Bruno Retailleau en Martinique : deux jours consacrés à la lutte contre les trafics et au renforcement de la sécurité. Frédéric Ploquin, grand reporter et écrivain spécialiste de la criminalité, auteur du livre "Les narcos français brisent l'omerta" (Ed. Albin Michel), est l'invité de RTL Matin. Regardez L'invité de RTL Matin avec Stéphane Boudsocq du 21 août 2025.
00:05Bruno Retailleau sera donc aux Antilles ce soir.
00:08Le ministre de l'Intérieur va passer trois jours sur place, en Martinique puis en Guadeloupe,
00:12sur le dossier de la lutte contre le narcotrafic et les trafics illécites dans les Caraïbes,
00:17au programme des réunions et des déplacements sur le terrain aux côtés des forces de l'ordre.
00:22Avec nous ce matin sur RTL, le journaliste d'investigation Frédéric Ploquin. Bonjour à vous.
00:27Bonjour.
00:28Bruno Retailleau arrive aux Antilles dans un contexte local de plus en plus inquiétant.
00:32Le trafic de drogue semble y exploser.
00:35Un chiffre, plus de 10 tonnes de cocaïne saisies sur les six premiers mois de l'année.
00:40Frédéric Ploquin, comment parleriez-vous de la situation actuelle sur place ?
00:46Du point de vue de la criminalité, la situation en Guadeloupe, Martinique, est assez chaotique.
00:52En fait, c'est l'un des endroits où, proportionnellement au nombre d'habitants, le taux d'homicide est le plus élevé en France.
00:59Et surtout, c'est un lieu de conquête évident et affiché et déclaré de tous les gangs latino-américains qui ont décidé de s'implanter sur place,
01:11d'investir et d'utiliser cette, on va dire, les Antilles françaises comme une espèce de plateforme de rebond de la cocaïne.
01:19Je vais vous dire, c'est très simple, vous allez comprendre tout de suite.
01:21Dès lors que vous faites rentrer sur le territoire de la Guadeloupe ou de la Martinique une certaine quantité de cocaïne,
01:30elle est cette cocaïne dans l'espace Schengen, puisque ces îles en font partie.
01:35A partir de là, le transfert vers la métropole est a priori plus facile que si vous partez du Venezuela ou du Pérou ou du Mexique,
01:44au niveau des contrôles et des frontières.
01:47Donc, les narcos, on va dire, les cartels latino-américains ont décidé de transformer les Antilles françaises en plateforme,
01:55on va dire, de combat pour l'exportation de cocaïne vers l'Europe.
01:59Il y a quelques années, c'est la Guyane qui était dans le viseur des autorités en matière de lutte contre le trafic de drogue.
02:05Pourquoi est-ce que c'est moins le cas ?
02:06Ça veut dire qu'il y a eu aussi plus de contrôle des bateaux et des ports en Guyane ?
02:10Alors, on a mis à peu près dix ans, dix ans, je dis bien, à se rendre compte que la France était envahie de toute petite quantité de cocaïne en provenance de Guyane.
02:21C'était un trafic de fourmis, mais de centaines de milliers de fourmis.
02:24Il y avait parfois jusqu'à vingt transporteurs de cocaïne dans un seul avion de ligne aérienne.
02:33Donc, à partir de là, si vous voulez, il y a eu une réaction de l'État, mais très tardive.
02:39Parce que la cocaïne s'était, entre-temps, implantée dans énormément de villes moyennes en France, à partir de la Guyane et de Cayenne.
02:46Il y a eu une réaction de l'État.
02:48Et il y a des policiers qui ont mis en place, notamment à l'aéroport de Cayenne, des moyens, des espèces de doubles, triples, quadruples rideaux,
02:58pour décourager les mules.
03:02On a commencé à les ficher.
03:03Il y avait des interrogatoires au départ.
03:06Et donc, il y a eu un reflux.
03:08On a gagné, si vous voulez, provisoirement.
03:11C'est une petite bataille qui a été gagnée.
03:13Sauf que, sur le long terme, il y a deux choses qui se produisent.
03:16C'est que, un, le dispositif se relâche parce qu'il n'y a pas assez d'effectifs policiers dans les Antilles.
03:21Ça va être un problème qui va être posé à Bruno Retailleau lors de ce voyage.
03:25Et, deuxièmement, les trafiquants de stupéfiants sont extrêmement souples.
03:31Et donc, ils ont tout de suite dit, bon, OK, on va prendre des vols Cayenne, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre.
03:37Et, à partir de là, on rebondira sur Roissy.
03:40Et non plus sur Orly, qui est relié à Cayenne jusqu'à présent.
03:44Donc, voilà, les trafiquants de stupéfiants, si vous voulez, ne s'avouent jamais vaincus.
03:49Et, à partir du moment où ils ont constaté que ça devenait difficile à Cayenne, on contournait l'obstacle.
03:57Et, du coup, ça fait un accroissement, on va dire, des quantités de cocaïne qui transitent par la Martinique et la Guadeloupe.
04:05Alors, les responsables politiques locaux antillais demandent et attendent beaucoup pour cette visite du ministre de l'Intérieur.
04:13Le sénateur guadeloupéen Victorin Lurel demande carrément un Big Bang républicain.
04:19Et c'est ça l'enjeu ? Il faut vraiment prendre le problème à bras-le-corps maintenant ?
04:23Si vous voulez, quand on voit qu'on a déjà du mal à jubiler le trafic de stupéfiants dans l'Hexagone avec des forces de police relativement importantes,
04:31imaginez ce qui se passe dans ces îles où il y a quelques gendarmes et quelques policiers.
04:36À chaque fois que vous interrogez des gendarmes ou des policiers qui sont en fonction, que ce soit en Guyane, en Guadeloupe ou en Martinique,
04:43ils vous disent la même chose.
04:45C'est que, regardez, une fois que, sachant qu'on travaille 35 heures par semaine, qu'il y a des temps de repos, etc.,
04:53sur le terrain, à l'instant T, il n'y a pas assez de fonctionnaires présents et mobilisables.
05:01Donc, il y a une espèce de sous-dimensionnement de l'appareil d'État dans ces îles.
05:06À partir de là, effectivement, les élus locaux vont demander à Bono Rotaio des miracles,
05:12c'est-à-dire de renforcer considérablement les effectifs sur place.
05:16Alors, je ne sais pas quelle va être la réponse, mais comme il est confronté à des problèmes d'effectifs,
05:22le ministre de l'Intérieur, sur tout l'Hexagone, ça ne va pas être simple pour lui.
05:26Il y a aussi une autre piste intéressante, Frédéric Flauquin, c'est que les Antillais disent,
05:31regardez, les Américains, ils viennent de déployer plusieurs milliers de marines dans les Caraïbes
05:35pour lutter contre le même problème.
05:36On a peut-être, nous aussi, des leviers, des moyens, on voudrait plus d'autonomie locale.
05:41L'idée que ça ne passe pas forcément par la métropole, est-ce que c'est plutôt judicieux ?
05:47Pourquoi pas, mais là, ce dont vous parlez, ce sont des moyens militaires.
05:51Et là, il se trouve que ce n'est plus ni la police ni la gendarmerie,
05:54c'est l'armée française qui est extrêmement présente dans les eaux Caraïbes,
05:58qui sont, je le rappelle quand même, il faut le dire,
06:01le terrain de jeu des trafiquants de stupéfiants depuis 40 ans, les Caraïbes.
06:06Entre les lieux de blanchiment, les îles de rebond,
06:09ce qui se passe en République dominicaine, à Cuba ou à Haïti,
06:14vous voyez bien que la zone est complètement gangrenée,
06:17donc l'armée française est sur place.
06:19Mais là, c'est un autre problème, parce qu'il s'agit d'intercepter des cargaisons
06:22qui ne sont pas forcément à destination des Antilles,
06:25mais plutôt à destination des États-Unis.
06:28Donc, des grosses cargaisons, des gros cargos.
06:31Et donc, ce n'est plus la même question.
06:33Ce n'est plus la lutte contre la criminalité locale,
06:36mais là, c'est plus la lutte contre le trafic international.
06:39Donc, que les autorités locales demandent plus d'autonomie, pourquoi pas.
06:44Mais ça relève quand même aussi de l'Office central des stupéfiants,
06:48de l'OFAST,
06:49en coordination avec les services américains
06:53et avec les collaborateurs qui sont implantés
06:57dans les différentes capitales des pays latino-américains.
07:02Oui, puis il y a aussi une autre piste,
07:04c'est celle des nouvelles technologies,
07:06parce qu'on parle, pourquoi pas,
07:08d'utilisation à renforcer des drones pour la surveillance,
07:10d'un ciblage biométrique du personnel des ports aux Antilles,
07:15ou même l'installation de conteneurs intelligents.
07:18Ça aussi, ça peut être une solution.
07:20S'adapter, parce qu'en face,
07:21j'imagine que les narcotrafiquants,
07:23ces technologies, ils les maîtrisent.
07:25Là, effectivement,
07:27l'État français a toujours un train de retard
07:29en matière technologique par rapport aux trafiquants
07:32qui balisent tous leurs conteneurs,
07:34toutes leurs cargaisons.
07:36Et on a toujours eu du mal.
07:37Je prends l'exemple notamment des scanners,
07:39des fameux scanners corporels.
07:41On a mis des années et des années
07:42à installer ça à l'aéroport de Cayenne,
07:44alors que de l'autre côté, à Amsterdam,
07:46les Hollandais avaient 10 ans d'avance sur nous dans ce domaine.
07:50Mais nous, pour des raisons humanitaires,
07:52on ne voulait pas trop se lancer là-dedans.
07:55Et là, j'ai l'impression que le PAF peut être franchi,
07:59puisqu'il est question de l'installation,
08:00notamment de scanners dans les aéroports aux Antilles.
08:06Après, la technologie, c'est une course sans fin,
08:10je vous dis, dans laquelle les trafiquants du stupéfiant
08:12ont plutôt un temps d'avance sur l'État.
08:16Donc, il ne faut pas se priver.
08:18Mais les lois là-dedans sont extrêmement strictes et pointues.
08:22Tout n'est pas permis, tout n'est pas autorisé.
08:23Et en permanence, il faut modifier les textes
08:26pour permettre aux services, précisément,
08:28d'utiliser de nouveaux moyens technologiques.
08:29Merci Frédéric Ploquin, journaliste et écrivain d'investigation,
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