Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, était l’invitée du Face-à-Face de ce mardi 30 septembre sur BFMTV et RMC. Elle a été interrogée notamment sur la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Kadhafi et les menaces visant les magistrats qui ont suivi.
00:00Il est 8h29 et vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Laure Bécuot, merci de répondre à mes questions ce matin.
00:06Vous êtes procureur de la République de Paris, on va parler de vos dossiers bien sûr et notamment de ces plaintes,
00:11ces plaintes de vos confrères, ces plaintes de magistrats qui sont aujourd'hui eux-mêmes menacés.
00:18Mais d'abord plus globalement le regard que vous portez, vous Laure Bécuot, une semaine, quelques jours après,
00:24presque une semaine après la condamnation de Nicolas Sarkozy sur le débat qui est en train de s'installer,
00:29y compris au plus haut niveau, y compris lancé par des gens comme le président du Sénat, Gérard Larcher,
00:34sur l'idée qu'il y a un questionnement aujourd'hui sur l'impartialité réelle des juges.
00:40Alors moi mon regard c'est qu'il faut, lorsqu'on s'engage sur un tel débat, structurer la pensée.
00:47Et aujourd'hui nous avons deux types de comportements face à cette justice qui a été rendue.
00:53Encore une fois je préfère préciser tout de suite que ce dossier de condamnation de Nicolas Sarkozy ne concerne pas mon parquet
00:59puisque vous le savez c'est le parquet national financier qui a traité ce dossier.
01:04Mais il y a deux choses à penser.
01:07Il y a soit cette décision pose des questionnements de droit et ils sont tout à fait légitimes.
01:14Et les hommes politiques, nos concitoyens sont tout à fait légitimes dans leur interrogation.
01:20Mais à ce moment-là il ne faut pas une pensée caricaturale.
01:23Il faut savoir s'intéresser au dossier, s'intéresser au texte de loi et voir comment en cela les magistrats ont pu finalement décliner leur pensée
01:33et arriver à la décision qui fait l'objet de tant de commentaires.
01:38Et puis il y a un autre domaine, c'est celui qui est le mien actuellement, c'est les réactions haineuses qui vilipendent les magistrats.
01:47Et là ce sont pour moi le spectre zéro de la pensée.
01:52C'est une faillite de l'esprit critique, c'est véritablement quelque chose, un comportement innominieux.
01:58Moi je ne vais pas ici défendre pro domo l'institution judiciaire.
02:02Mais simplement puisque vous m'en donnez l'opportunité, dire à nos concitoyens, intéressez-vous à votre justice.
02:09Nous ne demandons que ça.
02:10Et c'est précisément ce qu'on va faire ce matin et c'est aussi notre rôle à nous médias.
02:14Mais sur ce que vous venez de dire à l'instant, vous avez dit il y a ces menaces et ces manifestations de haine.
02:22Là, c'est dans votre portefeuille, c'est votre juridiction, c'est en tant que procureur de la République de Paris
02:28que vous recevez les enquêtes qui sont menées.
02:31De qui s'agit-il, de quoi s'agit-il quand on dit qu'ils sont menacés ?
02:35Est-ce qu'ils sont menacés physiquement ? Est-ce qu'ils sont menacés sur les réseaux sociaux ?
02:38On sait que l'adresse par exemple de la présidente du tribunal qui a donc fait lecture du jugement de Nicolas Sarkozy
02:44a même été divulgué. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce qu'il se passe ?
02:48Alors, ce qu'il se passe très exactement, c'est, je dirais, un déchaînement haineux,
02:53principalement sur les réseaux sociaux,
02:56derrière lesquels, semble-t-il, un certain nombre de personnes
03:00tentent de se dissimuler derrière des pseudos.
03:04Je tiens simplement à dire que ça...
03:07Tentent de se dissimuler, dites-vous ?
03:08C'est une fable.
03:09L'anonymat des réseaux sociaux n'existe pas.
03:12On les retrouvera.
03:13Aujourd'hui, nous avons ouvert une enquête sur 24 types de propos haineux.
03:21Et ces enquêtes sont confiées à l'Office central de lutte contre la haine.
03:25C'est un office central qui va nous permettre de regrouper toutes les procédures
03:28et d'aller chercher où qu'il se trouve les auteurs de ces propos.
03:32Quand je dis où qu'il se trouve, c'est parce que, à la fois, cet office a une compétence nationale,
03:39comme le parquet de Paris pourrait avoir une compétence nationale.
03:42Après, soyons clairs, une fois que les auteurs auront été identifiés
03:47sous la direction de mon parquet, je ferai une requête en dépaysement,
03:52afin que ce soit une autre juridiction qui les juge.
03:56Pourquoi vous précisez ça ?
03:57Je précise parce qu'on est tellement souvent taxés de corporatisme
04:02que je ne veux pas, ici, qu'il y ait le moindre soupçon sur le fait
04:07que nous allons nous juger entre nous, par copinage, si vous souhaitez ce terme.
04:12Et il pourrait, effectivement, être celui qui est employé par certains membres de ceux...
04:15Donc, vous nous le dites ce matin, il y a un peu plus d'une vingtaine de plaintes...
04:1924.
04:20Alors, pas de plaintes.
04:21En fait, ce qu'on exploite, c'est tout simplement les réseaux sociaux.
04:23Grâce à Pharos, notamment, eh bien, on regarde les propos qui se déchaînent
04:29à l'encontre de cette magistrate et on retient les plus significatives.
04:35Et quand je vous dis que c'était inominieux, je veux dire, c'est des propos
04:39où on menace cette présidente de la tondre, de la guillotinée,
04:45où on diffuse sur elle des images sexuelles infâmes.
04:50Enfin, quel autre terme voulez-vous que j'emploie ce matin ?
04:56Et c'est d'autant plus, je dirais, stupide, passez-moi ce mot,
04:59qui est à la mesure d'une colère que je refraigne,
05:02que, simplement, eh bien, on voit qu'il n'y a pas de réponse à autre,
05:06à une décision qui déplait.
05:08Les décisions sont susceptibles de déplaire.
05:10Mais là, encore une fois, je m'adresse à ceux qui nous écoutent et nous regardent.
05:15Ils veulent vraiment vivre dans une société où, lorsqu'il y a une décision de justice,
05:20la réponse, c'est celle du meurtre du magistrat, de son exclusion,
05:26que chacun se penche sur son histoire.
05:29Vous allez très loin. Est-ce que ça veut dire que vous redoutez cette violence ?
05:33Est-ce que ça veut dire que vous la prenez, en tout cas, extrêmement au sérieux ?
05:35Je la prends extrêmement au sérieux parce que je considère que la frontière,
05:40elle est très fine, elle est très poreuse entre des propos et le passage à l'acte.
05:48Je l'ai dit hier, lors d'une audience solennelle de rentrée de notre nouveau président,
05:54prenons nos connaissances théâtrales.
05:57Sans Iago, Escotelo aurait tué Desdemones.
06:01Et les propos de Iago, c'était une petite...
06:04Dramatique-dramaturgie, c'est-à-dire que là, on est sur des drames, des tragédies.
06:09Absolument.
06:10L'orbecchio, il y a ces points-là.
06:13Et puis, il y a en effet les critiques qui émanent, y compris de certains politiques.
06:17Je mentionnais à l'instant la question que Gérard Larcher a soulevée,
06:23de l'application immédiate.
06:27Est-ce que cela ne va pas à l'encontre l'exécution provisoire de la double juridiction ?
06:32Voilà ce qu'il demande.
06:33Et je vous interrogerai ensuite sur les propos de Marine Le Pen.
06:36Sur la question de la double juridiction, le fait de mettre en place de manière immédiate,
06:41c'est-à-dire ce qu'on appelle l'exécution provisoire,
06:44même s'il y a appel, est-ce que ce n'est pas une contradiction ou un refus de la double juridiction ?
06:49Alors, encore une fois, reposons les choses dans leur contexte,
06:53pour que chacun affine sa réflexion, vous et moi, ensemble.
06:58Eh bien, l'exécution provisoire, c'est une possibilité qui a été votée par nos législateurs.
07:05C'est une possibilité...
07:05Oui, mais vous ne pouvez pas juste vous renvoyer la balle ?
07:08Non, non, mais simplement, à ce moment-là, la question s'est posée.
07:13Et le Conseil constitutionnel a été saisi.
07:16Et il a lui dit que cette exécution provisoire n'était ni un frein au double juridiction,
07:23puisqu'il n'interdisait pas l'appel,
07:25ni une atteinte à la présomption d'innocence, puisqu'il est acquis,
07:28que lorsque l'appel est interjeté, eh bien, les choses sont remises à zéro,
07:34et celui qui comparaîtra devant la cour d'appel est effectivement un innocent,
07:39jusqu'à ce que l'arrêt intervienne.
07:41L'exécution provisoire, c'est mettre en concrétisation un aspect du jugement qui a été prononcé.
07:49Elle intervient soit lorsqu'il y a des risques, par exemple, de récidive,
07:55et c'est l'exécution provisoire dans des dossiers lorsqu'il y a des obligations de soins,
07:59soit lorsque la peine est à un tel niveau,
08:02eh bien, qu'on estime que son exécution immédiate doit être assurée.
08:06Marine Le Pen a estimé que, je cite,
08:09« Certains juges avaient des comptes à régler avec des politiques.
08:13Un certain nombre de magistrats ont un tableau de chasse pour épingler certains politiques. »
08:19Quel serait leur intérêt d'avoir un tableau de chasse ?
08:21Moi, c'est à ça que je réponds.
08:23Quel est l'intérêt, dans le parcours d'un magistrat, d'avoir un tableau de chasse d'un politique ?
08:27Peut-être un intérêt politique ?
08:29Alors, les sujets politiques ne sont pas les sujets qui relèvent de notre déontologie.
08:34Lorsqu'on rentre à l'École nationale de la magistrature,
08:37on lit le recueil déontologique du CSM.
08:41Et dans ce recueil déontologique, il y a une obligation très claire.
08:45Il faut se départir de ce qui peuvent être nos convictions personnelles.
08:49Malgré tout, vous entendez, c'est-à-dire que je comprends parfaitement les règles de droit et l'éthique que vous me répondez,
08:57mais est-ce que vous pouvez entendre qu'un certain nombre de citoyens français,
09:02qui, par exemple, auraient imaginé, à la prochaine élection, voter pour Marine Le Pen,
09:08et qui se disent « Mais je ne vais pas pouvoir le faire,
09:10parce qu'elle ne sera peut-être pas en capacité de se présenter,
09:13et eux estiment qu'on leur vole l'élection ».
09:16Est-ce que ce questionnement-là, vous l'entendez ?
09:19Je l'entends.
09:19L'interférence avec l'agenda politique, qui est même un argument des juges,
09:24puisque les juges, précisément, considèrent que parce qu'il y a cet agenda,
09:27parce qu'elle serait en situation potentiellement d'être élue,
09:31alors il faut, en effet, c'est un argument en faveur de l'exécution provisoire.
09:35– Alors, l'argument peut être retourné,
09:39tout simplement en disant que, parce qu'il y a eu prononcé d'exécution provisoire,
09:43eh bien, l'appel qu'a interjeté Mme Le Pen,
09:47eh bien, va être audiencé dans des délais suffisamment rapides
09:51pour que la décision de la Cour d'appel intervienne avant les élections.
09:57– Mais ça, moi, ça me pose un problème,
09:59parce que l'orbe équio, c'est une manière de reconnaître que,
10:01bon, parce que la justice, elle est embouteillée,
10:04que tout prend un temps fou,
10:05on va être ultra sévère, parce que ça va imposer,
10:08on va imposer, si vous voulez, un calendrier
10:10qui, en effet, n'est pas tenable par rapport au calendrier politique,
10:13et comme ça, on va faire en sorte de rejuger plus vite.
10:17Est-ce que vous entendez le questionnement que ça pose ?
10:19– Oui, oui, j'entends ce questionnement, je répondais à votre question.
10:23– Plus on est dur et plus on bloque l'agenda,
10:26plus ça donnera un argument pour accélérer la procédure.
10:28– Non, ce n'est pas du tout ça l'argument.
10:31Ce qu'il faut caler, c'est qu'effectivement,
10:35en tenant compte des intérêts en présence,
10:37de la proportionnalité qui peut être interrogée légitimement,
10:40l'institution judiciaire se met en place
10:43pour que l'ensemble de nos concitoyens
10:46puissent avoir un regard objectif, concret,
10:50sur les décisions qui seront amenées à prendre.
10:53Et encore une fois, moi, sur les décisions qui ont été rendues par les juges,
10:58les argumentaires ne sont, dans aucun cas dans les jugements
11:02et les décisions intervenues, des argumentaires politiques.
11:05Ils se fondent sur un dossier.
11:07Et puis je rappelle que dans le cas qui nous occupe,
11:10encore une fois le cas du PNF,
11:12mais qui a pu nous occuper dans le cas, effectivement,
11:14de la décision qui est intervenue pour le Rassemblement National,
11:18il n'y avait pas une magistrate, il y avait une collégialité.
11:23Un certain nombre de vos collègues...
11:25La décision est collégiale.
11:26Elle est collégiale.
11:27Et donc, quand je vous disais que c'est absurde
11:29que de s'en prendre à cette présidente,
11:32mais que savent de ceux qui nous en prennent
11:34de ce qui a été sa décision au moment du délibéré ?
11:38Et si elle avait été mise en minorité ?
11:40Ils n'en savaient rien.
11:41Je n'en sais rien non plus.
11:42Ce n'est pas ce que je sous-entends.
11:44Mais vous voyez l'absurdité de la chose.
11:45Elle ne décide pas seule.
11:47Il y a eu un point sur elle en particulier,
11:49qui est que la défense de Nicolas Sarkozy,
11:53alors que je recevais l'un de ses avocats la semaine dernière,
11:57affirmait avoir l'information selon laquelle
11:59elle avait elle-même personnellement participé
12:01à une manifestation en 2011,
12:03qui était une manifestation contre Nicolas Sarkozy,
12:05alors président de la République.
12:06Est-ce que ça vous met mal à l'aise ?
12:08Ou est-ce que vous estimez que vous avez,
12:11en quelque sorte, deux cerveaux
12:12et que vous êtes capables, vous les magistrats,
12:14de distinguer ?
12:15C'est l'obligation qui nous est faite.
12:18Mais je vais même aller plus loin dans ma réponse.
12:21Ce fait était connu,
12:24puisque avant l'audience,
12:26il avait été repris par un hebdomadaire national.
12:31Il était connu donc des avocats de M. Sarkozy.
12:34Et il existe des procédures très claires
12:36qui lui permettent à ses défenseurs
12:39d'écarter un magistrate dont on suspecterait l'impartialité.
12:44Ça n'a pas été fait.
12:46Ça n'a pas été demandé, vous voulez dire ?
12:47Ça n'a pas été demandé.
12:48Si ça avait été demandé, est-ce que vous pensez que l'argument,
12:50c'est-à-dire dire, voilà,
12:52cette magistrate a participé à cette manifestation,
12:55qui était une manifestation politique en 2011,
12:57alors que Nicolas Sarkozy,
12:58celui qui est jugé aujourd'hui,
13:00était président,
13:00est-ce que cet argument-là aurait été recevable pour l'en écarter ?
13:04Alors, je n'ai pas une boule de cristal
13:06et je ne sais pas quelle aurait été la décision
13:08qui aurait pu être prise,
13:09mais ce que je vais résumer dans un propos de récusation
13:14doit être objectivé.
13:16Et donc, est-ce qu'au-delà de ce constat,
13:19les avocats des partis en présence
13:22auraient pu objectiver
13:23que lors de son instruction d'audience, par exemple,
13:27la magistrate était partielle,
13:29ne faisant émerger du dossier
13:31que des éléments à charge
13:34sans évoquer les éléments à décharge ?
13:36Et ça n'a pas été évoqué.
13:38Ça n'a pas été évoqué.
13:40Et surtout, à la fin de l'audience,
13:42je crois savoir,
13:43puisque ça a été dit par un journaliste de votre chaîne,
13:46que la présidente s'est adressée à l'ensemble des partis
13:48en disant,
13:49pensez-vous que vous avez eu suffisamment la parole ?
13:52Souhaitez-vous que des choses soient ajoutées ?
13:55Et chacun de ceux qui étaient présents à l'audience
13:57a répondu non.
13:58Et encore une fois,
14:01je parle d'un dossier que je ne connais pas,
14:02mais c'est dans un souci de pédagogie
14:04que j'essaye d'éclairer le regard.
14:06Et c'est tout à votre honneur d'avoir accepté
14:07justement de répondre à mes questions ce matin
14:08dans ce contexte ?
14:09Et donc, je rajouterai à cela
14:11que cette présidente
14:12dont certains prétendent
14:15demandent, sans avoir eu accès au dossier,
14:17sans avoir eu de raisonnement
14:19que cette réaction,
14:21que je dirais affective, sanguine,
14:23eh bien, cette présidente
14:25et cette juridiction,
14:26encore une fois,
14:27je reviens à la collégiale,
14:28sur, en tout cas,
14:30le sort de Nicolas Sarkozy,
14:31d'après ce qui a été relayé,
14:33il y a eu des relaxes partiels,
14:35il y a eu une condamnation,
14:36donc il y a eu le traitement objectif d'un dossier
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