00:00Et avec nous, Sadiq Abba, bonjour, vous êtes journaliste, essayiste et vous avez consacré un certain nombre de travaux au Mali parmi vos derniers livres, celui-ci, Mali, Sahel, notre Afghanistan, à nous, point d'interrogation.
00:17Sadiq Abba, comment expliquer cette poussée du JNIM, ce groupe de soutien à l'islam et aux musulmans au Mali, comment expliquer cette offensive ?
00:28Oui, le JNIM a assis une stratégie endogène qui repose sur un maillage complet du territoire malien, puisque le JNIM, faut-il le rappeler, qui est né en mars 2017, est une fêtière de plusieurs mouvements djihadistes,
00:46parmi lesquels en sardines qui lui a apporté le nord, le front de libération du Massina d'Amadou Koufa qui lui a apporté le centre,
00:55et le JNIM est présent dans la zone des trois frontières et puis dans le sud, sur la frontière avec le Sénégal.
01:02À côté de ce maillage du territoire, le JNIM a acquis une capacité opérationnelle et militaire très importante,
01:09qui est principalement due au fait qu'il a récupéré des moyens, des équipements importants lors des attaques qu'il fait contre les forces armées de la région,
01:19que ce soit au Burkina, au Mali ou au Niger.
01:22Et puis, en dernier lieu, le JNIM a acquis une capacité financière importante en percevant des rançons pour libérer les otages.
01:31Par exemple, lorsque le JNIM a libéré en octobre 2020 la française Sophie Petronin et le chef de l'opposition Soumaïla Sissé, Péasornam,
01:42c'est presque entre 15 et 20 millions qui ont été versés au JNIM, 20 millions d'euros.
01:47Et là, on parle récemment d'une libération d'otages qui lui a permis d'avoir 50 millions de dollars.
01:52Et cette organisation Sédicaba, si on vous suit bien, a des moyens importants.
01:58Quels sont ses objectifs sur le plan politique ?
02:03Oui, effectivement, il y a une évolution de l'agenda du JNIM.
02:08L'agenda était au départ un agenda d'occupation du territoire.
02:12Maintenant, on constate qu'il y a un agenda de vouloir exercer le pouvoir en tant que tel,
02:19puisque le JNIM est entré dans une stargie de dédiabolisation en essayant de se rapprocher de la population,
02:27puisque les dernières décisions que le JNIM a prises tendent à montrer qu'il y a une volonté de se faire accepter par le peuple malien
02:36comme une alternative au pouvoir politique actuel.
02:40Ce qui explique, par exemple, qu'il est dit qu'il ne s'en prendrait pas aux populations civiles désormais
02:46et qu'elles soient libres de circuler sur le territoire sans être inquiétées du fait de la présence du JNIM.
02:54À côté de ça aussi, on a vu apparaître des prêcheurs en Bambara pour montrer que le JNIM n'est pas simplement un mouvement Touareg et Peul,
03:03c'est un mouvement national. Donc, tout ça procède d'un agenda qui indique que le JNIM a une volonté d'accéder désormais au pouvoir et de l'exercer,
03:12alors qu'initialement, sa démarche était presque d'occuper le territoire et de s'en prendre aux autorités maliennes.
03:20C'est dit que l'agent dirigé par Assimi Goïta avait promis de restaurer la sécurité face au péril djihadiste.
03:30Vu ce qu'il se passe maintenant, est-ce qu'on peut parler d'échec ?
03:33Oui, factuellement. En tout cas, il n'y a pas de doute que l'agent n'a pas été en mesure de renverser le rapport de force
03:42avec les groupes djihadistes, ni même de contenir la progression territoriale.
03:48Il n'y a pas longtemps, le sud de la région de Khaï n'était pas concerné par la menace.
03:53Aujourd'hui, la menace est sur l'ensemble du territoire malien et le rapport de force n'a pu être inversé
04:00parce que la stratégie du tout militaire et du tout sécuritaire qui a été choisie par les militaires n'a pas donné ses fruits.
04:07Tous les éléments, les aspects non militaires de la crise, la présence sur le territoire, la justice, la cohésion sociale,
04:14surtout le chômage de jeunes, c'est-à-dire la question du développement,
04:18n'ont pas été intégrés dans la stratégie des militaires qui ont pris le pouvoir.
04:22Et on se retrouve avec ce résultat aujourd'hui qui montre qu'ils n'ont pas mieux fait que les civils qu'ils ont renversés.
04:28Est-ce qu'on peut aussi parler, Sédikaba, d'un échec russe via les mercenaires, les ex-Wagner
04:36ou encore ceux qui se font aujourd'hui appeler les Afrika Korps ?
04:41Je crois qu'il y a deux phases à souligner dans l'accompagnement de la Russie.
04:45La première phase qui était celle de Wagner et qui s'est traduite par une implication,
04:50y compris dans le combat, des éléments russes.
04:53On a pu le voir lors de la conquête de Kidal en novembre 2023
04:58ou lors de l'affrontement à Tizawaten avec le rebelle Touareg en juillet 2024.
05:04Et puis après, à partir de juin 2025, Wagner a été remplacé par Afrika Korps,
05:10qui est sous le pavillon des ministères russes de la Défense.
05:13Et là, on a chanté une sorte d'affaiblissement du soutien au Mali,
05:18puisque les Russes ne sont plus impliqués dans le combat.
05:21Et le Russe, et même le ministère de la Défense, ayant sa guerre à gérer,
05:25n'a pas privilégié l'accompagnement au Mali.
05:27Et aujourd'hui, on se retrouve avec ce résultat, avec cette position
05:31où le Génieme dite son agenda, empêche l'approvisionnement de Bamako.
05:35Et pour certains, l'hypothèse d'une chute de Bamako est même envisageable.
05:40Et justement, Cédicaba, vous m'enlevez la question de la bouche.
05:43Est-ce que dans ces conditions, Bamako peut tomber ?
05:48Oui, en tout cas, même si pour moi la chute n'est pas imminente,
05:52parce que le Génieme aussi voit ce qu'il a à gagner en prenant aujourd'hui Bamako.
05:57L'agenda peut être celui de prendre Bamako plus tard,
06:00mais il est aujourd'hui incontestable que c'est plus invraisemblable.
06:06La prise de Bamako, si elle n'est pas imminente,
06:08si elle ne va pas se faire demain ou après-demain,
06:10est une des hypothèses qu'il faut envisager.
06:13Et je crois que c'est pour ça qu'un certain nombre de pays,
06:15par précaution, ont commencé à demander à leurs ressortissants
06:18de quitter immédiatement le Mali.
06:20On pense à la France, aux États-Unis, au Royaume-Uni, entre autres Cédicaba.
06:25Est-ce qu'en face, les autorités de Bamako ont une stratégie de riposte
06:28qui tienne la route ?
06:29Est-ce qu'il y a aussi des possibilités de dialogue ?
06:33On est un peu surpris quand même par la sérénité affichée par les autorités,
06:38comme si de rien n'était.
06:40Je n'ose pas penser que c'est une posture de déni
06:42qui les empêche de prendre conscience de la réalité de la situation.
06:47Certains disent qu'aujourd'hui, le pronostic vital du Mali est engagé,
06:50mais quand on regarde la sérénité que les autorités affichent,
06:54ou les incriminations contre celui et celui-là,
06:57on n'a pas l'impression qu'elles aient pris conscience de la situation.
07:00Elles n'ont même pas appelé à la mise en œuvre immédiate
07:04du pacte qui lie les trois pays,
07:06puisque on sait que la charte de l'Ibtako Gourma
07:09dit que lorsqu'un pays est en situation difficile,
07:12les deux doivent lui venir en œuvre.
07:13Tout cela n'a pas été actionné,
07:15et beaucoup de gens redoutent que le déni qui avait conduit
07:18à la situation de 2013, où les djihadistes ont failli prendre Bamako,
07:22soit reconduit aussi, et qu'on se retrouve à une situation de non-retour,
07:26puisqu'il ne sert à rien d'attendre que le mouvement terroriste ait pris Bamako
07:31pour essayer d'avoir une action régionale ou internationale.
07:34Et de ce point de vue, je crois qu'il y a une sorte d'indifférence
07:37qui risque de se retourner contre la sous-région
07:39et peut-être même contre la stabilité de l'ensemble du continent africain.
07:43Sedi Kaba, comment cette situation malienne est-elle perçue
07:46par des pays alliés du Mali ?
07:48On pense en premier lieu au Niger ou encore au Burkina Faso.
07:52Oui, on a l'impression que pour l'instant,
07:56les deux pays laissent le Mali gérer sa crise
07:58et ont l'impression que le Mali lui seul est en capacité de gérer.
08:03Il n'a pas encore déclaché le mécanisme de solidarité
08:08qui est prévu par la charge que ces pays ont signée
08:11en créant la Confédération des États de l'Alliance du Sahel.
08:15Et je crains qu'il ne soit trop tard.
08:16Je pense que c'est maintenant que ce pays doit faire ce qu'il peut
08:19pour apporter une aide logistique et militaire au Mali
08:23pour éviter que le GINIM se rende maître de Bamako.
08:26Mais il me semble qu'il y a un début de solidarité
08:29puisque le Niger a décidé d'envoyer des camions-citernes
08:33pour permettre l'approvisionnement de Bamako.
08:36Mais le défi, c'est de faire arriver ces camions-citernes
08:39du Niger jusqu'au Mali parce qu'il faut traverser le Burkina
08:42et sur le terrain Burkinabé, l'État n'a pas le contrôle
08:45de l'ensemble du territoire.
08:46Il n'est pas évident que cette solidarité arrive jusqu'à Bamako
08:50même si le fait que les citernes aient quitté le Niger
08:52pour aller au Mali traduit une volonté de solidarité
08:57et une volonté de ne pas laisser le Mali tout seul.
09:00Mais au-delà des pays de l'Alliance des États du Sahel,
09:02il faut que des pays comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire
09:05ou la Guinée qu'on a créée, aient conscience
09:07que la chute du Mali, l'effondrement du Mali
09:09risque d'avoir des conséquences sur l'ensemble
09:13de la sous-région et peut-être même sur la stabilité
09:16de l'ensemble du continent africain.
09:17La dernière question, c'est Dikaba.
09:19Quel impact de cette poussée djihadiste-terroriste
09:22au Mali peut avoir sur le processus politique dans le pays ?
09:28Ah oui, le processus politique est déjà retardé
09:30puisque les militaires maliens ont interdit
09:34l'espace politique en dissolvant tous les partis
09:38en rétrécissant l'espace civique.
09:39Si les djihadistes viennent, leur agenda ne sera pas
09:42celui de rétablir la démocratie.
09:44C'est clair que ce n'est pas une bonne nouvelle
09:46pour la démocratie malienne, pour les libertés au Mali
09:49que l'éginine arrive au pouvoir.
09:51C'est pour ça qu'à mon avis, il faut agir
09:53pendant qu'il est temps, trouver des leviers
09:55pour empêcher que ce scénario se produise
09:57parce que ce serait un scénario catastrophique
10:00pour le Mali, pour la société malienne
10:02et pour l'ensemble de la sous-région.
10:04Merci beaucoup, Sedi Khabba, pour votre analyse
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