Une enquête explosive publié ce mercredi chez Flammarion décrypte les dessous du milieu du rap, notamment les rapports entre des artistes et le milieu du banditisme. "L'Empire" raconte par le menu l'immense pouvoir des artistes de hip-hop en France, qui brassent des millions d'euros et mettent en exergue un système gangrené par la grande criminalité. Paul Deutschmann, rédacteur en chef de "Africa Intelligence" et co-auteur de l'enquête est l'invité de RTL Soir Regardez L'invité d'Anne-Sophie Lapix du 30 octobre 2025.
00:03Vous avez peut-être reconnu en bande organisée l'énorme tube des rappeurs de Marseille réunis autour de Joule et de SCH il y a 5 ans.
00:15Alors l'ambiance a changé depuis, beaucoup de rappeurs se font discrets pour éviter le racket, voire une exécution.
00:21Bonsoir Paul Deutschman, vous co-signez une enquête passionnante et effrayante sur le milieu des rappeurs L'Empire aux éditions Flammarion.
00:29L'Empire c'est celui d'une nouvelle génération de rappeurs, Joule, SCH, PNL, Nino qui brassent des millions parce que ce sont aujourd'hui les artistes les plus écoutés de France.
00:39Oui c'est ça, on voulait raconter en fait comment cette incroyable conquête des rappeurs français qui en 10 ans se sont imposés à la France, aux français mais aussi à son élite économique, politique et culturelle.
00:50Et ce succès leur a permis d'inverser le rapport de force avec les maisons de disques, les majors, fini les contrats d'artistes qui ne leur réservaient que 8%, les miettes, 8% des revenus qu'ils généraient.
01:00Aujourd'hui c'est combien ?
01:01C'est en moyenne entre 70 et 90 pour des groupes comme PNL qui ont réussi réellement à prendre le dessus et à être propriétaires de leurs morceaux aussi.
01:09Et ce sont des entrepreneurs en fait ?
01:11Totalement, c'est une musique d'entrepreneurs, c'est ce que nous disent beaucoup d'acteurs, ils sont tous producteurs, ils sont des fois leurs propres éditeurs, leurs propres tourneurs et ils ont souvent aussi leurs propres marques à côté de vêtements ou autres.
01:20Alors ils viennent le plus souvent des quartiers de Marseille, de la banlieue de Paris ou d'autres grandes villes, des quartiers où le narco-banditisme prospère et leurs managers, ceux qui constituent leur entourage, ne sont pas toujours très recommandables ?
01:34Oui, pour certains rappeurs et on prend évidemment le son de ne pas essentialiser ni généraliser, il y a des acteurs liés à l'économie illégale, au narcotrafic qui vont être des producteurs, des fois des producteurs bienveillants qui vont lancer des artistes
01:48et certains artistes ne seraient pas nés sans ces producteurs et puis des fois c'est une mécanique plutôt de prédation voire d'emprise où les artistes sont victimes de cette mécanique.
01:56Alors vous évoquez notamment la famille du manager de la star Joule, ce manager Karim est abattu, alors passé le chagrin de cette perte, Joule comprend qu'il s'est un peu fait avoir par Karim et sa famille, un label de musique a été créé mais Joule a toutes les difficultés pour reprendre sa liberté ?
02:13Oui tout à fait, Joule a connu un peu l'apreté des débuts dans le rap, il a travaillé avec un label des cartineurs de Marseille avec deux frères et Karim qui avait une relation assez sincère avec Joule
02:24et Joule d'ailleurs le dit dans les éléments et documents qu'on a pu consulter, puis Karim se fait tuer et la relation devient plus compliquée avec les autres frères de la fratrie
02:32et en effet ça va jusqu'à une scission où Joule doit se cacher dans une cabane, dans une maison dans laquelle il y a une cabane où il enregistre My World qui est son plus gros succès jusqu'à ce jour en termes de vente.
02:44Il va devoir céder les droits de ses premiers albums ?
02:46Oui parce qu'il y avait un sujet autour de la propriété de ses cinq premiers albums, il y a trois albums et deux mixtés pour être plus précis et il va devoir, il y a un accord financier, il aura sa part artiste mais il ne sera pas propriétaire de ses cinq premiers albums.
02:58Les rappeurs doivent partager ce qu'ils gagnent avec de vieilles connaissances et s'ils ne le font pas, s'ils ne paient pas pour leur protection, ils risquent parfois la mort.
03:07Oui on l'a vu de façon assez dramatique et nous on a commencé cette enquête bien avant l'affaire SCH où le rappeur s'est fait viser lui-même mais aussi son entourage puisque un de ses membres de son équipe est décédé en août 2024.
03:18Il faut raconter cette soirée invraisemblable.
03:20Oui il est à Montpellier, enfin à côté de Montpellier dans une boîte, il fait un showcase, il quitte la boîte un peu plus tôt dans une voiture qui n'est pas le van dans lequel il devait monter.
03:29Il rentre à l'hôtel mais ses deux membres de son équipe partent deux heures après et sont victimes d'un commando quasi militaire qui va exécuter de façon méthodique un des membres de l'équipe de SCH.
03:40Alors cette attaque elle porte la marque de la DZ Mafia qui avait essayé de le faire chanter ?
03:45Oui en tout cas c'est ce qu'il confie aux enquêteurs, c'est les sources policières qui évoquent aussi ça et d'ailleurs il y a un certain nombre de figures qui ont été incarcérées dans le cadre de cette affaire tout à fait.
03:54Alors la DZ Mafia on en a entendu parler, c'est une sorte de franchise du grand banditisme issu de Marseille mais qui frappe dans tout le pays et n'hésite pas à recruter des tueurs à gage ?
04:04Oui oui ça a été très bien documenté par beaucoup de confrères, ils ont recours à ce qu'on appelle des shooters comme d'autres organisations criminelles et en effet ils sont particulièrement violents et redoutés.
04:13Alors vous évoquez le cas aussi de ces trafiquants condamnés à la prison, parfois 10 ans de prison, recherchés, exilés, qui s'improvisent producteurs.
04:22C'est le cas d'un certain Malsain qui était le producteur de Weyrenois qui est décédé mais de mort naturelle.
04:29C'est une figure qui est assez bien connue dans le milieu de l'industrie musicale, il a produit d'autres artistes et en effet il avait sa propre boîte de production à son nom.
04:36C'est quelqu'un qui a produit aussi parce que je pense qu'il aimait le rap et c'est une figure en effet qui a beaucoup produit dans le rap français dernièrement.
04:43Ça veut dire que c'est une sorte de diversification pour ce genre de personnage, diversification dans la musique pour éventuellement blanchir de l'argent sale ?
04:52Oui alors pas nécessairement blanchir mais plutôt toucher de l'argent légal, c'est là que c'est plus intéressant, c'est qu'on a des acteurs de l'illégal qui vont en fait opérer une branche légale
04:59et c'est en effet le cas de certains narcoproducteurs qui vont pouvoir cumuler un peu ces deux facettes d'une économie à la fois légale et illégale.
05:07Alors l'argent qui touche ce sont des sommes absolument folles, faramineuses qui sont versées, des avances versées par les majors comme Universal, Sony, Warner et Believe qui est un nouvel acteur.
05:19Oui qui est presque nous qu'on met dans les majors parce que c'est un acteur central aujourd'hui sur le marché de l'urbain, c'est presque le leader et en effet en fait depuis le contrat de distrib, les avances ont explosé depuis trois ans
05:29et c'est ce que nous confie beaucoup de cadres qu'on interroge en off et que les sommes atteignent des fois plusieurs dizaines de millions d'euros pour trois, quatre albums
05:37et donc évidemment que ça attise une certaine convoitise et la question notamment des relations financières entre certains groupes dont vous avez cité
05:44et certaines entités dont vous avez aussi cité qui peuvent être liées à l'économie illégale interroge et c'est des cadres d'industrie qui s'en ouvrent à nous
05:50avec beaucoup de précautions parce qu'ils sont inquiets, ils s'interrogent sur la conformité, la compliance de certains flux financiers exactement.
05:57Les labels de personnalités comme ça issus du narco-banditisme sont parfois déclarés à la SACEM sans que personne ne s'inquiète de leur CV ?
06:06Alors ils peuvent être éditeurs, alors après c'est aussi compliqué parce que des fois ils ne passent évidemment pas en direct,
06:11ils peuvent avoir des schémas un peu plus ou moins sophistiqués avec des personnes qui ne sont pas identifiées
06:15donc il y a aussi toute une zone grise qui n'est pas évidente par exemple pour la SACEM de savoir si M. X est bien éditeur ou pas éditeur.
06:21Mais la SACEM comme les majors ne cherche pas toujours forcément à savoir, on est obligé de passer par des constructions un peu obscures quand on travaille avec ces rappeurs ?
06:30Pour les majors, et il ne faut peut-être pas tout généraliser, en effet il y en a qui sont peut-être plus légères dans la manière de travailler avec certains acteurs,
06:38ça c'est évident qu'en termes de conformité ça pose un nombre de questions.
06:41On vous sent prudents sur le sujet.
06:43Non non mais on raconte plutôt bien dans le livre, on va mettre aux éditeurs à lire ce qu'on raconte mais on évoque certains contrats en effet
06:49où plusieurs millions d'euros ont pu être versés via des schémas plus ou moins sophistiqués encore une fois à des figures du narcotrafic tout à fait.
06:57Alors certains rappeurs sont eux-mêmes impliqués dans des affaires criminelles, c'est le cas de Kobal Adé dans l'affaire de la fuite de Mohamed Amra ?
07:05Oui il est mis en examen, alors son rôle n'est pas un rôle direct, il est mis en examen dans le cadre de l'enquête parce qu'il aurait pu être au courant des opératifs
07:12mais c'est pas autant qu'un acteur comme Maes dont on évoque dans le livre qui lui est directement soupçonné par les enquêteurs d'avoir pu participer à des commandes d'assassinat.
07:23Ce qui est assez inédit, en tout cas nous c'est le seul rappeur où on a des documents qui étayent cette thèse-là côté policier.
07:31Le cas de Maes est assez intéressant parce que lui en fait ce sont sans doute des gens de son quartier qui un jour ont voulu qu'il participe, lui aussi un petit peu qu'il verse de l'argent
07:41et puis il n'a pas apprécié, enfin il y a eu des voitures brûlées lors d'un tournage, il s'est vengé et puis il a dû prendre la fuite ?
07:48Oui manifestement c'est un peu une dérive où il est initialement en tout cas ce que nous confient des sources qu'on rencontre plutôt victimes en fait d'extorsion
07:56et que cette mécanique va entraîner à presque une envie de vengeance depuis son exil d'Oubayot
08:02où ça va se dérouler sur en effet des assassinats où son nombre plane selon la police.
08:08Mais lui-même a un contrat sur sa tête.
08:10C'est ce qu'on nous confie, oui, qu'il a un contrat qui ne peut pas se rendre dans son quartier d'origine, tout à fait.
08:14Et quand il vient faire un séjour à Paris, il se balade avec un gilet pare-balles ?
08:18Oui, c'est ce que confient en effet certaines sources.
08:21Les rappeurs sont des stars qui ne connaissent plus la tranquillité, qui vivent avec un revolver sur la tempe ?
08:28Pas tous, on ne ferait évidemment aucune généralité, aucune sensualisation et on ne veut surtout pas stigmatiser cette musique.
08:33On veut aussi raconter plein d'autres choses que le narco-banditisme et c'est vrai que ce livre c'est un tiers de narco-banditisme
08:38mais c'est aussi deux autres tiers de plein d'autres choses, de la diversification d'entrepreneurs, de relations avec les puissants.
08:43On raconte aussi comment les politiques tentent de séduire aujourd'hui ces figures populaires ou les groupes de luxe.
08:48Nous, une anecdote qui nous a évidemment beaucoup parlé, c'est quand Rodolphe Saadé sollicite un entretien avec Joule.
08:52Patron de la CMACGM ?
08:53Exactement, en avril 2023, il a arraché la Provence et puis réfléchi à d'autres projets à Marseille.
08:58Et presque de façon naturelle, il faut consulter Joule.
09:00Et c'est lui qui demande à rencontrer Joule dans la tour CMACGM, dans son bureau.
09:04Et c'est une scène qui est assez formidable, qui raconte ce pouvoir bien au-delà des aspects les plus sombres qu'on raconte.
09:08Puisqu'il lui demande comment je peux vous aider ?
09:10Et Joule lui répond, c'est vous qui avez plutôt besoin de moi.
09:12Qu'est-ce que vous voulez ?
09:14Ça dit beaucoup de choses sur le pouvoir des rappeurs de cette génération.
09:19Merci beaucoup Paul Dutchman.
09:20Je rappelle ce livre, Enquête édifiant, l'Empire, que vous co-signez avec Johan Tilwin et Simon Piel.
09:27C'est aux éditions Flammarion.
09:29Merci beaucoup.
09:30Merci.
09:30Dans un instant, on retrouve notre duo de 18h50.
09:32Florian Gazan repêchera l'info qu'on a failli manquer.
09:35Et il le fera d'ailleurs avec un filet de pêche, vous allez voir.
09:37Et puis dans La Tentation du Soir, Laurent Marsic nous emmènera voir un spectacle qui devrait vous rappeler des souvenirs.
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