00:00Bienvenue à l'heure des livres, Françoise Dormesson, on est absolument ravie de vous recevoir.
00:05Alors vous n'avez pas publié de livre, mais vous avez vécu à côté d'un grand écrivain que l'on connaît tous, Jean Dormesson.
00:13Il aurait eu 100 ans. Il est mort il y a désormais 8 ans, en décembre 2017.
00:18Et vous avez choisi, ainsi que votre fille qui republie, qui dirige les éditions Héloïse Dormesson,
00:25et qui republie l'espérance en héritage, vous avez choisi de lui rendre hommage,
00:30notamment en parlant de lui, ce que vous faites rarement.
00:34Alors évidemment, on ne le présente pas, Jean Dormesson, normalien, agrégé de philosophie, académicien, auteur de...
00:40Il a dirigé aussi le Figaro, il a écrit entre autres La gloire de l'Empire, Au plaisir de Dieu, La douane de mer.
00:48Je voulais savoir, quand ça fait désormais 8 ans qu'il n'est plus, lorsque vous pensez à lui, qu'est-ce qui vous manque le plus ?
00:54Qu'est-ce qui vous manque le plus ?
00:55Sa voix.
00:58Tous les jours, j'écoute quelque chose à la télévision, pas sa voix.
01:03C'est ça que j'ai peur de perdre.
01:04C'est ça que vous avez peur de perdre.
01:05Et pourtant, il n'avait pas une belle voix.
01:09Quand je l'ai connue la première fois, j'ai dit à ma sœur qu'il avait invité,
01:14je lui ai dit qu'il avait une voix criarde.
01:18Des faussettes, presque.
01:20Et monsieur, je sais tout.
01:22Ça s'est très mal passé, la première fois.
01:23Oui, ça s'est très bien le passé. On n'était pas, on était loin du coup de foudre, effectivement.
01:26Absolument pas.
01:27Alors finalement, d'ailleurs...
01:28Parce qu'elles lui ont dit, elles lui ont dit, il ne faut pas toucher à celle-là, elle est romantique.
01:34Bien sûr, il s'est précipité.
01:35Ben oui, conquérée à une romantique.
01:37Alors qu'est-ce qui vous a fait basculer ?
01:39Parce qu'il a déployé tous ses charmes pour vous conquérir, j'imagine.
01:43Il a déployé tous ses charmes.
01:44Je suis tombée au deuxième déjeuner.
01:48Oui.
01:49Alors vous êtes tombée, vous vous êtes mariée avec lui, alors que tout le monde vous le déconseillait, y compris le propre frère devant et votre père.
01:56Mon propre père et lui, surtout.
01:58Et lui.
01:59Et lui qui détestait le mariage.
02:01Oui.
02:02Mais finalement, vous avez décidé d'y aller quand même, par amour.
02:06Exactement.
02:06Vous ne l'avez pas regretté ?
02:08Pas du tout.
02:08Pas du tout.
02:09Jamais.
02:10Alors ce qui est intéressant, c'est que vous l'avez dit, en fait, Jean, il n'a pas été un mari parfait.
02:17Non.
02:18Je vous souviens, quand j'avais fait une interview de vous, vous m'aviez dit, il n'a pas été un mari exécrable, il n'a pas été un mari du tout.
02:25Oui.
02:26Et un père assez peu présent, dans un premier temps.
02:31Mais alors, finalement, comment ça a été de vivre à côté de cet écrivain ?
02:38Est-ce que l'écriture emportait tout ?
02:40Non.
02:41Non, non.
02:42Non, non.
02:43Il arrivait à vivre aussi.
02:45Enfin, il écrivait un livre tous les trois ans.
02:51Donc, j'avais la paix pendant deux ans.
02:55Mais à partir du moment où il me demandait les fleurs qui poussent au printemps, est-ce qu'on dit un tricot ou un gendail pour une femme ?
03:04Je me disais, ça y est, il posait une coccinelle sur sa feuille et il commençait avec un crayon.
03:11Coccinelle porte-bonheur.
03:12Voilà.
03:12Et d'ailleurs, il avait ses petites manies, il avait ses crayons papiers, il fallait que ça soit toujours le même.
03:16Toujours le même.
03:17Enfin, il en faisait quatre pendant un roman qu'il écrivait.
03:22Et il écrivait un peu n'importe où, ce que vous racontez aussi, avec une édance incroyable.
03:25Sans problème.
03:27J'avais beaucoup d'amis de femmes écrivains.
03:30Et elles paissaient parce qu'il fallait que la table soit au nord ou au sud.
03:36Il fallait gens n'importe où.
03:39N'importe où.
03:41Alors quand vous le rencontrez, cependant, il n'est pas écrivain encore.
03:44Il travaille à l'UNESCO.
03:46Mais est-ce qu'il avait déjà chevillé en lui ce désir d'écrire ?
03:48Il était professeur de philosophie.
03:50Oui.
03:51Mais est-ce qu'il avait, vous sentiez qu'il avait en lui ce désir d'écrire ou il était tu ?
03:56Il l'avait sûrement.
03:58Oui.
03:59Mais il ne le communiquait pas tellement.
04:00Non.
04:01C'était un homme sous ses airs, charmeur, charmant.
04:06Il était assez pudique aussi.
04:08Il était pudique et il n'aimait pas parler de lui.
04:13C'est ça.
04:13Oui.
04:14Non.
04:15Très rarement vous l'avez entendu dire quoi que ce soit sur lui.
04:20Donc par exemple, qu'est-ce qu'il pensait de cette littérature assez égotique, nombriliste,
04:26qui a éclot depuis ces dernières années ?
04:28Est-ce qu'il vous en parlait ?
04:29Est-ce que c'est vrai que tout le monde parle de soi dans ses livres ?
04:32On parlait très très peu de littérature, Jean, moi et moi.
04:37Très peu.
04:39C'est ça qui était fascinant avec Jean.
04:42C'est que quand il était à la main avec moi, on parlait de tout, de s'intéresser à tout.
04:47D'abord, tous les matins, il se réveillait et il disait « Mon Dieu, que la vie est belle ! »
04:53Donc c'est fantastique de vivre avec quelqu'un comme ça.
04:57Et tout l'intéressait.
04:59Tout.
04:59Alors il a été intéressé par la politique à un moment.
05:01Enfin, il a toujours été intéressé par la politique, il a dirigé le Figaro.
05:05Oui.
05:06Ça, ça n'a pas été son meilleur sourire.
05:10Ça n'a pas été, il était très malheureux.
05:12Alors vous-même, vous avez travaillé à ses côtés.
05:16Comment était-il ? Parce que c'était une forme d'émancipation.
05:18Il venait d'un milieu où les femmes ne travaillaient pas obligatoirement.
05:23Ça, c'était une affaire qui appartenait à mon père, qui s'appelait Lotus.
05:29Et j'ai créé ce fameux film avec ce petit garçon qui courait dans le corridor, avec le papier.
05:39Ah oui, c'était très...
05:40Mais alors, est-ce qu'il aimait bien que vous travailliez ? Parce que lui, il avait œuvré pour que Marguerite Ursenard entre à l'Académie française.
05:46Mais dans la vie de tous les jours, il était féministe ?
05:51Pas du tout.
05:52J'étais ravie que je travaille.
05:53Ah, il était ravie, d'accord.
05:55Oui.
05:57D'ailleurs, j'aurais été... Je ne sais pas ce que je serais devenue si je ne travaillais pas.
06:03Est-ce que le succès, le fait que ça soit devenu l'un des écrivains les plus médiatiques qui soit, a changé l'homme ?
06:11Parce qu'il aimait qu'on le reconnaisse.
06:12Il y avait peu d'écrivains qui ont été reconnus comme lui.
06:15C'était devenu une sorte de star.
06:18Absolument.
06:19Les dernières années, c'était pénible.
06:21Oui.
06:22Mais il aimait ça.
06:24Mais il était toujours souriant, toujours prêt à faire une photo ou à signer un livre.
06:31Non, il était très...
06:33Oui.
06:35Il aimait ça.
06:36Et surtout, ce qu'il aimait, c'est que son public avait beaucoup rajeuni.
06:39Ça, c'était quelque chose qui m'a vraiment enthousiasmé d'avoir des jeunes gens qui lisaient ses livres.
06:47Et quel a été votre livre préféré ? Vous avez lu tous ses livres ?
06:50J'ai lu tous ses livres.
06:52Et quel est le livre ?
06:53La gloire de l'Empire.
06:53La gloire de l'Empire.
06:55Et si...
06:56Et j'ai beaucoup aimé aussi le rapport Gabriel.
07:01Oui.
07:02Est-ce qu'il vous faisait lire les livres avant ?
07:05Jamais.
07:06Jamais.
07:06Jamais.
07:06D'abord parce que j'aime pas lire tant que c'est pas un livre.
07:12J'aime pas lire des feuillets.
07:15Non, non, jamais.
07:16S'il fallait garder une image de lui, ça serait laquelle ?
07:22Ce que vous vous disiez...
07:23Le bonheur de vivre.
07:24Le bonheur de vivre.
07:25Oui.
07:25Et le guet savoir, en fait, aussi, finalement.
07:28Oui, c'est le bonheur de vivre.
07:31J'ai jamais vu Jean...
07:34Triste.
07:36Jamais.
07:37Il était toujours...
07:38Vous ne vous êtes jamais ennuyé avec lui, en fait ?
07:40Ah non, ça, jamais.
07:41Et vous lui voyez un successeur ?
07:43Ça sera ma dernière question.
07:44Non.
07:44Non.
07:45Il est unique.
07:46Antoven, l'autre jour, a dit qu'il ressemblait à Philippe Labreau.
07:52Jean-Paul Antoven ?
07:52Jean-Paul Antoven a dit, dans un article, que Jean ressemblait à Labreau.
07:59C'est absolument le contraire.
08:01L'un était la joie de vivre.
08:03C'est très pessimiste.
08:05C'est vrai.
08:07On retiendra peut-être ce que vous avez dit de cette image de Jean d'Orbesson
08:13qui, tous les matins, disait « la vie est belle ».
08:16La vie est belle.
08:17En tout cas, merci beaucoup, Françoise d'Orbesson.
08:19Nous sommes très honorés que vous soyez venus.
08:22Et puis, on vous conseille de lire ce livre qui est republié,
08:26« L'espérance en héritage », aux éditions Héloïse d'Orbesson.