«Les Piliers de la mer» : Sylvain Tesson est l'invité de Culture médias

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00:00Et alors c'est toujours un bonheur d'accueillir dans ce studio l'intelligence.

00:04On l'appelle aussi Sylvain Tesson.

00:07Ah bon, c'est dommage que vous parliez.

00:09Bien sûr, bonjour Sylvain.

00:11J'ai bien fait de venir, bonjour.

00:12Merci de revenir nous voir.

00:14La dernière fois qu'on s'est vus, c'était pour votre dernier roman, Les Piliers de la mer,

00:17où vous racontez vos ascensions de ces petits bouts de terre,

00:20ces aiguilles maritimes que les Anglais appellent des stacks

00:22et que l'on nomme en français pilier d'érosion, de recul de côte.

00:26Je donne plein de synonymes, mais je suis sûr que beaucoup de gens qui nous écoutent

00:29ne savent toujours pas de quoi on parle exactement.

00:31C'est compliqué, c'est vrai, à décrire à la radio.

00:34Vous qui en avez gravi 106 différents,

00:37comment est-ce que vous pourriez décrire ce que c'est qu'un stack ?

00:40C'est pas difficile, il suffit de fermer les yeux et d'imaginer l'aiguille d'étrota que tout le monde connaît.

00:45Et voilà, c'est ça un stack, c'est un pilier qui...

00:47La côte recule, parce que la terre rétrécit au lavage de la mer,

00:52et il y a des piliers, des colonnes, des pilastres,

00:55enfin on peut donner des milliers de noms, des sceptres, des manches,

00:59qui tiennent debout et qui se plantent dans l'écume.

01:02Et moi quand je les vois, j'ai l'impression de voir des résistants, des rebelles,

01:06des artistes, des ermites, je trouve que symboliquement c'est magnifique.

01:09On a l'impression de voir des figures humaines

01:11qui décident de ne pas participer à la grande démission générale et au recul.

01:16C'est ça, les anglais disent des old men.

01:19Old men, ils ont l'impression que ce sont des vieux,

01:21des vieux qui partent mourir.

01:23Il y a une grande noblesse, parce que vous voyez ces colonnes

01:25qui parfois s'élèvent à 150, 200 mètres de haut,

01:29qui sont entourées d'oiseaux à moitié dingues,

01:33qui tournent autour d'eux pendant que la mer s'abat contre la colonne.

01:37Et il y a une grande noblesse, parce qu'ils sont seuls,

01:39ils sont séparés, ils sont isolés, ils vont mourir les premiers.

01:42C'est très beau.

01:43Ils n'ont plus rien à voir avec le système,

01:46pas même assez pour s'y opposer.

01:47C'est un mot d'un poète américain qui s'appelait Walt Whitman,

01:51qui correspond exactement à l'esprit des stacks.

01:53Ce ne sont pas des résistants, les stacks ?

01:56Non, parce que le résistant,

01:58prenons le général de Gaulle, par exemple.

02:00Le général de Gaulle, il s'en va à un moment.

02:03Donc, il fait un écart, il résiste.

02:05Alors, on peut se dire, oui, c'est un stack,

02:07il correspond à cette figure de la rétractation,

02:10de la sécession et de la dissidence.

02:13Sauf que le résistant, il combat.

02:15Il fourbille une tactique et une stratégie

02:19pour revenir un jour dans l'endroit qu'il a quitté

02:22afin de recommencer la vie telle qu'il l'aime.

02:25C'est ça la résistance gaullienne.

02:27Alors que le stack, lui, il s'écarte pour mourir.

02:31C'est donc plus une posture esthétique

02:34qu'une position politique.

02:36C'est le dandy, exactement, ou l'artiste, ou l'ermite.

02:39Ça appartient plus à une volonté personnelle.

02:40On ne veut nuire à personne,

02:44mais on ne veut plus subir la force des autres.

02:48Et c'est là où on comprend que vous vous sentez proche d'eux,

02:50Sylvain Tesson, finalement.

02:52En tout cas, il y a une analogie.

02:53Oui, enfin, en tout cas, je considère cette option.

02:56Je trouve qu'elle est assez belle, elle est assez artistique.

02:58Toute l'histoire de l'humanité,

03:00quelles que soient les temporalités et les cultures,

03:02est traversée de cette figure anthropologique.

03:04Il y a toujours eu partout des stacks,

03:06des écrivains, des artistes,

03:08des moines, des pêcheurs,

03:10de grands pêcheurs, parfois,

03:12qui ont décidé à un moment de se retirer.

03:14Et je trouve ça très beau.

03:15C'est pour ça que j'ai voulu les escalader.

03:17J'en ai grimpé 106 autour du monde,

03:19des îles féroïes à l'Australie

03:21et du Vietnam à l'île de Pâques.

03:23Et alors, depuis lundi, au théâtre de Pochemont-Parnasse,

03:25que dirige votre sœur Stéphanie maintenant,

03:28vous animez une conférence autour de ce livre,

03:30Les Piliers de la Mer,

03:31où vous racontez toutes ces aventures.

03:33Qui a eu cette idée ?

03:34Moi, j'adore la prise de parole en public

03:36pour raconter des aventures.

03:37Alors, j'essaye de faire en sorte

03:39que ce ne soit pas les soirées diapo

03:40de la salle Gavreau en 1950.

03:44Parce qu'on se demande

03:45s'il y a encore des gens

03:46qui seraient capables de supporter ça aujourd'hui.

03:48Mais moi, je montre des images

03:49qui ont été photographiées

03:51par mon ami Thomas Goas,

03:52qui est venu pendant 4 ans m'accompagner.

03:55Lui, il s'approchait des balcons vertigineux.

03:58Il prenait des photos

03:59de mon camarade, le guide d'Haute-Montagne,

04:01Daniel Dulac, et de moi-même,

04:03sur les piliers de la mer.

04:04C'est très vertigineux.

04:06Et je raconte cette histoire,

04:07je raconte la symbolique du stack,

04:09je raconte combien la figure du dandy

04:11est importante,

04:13surtout dans des époques

04:15où la conformité s'assiait

04:17sur les sociétés

04:18comme le cul d'un éléphant

04:20dans le conformisme et la convention.

04:23Donc, je raconte tout ça,

04:24je montre des photos,

04:25et j'ai un merveilleux type

04:26qui s'appelle Ian McCammy,

04:28qui est un Américain,

04:29qui a commencé le violon

04:31avec Robert Crumb,

04:33le dessinateur de la contre-culture américaine.

04:35C'est un copain de Hartwig Spigman,

04:38et il forme une petite bande

04:39de joyeux violonistes

04:42et des joueurs de musique Irish.

04:44Vous voyez ce que c'est ?

04:45La musique un peu celtique.

04:46La musique des pubs irlandais.

04:47La musique atlanto-celtique,

04:50comme ils disent.

04:51Et je mêle mes évocations

04:53au violon complètement dingue

04:55de cet Américain,

04:56Ian McCammy.

04:57Et tout ça, on le fait

04:58dans le petit théâtre

04:58dirigé par ma sœur, Stéphanie,

05:00qui était en fait le théâtre,

05:02le rêve de mon père,

05:03Philippe Tesson.

05:04Il a racheté ce théâtre,

05:05il l'a sauvé de la fermeture,

05:08en 2014.

05:09Puisque vous parlez

05:10de votre père,

05:11Philippe Tesson,

05:11vous êtes venu aussi

05:12avec ce livre,

05:13Le quotidien de l'éternité,

05:15qui est un recueil, en fait,

05:16d'articles d'entretien

05:17de Philippe Tesson.

05:18Oui, c'est Olivier Frébourg

05:19et les éditions des Équateurs

05:21qui ont sorti ce livre.

05:22C'est une anthologie

05:23de 60 années

05:25d'intervention politique

05:27dans les journaux.

05:28Mon père est mort en 2023,

05:30il avait commencé à écrire

05:30en 1958, rendez-vous compte,

05:33et il a fait presque

05:34un édito par jour

05:35pendant 60 ans,

05:36dans le journal Combat,

05:38qu'il a dirigé pendant 20 ans,

05:40puis dans les journaux

05:41qu'il avait fondés

05:42avec ma mère,

05:43Le quotidien de Paris,

05:44Le quotidien du médecin,

05:45les nouvelles littéraires.

05:46Puis après, il est intervenu

05:48au Point, à l'Express,

05:50au Canard Enchaîné,

05:51à la revue des Deux Mondes,

05:52et on a rassemblé,

05:52enfin Olivier Frébourg,

05:54aux éditions des Équateurs,

05:55a rassemblé

05:56ces milliers,

05:57enfin il en a fait une sélection,

05:59des centaines d'articles,

06:00qui donnent une idée,

06:01enfin à mon sens,

06:02du journalisme,

06:03parce que c'est à la fois

06:04un journalisme du verbe,

06:06de l'être très littéraire,

06:07mais en même temps,

06:08de l'insolence,

06:09de la liberté,

06:10du dégagement,

06:10du pas de côté.

06:12Jamais de l'idéologie,

06:13beaucoup de fantaisie,

06:14une énergie énorme,

06:16et il y a un moment,

06:17en fait ça dit,

06:18calmons-nous,

06:19les enfants,

06:19parce qu'il y a quelque chose

06:21qui est supérieur,

06:22tout de même,

06:22à nos petites dissensions médiocres,

06:25c'est la beauté,

06:26l'éternité des choses,

06:28une certaine forme de grandeur,

06:30enfin,

06:31la littérature, quoi.

06:32Je vous avais dit

06:33que l'intelligence

06:34était en train d'entrer

06:34dans ce studio.

06:35On se tait depuis...

06:36Le quotidien,

06:38et vous faites bien,

06:39Le quotidien de l'éternité,

06:40de Philippe Tesson,

06:42et puis donc,

06:42Les Piliers de la Mer aussi,

06:43je vous recommande vraiment

06:44ce livre,

06:45et cette conférence littéraire,

06:46maintenant animée par Sylvain Tesson.

06:48Oui, il reste des places.

06:48C'est jusqu'au 12 décembre,

06:50au Théâtre de Poche-Montparnasse.

06:52Dans un instant,

06:52on va parler.

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