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  • il y a 6 jours
Chères lectrices, chers lecteurs,

Jeudi 20 novembre 2025, nous avons eu le plaisir de recevoir, dans le cadre du Festival Un week-end à l'Est (qui met cette année à l'honneur Bucarest), deux autrices, Marie Khazrai et Laura Nicolae, pour une rencontre croisée autour de leurs ouvrages qui s'attachent à écrire en français la famille roumaine.

Rencontre animée par le journaliste Léonard Desbrières.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

Les Quatrièmes :

Poupées roumaines, de M. Khazrai : "Sur scène, son pied se brise et sa carrière s’interrompt, la laissant sans boussole. Malchance ? Destin ? L’aiguille devenue folle pointe toujours le même nord : la Roumanie, patrie de sa mère. Alors, c’est décidé. Elle fera avec elle le voyage vers la ferme où vivent grand-mère et tante. Pendant six jours, elle enquêtera. Mais dans ce village saccagé par le communisme, on la promène. Empoisonneuses, ogres, vampires : les confidences se changent en contes et cent ans d’histoire roumaine s’invitent à la danse. Car ces femmes semblent par une chose reliées. Elle se nomme sauvagerie et habite chacun de leur corps."

Rue escalei, L. Nicolae : Lauréat du Prix Robert-Cliche 2024
C’est un havre de verdure dans un coin paisible de Bucarest où, même en pleine guerre froide, on vit à l’abri des bouleversements du siècle. En visite chez des amis ou dans la parenté, on s’échange les dernières nouvelles : l’ingénieur d’à côté n’a toujours pas fini de réparer sa voiture ; les ruches de l’apiculteur viennent juste d’essaimer ; le fils prodigue du cordonnier va encore se marier. La vie suit tranquillement son cours, jusqu’à cette agression perpétrée contre le fonctionnaire Spiridon Popescu et son chien, à l’été 1975. Qui donc a pu laisser pour morts la pauvre bête et son maître dans le terrain vague où vont jouer les enfants du quartier ?

Laura Nicolae fait un portrait lumineux de la Roumanie à l’époque communiste, dévoilant la résilience de communautés tissées serrées, où la générosité trouve le moyen de survivre malgré tout, comme les fleurs qui poussent dans les failles du béton.



Laura Nicolae est née à Bucarest et vit à Montréal, où elle enseigne la littérature au niveau collégial. Elle a reçu, pour Rue Escalei, le prix Robert-Cliche du premier roman 2024."

Transcription
00:00Je vais pas trop pousser la voix parce qu'on est en petit comité, en petit, en mini-format on va dire, j'aime beaucoup.
00:04Je reviens de la foire du livre de Brive, pour ceux qui connaissent, c'est pas tellement la même ambiance.
00:10Bonsoir à toutes et à tous, je suis Léonard Desbrières, journaliste littéraire pour Le Parisien et pour Lire Magazine.
00:18Bienvenue à Lécume des Pages pour cette rencontre organisée dans le cadre du festival Weekend à l'Est,
00:23qui est un festival qui met chaque année en lumière la culture et l'art d'un pays d'Europe de l'Est.
00:31Cette année, c'est la Roumanie qui est à l'honneur, avec une édition dont le parrain n'est autre que Christian Bongiou,
00:38le cinéaste, Palme d'Or 2007 à Cannes, pour quatre mois, trois semaines, deux jours.
00:44Du côté des écrivains, le festival pourra compter sur la présence exceptionnelle de Mircea Cartarescu,
00:51ce qui n'est pas une mince affaire.
00:54Au moment, d'ailleurs, où De Noël republie un de ses chefs-d'œuvre, L'Aile Gauche,
00:58que je vous invite à dévorer si ce n'est pas fait,
01:02il sera donc à Paris le 29 novembre à la Maison de la Poésie.
01:05Je ne sais pas s'il reste des places, ça m'étonnerait, mais regardez quand même,
01:08et je vous invite à regarder l'ensemble du programme des festivités,
01:11puisque, comme son nom ne l'indique pas, un week-end à l'Est dure une quinzaine de jours,
01:15jusqu'au 1er décembre.
01:18Place à ce soir, maintenant, j'ai à mes côtés
01:22les deux représentantes de la nouvelle génération
01:24de romancières, de primo-romancières,
01:27dont je n'aime pas trop le mot,
01:29qui sont deux écrivaines d'origine roumaine,
01:32qui ont vogué vers d'autres pays,
01:34qui écrivent en français,
01:36mais qui se plongent dans leurs racines roumaines,
01:38dans des histoires de famille, des histoires de pays,
01:41et du passé roumain,
01:42qui convoquent bien évidemment énormément de choses,
01:44notamment le communisme,
01:46notamment la dictature,
01:47mais aussi beaucoup d'autres choses,
01:48on l'abordera en longueur ce soir.
01:51Avant de leur donner la parole,
01:52quelques mots pour vous les présenter.
01:54Donc, Marie-Cazray, bonjour.
01:58Vous êtes d'origine roumaine, comme je l'ai dit,
02:00vous vivez en France,
02:01vous diplômez de l'ESSEC et du cours Florent,
02:04vous avez commencé, en tant qu'actrice,
02:06à écrire des seules enseignes,
02:09et aujourd'hui, vous organisez des formations
02:11pour la prise de parole en public,
02:13notamment pour les femmes dirigeantes,
02:15si j'en crois, votre LinkedIn.
02:18Et vous avez publié,
02:19c'était l'année dernière,
02:20à la rentrée littéraire,
02:21Poupée roumaine,
02:22un premier roman sous forme d'enquête intime,
02:25familiale, mais aussi enquête historique,
02:27dans le passé de votre pays,
02:29dans le passé familial,
02:31avec une bonne dose d'humour noir, grinçant.
02:35C'est publié aux éditions Les Avrils,
02:38toujours très précieuse,
02:39l'édition Les Avrils.
02:41Laura-Nicolas, bonjour.
02:42Bonsoir.
02:43Bonjour, oui, bonsoir.
02:45Vous êtes né à Bucarest,
02:47vous avez étudié aussi à Bucarest,
02:49avant de voguer vers Montréal,
02:51où vous êtes intéressé à la littérature québécoise,
02:53peut-être qu'on aura le temps d'en dire un mot.
02:56Là-bas, vous avez enseigné,
02:57travaillé dans des librairies,
02:58dans des salons de littérature,
03:00et vous avez publié l'année dernière aussi,
03:03un premier roman, Rue Escaleil,
03:05donc c'est chez VLB Éditeur.
03:07Une plongée là aussi,
03:08une immersion dans une communauté,
03:10qui vit un peu selon ses propres règles,
03:13un peu en marge du communisme
03:14et de tout ce qui se déroule au même moment en Roumanie.
03:20Et ce livre a remporté au Québec le prix du premier roman,
03:23le prix Robert Clich.
03:26J'aimerais qu'on commence par vous, Marie Cazaraille.
03:29Peut-être un premier tour de table introductif,
03:32afin d'en savoir un peu plus sur vous deux,
03:34avant de rentrer dans le livre.
03:35Je l'ai dit un peu en présentation,
03:39donc il y a cette formation de comédienne,
03:41il y a aussi ce métier de formation à la prise de parole,
03:45c'est dans le livre qu'il y a aussi la danse,
03:47donc il y a ce rapport au corps, à l'oralité,
03:50et comment l'écriture s'est immiscée dans tout ça,
03:52comment elle est un peu arrivée dans votre vie ?
03:56C'est une très bonne question.
03:58Elle est arrivée au moment où j'ai décidé d'arrêter d'être comédienne.
04:05Je me suis aperçue que je préférais écrire pour les comédiens.
04:08C'était beaucoup plus ma place, en fait,
04:12et c'était plus mon endroit d'écrire pour des décors, en fait,
04:16qui se déploillaient sur scène,
04:17et j'avais envie d'inventer des histoires pour des acteurs.
04:20C'est comme ça.
04:22Donc, ce n'est pas quelque chose qui, forcément,
04:24vous accompagnait depuis que vous étiez plus jeune.
04:27On sait, les écrivains qui souvent évoquent
04:29des souvenirs d'enfance agribouillés sur des cahiers.
04:33Alors, c'est vrai que je n'ai pas parlé de mes journées intimes.
04:35Il y en a beaucoup.
04:39Mes journées intimes, c'est pour soi, l'écriture.
04:43L'écriture, elle est vraiment arrivée pour l'autre,
04:46avec le théâtre, pas avant.
04:50J'aimerais vous entendre,
04:51sur votre rapport personnel à la Roumanie,
04:54si je ne me trompe pas, vous n'y êtes pas née,
04:57contrairement à votre frère.
04:59Est-ce que vous pourriez nous expliquer la nature de votre lien avec ce pays,
05:02et comment vous appréhendez un peu vos origines roumaines ?
05:05C'est un lien très complexe.
05:07C'est le lien avec ma mère.
05:11Ma mère étant, on va parler du personnage du livre,
05:16un personnage très abîmé, très éclaté, très fragmenté.
05:20Le rapport que j'ai à cette terre-là, il est d'abord très mystérieux.
05:29C'est vraiment la terre de tous les secrets,
05:32c'est la terre de la langue aussi,
05:33de la langue maternelle que je ne comprends pas,
05:34parce que je devine le roumain.
05:37Je le reconnais, mais je ne le comprends pas.
05:39Pour moi, c'est comme une langue de sorcière.
05:42C'est une langue qui envoûte.
05:43C'est vraiment la langue des contes de l'enfance.
05:47C'est un chant, c'est des R qui roulent.
05:51C'est des A qui ne sont pas des A.
05:53C'est une poésie, en fait, pour moi.
05:56C'est vraiment ça.
05:58Avec sa part de mystère aussi, qu'on retrouve aussi dans le livre.
06:01On aura l'occasion d'en reparler tout à l'heure.
06:04Laura Nicolai, vous, vous êtes née à Bucarest.
06:08Quels souvenirs vous gardez de votre enfance là-bas
06:10et de cette époque en Roumanie ?
06:13À un moment donné, je faisais une recherche sur Internet
06:17et je suis tombée sur une dame qui disait
06:22« Moi, je n'ai pas vécu le communisme, j'ai vécu mon enfance. »
06:26Je dirais que c'est la même chose pour moi.
06:29Je suis très redevable à ma famille, à mes parents,
06:32à nos voisins, à mes professeurs
06:34qui ont fait en sorte que j'ai vécu quelque chose de très heureux.
06:39Ils ont tout fait pour me protéger,
06:42pour me donner la chance de continuer à rêver.
06:46C'est sûr qu'une dictature, ça passe par chaque personne de ce pays-là.
06:51Mais j'ai toujours été rassurée par ces gens-là
06:53qu'il y a une porte de sortie.
06:56Il y en avait plusieurs.
06:57Je dirais que l'école était une de ces portes-là.
07:02La littérature était une de ces portes-là.
07:05Et le souvenir que je garde,
07:09c'est ce bonheur de vivre aussi dans la maison de mes grands-parents.
07:13Dans ma génération,
07:17beaucoup d'enfants ont vécu avec des parents qui étaient très occupés.
07:22La génération de ma mère est une des premières en Roumanie
07:25qui est à 100 % sur le marché de travail,
07:27mais on n'avait pas les infrastructures qui venaient avec.
07:30Alors, on s'est tous retrouvés dans la maison des grands-parents.
07:34Et on nous a appelés la génération des enfants
07:38avec une clé autour du cou.
07:40Et c'est vrai.
07:41Et j'ai eu une relation beaucoup plus proche
07:46avec mes grands-parents quand j'étais jeune.
07:49Mes parents, je dirais,
07:50je les ai découverts à l'adolescence ou plus tard.
07:54Le lien le plus proche, c'était avec ces gens-là.
07:57Et ça se voit aussi quand j'écris.
07:59Je pense que ce n'est pas pour rien
08:00que mon premier livre parle d'une relation
08:03entre grands-parents et petits-enfants.
08:06mes souvenirs d'enfants sont très vifs,
08:11parce qu'en fait, je n'ai jamais complètement coupé avec la Roumanie.
08:15Je retourne chaque année.
08:16C'est pour ça aussi que j'ai choisi d'être prof,
08:20d'avoir ces étés-là et de me retrouver dans les 40 degrés,
08:24dans la chaleur, dans les plats roumains,
08:26dans cette atmosphère bouillonnante des Balkans.
08:31Et puis, d'y ramener aussi ma fille.
08:34Quand j'ai lu le livre de Marie,
08:36j'avais l'impression que je comprenais
08:38comment ma fille va à cette relation-là,
08:41parce qu'elle la voit à travers moi.
08:45C'est moi qui la ramène dans le pays.
08:46C'est moi qui lui explique.
08:48Ma fille, elle parle Roumain,
08:50mais parfois, là, elle me regarde.
08:52Et puis, c'est quoi ce mot?
08:53Qu'est-ce que ça veut dire?
08:55Et puis, je sais qu'on triche.
08:56Parfois, on utilise des expressions assez imagées
08:59pour qu'elles ne comprennent justement pas du premier coup.
09:02Alors, il y a plusieurs couches, là, de souvenirs
09:06et d'identité roumaine, là, dans tout ça.
09:11Et très vite, il y a la langue et la littérature françaises
09:13qui sont arrivées dans votre parcours.
09:16Vous savez tous, là, que la Roumanie a choisi,
09:19il y a 200 ans, là, le modèle français.
09:20Quand on a réussi à s'émanciper, finalement,
09:24là, de l'Empire ottoman et de l'Empire austro-hongrois,
09:28on a choisi le modèle français.
09:30Et puis, nos premières générations de grands intellectuels
09:34ont été formés à Paris et ont apporté une littérature,
09:38une façon de faire des institutions en Roumanie aussi.
09:42Alors, j'avais 10 ans quand j'ai commencé
09:46à apprendre le français à l'école.
09:49C'est un peu de façon aléatoire.
09:52Même si je vivais dans un pays où les frontières étaient fermées,
09:54c'était obligatoire d'apprendre deux langues.
09:56Et puis, c'était aléatoire pour chaque...
10:00Je dirais pour...
10:03Oh, pardon, excusez-moi.
10:04Alors, c'était un peu aléatoire pour chaque quartier,
10:08en fonction du professeur qui enseignait là.
10:10Pour moi, ça a été le français et l'allemand.
10:12Pour d'autres amis, c'était anglais et russe, et ainsi de suite.
10:15Mais je dirais, là, que le français, ça venait quelque part naturel.
10:19Ça faisait des générations.
10:21Ma mère est la première génération après la guerre
10:23qui a eu le droit d'apprendre des langues.
10:25On a été un certain nombre d'années
10:27après la Deuxième Guerre mondiale sous occupation russe.
10:30Alors, c'était juste russe à l'école.
10:32Et une fois que l'armée s'est retirée,
10:34ma mère a été la première génération
10:36qui a eu le droit d'apprendre le français.
10:39Et elle en a été très, très fière.
10:42Alors, j'ai comme suivi un petit peu ce créneau-là.
10:46Et puis, j'avais une amie d'enfance
10:49qui était folle, là, des Trois musquétaires.
10:51Je pense qu'elle a lu tout Alexandre Dumas
10:5420 fois en boucle.
10:56Il n'y avait rien d'autre qu'elle lisait.
10:58Alors, à un moment donné pour son anniversaire,
11:00je me suis mise et j'ai pris les Trois musquétaires
11:04et j'ai dit, voilà, maintenant, là,
11:06on va les faire avec des personnages roumains.
11:08Puis c'est comme ça que ça a commencé.
11:11Oui.
11:12Et puis, ensuite, j'ai déçu mes parents à 17 ans
11:16quand je leur annonçais que je n'allais pas en médecine,
11:18que je voulais étudier littérature.
11:20Ça, ça a été pour ma mère, là,
11:23un grand moment de tristesse,
11:26une grande tragédie familiale.
11:27Mais je n'ai jamais, jamais,
11:29jamais regretté ma décision.
11:33Alors, j'ai étudié à l'Université de Bucarest.
11:36Micha Cateresco était mon prof à ce moment-là.
11:39Et puis, ensuite, j'ai eu une bourse de la francophonie
11:42pour faire une spécialisation en littérature québécoise.
11:46C'est comme ça que je suis arrivée à Québec,
11:48à l'Université Laval et après à Montréal.
11:51OK.
11:52Si on a le temps, on parlera de comment peut-être
11:54la littérature québécoise a pu aussi infuser votre œuvre.
11:58J'aimerais qu'on rentre progressivement dans vos livres.
12:00Marie Cazeray, avant de raconter, bien sûr,
12:03ce périple entrepris avec votre mère,
12:05il faut bien comprendre comment votre parcours intime
12:09infuse ce livre.
12:11Et j'aimerais surtout que vous nous expliquiez
12:12le pacte que vous exposez d'emblée
12:15avec votre lecteur dans le livre.
12:17Quel est-il et quel est le parti pris ?
12:19Pourquoi avoir pris ce moment avec votre lecteur
12:21pour expliquer ça ?
12:25Ça remonte, alors je ne sais plus.
12:27Je crois que c'était presque un pacte avec moi-même.
12:32C'est vrai.
12:34C'était un pacte autour de la pudeur.
12:39Une invitation à emmener le lecteur dans un voyage
12:43où j'allais me révéler.
12:45Et en même temps, je lui dis d'emblée
12:47que ce n'est pas moi le sujet,
12:48que ce n'est pas ça qui est très intéressant.
12:50J'ai toute une réflexion aussi autour de l'autofiction,
12:53du roman, où est-ce qu'on place les frontières.
12:54Et donc, j'avais envie de dire au lecteur,
12:58finalement, moi, ce livre,
12:59il va me servir à me tirer le portrait.
13:02Mais pour toi, ça va être sans doute autre chose.
13:04Ça va peut-être être un portrait d'une histoire d'amour.
13:08Ça va être le portrait d'un pays.
13:10Ça va être le portrait de ce que peuvent faire les tyrans.
13:14Ça peut être le portrait de ce que peuvent vivre
13:16des gens qui sont très idéalistes.
13:18Le portrait d'un petit village aussi.
13:20Le portrait de relations entre des femmes
13:22qui sont coupées des hommes.
13:24Du coup, c'est quand même bien les hommes.
13:27On a peut-être quelques sciences comme elles.
13:30Voilà, c'est un peu tout ça.
13:32Est-ce qu'il y avait un côté aussi,
13:34comment dire, un moyen de se protéger,
13:36en quelque sorte ?
13:37Parce que le jeu, d'emblée,
13:38pour un premier roman,
13:39c'est toujours quelque chose
13:40qui peut être intimidant.
13:44Peut-être, je ne sais pas.
13:47Je réponds.
13:47Je voudrais qu'on revienne aux origines du livre.
13:52Tout commence par ce voyage que vous avez entrepris en 2014.
13:56Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu ce projet
13:58et quels en étaient les objectifs ?
14:01Alors, en 2014, je décide d'arrêter d'être actrice.
14:04Je me brise le pied, en fait, sur scène
14:06à la suite d'une improvisation
14:09que la danseuse nous avait donnée à faire.
14:14Ça a été un peu un moment de crise.
14:19Il fallait improviser sur la colère.
14:22Puis, je n'y arrivais pas, je n'y arrivais pas.
14:23Et puis, tout d'un coup,
14:24la colère m'a vraiment saisi.
14:25Elle a attrapé mon corps.
14:27Et puis, je me suis mise à crier dans la salle
14:29des choses infinitementes.
14:33Voilà, donc j'ai revendiqué d'être une sainte
14:34et d'être la sainte salope.
14:36Ça a fait mourir de rire le public qui était là.
14:39Et en fait, à la suite de ça,
14:41je me suis brisée le pied.
14:43Et en fait, c'était très symbolique.
14:44Moi, je ne le savais pas à ce moment-là.
14:45Mais il y avait vraiment quelque chose
14:47qui faisait que je n'arrivais plus dans ce métier.
14:48Je trouvais ça trop difficile.
14:51Et je ne sais pas.
14:54Je n'arrivais plus à marcher.
14:56Et puis, je faisais du yoga tout le temps.
14:58Et puis, je n'arrivais pas de penser à l'Arménie.
14:59Je n'arrivais pas de penser à la mer.
15:01Et je me disais, il doit y avoir quelque chose là-bas
15:03qui m'échappe et qui fait que c'est constitutif de moi,
15:06que c'est constitutif de mon corps,
15:08que c'est constitutif de mes figures.
15:10Et je dois savoir, en fait.
15:12Donc, j'ai décidé de partir avec elle.
15:14Et ce n'était pas simple du tout
15:15parce que ma mère ne m'a jamais rien traduit.
15:17Donc, parfois, elle dit qu'elle traduit.
15:20Par exemple, ma grand-mère, elle parle très longtemps
15:21et puis elle traduit deux mots.
15:23Et je dis, c'est tout ?
15:25Elle me dit, oui, bien sûr.
15:26Parfois, ma grand-mère dit deux mots
15:27et puis ma mère traduit des heures et des heures.
15:29Il y a toujours cette parole qui n'est pas très fiable, en fait.
15:33Et donc, je me suis dit,
15:35je vais essayer d'aller dans le village de ma grand-mère
15:38où vivait encore ma tante à l'époque,
15:39avec une mère dans ce petit village
15:41qui est vraiment très, très coupé du monde,
15:42très, très coupé du temps.
15:43Un petit village romain, comme tu peux connaître.
15:46Et donc, je suis partie pendant six jours.
15:49Et pendant six jours, j'ai questionné,
15:51comme n'importe qui peut faire.
15:52Parfois, on questionne un peu ses grands-parents.
15:54C'est sûr que ses tantes.
15:56Et voilà, je n'avais pas la langue.
15:57Donc, j'avais cette traductrice défaillante.
15:59Et puis, en fait, pendant six jours,
16:02moi, je pensais qu'on n'allait rien me raconter.
16:03Et en fait, on m'a raconté.
16:05Mais alors, qu'est-ce qu'on m'a raconté ?
16:07On m'a raconté vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses.
16:10Et au bout d'un moment, j'ai eu la sensation
16:12qu'on était en train de me berner.
16:13Et j'avais l'impression que c'était comme un...
16:16Vous savez, quand on agite un petit chiffon rouge
16:18devant le taureau pour attirer son attention.
16:22Et je me suis dit, mais qu'est-ce qu'on me raconte, là ?
16:24En fait, j'avais la sensation qu'on me détournait, en fait,
16:26de la vraie chose.
16:28Et quand je suis rentrée de ce voyage,
16:32je suis arrivée à Paris.
16:34J'ai dîné avec mon compagnon.
16:35Et je lui ai dit, voilà, je vais écrire un livre.
16:38Parce que c'est trop fou, en fait.
16:40Ce voyage est trop fou.
16:41Donc, je vais en faire quelque chose.
16:43Mais je ne sais pas quand.
16:45Et ça a été net tout de suite.
16:48Et ça a mis dix ans, au final.
16:50Est-ce que ça avait besoin de maturer ?
16:52Est-ce que l'écriture a été difficile ?
16:54Comment vous avez vécu cette épreuve ?
16:57C'est un bien grand mot.
16:58Mais comment vous avez vécu ce moment-là ?
17:00Eh bien, les premières années, c'était très bien.
17:02Parce que c'était mon petit projet secret.
17:04Donc, je savais qu'un jour, voilà, j'écrirais ce roman.
17:07Et puis, au bout d'un moment, j'ai suivi des ateliers d'écriture
17:13chez LF Écriture à Paris.
17:14Et puis, je tournais autour de ce voyage, ce voyage humain.
17:18Mais en fait, je ne comprenais pas ce que j'écrivais.
17:20Ça n'avait pas de sens, en fait.
17:21J'écrivais des petits fragments, un souvenir qu'on m'avait raconté,
17:25un petit point par-ci, un petit point par-là.
17:27Mais en fait, ça n'avait pas de sens.
17:29Et puis, un jour, il y a quatre ans, il y a eu un événement très fort
17:32chez moi, dans ma famille, un événement privé, intime.
17:35Et ça a été...
17:38En fait, j'ai compris que ce voyage-là n'était que le reflet du secret
17:48dont moi, j'étais la porteuse, dont j'étais porteuse.
17:51Et qu'en fait, ce voyage me trottait en tête parce que là-bas,
17:55j'avais eu toutes les clés pour comprendre cet énigme familial.
17:59Et quand j'ai compris, en fait, ce qui se passait, le secret,
18:03quand j'ai pu le nommer, j'ai pu écrire le livre.
18:07Et juste une petite question.
18:09Comment votre mère a-t-elle réagi quand vous lui avez proposé ce projet
18:13d'aller en Roumanie, peut-être d'éterrer quelques secrets,
18:16quelques non-dits ?
18:18Est-ce que ça a été un peu, pour elle, une surprise ?
18:21Et aussi, peut-être, comment dire, une envie de vous dissuader ?
18:26Je crois que je l'ai écrit dans le roman.
18:27On a une grande conversation au téléphone.
18:29Oui, c'est génial.
18:29Oui, et non, et oui, et non, de manière, de plein de façons différentes,
18:34de façon très directe, très détournée, où elle est en fait elle-même prise
18:39dans son récit familial et dans son drame personnel, où elle a envie d'y aller,
18:44et en même temps, elle a envie d'y aller à Réculon, et en même temps,
18:46elle n'a pas du tout envie d'y aller, parce qu'elle doit se confronter,
18:49elle aussi, aux fantômes.
18:50Et voilà, elle va vous appeler bien comme elle veut, les fantômes.
18:53On y reviendra tout à l'heure.
18:56Laura Nicolet, on a vu avec Marie Cazerey une genèse d'un roman aux couleurs très intimes.
19:04Vous aussi, il y a une histoire intime, familiale, derrière ce roman,
19:07ou en tout cas, derrière ce qui peut être le point de départ de l'écriture,
19:10comment ça a commencé, l'aventure rue Escalay ?
19:13Je dirais que ce n'est pas aussi intime que pour Marie.
19:20Je n'ai pas vraiment un point de départ.
19:25Pour moi, c'est venu autrement.
19:28J'étais à Montréal, j'étais en train de finir ma thèse de doctorat,
19:32et puis parfois, j'avais la radio ou la télé ouverte juste pour me tenir compagnie.
19:38Pendant un an et demi, j'ai eu vraiment envie de moine.
19:41Je ne sortais pas, je faisais juste écrire.
19:43Vous pouvez imaginer qu'écrire des centaines de pages dans une langue qui n'est pas la langue maternelle,
19:48ça a été quand même mon effort, et puis ça a été, je dirais, un point tournant dans ma vie,
19:52de voir que j'étais capable de le faire.
19:56Et puis, j'écoutais, c'était le mois de mai, et à un moment donné,
20:01il y a quelqu'un à la radio qui dit, OK, c'est l'anniversaire du jour du victoire,
20:06on a les vétérans canadiens, les cérémonies et tout ça,
20:11et ça, ça m'a fait automatiquement penser à mes deux grands-pères,
20:15qui étaient tous les deux des vétérans de guerre.
20:19Il y avait une différence d'âge entre eux,
20:21alors la guerre, ils l'ont vécu différemment, même s'ils étaient sur le front.
20:25Et puis, j'ai réalisé, quand la personne à la radio a dit,
20:32on a de moins en moins de vétérans vivants,
20:35j'ai dit, oui, effectivement, là, ils nous ont glissés entre les doigts,
20:39je pense qu'on n'a même pas assez parlé d'eux,
20:41et on ne connaît même pas toutes les histoires.
20:45Et puis, pour moi, c'était significatif,
20:47parce que les deux grands-pères sont revenus
20:50avec ce trouble post-traumatique qu'on connaît aujourd'hui,
20:54mais qui, à leur époque, ça ne voulait rien dire.
20:57Et ils se manifestaient de façon très différente.
21:01Il y en a un qui était complètement gelé,
21:03il ne parlait jamais,
21:04et il y avait l'autre qui était un volcan.
21:07Et c'est parti, avec ça, je me suis dit,
21:14oui, je ne veux pas laisser partir eux et leurs souvenirs
21:18avant d'écrire quelque chose.
21:20Et après quelque temps, je me suis rendu compte
21:26qu'on fait toujours des cérémonies,
21:28on fait toujours des statuts pour les autres partis à la guerre.
21:31Mais mes deux grands-mères étaient des vétérans de guerre
21:34au même titre, même si la façon dont elles ont vécu ça
21:39a été différente.
21:40Et puis, pour moi, dans ma famille,
21:43c'était encore plus spécial,
21:45parce que les parents de mon père étaient assez âgés
21:48pour avoir vécu la Première Guerre mondiale en tant qu'enfant
21:52et la Deuxième Guerre mondiale en tant que parent avec enfant.
21:56Alors, ça a été une génération qui, en Roumanie,
21:59est passée par cinq dictatures différentes,
22:03deux guerres mondiales.
22:05Alors, je me suis dit,
22:07si jamais je laisse ces gens-là partir sans rien dire,
22:14je ne vais pas être à l'aise avec ça.
22:17Disons aussi que ce livre,
22:21ce n'est pas le premier manuscrit que j'ai écrit.
22:24J'ai commencé en 2007 à écrire des manuscrits
22:28pour mon conjoint, pour mon mari.
22:31C'était, je pense, la meilleure façon, là,
22:34d'avoir un mariage entre un Roumaine et un Québécois
22:39et s'entendre, parce que ce n'est pas le fait
22:41de parler français ou d'avoir des valeurs communes, là,
22:45qui font, en fait, durer un couple.
22:47C'est aussi comprendre l'histoire personnelle de l'autre.
22:50J'ai commencé à écrire différentes choses.
22:53Et puis, c'est ce manuscrit qu'il a toujours aimé.
22:56Il a dit, si un jour tu penses voir un éditeur,
23:00moi, je commencerai par lui.
23:02Et puis, c'est comme ça.
23:03Bon, nouvelle histoire.
23:04Oui, merci.
23:07Un mot sur le lieu du roman qui est très important,
23:09qui lui donne son titre.
23:11Parlez-nous de cette rue et de ce quartier très particulier.
23:14Disons que c'est particulier d'écrire sur Montréal.
23:19Je racontais hier soir ça à Marie.
23:23Montréal, c'est une...
23:24Pardon.
23:25C'est difficile d'écrire sur Bucarest.
23:27Excusez-moi.
23:29Oui.
23:30Alors, Bucarest, on peut comparer une ville très littéraire.
23:34Et puis, tu ne veux pas pour ton premier livre
23:37commencer avec exactement le même quartier
23:40que Michac-Eltalescu.
23:41Je suis née à deux coins de rue de lui.
23:43Et puis, il a écrit, je pense, une dizaine de romans
23:48qui parlent du quartier Colentina et des environs.
23:52Il est né, il a travaillé là, il a grandi là,
23:55et ainsi de suite.
23:57Et puis, chaque fois que je...
23:59C'est en fait comme ça que j'ai approché la littérature
24:01en découvrant mon propre quartier
24:03à travers les yeux de Michac-Eltalescu
24:06et dire, ben, voyons, alors, on peut parler
24:09de cette fabrique-là où les femmes tissent
24:12et qui sont tout délabrés et ça fait quand même
24:15de la belle littérature.
24:17Alors, c'est un peu comme ça, là, que je me suis dit,
24:22ben, je pense qu'il a fait le tour, là, de Colentina.
24:26Je ne vais pas commencer avec ça.
24:28Et puis, j'ai pris cette rue escalée qui existe pour de vrai,
24:32qui est le genre de rue, là, où, en principe,
24:36il n'y a rien qui se passe.
24:38Des amis d'enfance de ma soeur ont grandi là.
24:42C'est une rue, là, qui est proche du cimetière
24:45où mes grands-parents, là, sont enterrés.
24:50C'est une rue où se trouvait l'école primaire de mon père.
24:55Je me suis dit, ça va être, je pense, un lien assez fort
24:59pour m'aider à traverser tout le processus d'écriture.
25:03J'avais besoin de quelque chose qui ne venait pas
25:06nécessairement, là, de mon passé à moi,
25:09mais qui avait beaucoup de liens avec leur passé à eux.
25:13Et il ne faut pas s'attendre à grand-chose.
25:16À Montréal, il y a du monde qui a googlé la rue.
25:20Il a dit, mais il n'y a rien de spécial.
25:22Exactement, il n'y a rien de spécial.
25:24Mais même dans une rue comme ça,
25:26où il n'y a absolument rien de spécial,
25:28il y a une transformation.
25:29Et je l'ai utilisé comme prétexte
25:32pour la mise en scène de mes personnages.
25:35Disons aussi que quand j'ai fini le manuscrit,
25:41c'est ma soeur qui m'a appelée et elle m'a dit,
25:43« Hé, tu sais, dans le quartier de l'enfance de mon père,
25:48ils ont fait d'énormes changements.
25:50Et puis, la maison où notre père aîné n'existe plus. »
25:54Et j'ai dit, « C'est étrange, là, que j'ai écrit quelque chose
25:57en m'inspirant de ce bâtiment-là
26:00et que j'ai fini le manuscrit exactement dans la semaine
26:04où il disparaissait. »
26:06Et comme n'importe quelle rue de grande ville,
26:13il y a 100 ans, là, c'était un endroit boucolique.
26:17C'était un endroit, là, où pour de vrai,
26:20on avait encore des animaux et on avait encore des ruches.
26:23Et aujourd'hui, c'est une rue avec béton,
26:27électricité, trafic, et ainsi de suite.
26:30Mais encore une fois, là,
26:32je ne pense pas que vous allez aller à Bucarest
26:36pour voir Rue Escalée.
26:38C'est plutôt pour l'ambiance
26:40et surtout pour les personnages.
26:42Et un mot quand même sur la communauté
26:44que vous racontez, et cette époque,
26:46ces gens qui peuplent ces rues,
26:48ce quartier,
26:49qui ont une manière toute singulière
26:51d'approcher la vie
26:52et de vivre en marge,
26:55d'opposer une forme de résistance, j'ai envie de dire.
26:58Je n'ai pas choisi 1975 pour rien, là.
27:01Disons que dans l'évolution du communisme,
27:04il y a eu à un moment donné,
27:06un moment plus calme, là.
27:08Il y a eu comme une sorte de mini-pause
27:11où les choses allaient mieux, là,
27:12et tout le monde pouvait respirer
27:14et enfin s'ouvrir un peu.
27:15Malheureusement, c'est refermé
27:17dans les années 80.
27:19Et puis, ces personnages-là,
27:21pour dialoguer,
27:22si paisiblement, là,
27:24à propos de leur trauma,
27:25à propos de ce qu'ils pensaient
27:27pour de vrai,
27:28avaient vraiment besoin, là,
27:30d'un endroit à la fois paisible
27:34et d'un endroit, là,
27:37où on se sentait retiré, là,
27:42du discours social.
27:47Je dirais, là, en fait,
27:48que mes personnages,
27:49et en général,
27:50le monde sous le communisme,
27:51a eu toujours deux vies,
27:53une vie publique,
27:56où on répétait exactement
27:58ce qu'on entendait à la télé
27:59pour ne pas avoir des problèmes,
28:01et une vie, là,
28:04avec la famille et les amis,
28:06où on pouvait dire
28:07ce qu'on avait sur le cœur
28:08et puis faire les blagues
28:10en conséquence
28:11et critiquer le régime
28:14et ainsi de suite.
28:15Alors, ce genre de double vie, là,
28:17apparaît aussi dans mon livre.
28:20Et puis, les personnages,
28:23j'avais besoin de cette rue.
28:25Et je pense que ça,
28:26si vous voulez,
28:27c'est la partie la plus réaliste.
28:28La Roumanie, avec le communisme,
28:30a connu un sort de brassage
28:32de classe sociale.
28:33Eh bien, dans cette rue-là,
28:35on retrouve représenté
28:37tout ce qui a été remélangé,
28:40toutes ces cartes-là
28:41qui ont été rejouées
28:43entre ceux qui étaient nantis
28:47avant la Deuxième Guerre mondiale
28:49et ceux qui partaient
28:51des milieux très humbles.
28:54Je voudrais vous faire réagir
28:57sur une dernière chose
28:57et peut-être que Marie-Cazera
28:59pourra, c'est même sûr,
29:00intervenir là-dessus.
29:03En tout cas,
29:03il y a quelque chose
29:04qui est jaillit de votre livre,
29:04c'est l'idée que la Roumanie,
29:07alors que nous,
29:07on peut peut-être s'en faire
29:08une image de pays de l'Est,
29:09peut-être froid,
29:11même de l'imaginer de la neige,
29:12je ne sais quoi,
29:12mais c'est un pays très latin
29:13qui fonctionne un peu
29:15comme pourrait fonctionner l'Italie
29:17ou avec de beaucoup de chaleur,
29:20un intérêt tout particulier
29:22pour la cuisine,
29:23pour les sensations,
29:23les odeurs.
29:25Écoutez,
29:26j'ai écrit ce livre-là aussi
29:27pour lutter contre
29:28ce genre de préjugés
29:30et sortir cette image
29:31de la Roumanie-là
29:32quand on connaît juste,
29:34je ne sais pas moi,
29:35des bulletins de nouvelles.
29:38Moi, j'ai décrit la Roumanie
29:40telle que moi,
29:40je l'ai vécue
29:41et puis,
29:42ce n'est pas parce qu'on était
29:43un pays communiste
29:44mais un pays de l'Est
29:45que ça veut dire
29:46qu'on n'était pas différents.
29:49On parle des pays
29:50de l'Ouest aussi,
29:51mais je ne pense pas
29:52qu'en français
29:53se considère égale
29:55en portugais
29:56ou en italien.
29:57Mais c'est la même chose
29:58en Europe de l'Est,
29:59là,
29:59il y a des langues différentes,
30:00des cultures différentes,
30:02des jeunesses,
30:04des histoires différentes.
30:06et puis, nous,
30:07oui, effectivement,
30:08on est les latins.
30:11On est,
30:13si vous voulez,
30:13on est les hobbits,
30:15là,
30:15de la région.
30:16Alors,
30:16des gens qui aiment bien vivre,
30:19oui,
30:19je sais la comparaison.
30:21J'aime bien,
30:22j'aime bien.
30:22Il ne faut pas la traduire
30:23en roumain.
30:27Nous sommes des gens
30:28qui aiment vivre,
30:30et puis l'atmosphère
30:30de mon livre,
30:31quand on s'assoit
30:32avec les amis,
30:33la famille,
30:34et on aime laisser
30:35le temps passer,
30:36on a ça dans le sang.
30:38Alors,
30:38on n'est pas
30:39des grands conquérants,
30:40on n'est pas
30:41des gens, là,
30:42qui veulent changer
30:43le monde.
30:44On a juste
30:45ce plaisir de vivre.
30:47On aime notre village,
30:48on aime nos voisins,
30:49les voisins sont
30:50notre deuxième famille,
30:52et puis mettre ça
30:54à côté du communisme,
30:56c'est juste pas
30:57compatible
30:58avec ce qu'il y a
30:59en fait en roumain.
31:01On est des gens du sud,
31:02il fait 44 degrés l'été,
31:04on vit sur une voûte
31:05de vigne,
31:08ça, c'était l'air
31:08climatisé, là,
31:09dans les années 70,
31:11et c'est en fait
31:14ce talent-là
31:16pour le parti,
31:17pour le rire,
31:17pour la joie,
31:19pour la fête,
31:20là, que moi,
31:21je considère
31:22le trait numéro
31:23un de la roumain.
31:24Mais je suis convaincue,
31:26là, qu'en dehors
31:27de la Roumanie,
31:28on ne va jamais
31:29nous décrire
31:29comme ça.
31:31Et puis,
31:31quand Marie,
31:32tout à l'heure,
31:32parlait des villages
31:33isolés,
31:34il ne faut pas oublier
31:35qu'on a des montagnes
31:36aussi belles, là,
31:38qu'en Suisse
31:39ou en France,
31:41et que parfois,
31:42dans les vallées
31:43ou à plus de 2500 mètres,
31:46oui, effectivement,
31:46on peut être
31:47très, très isolé,
31:48et puis,
31:49on peut faire le saut
31:52300 ans,
31:53400 ans en arrière,
31:54là,
31:54quand on arrive là
31:55et on tombe
31:56sur un mode de vie
31:57qui n'a pas changé
31:58depuis des centaines
31:59d'années.
32:01Marie-Casré,
32:01je voulais vous faire
32:02réagir sur ça
32:02parce que vous débarquez
32:04donc chez votre grand-mère,
32:06chez votre tante,
32:07avec votre mère,
32:08donc on est dans
32:09un royaume de femmes.
32:10la cuisine a une importance
32:12fondamentale,
32:14on se croirait
32:14dans du Almodovar,
32:15c'est pour ça
32:15que je pense
32:17à ce côté latin.
32:18Racontez-nous un peu
32:19cette ambiance
32:20que vous découvrez
32:20dans la cuisine
32:20de ce brouhaha
32:21absolument fou.
32:23C'est vrai
32:24que la quasi-totalité
32:25du roman
32:26qu'on se passe
32:26dans ce village,
32:27dans cette ferme,
32:28et c'est vrai
32:28presque tout
32:30dans la cuisine,
32:31et la cuisine,
32:32c'est le lieu de vie
32:33des femmes,
32:34c'est là où on mange,
32:35c'est là où on se raconte
32:36des histoires,
32:37c'est là où on casse
32:38des noix
32:39toutes ensemble,
32:40c'est là où on se raconte
32:41des fausses histoires
32:41pour ne pas se dire
32:42les vrais secrets,
32:43c'est là où les poussins
32:44picorent,
32:45amènent les pieds,
32:48voilà,
32:48c'est vraiment
32:49le lieu de vie,
32:50il y a toujours
32:51quelque chose
32:51qui sent bon
32:52dans le four,
32:52il y a un posé là
32:53qui est un peu
32:54par le verre,
32:55il y a des brioches
32:56à la pomme,
32:57il y a de la viande,
32:58il y a des sarmalées,
32:59il y a des soupes,
33:00voilà,
33:02tout se passe,
33:03on est tout réchauffé,
33:04parce que c'est vrai
33:04qu'il fait quand même froid,
33:06et pour réagir
33:06par rapport,
33:07effectivement on a une image
33:08d'un pays très froid,
33:09moi c'est ce que je disais
33:10au départ,
33:11moi la Roumanie
33:11c'est ma mère,
33:12alors moi ma mère
33:12elle est mélancolique,
33:13alors aujourd'hui
33:14on dit bipolaire,
33:15moi j'aime pas trop ce mot,
33:16mais c'est vrai que ça
33:16a un truc assez bien
33:17les choses,
33:17c'est que le thermostale
33:18est cassé quoi,
33:19il fait soit très chaud
33:20soit très froid,
33:21et donc la Roumanie
33:22elle m'arrive aussi
33:23comme ça quoi,
33:24c'est soit tout est glacé
33:25et tout est gelé
33:26même dans les deuils
33:27des anciens,
33:28soit c'est flamboyant
33:29et ça part
33:30dans tous les sens,
33:31et il y a c'est vrai
33:33ce truc très,
33:35la grande fierté
33:35des Roumans
33:37d'être le petit
33:38Tilo latin,
33:39la petite mère latine
33:40parmi les Slaves
33:41et c'est vrai
33:42que le personnage
33:43de la mère
33:44se moque
33:45des mots Slaves
33:46et pour elle,
33:48elle se prend
33:49pour une impératrice,
33:50c'est la femme
33:50de Trajan.
33:51Et c'est là pour vous
33:53que ça devient,
33:55je fais référence
33:55à ce que vous disiez
33:56tout à l'heure
33:56sur la traduction
33:57en direct un peu,
33:58c'est là pour vous
33:58que ça devient
33:58très compliqué
33:59parce que les paroles
34:00jaillissent,
34:02c'est aussi un mode
34:02de discussion
34:03qui peut être
34:04assez agressif,
34:05assez explosif
34:06et vous,
34:06vous êtes en train
34:07de toujours tirer
34:08la langue derrière,
34:08c'était un peu ça
34:09le déroulé
34:11des discussions ?
34:13Oui, c'est ça,
34:14je ne sais pas
34:15s'il y a des gens
34:15qui ont aussi
34:16des grands-parents
34:16qui parlent une autre langue
34:17mais ce n'est pas évident
34:18d'essayer de capter
34:20en fait le contenu réel,
34:22alors déjà le contenu réel
34:24et l'effet
34:24de ce qui s'est passé
34:25dans la vie
34:25de nos grands-parents
34:26c'est quand même compliqué,
34:27on n'a jamais
34:28qu'un point de vue
34:29mais alors en plus
34:29quand on ne s'est pas traduit,
34:30quand on ne s'est même pas
34:31de sa langue,
34:32c'est encore
34:32traversé des fleuves
34:35pour l'arrivée.
34:40Quelle était la question ?
34:42En plus l'écueil supplémentaire
34:45qui était la non-possibilité
34:47d'accéder directement
34:48à ce qu'on vous dit ?
34:49Oui, en fait ce qui est devenu
34:50très intéressant pour moi
34:51c'était d'observer les corps
34:52puisque en fait
34:53ma mère traduisait des choses
34:55et puis je me disais
34:56alors déjà non seulement
34:57ce n'était pas si long
34:58ou ce n'était pas si court
34:59mais en plus le corps
35:00ne dit pas du tout ça là.
35:02Le corps est en train
35:02de se rétracter,
35:04il est en train
35:04de se renfermer,
35:05elle n'est pas du tout
35:05en train de raconter
35:06une histoire joieuse,
35:07c'est elle en train
35:08de raconter quelque chose
35:09de terrible en fait.
35:11Et dans ces moments
35:12entre femmes,
35:13vous analysez aussi
35:14beaucoup les silences,
35:16les choses qui ne se disent pas,
35:17la violence des hommes
35:18qui peuvent se deviner.
35:21Est-ce que vous,
35:23comment dire,
35:23en partant en Roumanie,
35:25vous mesuriez
35:26l'étendue de ces choses-là ?
35:27Est-ce que c'était
35:28quelque chose
35:28que vous vouliez aller
35:29aussi débusquer
35:30dont vous vous doutiez
35:31ou c'est quelque chose
35:32qui vous a un peu
35:32explosé au visage ?
35:33Non, ça m'a exposé
35:34à la figure.
35:35J'avais quelques petits soupçons,
35:36mais c'est vrai que ce...
35:39En fait,
35:39je n'avais pas conscience
35:41que...
35:42Alors,
35:44c'est ma perception,
35:45Laura,
35:45parce que moi,
35:46comme je ne suis pas roumaine,
35:47je ne sais pas bien.
35:48Je n'avais pas conscience
35:50que le communisme
35:51avait autant pris possession
35:53du corps des femmes.
35:54Je n'avais pas conscience
35:55de ça.
35:56cette interdiction
35:59soudaine,
36:01on ne peut plus avorter
36:01en 66, 67,
36:03je ne sais plus très bien,
36:06et que d'un coup,
36:08il n'y a plus
36:08de moyens de contraception
36:10et que ces femmes
36:11et tous ces couples,
36:12les femmes se font
36:13confisquer le corps,
36:14les couples se font
36:15confisquer leur sexualité,
36:17qu'on ouvre
36:19des orphelinats partout
36:20et qu'en fait,
36:21finalement,
36:22abandonner un enfant
36:23devient un moyen
36:24comme un autre,
36:25en fait,
36:25de faire famille,
36:27de ne plus faire famille,
36:29ça,
36:29je n'avais pas conscience.
36:30Donc,
36:30en fait,
36:31là,
36:31j'ai vraiment compris
36:32à quel point
36:32le communisme
36:34avait percuté
36:34les femmes de ma famille
36:35avec tous les avortements
36:37qui avaient été tus.
36:40Voilà,
36:41ça,
36:41ça a été très fort.
36:46Votre communauté,
36:48Laura Nicolet,
36:48vous,
36:49elle vit,
36:49je l'ai dit,
36:49un peu en marge
36:50du communisme,
36:51mais elle lui oppose
36:52aussi une résistance
36:52avec un modèle de société
36:54dans ce quartier-là
36:56qui a l'air de reposer
36:57sur la solidarité,
36:58sur,
36:59même s'il y a
36:59quelques ombres au tableau,
37:01on le sait,
37:01mais est-ce qu'il y a
37:03une forme de résistance
37:03dans la manière
37:04dont ils bâtissent
37:06un vivre-ensemble
37:07dans ce quartier ?
37:09Ben, déjà,
37:11comment dirais-je,
37:14il faut dire aussi là
37:15que mon livre
37:16est vu quand même là
37:18à travers les yeux là
37:20des pré-adolescents,
37:22bien sûr,
37:23alors certains problèmes graves
37:26là de la société
37:27ou même de ce temps-là
37:29ne sont pas vraiment abordés.
37:31Mais la forme là
37:32de résistance là
37:34dans mon livre,
37:36c'est incarné
37:37par la grand-mère
37:38qui,
37:39malgré,
37:40comme je disais,
37:41100 ans là
37:42de changement politique
37:43et de trauma,
37:46elle a exactement
37:47la même routine.
37:48Alors,
37:49ça va être une femme
37:50qui ne vit pas
37:51selon le plan
37:53de cinq ans là
37:54du Parti communiste,
37:55tout a été planifié
37:56pour cinq ans là,
37:57OK ?
37:59Alors,
37:59c'est une femme
38:00qui vit selon
38:01le calendrier
38:02chrétien orthodoxe.
38:04alors se réveille le matin,
38:06regarde le jour
38:07de quel sang
38:08et puis qu'est-ce
38:09qu'elle a le droit
38:10de faire.
38:10Aujourd'hui,
38:11on mange du poisson,
38:13aujourd'hui,
38:13on ne peut pas
38:14faire du lavage,
38:15aujourd'hui.
38:16Alors ça,
38:16déjà,
38:17c'était assez fort
38:19à l'époque.
38:21C'est une femme
38:21qui baptise ses enfants,
38:23c'est une femme
38:23qui fait le jeûne,
38:24c'est une femme
38:25qui tremble
38:27ses jeûnes
38:29à l'église
38:30avant Pâques là
38:31pour qu'ils communient.
38:33et puis c'est aussi
38:35une femme là
38:36qui les apprend
38:36les valeurs
38:37à sa façon là,
38:38famille en premier
38:39puis,
38:42enfin,
38:44cette histoire
38:44de l'entraide là,
38:46cette histoire
38:47d'avoir toujours
38:48une sorte de,
38:51comment je pourrais
38:52appeler ça,
38:53c'est comme si
38:55on avait
38:56un réseau secret là.
38:59Il y a quelques années,
39:00j'ai lu le livre
39:01sur la vie des arbres
39:02où on parle du fait
39:04qu'en dessous de terre,
39:05grâce aux champignons
39:06et tout ça,
39:07il y a un réseau
39:07et que les arbres
39:08communiquent.
39:09J'ai eu tellement
39:10l'impression là
39:11de voir la façon
39:13d'être
39:14et de communiquer
39:15de mes grands-parents.
39:16Tout n'était pas
39:16en dessous,
39:17mais ça se faisait.
39:18Chaque personne
39:19connaissait une autre
39:20personne pour aider.
39:24Je fais une parenthèse,
39:25à Montréal,
39:26il y a quelqu'un
39:27qui travaille
39:27sur un scénario
39:29et qui m'a demandé
39:30à un moment donné
39:30juste de regarder
39:31si c'était correct.
39:33Et puis,
39:33il y a quelqu'un
39:34qui donne un pot de vin
39:36et j'ai dit,
39:37ben,
39:37la façon dont tu l'as écrit,
39:39c'est vraiment québécoise
39:39parce qu'en Roumanie,
39:40tu ne peux pas donner
39:41un pot de vin comme ça
39:42et je me rappelle
39:43comment ça se faisait.
39:46Il faut que tu connaisses
39:47la personne,
39:48que tu arrives avec
39:48un certain type
39:49de conversation et tout.
39:51Alors,
39:51il y avait un rituel
39:52même dans ça
39:53et je me suis dit,
39:53oui,
39:54ils se sont bâtis
39:55une société en parallèle
39:57et ils ont appris
39:58aux enfants
39:59de faire ça
39:59et ils ont appris
40:01aux enfants
40:02de tenir beaucoup
40:03au lien entre cousins.
40:06Alors,
40:06ça aussi,
40:06peut-être,
40:07ça vous rappelle l'Italie.
40:08Oui,
40:08c'est vrai.
40:09Oui.
40:10Alors,
40:11c'est ça.
40:12Ce qu'on ne peut pas dire
40:13sur la place publique,
40:15là,
40:15on rebâtit
40:16en cachette,
40:17en dessous.
40:18Et puis,
40:19la résistance
40:20est faite
40:20à travers les livres,
40:22comme je vous disais.
40:23Tu ne peux pas regarder
40:24la télé,
40:24il n'y a rien à la télé,
40:25et il y a juste
40:26de la propagande.
40:28Alors,
40:28on a lu.
40:29Ça a été,
40:30je pense,
40:31je peux faire une liste,
40:32là,
40:32des avantages
40:33du communisme.
40:34Numéro un,
40:35lire.
40:36OK.
40:37Et puis,
40:38ce n'était pas comme maintenant,
40:40là,
40:40je regarde
40:41cette magnifique librairie,
40:43ici.
40:44Il y avait plein
40:45de livres de propagande
40:46et je lisais
40:47quelques dizaines
40:49de bons livres
40:50qui se vendaient
40:52par en dessous.
40:53Là,
40:53il fallait connaître
40:54la libraire.
40:55Et puis,
40:56une fois,
40:58le livre
40:59est acheté,
41:00on se le passait
41:01entre amis,
41:03on se le passait
41:04entre écoliers.
41:07Et ça a été ça,
41:08la forme de méroine,
41:09de résistance.
41:11Et un autre aspect
41:12du livre,
41:12c'est cette agression
41:13qui vient un peu
41:14bousculer
41:15la communauté,
41:17qui vient changer
41:17un peu la donne.
41:19Alors,
41:19on sent très vite
41:20que ce n'est pas
41:20un enjeu primordial
41:22du livre.
41:22et en même temps,
41:23on sent que vous prenez
41:24plaisir à tirer
41:25le fil du policier.
41:27Il y avait un plaisir
41:28d'écrivain
41:29de jouer un peu
41:30avec ça?
41:31Il y a deux choses.
41:32Alors,
41:33on est tous des enfants
41:34du postmodernisme,
41:35et puis,
41:36jouer un peu
41:37avec le lecteur,
41:39et puis,
41:40faire une parodie
41:42d'une enquête
41:43policière,
41:44on l'a tous
41:46dans le sang,
41:47je dirais.
41:47l'autre affaire,
41:49c'est que
41:50cette police-là
41:51a tellement fait peur
41:53à mes parents,
41:54à mes grands-parents,
41:55à mes amis,
41:56et puis,
41:57j'ai pris le plaisir
41:59de les montrer
42:00de façon
42:01très caricaturale,
42:03de les montrer
42:03incompétents,
42:04quand en fait,
42:05eux,
42:05ils étaient très
42:06compétents,
42:06malheureusement.
42:09Ça a été quelque part
42:10une sorte de vengeance,
42:11de dire,
42:12je vais jouer avec ça,
42:13et ça va être ça,
42:14le clown,
42:15pour une fois.
42:15Mais les gens risquaient
42:17gros à l'époque,
42:19même de faire une blague,
42:20même de...
42:21Alors,
42:22j'avais besoin
42:23quelque part,
42:23là,
42:24de faire une sorte
42:25de thérapie,
42:26là,
42:26pour tout le monde,
42:27et rire de ça.
42:29Je voudrais vous entendre
42:30toutes les deux,
42:31peut-être Marie Cazeret,
42:31pour commencer,
42:32sur...
42:33Bon,
42:33on a parlé du communisme
42:34qui était une manière
42:35de fabriquer du récit
42:36pour les gens,
42:37dans la tête des gens,
42:38et il y a aussi autre chose
42:39qui surgit,
42:40notamment dans votre livre,
42:41c'est cette idée du conte,
42:43tout ce folklore
42:43qui vient se greffer,
42:44et une autre manière
42:46de fabriquer du récit,
42:47c'est-à-dire que les femmes
42:48que vous rencontrez
42:48vous parlent de sorcières,
42:50d'ogres,
42:50de vampires,
42:51bien sûr,
42:52il y a une deuxième couche
42:54de sublimation du réel
42:55à laquelle vous veux heurter ?
42:57Ah ben oui.
42:59Pour ne pas vous aider.
43:01Ah ben oui,
43:02c'est ça qui était fascinant,
43:04c'est ça qui est fascinant
43:05aussi dans ce pays,
43:07c'est effectivement
43:08toutes les couches
43:09de récits,
43:10de comment les romans
43:11se racontent.
43:12En fait,
43:12c'est ça qui est intéressant,
43:13c'est comment les romains
43:14se racontent.
43:15Il y a plein de manières
43:16effectivement
43:17pour eux
43:18de se raconter,
43:20et puis ils jouent aussi
43:21un peu avec le folklore
43:22qui leur colle aussi
43:23à la peau,
43:23avec ces histoires
43:24de vampires.
43:26Moi,
43:27les histoires de vampires
43:28par rapport
43:30à la Roumanie,
43:31ce qui m'intéresse,
43:33ce n'est pas tellement
43:35la figure de Dracula
43:35avec laquelle d'ailleurs
43:37le personnage de la mère
43:38joue.
43:39C'est cette oralité,
43:41en fait,
43:42cette oralité un peu cannibale
43:43qui est entre toutes ces femmes
43:45qui se croquent
43:46et qui se dévoient
43:47les unes entre les autres.
43:48Ça, je trouve
43:48que c'était très intéressant.
43:50Et puis,
43:50elles ont une manière aussi
43:51de se raconter
43:53les histoires du village.
43:55En fait,
43:55c'est comme si le récit
43:57était un instrument
43:57de domination entre elles.
43:58ça permet de continuer
44:02de cacher
44:03et de masquer.
44:06Et je voudrais juste
44:06rebondir sur ce que tu disais
44:08sur la thérapie
44:09en ridiculisant
44:10tous ces gens,
44:12en fait,
44:12du colonisme,
44:13de la scolaire.
44:14Ça me parle beaucoup
44:15de ce que tu dis
44:15parce que c'est vrai
44:16que je ne m'étais pas aperçue,
44:17mais le personnage de la mère
44:18ridiculise beaucoup
44:19de Ceausescu
44:20en l'appelant
44:21le corps de l'année en chef,
44:22le grand saumeur,
44:23je ne sais plus très bien comment.
44:25Et c'est vrai que
44:25je crois qu'il y a eu
44:28de ça aussi
44:28à comment extérioriser
44:29en fait la violence.
44:31En fait,
44:31ils ont tellement détruit
44:32tout le tissu.
44:33Le communisme a détruit
44:34le tissu social,
44:35ils ont détruit
44:36le paysage,
44:37ils ont détruit
44:38les campagnes,
44:38ils ont abattu les arbres,
44:40ils ont reçu
44:40les droits de propriété,
44:41ils ont enlevé
44:42la dignité aux gens,
44:43ils ont enlevé
44:43le droit d'avorter,
44:44ils voulaient enlever
44:45le droit de penser
44:46jusqu'au bout.
44:49C'est vrai que
44:49c'était assez jouissif
44:51de pouvoir aussi
44:52avec les mots
44:54leur taper un peu
44:55sur la tête.
44:56D'ailleurs,
44:56cet humour un peu grinçant,
44:57ces moqueries
44:58sont un peu partout
44:59dans vos deux livres
45:00parce qu'on sent
45:00que c'est aussi
45:00une forme de rébellion,
45:03en tout cas peut-être
45:03d'acceptation aussi
45:04d'une certaine réalité
45:06et d'une dureté de la vie.
45:08Je voudrais vous entendre
45:09sur cette idée
45:10de conte,
45:11de folklore
45:11qu'on a vu
45:12avec Marie Cazera
45:12et vous,
45:13cette sublimation
45:14du réel,
45:15je la voyais aussi
45:16à travers l'idée
45:17de réalisme magique
45:18que vous avez voulu
45:19insuffler dans votre livre,
45:20notamment avec
45:21le personnage d'André.
45:23pourquoi avoir choisi
45:25cet angle
45:26et ajouté
45:26cette petite dose
45:27de surnaturel
45:28dans votre récit ?
45:30Il y a deux raisons.
45:33La première,
45:34c'est que justement,
45:36faire l'école
45:37avec Micha Caterescu,
45:40ça a été le premier pas
45:42vers le réalisme magique.
45:44Alors,
45:44c'est lui
45:44qui a enseigné ça
45:46à l'Université de Bucarest
45:47et puis on a tous trouvé
45:49soudainement
45:50que c'était merveilleux
45:52comme type d'écriture.
45:53Et puis,
45:54il y avait clairement
45:55un lien
45:55entre les dictateurs
45:58et toute la folie politique
46:01de l'Amérique latine
46:02qui avait donné naissance
46:03à ce type d'écriture.
46:07Mais à part ça,
46:09dans mon cas,
46:10je m'expliquais aux gens
46:12quand j'ai utilisé
46:14le réalisme magique
46:16et ça s'étend aussi
46:17à la grand-mère,
46:18ça s'étend aussi
46:19à certains voisins.
46:20C'est parce que
46:21d'une certaine manière,
46:22pour ces gens-là,
46:23ce n'est pas du réalisme magique.
46:24Pour eux,
46:24c'est de la réalité.
46:27Il y a quelque chose,
46:28il y a un mélange,
46:29j'ai expliqué à un moment donné
46:30à quelqu'un à Montréal.
46:33Je voyais parfois,
46:34là,
46:35mes grands-parents
46:37ou leurs voisins
46:38donner autant d'importance
46:41à ce côté magique
46:43que, je ne sais pas moi,
46:45à la physique quantique
46:46pour eux,
46:47c'était tout de la réalité
46:48et c'était sur un pied
46:50d'égalité.
46:52Alors,
46:52je me suis dit,
46:53au moins pour cette génération-là
46:55et pour l'été
46:551975,
46:59ça n'aurait pas pu être écrit
47:00autrement.
47:01Et puis,
47:02les deux personnages jeunes,
47:04là,
47:04qui regardent tout ça
47:05et qui essayent
47:06de comprendre,
47:08pour eux aussi,
47:09assimiler autant d'informations
47:11et autant de douleurs,
47:13ça n'aurait pas pu se faire
47:15d'une autre manière.
47:17Et je me rappelle
47:18très pertinemment
47:19de quelle façon
47:20on nous a raconté,
47:21à nous,
47:22enfants,
47:22l'histoire de la Roumanie.
47:24Il y avait un manuel scolaire
47:25communiste à l'école,
47:27il y avait les grands-parents,
47:28là,
47:29surtout,
47:29le volcan,
47:31le grand-père volcan,
47:33qui était en train
47:34de tout détruire,
47:35ce qui était écrit
47:35dans mon manuel
47:36et donnait
47:37sa version des faits,
47:38là,
47:38qui avaient été
47:39sur le terrain.
47:41Alors,
47:42c'est un mélange
47:43de ces deux choses-là,
47:46le réalisme magique,
47:48là,
47:49appris en théorie,
47:50là,
47:51à l'université,
47:52mais aussi,
47:52la réalité
47:53de ma famille,
47:55là,
47:55pour laquelle
47:55tout a quelque chose,
47:58là,
47:58de magique.
48:00Mais quand je dis magie,
48:01il y a aussi
48:01le côté noir
48:03que le côté lumineux.
48:05Et je vous dirais
48:05très honnêtement,
48:06moi,
48:06quand j'ai écrit ce livre,
48:08j'ai ressenti
48:09quand même
48:10beaucoup de tristesse.
48:13Et j'arrive à Montréal,
48:14à mon éditeur,
48:15et ils sont tout contents.
48:16Ils disent,
48:16ah,
48:16c'est un livre
48:17tellement lumineux.
48:19Je dis,
48:19OK,
48:20je pense que je dois
48:21régler un petit peu
48:22ma perception
48:23et se repeindre,
48:24là,
48:24sur le fait.
48:25Oui,
48:26peut-être que c'est lumineux.
48:27Il y a quelque chose
48:28de forcément lumineux,
48:30là,
48:30parce que ces gens-là
48:31nous ont éduqués.
48:32Ils étaient de bonne humeur
48:33et ils croyaient encore
48:35dans la vie,
48:36malgré tout ce
48:37qu'ils avaient vécu.
48:39Et je pense que c'est ça,
48:40en fait,
48:41la beauté de la chose.
48:42Et c'est pour ça
48:42que j'ai voulu écrire
48:43un livre là-dessus.
48:45Même dans les pires conditions,
48:47on a comme ça
48:48des porteurs de lumière,
48:50des gens-là
48:52qui font en sorte
48:52que la prochaine génération
48:54puisse être une génération
48:55de gens de cœur.
48:57Une dernière question
48:59pour vous,
48:59Marie-Cazeraille.
49:01Est-ce que
49:02quand on écrit
49:03un livre intime,
49:04un livre qui touche
49:06à la famille,
49:07on se demande forcément
49:08comment ça va être reçu ?
49:09Est-ce que votre mère
49:10a pu le parcourir ?
49:11Est-ce qu'il y a
49:11une traduction roumaine
49:12qui a pu parvenir
49:13à votre tente ?
49:14Comment ça a fonctionné ?
49:16Ça fonctionne
49:17comme ça fonctionne
49:17d'habitude.
49:19C'est-à-dire que
49:20moi, ma mère,
49:22elle ne veut pas savoir.
49:23D'accord.
49:24Donc, elle appelle
49:24une livre.
49:25C'est très simple.
49:27Et puis, ça se décide
49:28aussi comme ça.
49:29C'est qu'à partir du moment
49:29où j'ai décidé
49:30d'être l'autrice
49:31de ce livre,
49:32j'étais l'autrice
49:33du récit
49:34que j'avais pu construire.
49:36Donc, j'étais libre de ça.
49:37Elle, elle était libre
49:38de le recevoir
49:38et de ne pas le recevoir.
49:40Heureusement, d'ailleurs.
49:42On a tous besoin
49:43de tenir à notre point de vue.
49:46ça nous permet
49:46de tenir debout.
49:49Et pour la traduction roumaine,
49:50je l'attends.
49:53Et vous,
49:54Laura Nicolet,
49:55est-ce qu'il y a
49:55une traduction prévue ?
49:57Non, pas encore.
49:58Moi aussi,
49:58j'espère que cette traduction-là,
50:01c'est drôle.
50:02Mes parents,
50:03ils savaient que
50:03j'allais être à Paris
50:05cette semaine.
50:06Et puis, ma mère,
50:07elle m'a dit
50:08sur un ton,
50:10je ne sais pas,
50:11je pense qu'elle voulait
50:12être gentille,
50:13mais ça avait l'air
50:14un peu d'une menace
50:15du genre,
50:16je suis en train
50:17de lire ton livre.
50:20Alors, je ne sais pas
50:21qu'est-ce que ça va donner.
50:22Je ne sais pas
50:22juste que son français
50:24d'il y a 40 ans
50:26va lui servir.
50:27Mais oui,
50:29je suis très touchée.
50:31À un moment donné,
50:32elle m'avait dit
50:33j'ai toujours pensé
50:34que tu allais être écrivaine.
50:36et puis, je trouvais ça
50:38super gentil
50:39de sa part
50:40d'encourager ce côté.
50:43Elle ne savait pas
50:43que j'écrivais autant
50:44pour mon mari.
50:47Mais enfin,
50:49je lui ai dit
50:50que c'était
50:50« Regarde,
50:52ton rêve
50:53ou ta prémonition
50:55quelque part
50:55s'est réalisé. »
50:57mais je vous dirais
50:59qu'est-ce que ça va.
51:00On attend le verdict.
51:02On peut conclure
51:02avec une ou deux questions
51:04si jamais
51:05vous voulez en poser
51:06aux deux autrices.
51:06C'est le moment.
51:07Moi, c'était une question
51:11pour Marie.
51:14Six jours
51:14pour un voyage
51:15qui est un voyage
51:17de découverte
51:18d'un pays
51:19mais aussi d'une famille,
51:20c'est très court.
51:21Est-ce que
51:22tu as pu retourner
51:23en Roumanie ?
51:25Est-ce que tu as eu
51:26besoin de retourner
51:27en Roumanie ?
51:28Ou est-ce que c'est
51:28quelque chose
51:29que tu comptes faire ?
51:30Alors,
51:33c'est six jours
51:34de voyage
51:35et c'est dix ans
51:36de digestion.
51:37Le voyage,
51:39il est riche aussi
51:41de tout ça.
51:44Et puis,
51:45non,
51:46je n'ai pas envie
51:47de retourner
51:48en Roumanie
51:48parce que je crois
51:49que j'ai clos
51:50ce chapitre-là
51:51qui appartient
51:54à ma mère
51:55et je crois
51:56que j'ai libéré
51:57ce que ça pouvait nouer
52:00à l'intérieur de moi.
52:02Donc, je suis...
52:03En fait,
52:03si je retourne
52:04en Roumanie un jour,
52:05je retournerai
52:05avec Laura.
52:07Avec grand plaisir.
52:11Très bonne réponse.
52:13Est-ce qu'on a
52:13une autre question ?
52:14Oui ?
52:14Une question à vous deux.
52:18Je voulais vous demander
52:19que vous avez parlé
52:19du fait que...
52:20Je suis polonaise,
52:21j'habite en France
52:23depuis longtemps.
52:24Vous avez parlé
52:24du fait que
52:25le communisme
52:26a tellement
52:28contrôlé
52:31les corps
52:31des femmes
52:32et je voulais
52:32et je voulais
52:32vous demander
52:33si dans votre
52:34famille,
52:36il y a eu
52:37des histoires
52:37de la part
52:38des femmes
52:39sur les biceptelles.
52:41Est-ce que vous en avez
52:42entendu parler ?
52:43Est-ce qu'en fait,
52:44les biceptelles,
52:45c'était un...
52:48Je pense que c'était
52:49une antibiotique
52:50sur les communismes,
52:51ça n'existait plus
52:52en Pologne
52:53et nous,
52:54on a traversé la Roumanie
52:55plusieurs fois
52:56en voiture,
52:57en allant en vacances
52:58en Bulgarie
52:59et à chaque fois
53:00qu'on s'est arrêté
53:01en Roumanie,
53:03dans des villages,
53:05les gens me demandaient
53:05du biceptol.
53:06et moi,
53:07j'étais enfant
53:08à l'époque
53:09et donc,
53:11on en avait toujours
53:12et après,
53:14on m'a dit
53:14que...
53:16Alors,
53:17en Roumanie,
53:19on considérait
53:19que c'était
53:20un contraceptif
53:21mais c'est...
53:23Donc,
53:23je ne sais pas,
53:24je voulais savoir,
53:25vous n'en avez pas
53:26entendu parler ?
53:27Non ?
53:28En fait,
53:30là,
53:30c'est...
53:31c'est toute une histoire,
53:33c'est tout un dossier
53:34et je dirais
53:34que
53:35les femmes roumaines,
53:38parce que ça a été
53:39toujours traité
53:40comme un problème
53:41pour les femmes,
53:43pas pour le couple,
53:45les femmes roumaines
53:47ont pris des risques
53:49et ont fait preuve
53:51de tellement
53:52de créativité,
53:56là,
53:56pour ne pas avoir
53:57apporté
53:5810,
53:5912 enfants
54:00comme les femmes
54:01des générations
54:02précédentes.
54:03Je pense que
54:04et ça,
54:07ça peut être
54:09un sujet
54:10pour des dizaines
54:11d'autres livres.
54:14Ça a été,
54:15si vous voulez,
54:16une façon
54:17de prendre
54:17des risques
54:18énormes
54:19mais de préserver
54:21une liberté
54:22qui avait déjà
54:26été très difficilement
54:27obtenue
54:28et d'essayer
54:32quelque part.
54:34Ça,
54:34si vous voulez,
54:35c'est une forme
54:36de résistance
54:37mais
54:38maintenant,
54:39les statistiques
54:40montrent
54:40qu'il y a eu
54:41plus de 11 millions
54:42de...
54:4311 000 femmes
54:45mortes
54:46mais ça,
54:46ça...
54:47ça inclut pas
54:49nécessairement
54:50celles
54:51qui n'ont pas
54:52arrivé à l'hôpital
54:53et ainsi de suite.
54:53je connais pas
54:54l'histoire
54:55du Biceptol
54:55mais je connais
54:56beaucoup d'autres
54:57histoires d'horreur.
55:00Oui.
55:00J'ai une petite question
55:03qui me vient comme ça,
55:04je sais pas trop
55:04comment elle va
55:05l'attendre,
55:06mais j'ai bien
55:08compris vos parcours
55:09de mobilier
55:10de quelque chose
55:13de logique.
55:15Qu'est-ce qui reste
55:16en vue
55:17de Ruy-Main
55:18dans votre tête
55:20personnelle ?
55:21Dans votre façon
55:23de votre mot
55:24de vie ?
55:25Alors,
55:26j'ai deux réponses.
55:27C'est ce que j'ai
55:28demandé à Laura hier.
55:29Je lui ai dit
55:30qu'est-ce que j'ai
55:31de Ruy-Main
55:31en aura en moi ?
55:33Ça,
55:35c'est la première
55:35réponse qui vient.
55:36C'est très difficile
55:37pour moi
55:38de répondre à ça.
55:40Je pense que
55:40j'aime rire.
55:41Je pense que
55:41ma manière de résister
55:43à ce qu'il y a
55:44de plus terrible,
55:45c'est l'humour.
55:46Mais au moins,
55:47ils étaient connus
55:47pour faire des blagues
55:48en faisant la queue,
55:49en attendant des heures
55:50et des heures
55:50et des heures
55:51dans les pires moments
55:52du communisme
55:53pour essayer
55:53d'avoir un peu de pain.
55:55C'est des grands blagueurs.
55:56Je pense que
55:56j'ai ça.
55:58J'aime bien manger.
56:00Et aussi,
56:02la spontanéité.
56:03Là,
56:03on n'a pas
56:03beaucoup de filtres.
56:05Moi,
56:05à Montréal,
56:07quand je dois
56:09présenter quelque chose
56:11et parfois,
56:12ce sont des choses
56:12plus complexes
56:13ou des choses
56:14plus difficiles
56:15à dire,
56:17j'utilise mon conjoint
56:18et je lui dis
56:19OK,
56:19comment je fais ça
56:20à la Québécoise ?
56:21Parce que moi,
56:22comme Roumaine,
56:22je dirais ça.
56:23Est-ce que ça passe ?
56:24Ça ne passe pas.
56:25Alors,
56:27je pense qu'une certaine
56:28spontanéité,
56:30ça fait partie
56:31de l'esprit roumain,
56:33une certaine générosité.
56:35Je suis très mal à l'aise
56:36d'aller quelque part,
56:37les mains vides,
56:38mais j'ai dû apprendre ça
56:39parce qu'au Québec,
56:41ça peut être mal interprété
56:43quand tu arrives
56:43avec des cadeaux.
56:46C'est-à-dire ?
56:47Oui.
56:53Oui,
56:53ben,
56:54justement,
56:54j'ai dû préparer
56:56mon lancement
56:57de livre
56:58et puis j'ai dû parler,
57:00je pense que ça a été
57:01un vrai phénomène
57:02pour notre attaché
57:04de presse
57:04parce que
57:05ma vision
57:06ne correspondait pas
57:08du tout
57:08à la façon de faire
57:09et j'ai dû laisser
57:11de côté
57:11beaucoup de choses.
57:12Alors là,
57:13je me rends compte
57:13quand même
57:14après des décennies
57:15à vivre quelque part,
57:18il y a certaines choses
57:19qui ne sortent pas
57:21de notre façon
57:23de faire
57:24et de voir les choses.
57:25Alors,
57:26oui,
57:26la générosité
57:27et comme je disais,
57:28là,
57:29ce plaisir de vivre,
57:31ce plaisir de prendre
57:32le temps pour soi,
57:33le plaisir
57:34de ralentir,
57:38j'ai encore
57:39ce plaisir ancestral
57:41de me poser quelque chose
57:43et juste observer le monde.
57:44Je vous donne un exemple,
57:45je ne sais pas si tu as observé
57:47dans les villages,
57:49les gens ont une clôture
57:51qui les sépare
57:52du chemin
57:53mais devant la clôture
57:55du côté du chemin,
57:56il y a un banc.
57:57À la fin de chaque journée
57:58de travail,
57:59mes grands-parents
58:00sortaient,
58:01s'assoyaient
58:02pour voir
58:02qui passait
58:03vers la discothèque
58:04et commentait
58:06chaque passante,
58:08qui allait voir
58:09un film,
58:10quels étaient
58:11les nouveaux couples formés.
58:12alors ce plaisir-là
58:14de juste m'asseoir
58:15et d'observer le monde
58:16sans rien d'autre
58:17en tête,
58:18je pense que c'est
58:19très roumain
58:19parce que je vis
58:21dans une société
58:22en Amérique du Nord,
58:23tout doit être
58:24rapide,
58:26tout doit être
58:26efficace
58:28et puis moi,
58:28de temps en temps,
58:29j'ai besoin de prendre
58:30une pause
58:30et juste regarder
58:31le monde défiler
58:32devant moi.
58:33Ça ne se fait pas
58:34à Montréal,
58:35les gens sont pressés.
58:36Il y a peut-être
58:38une dernière question
58:39pour conclure ?
58:43Je crois qu'on a
58:45fait le tour.
58:46Merci infiniment.
58:47Merci à tous.
58:48Merci beaucoup.
58:49Très bonne soirée.
58:50Merci beaucoup.
58:51Merci à vous.
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