin
20:37qui faisait les 400 coups
20:38et donc je m'étais identifié.
20:40Ce qui a été épouvantable,
20:41c'est quand le livre
20:42s'est terminé.
20:43Et je me souviens très bien,
20:44parce qu'on m'avait offert
20:45un cahier aussi,
20:46je me souviens très bien
20:46avoir eu besoin
20:48d'écrire après
20:49parce que cette sensation
20:50de liberté
20:50que la lecture m'avait donnée,
20:52ça a été une révélation ça.
20:53Laurent Mauvigny,
20:54quand un écrivain
20:54obtient le Goncourt,
20:56les chiffres vertigineux,
20:57il faut dire
20:57que vous n'en avez pas
20:58vraiment besoin,
20:58vous en avez déjà vendu
20:59plus de 80 000,
21:00ce qui est considérable.
21:01Je crois que la moyenne
21:02quand on gagne le prix Goncourt,
21:03c'est environ 500 000 livres.
21:05Est-ce qu'il y a quelque chose
21:06de vertigineux
21:07à se dire que désormais,
21:08ce livre va être partagé
21:09par des centaines
21:10de milliers de lecteurs sans doute,
21:12peut-être étudié
21:13par des écoliers,
21:16par des étudiants ?
21:17C'est vertigineux
21:18ce sentiment ?
21:20Oui, c'est un peu vertigineux,
21:22mais c'est surtout
21:23ça pour le coup
21:24quelque chose
21:24qui me touche énormément
21:25parce qu'une des choses
21:30qui était douloureuse
21:31un peu pour moi,
21:32même si je vendais des livres
21:32et que tout allait bien,
21:33je ne me plains pas de ça,
21:34c'est comment faire
21:36une littérature
21:37qui soit exigeante
21:39mais qui rencontre
21:41un grand public
21:42qui soit ouverte.
21:44Je ne sais pas
21:44si c'est le grand public,
21:45je ne sais pas
21:45ce que c'est le grand public,
21:46qu'il soit ouverte
21:47en tout cas,
21:48et en tout cas
21:49qu'il puisse être lu
21:50justement par ces gens
21:51de là d'où je viens.
21:53Ça, c'était important pour moi
21:55et là, je suis content
21:55parce que ça va être possible.
21:57Laurent Mauvigny,
21:57on avait justement
21:58envie d'entendre
21:59votre langue
22:00dont on parle
22:01depuis tout à l'heure
22:02dans votre bouche.
22:03Donc, on vous a demandé
22:04de choisir un passage
22:06de votre livre
22:07et de nous le lire.
22:09Alors, c'est un passage,
22:11c'est le passage
22:12où on entend
22:13Marie-Ernestine
22:14jouer,
22:17se mettre au piano
22:18et du coup,
22:18c'est le moment
22:19un peu
22:19où on découvre...
22:20Voilà.
22:24Du public,
22:25on entendra encore
22:26pendant quelques minutes
22:27les murmures
22:28et les négociations
22:29de Marie-Ernestine
22:30et de Florentin
22:31qui chercheront
22:32à s'entendre
22:32sur un compositeur.
22:34Oui, Bach,
22:34pourquoi pas ?
22:35Elle aime beaucoup Bach.
22:36C'est difficile,
22:37mais ce sera finalement Bach
22:38qui aura pour mission
22:39de révéler le talent
22:40de mon arrière-grand-mère.
22:42Elle qui n'aura été
22:42à ce moment
22:43qu'une émotion
22:44à fleurs de peau,
22:45un visage rosy
22:46est presque en feu,
22:47les doigts tremblants
22:48et empêchés,
22:49comme sa mère,
22:50assise quelque part
22:51et déjà en train
22:51d'imaginer
22:52comment elle racontera
22:53l'épisode à Firmin
22:54ou comment elle reprendra
22:55son souffle
22:56quand tout sera fini,
22:58car elle craindra
22:59de ne pas tenir le coup
23:00et de s'évanouir sur place
23:01si tout ne se passe pas bien.
23:02Elle en saura là
23:03de ses réflexions,
23:04la préposer aux confitures
23:05et aux chaussettes à repriser,
23:07quand les premières notes
23:08s'élanceront,
23:09le beau professeur
23:10toujours aux côtés
23:10de la pianiste
23:11pour lui tourner les pages,
23:13voilà,
23:13on entendra bientôt
23:14s'élever la musique
23:15dans le grand salon
23:16de cette grand-tante Caroline
23:17qui restera elle aussi
23:18la respiration bloquée
23:19en attendant de voir
23:20si on lui a menti
23:21ou si on a exagéré
23:22le talent de sa petite nièce,
23:24cette chère petite
23:25qu'elle aime tant
23:26qu'elle lui lèguera bientôt
23:27à sa mort,
23:28sa maison,
23:29le lac,
23:30tout ce qu'une vie
23:30sans enfant lui aura permis
23:32de laisser sans remords
23:33et avec amour.
23:34Car,
23:35oui,
23:35ça monte,
23:36sa fierté
23:37et sa reconnaissance
23:38à Dieu
23:38et à son neveu,
23:39de lui avoir donné
23:40une petite nièce
23:41si parfaite,
23:42si douée,
23:42oui,
23:43bientôt elle en sera
23:44certaine.
23:45Marie-Ernestine
23:46est indéniablement douée
23:47et l'émotion monte
23:48et embrase les yeux
23:49de tout le public
23:50d'un étonnement,
23:51d'une sidération
23:52qui saisira bientôt
23:53au-delà de l'Assemblée
23:55l'incrédule professeur
23:56de piano lui-même.
23:57Merci Laurent Mauvignier.
24:00Je tiens à dire
24:00qu'il y a beaucoup
24:01d'auditeurs
24:01qui vous remercient
24:02aussi sur l'appli Radio France.
24:05J'en cite un,
24:05c'est Philippe.
24:06Vos livres
24:07prennent de plus en plus
24:08de force.
24:09Vous êtes un écrivain
24:09qui libère petit à petit
24:11votre écriture.
24:12Je vous remercie beaucoup
24:13et encore bravo
24:14Laurent Mauvignier,
24:15La Maison Vide
24:16est publié
24:17aux éditions de Minuit.
24:18Merci.
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