• il y a 4 mois
Légende de la batterie et juré emblématique de "Nouvelle Star", Manu Katché joue avec les plus grands (Sting, Peter Gabriel, Jonasz, Cabrel, Youssou N'dour, Souchon, etc.). Pour Yahoo, et en exclusivité dans la "Face Katché", il a voulu partir à la rencontre de personnalités issues de la diversité, célèbres ou anonymes. Leurs histoires, bouleversantes, inspirantes, leurs parcours de vie : ils se livrent au plus célèbre batteur de France.
Française d’origine vietnamienne, la journaliste Émilie Tran Nguyen a vécu le racisme lorsqu’elle était enfant. Invitée par Manu Katché dans son émission "La Face Katché", la trentenaire est revenue sur ses origines, pointant du doigt les stéréotypes raciaux dont sont encore victimes, en France, les personnes issues de l’immigration asiatique. Mais fière de ses origines, elle rappelle qu’à force de travail et de détermination, tout devient possible, quelle que soit la différence.

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Transcription
00:00Déjà, j'ai pris conscience à certains moments de ma vie,
00:03mais très peu, en fait, que je venais de cette origine.
00:06Déjà que ma mère était d'origine algérienne, j'y suis à 14 ans.
00:09Enfin, ma mère, elle a plutôt adopté la culture vietnamienne.
00:13Ma mère, je lui demande de faire un plaviette LC.
00:16Je lui demande de me faire un couscous.
00:17Faut que j'aille chercher chez mon grand-père.
00:24Emilie, bonjour.
00:25Bonjour, Emilie.
00:26T'es née, je crois, dans le sud de la France.
00:28Oui, à Marseille.
00:29Mes parents se sont rencontrés à Marseille, chez M. Bricolage.
00:33Ils s'étaient renvoyés chez M. Bricolage.
00:36En fait, mes parents, ce qui est marrant, et j'aime bien dire ça,
00:40c'est que je suis un peu une enfant des colonies, quoi.
00:42Je suis un peu une enfant de cette post-guerre froide, etc.
00:45C'est mon père, sa famille est arrivée du Vietnam à Marseille, en France,
00:50parce que c'était une colonie française.
00:52Et de l'autre côté, ma mère, dont mon grand-père,
00:55Brahim, qui est toujours là et qui vit à Marseille,
00:58a quitté l'Algérie quand il avait 20 ans, à peu près.
01:01D'accord, c'est où d'Algérie ?
01:02Désorès, dans la région Désorès, donc c'était vraiment le village.
01:05Il a vendu une chèvre en secret pour partir.
01:10Ils sont arrivés à Marseille, mes grands-parents,
01:12mais ils ont quitté le Vietnam le jour où ma grand-mère explique
01:18qu'il y avait la guerre, mais qu'en plus, ils étaient à Saigon, à Ho Chi Minh,
01:22donc ils étaient plutôt côté français, c'est un peu les harkis du Vietnam.
01:27En gros, ils pensaient que ça se passerait bien.
01:28Puis, un matin, il y a des impacts de rafales sur les chambres des enfants.
01:34Donc là, ils se disent qu'on s'en va et on rentre,
01:37alors qu'ils ne sont jamais venus en France, mais on rentre.
01:40Et donc, ils sont rentrés et ils sont arrivés à Marseille à ce moment-là.
01:43Mais je pense que mon grand-père, il a fait tous les métiers
01:45qui ont eu un vrai déclassement social puisqu'il avait une imprimerie au Vietnam.
01:49Il est arrivé là-bas, c'était d'abord les algicaux.
01:53Il a fallu mettre du temps à refaire jusqu'à ce qu'il ait travaillé sur les ports.
01:57Justement, il était garde des ports, je crois.
01:59Mais il parlait la langue puisque à Saigon, c'était...
02:01Et il parlait la langue, oui, exactement.
02:02Et après, j'ai grandi à Clermont-Ferrand, en Auvergne.
02:05Moi, je suis l'aînée, oui, et mon frère et ma sœur m'ont joué en plus tard.
02:08Quand ils arrivent à Clermont, donc ils montent ce resto.
02:11Enfin, d'abord, on vit au premier étage d'un resto d'un autre cousin.
02:15Et comment ça se passe, justement, les premières années d'école ?
02:19Il y a des copines qui viennent un petit peu chez toi,
02:24il y a des fêtes qui s'organisent.
02:26Comment se passe l'échange avec les gens du coin, quoi, en fait ?
02:29Mais ça se passe bien.
02:30Déjà, j'ai pris conscience à certains moments de ma vie,
02:33mais très peu, en fait, que je venais de cette origine.
02:36Déjà que ma mère était d'origine algérienne, j'y suis à 14 ans.
02:39Ma mère, elle a plutôt adopté la culture vietnamienne.
02:43Ma mère, je lui demande de faire un plaviette LC,
02:46je lui demande de me faire un couscous, il faut que j'aille chercher chez mon grand-père.
02:49C'est moi qui suis allée chercher chez mon grand-père et qui lui ai demandé de m'apprendre.
02:53Ah, c'est drôle.
02:54Ouais, ouais, il y a eu un saut comme ça de culture.
02:58Alors, après, c'est une question d'éducation, je sais qu'elle est une question très stricte.
03:02Et l'enfance, ça s'est super bien passé.
03:04Moi, je me rappelle qu'en plus, la maternelle, ça se passait très bien.
03:09J'ai beaucoup aimé aller à l'école.
03:11C'était vraiment une culture.
03:12Justement, comme il y avait beaucoup de mixité à la maison,
03:14il n'y avait pas de religion, il n'y avait pas de tout ça.
03:16La culture, c'était en tout cas de mes parents.
03:18C'est ça qu'ils m'ont vraiment inspiré.
03:20C'est leur particularité.
03:21D'ailleurs, ils se sont un peu distingués dans la famille.
03:23L'école, c'était capital.
03:24Mais en contenu avec l'école primaire,
03:26t'as quand même un chouette environnement avec des copains et des copines.
03:30J'ai un très chouette environnement.
03:31Il y a juste quelques frustrations, mais comme plein d'enfants peuvent les avoir,
03:35où je sens bien parfois qu'on n'a pas le même niveau social.
03:40Je n'ai pas les fringues de marque que les copines ont.
03:43Je n'ai pas ces choses-là.
03:44Ça pose problème ?
03:45Non, c'est des frustrations d'enfants, mais qui font du bien.
03:49Moi, je pense que le moteur et la niaque que j'ai
03:51et le travail que j'ai envie de fournir encore aujourd'hui,
03:55ça me vient de là.
03:57Mes parents ont su me montrer d'où je venais,
04:00que c'était important, qu'on avait des valeurs
04:02et que si nous, on voulait y arriver,
04:04il faudrait que je travaille bien à l'école et que je travaille tout court.
04:07D'accord.
04:07Il n'y avait pas non plus de différence sur le nom de famille,
04:10d'un coup, quand il y a l'appel à l'école ?
04:11Ça, il ne savait pas le prononcer, quoi.
04:12J'avais... Si, c'est vrai, c'est vrai.
04:14Juste une fois, ça, c'est une anecdote qui m'est restée.
04:18J'ai déclaré ma flamme à un certain Damien.
04:21Et Damien m'avait...
04:22J'étais, je pense que j'étais en CP, il m'a dit, je n'aime pas les marrons.
04:25Et ça, je n'ai pas compris.
04:26Qu'est-ce qu'il me disait ? Pourquoi il n'aime pas les marrons ?
04:28Je ne savais même pas de quoi...
04:31Et là, je me dis, ouais, c'est vrai que je suis marron, peut-être.
04:37Qu'est-ce qu'il voulait dire, par là ?
04:39Les parents ont un peu dit, écoute, il doit être très malheureux à la maison.
04:44C'est ce qu'il doit entendre les parents, il ne fait pas attention.
04:46Je n'ai plus jamais abordé un copain, un camarade ou qui que ce soit dans la cour, quoi.
04:51T'as eu une timidité terrible.
04:52Timidité, et puis surtout, je n'avais plus envie qu'on me renvoie à une différence.
04:58Donc, tu étais consciente ?
04:59Ben là, je commençais à en être consciente, oui.
05:01Et en fait, je te dis ça, mais inconsciemment, je pense que j'ai pu en être consciente
05:04parce que moi, je me rappelle, je demandais au Père Noël une poupée marron,
05:10une poupée noire.
05:11J'en avais marre des poupées blanches et j'ai adoré.
05:15Et je me rappellerai toujours quand j'ai eu ce poupon
05:20avec un pyjama rouge, mais qui avait la peau marron.
05:23Et là, là, enfin, je pouvais jouer à la maman comme tout le monde.
05:27D'accord. Et ça, c'était donc très petite.
05:30Oui, très petite.
05:31Voilà.
05:32Justement, du fait que tu représentes un petit peu, effectivement,
05:35cette culture-là vietnamienne au sein de tes copains et copines à Clermont-Ferrand,
05:40est-ce qu'il y a des questions qui se posent ?
05:43Direction pas forcément agréable.
05:44Je ne crois pas qu'il y ait des questionnements.
05:46Je pense que de temps en temps, il y a quelques moqueries.
05:48Il y a quelques...
05:50« Bon, tout le monde mangeait du chien.
05:52Qu'est-ce qu'il y avait de nouveau ? Qu'est-ce qu'il y avait de nouveau ? »
05:54Mais oui, mais je le prends vraiment pas mal à l'époque.
05:58Je suis, comme tu dis, je suis la seule.
05:59Donc, les blagues, je ne les entends pas à la répétition.
06:01Je ne me rends pas compte que tous ceux qui sont des mêmes origines que moi
06:06entendent exactement les mêmes choses autant de fois.
06:09Donc, on en rigole. J'en rigole, en tout cas.
06:12Mais il y a des petits trucs comme ça.
06:14Mais sinon, ça engage plutôt la conversation et la curiosité.
06:16Mais ce n'est pas très violent, quoi.
06:17Mais non, je ne l'ai jamais pris violemment.
06:19Je suis allée à Alger.
06:20Je pense que j'ai, oui, 26 ans.
06:25C'était important pour moi d'y aller.
06:27Comme le Vietnam, d'ailleurs.
06:30Peut-être que c'est encore plus présent,
06:31mais il y a un moment de mon adolescence et de ma construction
06:34qui a fait que je me suis vraiment sentie algérienne.
06:37Je pense que j'ai comme voulu faire un rattrapage.
06:40Est-ce que tout à coup, ça t'a positionnée
06:42d'une manière différente, culturellement parlant,
06:44et un petit peu dans ta manière de vivre en France et dans tes études ?
06:48Déjà, je me suis cherchée, parce que quand on est métisse, c'est aussi ça.
06:54Il y a une part de nous qui s'était imposée à moi
06:56via, comme je t'ai expliqué, comment j'avais grandi,
06:59cette culture qui était très présente à la maison et qui était la mienne.
07:04Finalement, j'ai vu dans le regard de mon père ou de ma grand-mère
07:07qui m'a dit « mais tu es aussi une autre, tu as aussi autre chose »,
07:10que j'ai eu besoin d'aller chercher.
07:13Et à un moment, je me suis vraiment, justement,
07:17immergée de ça, j'avais besoin.
07:19Et ça m'a permis, oui, bien sûr, d'être l'adulte que je suis aujourd'hui.
07:23C'est comme si la balance avait été rééquilibrée en disant, d'ailleurs,
07:26« mais en fait, je suis avant tout française ».
07:29Mais ça, c'est quelque chose que je te dis aujourd'hui,
07:31mais dans mon adolescence, il y a eu des moments compliqués.
07:34Il y a eu des moments où je pouvais même dire « les Français, ils font ça »,
07:36mais parce que j'entendais aussi parler comme ça à la maison.
07:38« Ah oui, mais ça, c'est un truc de Français,
07:41où les Français mangent comme ça, les Français font comme ça ».
07:43Mais dans la bouche de ma famille vietnamienne ou algérienne,
07:47ce n'est pas péjoratif, c'est juste, ce n'est pas comme nous,
07:49ce n'est pas comme cette culture qu'il y a à la maison.
07:51Et en fait, moi, je me rends compte que je dois prendre de tout ça,
07:54je dois prendre de toutes ces richesses-là,
07:56mais que j'ai ce recul maintenant sur ça.
07:58Et j'ai fait mon propre mix, je garde mes origines.
08:04Merci Emilie.
08:04Merci Manu.

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