Vendredi 16 février 2024, ART & MARCHÉ reçoit Hervé Lemoine (Président, Mobilier national) et Jean-Pierre Osenat (Commissaire-priseur et président, Osenat)
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00:00 [Musique]
00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché, votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:14 Pour l'actualité de la semaine, Bismarck s'est rendu au Mobilier National, établissement public qui a pour mission de conserver et entretenir le mobilier de Colbert à nos jours.
00:23 Conserver, entretenir mais aussi renouveler et Bismarck est allé découvrir les 54 pièces contemporaines entrées dans les collections de cette institution.
00:32 Pour l'interview de la semaine, Jean-Pierre Osna, commissaire priseur et président de la maison de vente aux enchères Osna, sera notre invité pour nous parler de la vente de la collection de Raymond et Suzanne Fischhoff-Lafoue.
00:43 Merci à vous tous qui nous rejoignez, tout de suite c'est Art et Marché.
00:46 [Musique]
00:50 Les premières pièces remontent au roi de France, les dernières datent de seulement quelques mois.
00:56 Nous nous sommes rendus au Mobilier National pour découvrir comment ces collections se renouvellent et le nouveau mobilier design qui marquera l'année 2024.
01:05 [Bruits de pas]
01:16 Alors le Mobilier National est une institution qui existe depuis plus de 400 ans, qui est chargée de meubler, d'aménager tous les lieux officiels de la République.
01:26 Et pour cela, nous procédons régulièrement à des acquisitions de pièces nouvelles qui entrent dans les collections nationales et qui sont mises en dépôt après dans les ministères, dans les ambassades,
01:39 pour montrer en réalité l'excellence et la diversité de la création française dans les arts décoratifs.
01:45 Il y a une fois par an un millésime très spécifique consacré à la toute jeune création qui réunit des pièces, comme vous le voyez, d'esprit très différent
01:55 et qui toutes représentent, je dirais, ou contribuent à présenter une sorte de cartographie, de photographie de la création française.
02:04 On est très loin de l'image d'épinal, je dirais, du design où toutes les pièces ne seraient que beige, grise ou blanche.
02:13 Non, là, il y a de la couleur, il y a de la forme, il y a de l'innovation et de la recherche, une nouvelle fois, dans la recherche des formes.
02:21 Il y a des mariages de matériaux, il y a une table qui va marier du métal, du cuir, du plâtre, de la peinture, enfin bref,
02:30 ce sont des choses qui sont, à mon avis, très singulières et très caractéristiques de la création française dans le domaine du design.
02:37 L'objectif de ce projet, c'était de développer un travail autour du geste de l'artisan, d'une technique traditionnelle,
02:45 qui est donc la technique de la cive et qui est à l'origine une technique utilisée dans l'art verrier pour créer du vitrail.
02:52 Et j'ai détourné cette technique pour en faire un luminaire.
02:57 J'ai l'impression que le design d'aujourd'hui, c'est un design plus d'expression d'identité individuelle
03:03 et j'ai l'impression que toutes ces pièces ont un caractère vraiment défini dans cet espace.
03:09 Ce que j'ai cherché à apporter dans ce fauteuil-là, c'était de confronter différents matériaux et objets qui ne sont pas forcément associés habituellement.
03:17 Là, on est sur un vrai filet de pêche qui est utilisé dans l'industrie de la pêche sur les chalutiers.
03:24 Et ici, je viens l'utiliser comme assise, mélangé à du tube cintré qui est beaucoup plus récurrent dans le mobilier classique.
03:34 Je pense qu'en tant que designer, on cherche à capter des choses et la tendance, elle s'installe à côté des artistes.
03:43 Je ne pense pas être un décideur de tendance et je suis très content si mon fauteuil est populaire et se développe.
03:49 Et de faire partie des collections, ça l'installe aussi dans une époque.
03:54 C'est un passage onirique en cuir, chaque frange est double face.
04:01 J'ai voulu créer un peu une pièce optique aussi avec un jeu optique, avec du mouvement et de la féminité.
04:08 Je suis très fière et honorée que le mobilier national ait choisi deux pièces que j'ai créées pour cette année dans leurs acquisitions.
04:17 Ça montre aussi l'ouverture du mobilier national vers des techniques et des nouvelles approches dans le travail autour de l'objet.
04:26 Nous, on peut se permettre de prendre des risques et on fait le pari chaque fois à la fois de l'innovation, de la genèse, de la recherche.
04:38 C'est ça qui est intéressant et si des institutions publiques comme nous ne prenons pas ce type de risque, qui va les prendre ?
04:47 C'était notre reportage d'actualité, tout de suite c'est l'interview de la semaine.
04:52 Nous recevons le commissaire-priseur Jean-Pierre Osna.
04:59 Commissaire-priseur et président de la maison de vente aux enchères Osna, à l'occasion de la dispersion de la collection de Raymond et Suzanne Fischhoff.
05:08 La Fou, qui aura lieu dans une semaine.
05:11 Alors voilà, mobilier, bijoux, tableaux, c'est la vente d'un regard, de collectionneurs du goût d'une époque.
05:18 Est-ce que vous pouvez tout d'abord nous présenter ce couple du XXe siècle ?
05:23 Oui, du XXe siècle, parce que Suzanne Fischhoff est née en 1920.
05:30 Elle est née à Melon et puis à 18 ans, elle va devenir manucure à Paris.
05:36 Elle est très jolie et un monsieur va la séduire et il l'emmène aux Etats-Unis.
05:42 Donc pendant la guerre, il part et lui, il est consul de Suisse aux Etats-Unis.
05:48 Il s'installe à Miami et à Miami, elle va connaître tous les peintres de l'époque, notamment Kissling, qui était parti pendant la guerre pour se réfugier là-bas.
05:58 Et elle divorce, elle revient à Paris, donc à la fin de la guerre.
06:03 Et là, elle va retrouver monsieur Fischhoff qu'elle avait connu chez ses parents.
06:08 Elle va sonner à sa porte. Il va tomber fou, amoureux d'elle.
06:12 Et donc ils vont vivre une histoire d'amour incroyable et ils vont vivre le Paris de l'après-guerre dans tous ses excès.
06:20 Il va à la couverte de bijoux, ils vont s'installer dans 350 m² du Foch.
06:24 Elle avait dans cette succession 350 robes de soirée.
06:29 Donc elle était l'amie de Graskelly, elle était amie de la princesse de Monaco.
06:35 Et donc couverte de bijoux, elle va passer aussi trois mois de l'année à Monaco.
06:41 Quand elle arrive sur le quai, on dépose les mâles.
06:44 Il y a le directeur de l'hôtel de Paris avec tous les groumes qui l'attend pour aller s'installer dans la suite de l'hôtel de Paris.
06:50 Face à la mère, enfin, une vie extraordinaire.
06:53 Et donc elle est morte l'année dernière à 102 ans.
06:57 Et avant de mourir, elle a décidé de donner tout ce qu'elle avait aux petits frères des pauvres.
07:02 Et tant qu'à lui, c'est un personnage aussi très curieux,
07:06 puisqu'il a été résistant pendant la guerre.
07:09 Du reste, à la fin de la guerre, il a demandé au gouvernement de changer son nom.
07:13 Il s'appelait Fischhoff-Lafou. C'était un grand ami de François Mitterrand.
07:16 Il n'a pas connu François Mitterrand, président de la République, parce qu'il est mort en 1980.
07:21 Et Mitterrand était président en 1981.
07:24 Donc en fait, tous les deux ont vécu une aventure extraordinaire.
07:29 Toute cette aventure se termine dans une vente aux enchères,
07:32 avec les plus beaux bijoux du monde, vraiment des bijoux extraordinaires.
07:35 Elle a été cliente de ventes Kieff et Arpels.
07:38 Ils achetaient des diamants chez les Diamantères à plusieurs millions d'euros.
07:41 Des tableaux, des objets d'art. Voilà, tout ça est vendu.
07:45 - Et voilà, c'est toute une aventure qui se retrouve dans des objets.
07:48 Est-ce qu'on pourrait dire, est-ce qu'il y a par exemple une toile de fond ?
07:51 Est-ce qu'il y a un goût de ce coup ? Est-ce qu'il y a un fil conducteur qu'on pourrait retrouver ?
07:57 - Alors, je crois que le fil conducteur, manifestement, c'est des diamants.
08:01 Je pense que ce monsieur, qui je pense était juif,
08:03 pendant la guerre a dû être marqué, qu'il ne le serait pas, par la Shoah,
08:07 et qui a dû penser qu'avec des diamants, remplacer son argent, on pourrait repartir demain,
08:12 s'il y avait quelque chose qui arrivait de nouveau.
08:15 Donc les bijoux ont été quand même la partie la plus importante,
08:21 la partie immergée de l'iceberg de tout ce qu'ils ont acheté.
08:24 Alors après, l'appartement a été meublé convenablement, oui,
08:28 mais c'est surtout les tableaux de Kissling, parce qu'ils étaient très aimés Kissling,
08:32 et puis ce fameux tableau de De Ryn, que nous avons fini par identifier,
08:37 et qui devrait se vendre plusieurs millions d'euros.
08:40 - Est-ce que ça apporte de la valeur, le fait qu'un tableau, qu'une oeuvre, qu'un bijou,
08:46 appartiennent à une collection, à des collectionneurs, à quelque chose qui soit un ensemble ?
08:51 Quel est le regard des acheteurs sur ce genre de baie ?
08:54 - Oui, alors il est certain que si on fait la vente Saint-Laurent,
08:58 ou la vente d'une personnalité très connue, ça rajoute un peu plus.
09:02 Alain Delon qui a vendu ces tableaux, je suis convaincu qu'il y a des gens qui ont acheté aussi le tableau d'Alain Delon.
09:08 Bon, M. Fischoff et Mme Fischoff n'étaient pas connus, on les a fait connaître à l'intermédiaire de cette vente,
09:13 maintenant son nom va devenir connu.
09:15 Mais néanmoins, le fait qu'il y ait un seul vendeur dans une vente,
09:18 et puis en plus tout est à vente, sans prix de réserve,
09:20 le fait que ce soit la même personne, la même main qui a tout acheté, c'est manifestement en plus.
09:25 - Même en termes de provenance, c'est vrai que c'est un terme qu'on entend beaucoup en ce moment,
09:31 c'est vrai que le fait qu'on sait vraiment qu'il y a une recherche derrière,
09:34 que ça meuble un appartement, qu'il y a autant d'archives, etc., ça doit apporter beaucoup à une vente, j'imagine ?
09:40 - Oui, alors vous voyez dans le catalogue que vous avez,
09:43 dans le catalogue où il y a énormément de photographies de cet appartement,
09:47 vous avez aussi beaucoup de photos de Mme Fischhoff avec ses bijoux qu'elle portait,
09:52 donc le fait de vendre un collier de vente Clifford Peltz,
09:55 mais d'avoir la photo elle-même au Locke de Caume en train de porter dans les années 50-60,
10:01 il n'y a pas doute que c'est un plus, bien sûr.
10:04 - Parce que je me demandais si aujourd'hui, il n'y avait pas de plus en plus d'intérêt des acheteurs
10:08 vers des œuvres qui ont un côté très émotionnel,
10:12 vraiment qui ont été choisies avec beaucoup d'attention,
10:16 et que tous ces objets-là ont une histoire.
10:19 Et je me demandais si c'était vraiment quelque chose qui attirait de plus en plus
10:23 de savoir que c'était vraiment qu'un rêve derrière tous ces objets.
10:28 - Oui, cette histoire elle-même, elle rajoute un petit plus à la vente,
10:33 parce qu'effectivement, tout ça leur appartenait à tous les deux,
10:36 ils ont vécu cette vie de plaisir, d'amour avec tous ces objets,
10:43 donc c'est pour les gens qu'ils achètent.
10:45 Mais enfin, vous savez, les objets ont une âme en eux-mêmes,
10:48 les objets d'art ne nous appartiennent pas, nous ne sommes que locataires,
10:52 ils appartenaient à quelqu'un d'autre avant, ils en appartiendront à quelqu'un d'autre après,
10:56 donc l'objet parle de lui-même.
10:58 Donc le fait par exemple, ce deurin, qu'il ait appartenu à M. Fischhoff,
11:03 est-ce que ça rajoute vraiment à la valeur de l'objet ?
11:06 Non, c'est surtout l'histoire du marché de l'art,
11:10 le fait que ce tableau est fauve, qui date de 1905,
11:14 cette fameuse exposition fauve au Grand Palais,
11:18 où un critique d'art qui s'appelle Vauxell rentre à l'exposition,
11:23 il voit tous ces tableaux très colorés, très vifs,
11:26 et dit "on rentre dans la cage aux fauves",
11:28 et c'était un scandale de l'époque,
11:30 puisque le président de la République de l'époque, Émile Loubet,
11:34 n'avait pas voulu faire le vernissage, tellement c'était scandaleux.
11:37 Donc ces deux ans, 1905-1906,
11:40 c'est une période où les peintres lâchent la peinture complètement dans le tube,
11:46 deviennent une période complètement vive dans la peinture en elle-même,
11:51 et ça ne va pas durer.
11:53 Et du reste, un tableau de deurin, ou de matisse, ou de vlaminck de ces époques-là,
11:57 vaut à peu près peut-être 10, 100 fois le prix que vaut le même tableau peint 10 ans après,
12:03 mais qui n'est plus fauve.
12:05 Oui, donc ça, c'est vos recherches qui ont permis de découvrir tout ça,
12:09 ou les fichos à flafou, savaient déjà l'histoire de ce tableau ?
12:13 Alors, je dois dire que nous avons beaucoup travaillé dessus,
12:16 et que notre expert a été extraordinaire,
12:18 parce que nous avons trouvé derrière ce...
12:20 C'est un petit tableau, je vais vous le montrer, tiens, du reste.
12:23 Ce petit tableau, voilà, voyez ?
12:26 Oui, de deurin, mais ça c'est bon, on va pouvoir le mettre à l'écran.
12:29 Et ce tableau, qui n'est pas grand,
12:32 nous avons trouvé derrière, au dos des écritures, des numéros peints en bleu.
12:38 Et en fait, il s'est avéré que ces numéros, on les a identifiés
12:41 comme étant des références de la collection d'Ambroise Vollard,
12:44 qui était le grand marchand de tableaux, qui est mort en 1939.
12:48 Et Ambroise Vollard avait donc acheté des tableaux de deurin très tôt,
12:52 donc en 1905, il a toujours gardé ce tableau,
12:55 et donc on a pu retrouver, identifier la collection d'Ambroise Vollard.
12:59 Et grâce à ça, nous sommes allés voir le comité deurin,
13:03 et nous avons obtenu un certificat du comité deurin sur ce tableau.
13:07 Ce qui est rarissime, parce que des tableaux fauves, il n'y en a pas, il n'y en a plus.
13:11 - Eh bien, merci beaucoup Jean-Pierre Osna,
13:13 je rappelle que vous êtes commissaire, priseur et président de la Maison de Vente aux Enchères.
13:16 Osna, merci pour votre présence et nous avoir raconté toutes ces histoires de tableaux,
13:21 et quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
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