- il y a 2 jours
DB - 13-11-2025
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00:00Dans la petite maison de la princesse, tout a un air de fête et tout a rajeuni.
00:16On a balayé les abords, ouvert la porte cochère, enlevé les jalousies aux fenêtres.
00:22Car aujourd'hui, c'est la fête de la princesse.
00:25Cela ne sent pas le mar de café comme d'habitude, ni la soupe aux choux, mais une vague odeur qui rappelle le parfum de la savonnette.
00:35On a fait le ménage à fond, mis des rideaux aux fenêtres, enlevé les housses des tableaux, ciré un parquet pas mal usé déjà et plein d'échardes.
00:52La maîtresse du logis est une vieille demoiselle.
00:56Elle attend les visiteurs qui doivent venir lui présenter les compliments du sœur.
00:59Une rose piquée sur sa poitrine semble témoigner qu'il existe quelque part au monde encore de la jeunesse.
01:28La princesse compte sur la présence du baron Trambe et de son fils, sur celle du prince Kalakadze, du chambelon Burlastov, du général Bitkov, son cousin, et de beaucoup d'autres.
01:44Près d'une vingtaine.
01:45Ils vont venir et le salon sera plein d'une heure joyeuse de leur conversation.
01:51Le prince Kalakadze chantera une chanson.
02:14Le général Bitkov la suppliera pendant deux heures de bien vouloir.
02:18Près de la porte, Marc, le vieux serviteur, à la livrée mitée à temps.
02:33Il doit ouvrir la porte aux visiteurs et les annoncer.
02:35Pour les hôtes de moindre importance, on a placé dans l'antichambre une feuille de papier et une plume.
02:43Chacun selon son rang, n'est-ce pas ?
02:45Qu'il signe et qu'il s'en aille.
02:46Midi déjà.
02:52La princesse commence à s'énerver.
02:55Dans le silence du salon, elle ne cesse de prêter l'oreille.
02:59Rue, un roulement de voiture.
03:06La voiture s'arrête.
03:07C'est pas pour nous.
03:37Non, princesse, ce n'est pas pour vous.
03:40Simplement, c'est la comédie de chaque année qui recommence.
03:43Cruelle comédie.
03:46Vers les deux heures, comme l'année précédente,
03:48la princesse ira dans sa chambre respirer des selles et fondre en larmes.
03:53Personne n'est plus.
03:55Le vieux Marc qui s'empresse autour d'elle est tout aussi affecté.
03:59Ah, les gens d'aujourd'hui ne valent pas grand-chose.
04:06Il fallait voir autrefois, dans la maison, la nuée des visiteurs.
04:11Pire que des mouches.
04:12On se bousculait à la porte.
04:14On se pressait.
04:15Personne n'est venu.
04:21Ni le baron, ni le prince, ni Georges Bouvitsky.
04:26Tout le monde me laisse tomber.
04:28Et pourtant, sans moi, qu'est-ce qu'ils seraient, tous ces gens-là ?
04:38Leur carrière, leur succès, leur bonheur, c'est à moi qu'ils le doivent, non ?
04:42À moi seule.
04:45Sans moi, ils ne seraient rien.
04:49Mademoiselle peut le dire.
04:50Rien.
04:52Même, Jean, mon neveu n'est pas venu.
04:55Mais pourquoi ?
04:56Pourquoi n'est-il pas venu ?
04:58Mais qu'est-ce que je lui ai fait ?
05:00J'ai payé toutes ses dettes.
05:03J'ai déniché un bon mari pour sa soeur, Tania.
05:07Il m'a tout de même coûté cher.
05:14Mais j'ai tenu la promesse que j'ai faite à son père.
05:18Tu sais ce que j'ai dépensé pour lui, Marc.
05:21Tu te rappelles.
05:24Mais pour les parents de M. Jean, non.
05:26On peut bien dire que Mademoiselle a été un père et une mère pour eux.
05:32Et voilà toute leur reconnaissance.
05:38À trois heures, comme l'année précédente, la princesse a une crise de nerfs.
05:43Mais déjà, il sait ce qu'il lui reste à faire.
06:03Et prenant sa casquette à galon, il s'en va marchander avec le cocher du coin pour se faire conduire chez le neveu de la princesse.
06:12Heureusement, l'hôtel meublé de M. Jean n'est pas loin.
06:14C'est un hôtel malpropre où Marc trouve le prince affalé sur son lit.
06:24Toute la nuit, il a fait la noce et il vient de rentrer.
06:29Congestionné, le front en sueur, l'estomac en révolution.
06:32Le prince Jean voudrait dormir.
06:36Il ne peut pas.
06:37Il a trop mal au cœur.
06:40Ce n'est pas bien ce que vous faites, M. Jean.
06:42Non, ce n'est pas bien.
06:45Qu'est-ce qui n'est pas bien ?
06:46Que vous ne soyez pas venu présenter vos bonnes vues à Mademoiselle votre temps.
06:50Vous trouvez ça convenant.
06:51Fous-moi la paix, veux-tu ?
06:54Pourquoi faire un pareil affront à Mademoiselle ?
06:56Dis-lui que je n'ai pas l'air de passer les visites.
07:03Je sais bien pourquoi vous gardez la tête tournée de l'autre côté, M. Jean.
07:08C'est normal.
07:09Vous avez honte de regarder les gens en face.
07:12Oh, ça va en douille.
07:15Alors, M. Jean, un bon mouvement.
07:18Mademoiselle est dans tous ses états.
07:20Elle a dû s'étendre, elle pleure.
07:22Allons, venez, soyez gentils.
07:24Venez lui présenter vos respects.
07:25Je lui ferai tellement plaisir.
07:28Je n'irai pas.
07:29J'ai aucune raison d'y aller.
07:32Je suis pourtant...
07:33Venez, M. Jean.
07:34Faites-lui cette faveur.
07:36Mademoiselle est très malheureuse.
07:38Elle est très malheureuse de votre indifférence et de votre ingratitude.
07:43Je lui fais énormément de peine.
07:46Je vous en supplie.
07:50Il y aura du cognac ?
07:51Bien sûr, M. Jean, bien sûr.
07:53Alors, peut-être bien que je viendrai.
07:56Les 100 roubles, je les toucherai.
07:58Ah non, M. Jean.
07:59100 roubles, ça va être impossible.
08:01Vous savez bien que de toute la fortune que nous avions, il ne nous reste quasiment rien.
08:05C'est la famille qui nous a ruinés.
08:07Comment est-ce que je vous ai demandé l'année dernière pour faire mon numéro ?
08:11200, non ?
08:13Et cette année, on ne m'en donne pas 100, non ?
08:16Mais tu rigoles, je suis un cirque.
08:19Allez, va fouiner chez la vieille.
08:21Tu les trouveras les 100 roubles.
08:23Maintenant, va-t'en.
08:24Je t'ai dit que j'ai envie de dormir.
08:25Voyons, M. Jean, ne faites pas le méchant.
08:29Mlle est une personnage et elle ne tient plus qu'un fil.
08:33Et j'ai pitié d'elle, M. Jean.
08:3525 roubles, ça irait.
08:59Marc et le prince Jean se mettent à marchander.
09:0235, je ne peux pas faire plus.
09:0560, non, ce n'est pas possible.
09:1850 roubles, dernier prix.
09:26Vers les 5 heures, le prince finalement capitule.
09:35Ma tante, ma chère tante.
09:38Je ne sais pas.
09:41Vous savez, ma chère tante, que Marie Kriskin a enfin reçu une lettre de Nice, de son mari.
09:47Le chère homme.
09:48Mais quel mari, parlons-en, qui raconte à sa femme sans se gêner tout ce qui lui arrive.
09:52Y compris un duel qu'il a eu récemment avec un anglais au sujet d'une chanteuse.
09:57C'est invraisemblable.
09:58Mais figurez-vous que je ne me rappelle jamais son nom.
10:01George Bouvicki.
10:03Bouvicki, mais oui, c'est l'anglais de Barbara.
10:04Vous savez qu'avec Barbara, nous avons eu récemment les pires ennuis.
10:07C'est une petite mijorée, Barbara.
10:08Et les gens se mettent à raconter à peu près les mêmes histoires que l'année précédente.
10:14La vieille princesse est aux anges.
10:17Elle n'en revient pas.
10:18Elle n'a pas oublié sa déconvenue.
10:22On verse du thé, du cognac, souvent du cognac.
10:28La connexion est à la chanteuse, et on chante.
10:31La connexion est à la chanteuse, et on chante.
11:01Pendant ce temps, le vieux Marc fouille dans ses coffres à lui pour rassembler la somme convenue.
11:10Le prince a consenti à un fort rabais sur l'année précédente.
11:13Il se contente de 50 roubles.
11:17Encore faut-il les trouver.
11:22La rue, la rue.
11:26La rue, la rue, la rue.
11:56Un des cercles de l'enfer dans nos sociétés, c'est le bagne.
12:08Le bagne a fait des milliers de kilomètres pour aller visiter celui de Sakhalin, aux confins de la Sibérie.
12:14A son retour, il a rédigé un rapport sur les conditions de vie des détenus,
12:32qui est à la fois un reportage, une étude précise d'un univers concentrationnaire,
12:36et un réquisitoire contre le système,
12:39et que nous sommes tous en partie responsables.
12:46Notre attention à l'égard d'un criminel, en effet,
12:49se concentre sur lui jusqu'au verdict.
12:51Ensuite, on l'oublie.
12:55Et on l'abandonne à ce que Tchékov appelle
12:57« une des plus terribles absurdités auxquelles peut aboutir l'homme,
13:01avec ses idées conventionnelles sur la vie et sur la vérité ».
13:05Mais il faut noter que le récit intitulé « Rêve »
13:13et dans lequel entre en scène un candidat à la déportation
13:16a été composé bien avant le voyage à Sakhalin.
13:23Car, comme tous les grands écrivains,
13:25c'est par la sensibilité, par un don inné de la pénétration des arts,
13:30et non par l'expérience ou par l'observation seulement,
13:33que Tchékov a pu donner de la souffrance humaine
13:36une expression aussi...
13:38... et le silence sans appel qui recouvre comme de la neige,
13:43les vies perdues.
13:44...
14:03Deux gardes emmènent au chef-lieu du distrit,
14:21pour l'acheminer ensuite au bagne,
14:23un vagabond qui déclare ne plus se souvenir de son nom.
14:26Le personnage qu'ils conduisent ne répond pas à l'idée
14:34que l'on se fait ordinairement d'un vagabond.
14:37On dirait plutôt un fils de pop misérable,
14:39un secrétaire de bureau chassé pour ivrognerie,
14:43ou un de ses fanatiques serviteurs de couvent
14:45qui en Russie vont de monastère en monastère
14:48chercher son nom de l'état de paix et d'innocence.
14:51C'est vrai que tu es orthodoxe ?
14:58Oui.
14:59Alors que tu es baptisé ?
15:02Évidemment, je ne suis pas un Turc.
15:06Je vais à l'église, je communis,
15:08je ne fais pas gras quand c'est défendu,
15:11je pratique régulièrement ma religion.
15:15Comment tu t'appelles ?
15:17Sapochnikov, l'un des gardes,
15:27observe un silence plein de gravité.
15:30Moins naïf que son collègue,
15:31il sait parfaitement ce qui pousse un vagabond
15:33à cacher son identité.
15:35Il marche devant eux comme s'il ne daignait pas
15:37prendre part à la conversation.
15:40Ptahra, revenant à la charge,
15:42questionne à nouveau le petit homme.
15:44Il n'a pas l'air d'un paysan.
15:46Qui est-il ?
15:47D'où sort-il ?
15:49Elle travaillait comme bonne chez les seigneurs.
15:52Et moi, l'enfant de Sachet,
15:54je vivais avec elle dans la maison des maîtres.
15:57Elle était au petit soin pour moi.
15:59Elle s'était mise dans la tête
16:01de me faire sortir de ma condition inférieure
16:03et de faire de moi quelqu'un de bien.
16:06Je dormais dans un lit, moi.
16:08Chaque jour, je me repas
16:10et je portais des culottes et des bottes
16:12comme un petit seigneur.
16:13Je mangeais tout ce qu'on donnait
16:16à manger à ma mère.
16:17Et avec l'argent que les maîtres
16:19avaient habillé,
16:20elle m'achetait des affaires.
16:24Quelle vie je menais à cette époque !
16:27Si on pouvait vendre aujourd'hui
16:28un petit comme bonbon
16:31et comme gâterie,
16:32on pourrait s'acheter un joli cheval.
16:34Ma mère, elle m'a aussi appris
16:37à lire et à écrire
16:38et à inculquer le respect
16:41de la parole de Dieu parfaitement.
16:44Elle m'a donné une si bonne éducation
16:45qu'aujourd'hui encore,
16:47je suis incapable de dire des grossièretés.
16:49En tout cas, je suis propre de ma personne
16:51et je sais me tenir en société.
16:54Si elle vit encore, la petite mère,
16:58que Dieu lui aide la santé.
17:01Si elle est morte,
17:04accueille-la, Seigneur,
17:05dans ton royaume où reposent les justes.
17:07Et accorde-lui ta miséricorde
17:12et ton pardon.
17:17Sans la petite mère, chérie,
17:18je ne serais aujourd'hui qu'un pauvre
17:19alors que maintenant j'ai de l'instruction.
17:23Tu peux me poser des questions
17:24sur n'importe quel sujet.
17:26Les lettres profanes,
17:27les saintes écritures,
17:28toutes sortes de l'éducation.
17:30Et je vis conformément aux écritures.
17:33Oui, je n'en pense pas mon prochain.
17:35Je mène une vie pure et chaste
17:37et j'observe le carême.
17:39Par des gens, eux,
17:41ils ne pensent qu'à manger,
17:42à boire et à brailler.
17:44Alors que moi,
17:45dès que j'ai un petit moment,
17:46je me mets dans un coin
17:47et je lis un livre.
17:50Je lis, eux,
17:51et je pleure.
17:53Pourquoi tu pleures ?
17:54Parce que ça me touche.
17:57Avec un petit livre de rien du tout.
17:59Saint-Copec.
18:01Oh là là !
18:03Est-ce que je peux pleurer ?
18:05Et ton père, il est mort ?
18:07Je n'en sais rien.
18:11Je n'ai jamais connu mon père.
18:14Il n'y a pas de honte à le dire,
18:15je crois que je suis un enfant naturel.
18:18Ma mère,
18:20elle a toujours vécu chez les nobles.
18:22Elle n'avait pas envie
18:23d'épouser un simple paysan.
18:26Et elle est devenue
18:26la bonne amie du Seigneur.
18:28Elle n'a pas su se garder,
18:32c'est vrai.
18:34Elle était pieuse,
18:35la petite mère,
18:36elle vivait dans la crainte de Dieu.
18:38Mais elle n'a pas su garder son innocence.
18:40Évidemment, c'est un péché,
18:44un très grand péché.
18:46Mais peut-être que de ce fait,
18:47j'ai du sang noble
18:48et peut-être que je n'ai de paysans
18:51que de noms
18:52et que je suis de haute famille.
18:53Au bout de quelques kilomètres,
19:00les trois hommes font une halte.
19:02Taha ne peut pas admettre
19:03que ce fils d'une serve
19:04et d'un seigneur
19:05ne sache plus comment il s'appelle.
19:09Rappelle son nom.
19:12Mon nom à moi, c'est André.
19:14Lui, c'est Nicandre.
19:16Qui est-ce qui pourrait avoir besoin
19:17de savoir mon nom?
19:20À quoi ça me servirait?
19:21Si on me permettait
19:24d'aller où je veux, oui,
19:25je le dirais.
19:27Mais si je le dis,
19:29je connais la loi, les amis.
19:36Bon.
19:40Je ne suis qu'une sorte de vagabond
19:41qui ne sait plus comment il s'appelle.
19:45Ce que je risque, c'est
19:46qu'on m'envoie en Sibérie orientale
19:49ou bien qu'on me donne
19:51une quarantaine de coups de fouet.
19:59Et si je dis qui je suis,
20:01ce qui m'est arrivé,
20:03on m'envoie tout droit au baigne,
20:05ça je le sais.
20:07Il y a déjà...
20:08Pendant quatre ans,
20:13j'ai eu la tête rasée
20:14et le fer au pied.
20:16Pourquoi?
20:18Pour meurtre.
20:20J'étais un gamin encore
20:22de 18 ans.
20:24Quand ma mère,
20:25elle a versé dans le verre
20:26de son patron
20:27de l'arsenic
20:28au lieu du bicarbonat.
20:32Il y avait 36 sortes de boîtes
20:34dans le placard.
20:34Tout le monde peut se tromper.
20:43Elle était pieuse,
20:45la petite mère.
20:47Mais qui est-ce
20:48qui connaît l'âme d'autrui?
20:51L'âme d'autrui, voyez-vous,
20:52c'est une forêt profonde.
20:56Il se peut que ça soit
20:57arrivé par mégarde.
20:59Il se peut aussi
21:00que la petite mère
21:01n'ait pas supporté
21:02de voir le maître
21:03avec une autre femme.
21:06Qui est-ce
21:07qu'il sera jamais?
21:10J'étais jeune à l'époque.
21:11Je ne connaissais pas
21:12grand-chose à la vie.
21:15Mais maintenant,
21:16je me rappelle
21:18qu'effectivement,
21:19le Seigneur avait pris
21:20une nouvelle maîtresse
21:21et que ma mère
21:22en avait beaucoup souffert.
21:26L'affaire a duré deux ans.
21:29Maman a été condamné
21:30à vingt ans
21:31et puis moi,
21:32vu mon âge,
21:32à sept seulement.
21:35Pourquoi toi?
21:37Comme complice.
21:39C'est moi
21:40qui avais apporté
21:41le verre au maître.
21:43En général,
21:44ça se passait comme ça.
21:45La petite mère préparait
21:46le bicarbonate
21:46et moi,
21:47je portais le verre.
21:50Bien entendu,
21:50ce que je vous raconte,
21:51ça reste entre nous,
21:53entre chrétiens.
21:57Vous n'en parlez à personne.
21:58Je ne sais pas
21:59qui en en parlerait.
22:02Autrement dit,
22:03tu t'es évadé.
22:05Oui.
22:06Il y en a une quinzaine
22:07qui se sont évadés.
22:10Que Dieu les garde.
22:12Ils se sont évadés
22:13et ils m'ont aidé
22:14à en sortir.
22:17Maintenant,
22:18tu peux juger
22:18par toi-même.
22:21Pourquoi est-ce que
22:21je dirais mon nom?
22:22Pour qu'on me renvoie là-bas.
22:23Est-ce que je suis un type
22:25à aller au bagne?
22:28Vous voyez bien,
22:28je suis une situation délicate.
22:31Je ne peux pas vivre
22:32n'importe où, moi.
22:36J'aime dormir
22:37et prendre
22:38mes mains propres.
22:42Et quand je prie,
22:44j'allume toujours
22:45une lampe
22:46devant l'icône
22:46ou bien une bougie.
22:49Je n'aime pas
22:50entendre de bruit
22:51autour de moi.
22:51Et quand je me prosterne,
22:55j'aime aussi
22:56que par terre
22:57ça soit net
22:57pas de crachat,
23:00pas de saleté.
23:02Parce que je me prosterne
23:04tous les matins
23:05et tous les soirs
23:06quarante fois
23:07pour le salut
23:09de la petite mère.
23:21qu'on m'envoie
23:23seulement
23:24à Sibérie
23:24ça ne me fait pas peur.
23:29Pourquoi c'est mieux
23:30la Sibérie?
23:31C'est tout autre chose.
23:34Au bagne,
23:35on est comme
23:35des écrevilles
23:36dans un panier
23:37entassé,
23:38pêle-mêle,
23:39pas de quoi respirer.
23:43C'est un enfer,
23:44un véritable enfer.
23:46Que Dieu
23:46nous en préserve.
23:47Là-bas,
23:50on est des bandits.
23:52Je vous jure
23:53qu'on vous traite
23:53comme des bandits.
24:04On est pire
24:05que des chiens.
24:07Au bagne,
24:08c'est presque
24:09un pire
24:09de manger,
24:10de dormir
24:10et de prier
24:11le bon Dieu.
24:13Mais la relégation
24:14à Sibérie,
24:15c'est tout autre chose.
24:17Là-bas,
24:20je commencerai
24:22par me faire inscrire
24:23à la communauté
24:24comme tout le monde.
24:26D'après la loi,
24:27le gouvernement
24:28doit me donner
24:28un peu de terre.
24:30La terre,
24:31là-bas,
24:31ce qu'on dit,
24:32elle est pour rien.
24:33Exactement comme la neige,
24:35on peut en prendre
24:36tant qu'on en veut.
24:38On me donnera
24:39de la terre
24:39pour labourer,
24:40pour cultiver,
24:41pour construire.
24:44Je ferai comme les autres.
24:45Je pourrais labourer,
24:46semer,
24:47et une ferme
24:51avec des abeilles,
24:53des moutons,
24:54des chiens.
24:56J'aurai
24:56un chat de Sibérie
24:58pour que les souris
24:58ne mangent pas tout.
25:01Je pourrais aussi
25:02me faire construire
25:02une petite maison
25:03en planche.
25:04Je mettrais
25:05des icônes partout.
25:08Si Dieu le veut,
25:10je me marierai
25:11et j'aurai des enfants.
25:13les deux gardes
25:15écoutent le petit homme
25:16avec attention
25:17et non sans une certaine
25:18idée.
25:22Eux aussi
25:23finissent par y croire.
25:24Non, ça ne me fait pas peur
25:27d'aller en Sibérie.
25:29La Sibérie,
25:30c'est encore la Russie.
25:32Il y a
25:32le même Dieu
25:33qui signe,
25:34le même tsar.
25:36Là-bas,
25:37on est entre chrétiens
25:38comme vous et moi.
25:40Seulement là-bas,
25:41la vie est plus belle,
25:42les gens vivent mieux,
25:43tout est mieux.
25:44tenez,
25:47rien que les rivières.
25:52Elles sont drôlement
25:53mieux qu'ici.
25:56Quel poisson !
25:58Vous ne pouvez pas
25:59en avoir idée.
26:02Moi qui donnerai
26:03n'importe quoi
26:04pour pouvoir pêcher.
26:07C'est vrai que
26:08pour moi,
26:10c'est le roi des plaisirs.
26:14Je peux me passer de pain
26:15pourvu qu'on me permette
26:17de tirer sur une ligne.
26:19Je pêche
26:20de toutes sortes
26:20de manières,
26:22à la ligne,
26:22au filet,
26:23à la nasse
26:24et quand vient
26:26la débâcle,
26:27à l'épervue.
26:31Seulement,
26:32comme je ne suis pas
26:33assez costaud
26:34pour faire partir
26:35l'épervue,
26:36alors je me paye
26:38un petit gars,
26:39un copec
26:40de la campagne
26:41et puis à l'édon.
26:44Vous ne pouvez pas
26:47savoir tout ce que
26:47j'ai pris comme poisson
26:48dans ma vie.
26:52Quand on s'est évadé,
26:55les autres,
26:56ils sont partis
26:56dans la forêt
26:57pour aller dormir.
27:00J'étais comme
27:01attiré
27:02par la rivière.
27:04Il faut dire
27:04que là-bas,
27:06les rivières,
27:06elles sont plus larges
27:07et plus rapides
27:09et plus rapides
27:09et plus rapides.
27:09Les rives
27:10sont terriblement
27:11escarpées,
27:12sauvages
27:12et sur les rives.
27:15Il y a des forêts,
27:17tout plein de forêts.
27:20Et les arbres
27:21sont si hauts
27:23que quand on lève
27:25la tête
27:25pour en regarder
27:26la cile,
27:27ça vous tourne.
27:28auprès d'ici,
27:39chaque sapin
27:40y vaut bien
27:42au moins
27:42dans les 10 roubles.
27:43Les gardes se taisent.
27:52On dirait
27:53qu'eux-mêmes
27:53se sont mis
27:53à rêver.
27:57Dans le silence
27:58glacé de l'hiver
27:58où la grisaille
27:59se dresse
28:00comme les murs
28:00d'une prison
28:01et semble assigner
28:02à l'homme
28:02les limites
28:03de sa liberté,
28:05il est doux
28:05de songer
28:06à de larges rivières,
28:07à des rives sauvages,
28:09à des forêts
28:09impénétrables,
28:11aux espaces
28:11infinis
28:12de la steppe.
28:16Lentement alors
28:16l'imagination
28:17se représente
28:18un homme
28:18qui sous le ciel
28:19de l'aurore
28:20au milieu
28:21d'une nature hostile
28:22s'avance
28:23avec force
28:23et intrépidité.
28:25C'est un homme libre
28:26que rien n'effraie.
28:30Les gardes
28:31voient apparaître
28:31en rêve
28:32les scènes
28:32d'une vie heureuse
28:33et libre
28:33qu'ils n'ont jamais connues.
28:36Souvenirs de récits
28:37qu'on leur a fait jadis
28:38et qui remontent
28:39à leur même
28:39ou bien ces images
28:41d'une existence libre
28:42leur ont-elles été léguées
28:43avec la chair
28:44et le sang
28:44par de lointains ancêtres
28:46qui eux-mêmes
28:47avaient connu
28:47la liberté
28:48et ils le saient.
28:52Quant à Sapochnikov
28:53qui jusqu'ici
28:54n'a pas dit un mot,
28:55serait-il jaloux
28:56du bonheur inventé
28:57par le petit homme
28:58ou a-t-il conscience
29:00que ses rêves
29:00de vie libres
29:01s'accordent mal
29:02avec la grisaille ambiante
29:03toujours est-il
29:05que c'est lui
29:05qui ronde le silence.
29:07Tout ça c'est très bien
29:08mais aussi vrai
29:10que je suis ici
29:11tu n'y arriveras jamais
29:12dans ton pays de cocaïne.
29:15Tu te rends compte
29:15dans quel état
29:16tu seras
29:16au bout de 300 kilomètres
29:17et t'es déjà
29:20au bout du rouleau.
29:21Les trois hommes réfléchissent.
29:40Les gardes se concentrent
29:42pour se représenter
29:43ce que Dieu seul
29:43peut concevoir
29:44dans sa totalité
29:45à savoir la distance effroyable
29:48qui les sépare
29:48du monde de la liberté.
29:51Quant au bagnard
29:53il revoit en esprit
29:55des choses plus nettes
29:56plus précises
29:57plus effrayantes.
29:59Les prisons des pipes
30:00celles du bagne
30:01les barques pleines
30:02de déportés
30:03les haltes interminables
30:05les hivers durs
30:07les maladies
30:08les camarades qui meurent.
30:12C'est vrai qu'à pied
30:13tu n'y arriveras jamais.
30:16Tu es tout sauf un marcheur.
30:19Non mais regarde-toi
30:20avec la peau
30:21et les eaux.
30:23Tu vas crever
30:24vos pauvres vieux.
30:26Évidemment
30:27qu'il va crever.
30:29Mais on dirait
30:30que ça ne l'intéresse pas.
30:34Le corps du petit homme
30:36est pareil maintenant
30:37à celui d'une chenille
30:38sur laquelle
30:39on aurait marché.
30:43Allons en route.
30:45La pause est terminée.
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