- 10/06/2025
Intervenant : Alain Dieckoff, sociologue
Journaliste : Jean-Philippe Moinet
Journaliste : Jean-Philippe Moinet
Catégorie
📚
ÉducationTranscription
00:00Question israélo-palestinienne, clé de compréhension, un programme d'information pour mieux connaître et comprendre la situation au Proche-Orient.
00:22Bonjour, nous avons conçu une série d'entretiens éclairants, clé de compréhension Israël-Palestine.
00:30Sur ce sujet particulièrement, on le sait, on est dans une période à la fois d'approximation, d'erreurs, d'ignorance aussi souvent,
00:39ignorance sur les enjeux historiques, géographiques, culturels aussi qui concernent Israël et la Palestine.
00:46Et on voit bien qu'à partir de là, il y a ouvert un champ pour des caricatures, des informations.
00:54Donc nous avons la chance aujourd'hui d'avoir une référence académique.
00:59Merci Alain Dikoff d'être présent et de pouvoir nous éclairer sur ces enjeux à la fois complexes,
01:06mais aussi déformés, pour nous rappeler différentes choses concernant l'origine et les origines de la création de l'État d'Israël en particulier.
01:14C'est un sujet que vous connaissez bien.
01:16Vous êtes professeur à Sciences Po, vous avez dirigé le CERI, le Centre d'études de recherche internationale de Sciences Po Paris.
01:23Et puis vous êtes auteur de divers ouvrages de référence, dont celui-ci,
01:27Israël-Palestine, une guerre sans fin avec un point d'interrogation.
01:33Donc signé Alain Dikoff, merci d'être avec nous pour nous rappeler en fait le contexte qui de loin précédait la création de 1948 de l'État d'Israël.
01:42De loin, de très loin, puisqu'il y a ce fameux mouvement sioniste, le sionisme.
01:48Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots comment peut-on le définir et où et quand ça a démarré ce sionisme ?
01:58Alors, on peut peut-être commencer par le terme lui-même.
02:01Donc le terme sionisme vient de Sion.
02:04Sion, c'est une colline à Jérusalem, qu'on peut toujours voir d'ailleurs.
02:10Et de façon métaphorique, ça désigne Jérusalem dans son entièreté.
02:14Donc le isme, il est apparu dans les années 1880, en Europe, et en effet partant de cette idée de Sion, donc d'idée de Jérusalem.
02:26Le mouvement, pour le définir en quelques mots, il est assez simple.
02:30C'est un mouvement politique qui aspire à créer un foyer pour le peuple juif.
02:38On parlait de foyer.
02:39Voilà, le terme qui était utilisé, c'est en effet foyer.
02:42Donc ce mouvement, il est apparu dans les années 1880, en particulier en Europe de l'Est,
02:51avec des groupes qu'on appelait les Amants de Sion,
02:56et qui étaient une série de groupes qui ont commencé à immigrer en Palestine.
03:01Bon, des milliers de personnes, pas énormes.
03:04Il faut bien se rendre compte qu'il y avait des millions de juifs dans l'Empire tsariste.
03:08Donc là, on parle vraiment de très petits nombres, mais malgré tout, il y avait un mouvement de retour qui s'est amorcé dans ces années-là.
03:15Venant d'Europe de l'Est, de la Russie actuelle.
03:18Venant de la Russie actuelle, plus la Pologne actuelle qui n'existait pas, et d'une partie aussi de l'Europe centrale.
03:25Il faut bien se rendre compte qu'à l'époque, on parle d'une époque où l'Est de l'Europe est en gros divisé entre deux empires.
03:35L'Empire austro-hongrois et l'Empire tsariste, en fait.
03:38Plus l'Allemagne qui commence à émerger et donc qui apparaît comme État en 1871.
03:43Donc ça, c'est le contexte un peu général.
03:45Sachant, on peut en parler peut-être tout de suite, que la virulence de l'antisémitisme était telle, avec les pogroms d'Europe de l'Est, dès le XIXe siècle.
03:58Alors, évidemment, ça c'est le point auquel j'arrivais.
04:02C'est l'émergence de ce mouvement, qui est, il faut le dire aussi, minoritaire dans le monde juif, à cette époque-là, très clairement.
04:10Et quand même un mouvement qui est une réaction.
04:14Et réaction, en effet, à l'antisémitisme, en fait.
04:16C'est très clairement, on peut dire, à bien des égards, le sionisme est un mouvement qui cherche à constituer un refuge, en fait, national pour les juifs.
04:25D'où le mot foyer, d'ailleurs.
04:27Absolument, c'est tout à fait ça.
04:28C'est très clair. Et un des dirigeants du mouvement sioniste, qui s'appelait Marx Nordau, et qui était un juif allemand, avait lui-même parlé d'asile de nuit.
04:39Il fallait faire un asile de nuit pour les juifs.
04:42Tellement l'impression de la nuit tombait sur l'Europe de l'Est.
04:45Oui, parce qu'il y avait ces mouvements d'antisémitisme qui se sont développés à partir de 1881-82.
04:52Et d'ailleurs, il y a un mot qui est apparu aussi à ce moment-là, qui est le mot pogrom, qui veut dire « destruir » en russe,
04:59et qui était finalement la traduction de ce que certaines communautés juives de l'empizariste vivaient,
05:06c'est-à-dire, en effet, des agressions physiques, des attaques dans ce qu'on appelait les schtettels,
05:10les petits villages ou les quartiers de certaines villes dans lesquelles les juifs habitaient,
05:17et où, souvent, autour de fêtes religieuses orthodoxes, on peut penser par exemple à la période de Pâques,
05:22il y avait des attaques contre ces quartiers juifs.
05:24Des attaques et des massacres.
05:25Et bien sûr, attaques, ça voulait dire destruction de biens, mais aussi des personnes qui étaient tuées, très clairement.
05:31Alors, évidemment, beaucoup de juifs, il faut le dire, ont essayé de répondre à cette situation de façon individuelle,
05:39d'une façon assez classique, c'est-à-dire en migrant.
05:42Et ça explique aussi les vagues énormes de départ vers les États-Unis.
05:44– La peur, la fuite vers les États-Unis, un petit peu ailleurs.
05:50– Alors, évidemment, aussi ailleurs en Europe de l'Ouest, en particulier en Allemagne, à ce moment-là,
05:55où il y a beaucoup de ce qu'on appelle les « host-students » qui sont allés en Allemagne,
05:58et certains qui essayent de trouver aussi une réponse politique, en fait. Voilà, c'est ça.
06:03– Quand vous dites politique, il y avait déjà l'objectif d'un foyer étatisé ?
06:08– Disons, dans la réponse politique, ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a plusieurs types de réponses, en fait.
06:12– Le sionisme est une des réponses, mais pas la seule.
06:16Il y a des réponses qui sont aussi des formes de nationalisme juif qui émergent en Europe de l'Est.
06:22Sans les citer tous, parce qu'il y en a eu beaucoup, le plus important, c'était le boundisme,
06:27qui était un mouvement nationaliste juif, mais aussi socialiste.
06:31Et donc, lui, sa réponse à cette violence de l'autocratie tsariste,
06:36c'était, en fait, qu'il faut que les Juifs combattent à l'intérieur du mouvement social-démocrate russe,
06:43pour, évidemment, mettre à bas le tsarisme et construire une Russie démocratique
06:47dans laquelle il y aurait une autonomie culturelle pour les Juifs.
06:51– D'accord.
06:52– Ça, c'était leur objectif. Donc, c'était un autre projet.
06:54– C'était un autre projet qui n'était pas situé à l'actuel Israël,
06:57mais qui n'était pas participé à la jeunesse du sionisme.
07:01– Non, alors, qui n'était pas participé à la jeunesse, mais qui était un projet concurrent, en fait.
07:03– D'accord.
07:04– Et qui, au départ, avait plus de troupes que le sionisme, à l'évidence.
07:10Mais c'était un projet qui était un projet où on ne bouge pas, en fait, si vous voulez,
07:13mais où on a quand même une autonomie culturelle nationale,
07:16donc une reconnaissance des Juifs comme peuple à part,
07:19mais qui n'est pas un projet stricto sensu politique, mais plutôt, comme je le disais, culturel.
07:24Voilà. Mais tout ça pour vous dire qu'il y avait une concurrence de projets.
07:29Le sionisme, c'est une des réponses.
07:31Encore une fois, il ne faut pas rétrospectivement la considérer comme la seule réponse.
07:37Mais c'est, pour des raisons historiques, celle qui a finalement fonctionné.
07:40– Alors, justement, les raisons historiques, pour quelles raisons historiques plurielles,
07:44ça a fonctionné, ça s'est développé au début du XXe siècle.
07:48L'antisémitisme s'est développé aussi, on le sait ô combien, dans les années 20-30.
07:53Voilà. Quelles ont été les grandes étapes ?
07:56– Alors, les grandes étapes, c'est…
07:58Là, je parlais des années 1880.
08:01Mais ce qui manquait au sionisme des années 1880, c'était un leader.
08:06Et ce leader, il apparaîtra un petit peu plus tard, au milieu des années 1890.
08:10Il s'appelle Théodore Herzl.
08:11Donc, lui, il avait un profil assez différent des juifs d'Europe de l'Est qui se mobilisaient,
08:18qui étaient quand même, je dirais grosso modo, des juifs qu'on pourrait qualifier de traditionnalistes.
08:22Lui, c'est un juif assimilé. Il vient de Vienne.
08:26Il est journaliste à Vienne. C'est tout à fait un autre profil.
08:29Et c'est un homme qui, au départ, pense que l'assimilation est possible.
08:36Qui est quelque part même un militant de l'assimilation, à certains égards.
08:40Mais il va se rendre compte, à la fois lors de son séjour à Paris,
08:45où il était correspondant de presse, dans le journal viennois,
08:48et où il va, en effet, assister à la condamnation du capitaine Dreyfus.
08:53Donc ça, ça va le marquer beaucoup.
08:55Et donc ça, on l'évoque souvent dans les histoires du sionisme, et on a raison de le faire.
08:58Mais il ne faut pas oublier un autre élément qui est très important.
09:01Comme je le disais, les Viennois.
09:02Et il y a énormément d'antiséminisme à Vienne, à cette époque.
09:05À telle enseigne qu'un maire antisémite est élu dans ces années-là.
09:09Donc ça aussi, c'est un élément qui compte pour lui.
09:11Donc il se rend compte que, quelque part, aussi bien dans le pays où il a grandi,
09:17il n'était pas né là, parce qu'il est né à Budapest, en fait,
09:20mais il a grandi là, donc dans ce pays,
09:22et en France, où il a séjourné pendant plusieurs années, il parlait le français,
09:28il se rend compte qu'il y a un problème.
09:29Il se rend compte du gros dérèglement qui peut emporter les esprits.
09:33Il pense, et c'est la raison de ce qu'il va écrire en 1896,
09:38donc l'État des Juifs, son livre un peu manifeste du sionisme,
09:42il se rend compte, finalement, que l'assimilation est une impasse.
09:45Et donc il faut trouver une réponse.
09:46Pour lui, la réponse doit être une réponse nationale.
09:48Donc, en fait, de la même façon que les Allemands ont fait l'unité de leur pays en 1870-1871,
09:56que les Italiens l'ont fait au début des années 1860,
09:59que les Grecs l'ont fait tout au début du XIXe siècle,
10:02que d'autres peuples d'Europe de l'Est vont le faire aussi,
10:05il faut aussi que les Juifs fassent la même chose, en fait.
10:06Il y a un processus d'un peu d'imitation.
10:07D'où ce regard tourné vers le foyer, pour reprendre l'expression initiale,
10:13qui est le futur État d'Israël.
10:16Donc, il faut faire un foyer.
10:18Alors, lui, il parle d'emblée d'État,
10:21puisque son texte fondateur, c'est l'État des Juifs.
10:24Donc, c'est très clair, il veut un État souverain.
10:28Mais en même temps neutre, donc un État...
10:30Avec quelle sensibilité par rapport à la foi,
10:32à la croyance religieuse,
10:34et par rapport au spectre des sensibilités non religieuses et politiques ?
10:38Je dirais qu'il envisage cet État comme un État libéral.
10:41Un petit peu comme l'Autriche qu'il connaissait.
10:45Alors, l'Autriche, c'était compliqué,
10:46puisque je l'ai dit, il y avait aussi un antisémitisme qui était existant,
10:49mais il y avait aussi une dimension de libéralisme politique qui était très forte.
10:52Donc, il y avait différents courants, évidemment.
10:54Donc, lui, il est clairement dans cette logique-là.
10:56Il veut un État libéral.
10:58Il veut aussi un État où les religieux, il le dit très clairement,
11:01seront confinés dans leur synagogue.
11:03Et il pense aussi que l'État sera un État, en fait, quasiment démilitarisé.
11:07D'accord.
11:08Donc, plutôt pacifiste dans l'esprit.
11:09Absolument.
11:10Et qui apportera, quelque part, une sorte de bien-être général
11:14dans la région dans laquelle il se trouvera.
11:16Ce qui contredit toutes les thèses qu'on entend,
11:19ô combien déformatrices de la réalité du sionisme,
11:23qui serait quelque chose de belliqueux ?
11:26En tous les cas, pas de l'origine.
11:28Oui.
11:28Au contraire, dans l'origine, c'est plutôt une version tout à fait différente de l'État
11:33qu'il envisage.
11:35Et un État aussi qui apporterait des bénéfices autour de lui.
11:40C'est-à-dire dans la région dans laquelle il serait situé.
11:42Cette région étant, en effet, la Palestine.
11:45Même s'il avait envisagé lui-même la possibilité de créer un État en Argentine.
11:49Il faut le dire aussi, parce que pour lui, l'objectif principal,
11:52c'est ça qu'il faut comprendre, c'est qu'il faut sauver le peuple juif.
11:55En fait, c'est ça.
11:56Donc, si on peut trouver quelque chose ailleurs,
11:57si la Palestine, c'est trop compliqué, on pourra avoir l'Argentine.
12:00Bon, finalement, assez vite, dès 1904, la date où il meurt, il meurt très jeune.
12:06Mais dès l'année suivante, 1905, il n'y a plus d'ambiguïté.
12:09Le mouvement sioniste est dirigé sur la Palestine.
12:12Et donc, là, sous mandat britannique, rappelons-le.
12:15Alors, mandat britannique, après la Première Guerre mondiale.
12:17Après la Première Guerre mondiale.
12:19Donc, qu'est-ce qui s'est passé entre le décès de Théodore Herzl
12:22et la création de l'État d'Israël pour ce mouvement sioniste ?
12:27Sachant que, bien sûr, la montée du nazisme, la Deuxième Guerre mondiale,
12:33cette entreprise à échelle industrielle, l'extermination des Juifs, la Shoah,
12:38a évidemment déclenché et activé tout ce mouvement pour créer l'État d'Israël.
12:44Quelles sont les étapes entre ces deux mouvements ?
12:47Évidemment, une étape très importante, c'est la Première Guerre mondiale.
12:50Parce qu'évidemment, elle va changer la donne dans le sens où l'Empire ottoman,
12:54qui gérait la Palestine, qui était intégré dans son empire,
12:58eh bien, il est vaincu.
13:00Et l'Orient arabe est divisé entre les Anglais et les Français.
13:06Donc, les Anglais vont hériter de ce qu'on va appeler la Palestine mandataire.
13:11Donc, ça, c'est évidemment quelque chose de très important.
13:14Et ces mêmes Anglais, en 1917, vont émettre une déclaration,
13:19qui est la déclaration Balfour, qui, noir sur blanc,
13:22est un engagement, en fait, des Britanniques à œuvrer à la constitution d'un foyer national pour le peuple juif.
13:30C'est ça qui marquait...
13:31C'était l'expression, la constitution d'un foyer national pour les juifs.
13:36Voilà.
13:36Dans le cadre du mandat britannique.
13:38Dans le cadre du mandat qui va leur être donné par la Société des Nations en 1920.
13:43Donc, ça, c'est une obligation, en quelque sorte, on pourrait dire, contractuelle,
13:48auquel, finalement, la Grande-Bretagne, par laquelle elle se lie.
13:56Alors, évidemment, il faut quand même dire un mot,
13:58c'est que tout ça se fait sans consultation de la population locale.
14:02Donc, ça, évidemment, ça va être une source de problème par la suite, comme on peut s'en douter.
14:07Ce qui était de coutume à l'époque.
14:08Absolument.
14:08On est dans l'ère du temps.
14:10On est quand même dans l'ère impérial.
14:12Oui.
14:13On est dans l'ère impérial.
14:13Il y a des souverainetés, soit coloniales, soit de type mandataire,
14:18pour les pays du Proche-Orient en particulier.
14:20Mais, évidemment, le fait qu'il y ait ce mandat,
14:23ça va changer énormément de choses pour le mouvement sioniste,
14:25parce que ça veut dire, en fait, qu'il bénéficie d'une reconnaissance internationale.
14:29Jusqu'alors, c'était une association de gens de bonne volonté,
14:32que Herzl avait constituée,
14:35qui était, d'ailleurs, critiquée par d'autres juifs
14:37qui pensaient que c'était une idée complètement utopique
14:39et complètement à côté de la plaque.
14:41qui avait besoin, quelque part, évidemment, de soutien.
14:46Et ça, Herzl l'avait compris très vite.
14:47Il savait très bien que ce projet ne pourrait pas fonctionner
14:50sans un soutien extérieur.
14:52Ça, il l'avait compris.
14:53Livré à lui-même, uniquement avec certains juifs qui se seraient mobilisés,
14:58il savait que ça ne mènerait à rien.
14:59Oui, ce qui s'est confirmé, d'ailleurs, après la Deuxième Guerre mondiale.
15:02Et donc, évidemment, le soutien britannique, dans le cadre du mandat,
15:07a été capital parce que ça a permis à ce qu'on appelle parfois un peu
15:10l'État en route de se mettre vraiment en branle.
15:15C'est-à-dire qu'il y a un peu une sorte de pré-État juif
15:18qui va se mettre en place entre la Première Guerre mondiale
15:23et la Seconde Guerre mondiale dans les années 1920-1930.
15:26Et est-ce qu'on peut dire qu'évidemment, cette tragédie,
15:31cette horreur absolue de la Shoah, a évidemment contribué ensuite
15:35à non seulement activer le mouvement sioniste en Europe,
15:39mais à déclencher un mouvement d'après-guerre
15:43qui a très vite été vers la constitution de l'État juif ?
15:48Alors, il y a eu deux phénomènes.
15:50C'est évidemment le génocide des Juifs, déjà.
15:56Il a une conséquence, c'est que quelque part,
16:01il valide l'analyse du sionisme qui disait
16:04de toute façon, la vie en diaspora n'est pas possible.
16:07Il faut un foyer, il faut un État.
16:08Il était encore moins possible après ce qui s'est passé.
16:11Bien évidemment.
16:12Et en même temps, ça invalide aussi, évidemment,
16:15les autres options qui pouvaient encore exister
16:17et qui existaient avant la Deuxième Guerre mondiale.
16:19J'évoquais par exemple le bundisme, parce qu'évidemment,
16:22cette option n'est plus possible non plus.
16:25Une partie des Juifs ont été massacrés.
16:27Et puis l'Union soviétique, qui a été créée beaucoup plus tôt,
16:30puisque c'était 1917-1918, n'avait de toute façon laissé aucun espace
16:35à d'autres projets que le projet communiste.
16:37Donc évidemment, le bundisme a aussi sombré définitivement,
16:40si je puis dire, après la Deuxième Guerre mondiale.
16:43Avec un antisémitisme d'État, d'ailleurs, de l'Union soviétique.
16:46Oui, en plus.
16:47Mais, c'est là le mais, et ça c'est le deuxième aspect.
16:50Pourquoi finalement il y a eu un État d'Israël ?
16:54Parce qu'après la guerre, évidemment,
16:57les puissances, les grandes puissances de l'or,
16:59c'est-à-dire les États-Unis,
17:01qui commençaient à émerger vraiment comme grandes puissances
17:04après la Deuxième Guerre,
17:05l'Union soviétique quand même,
17:07et les deux puissances qui étaient tout doucement sur le déclin,
17:10la France et la Grande-Bretagne,
17:12finalement, sont d'accord avec quelques nuances près.
17:18Mais c'est surtout vrai,
17:19des nouvelles puissances qui montent,
17:20c'est-à-dire de l'Union soviétique et des États-Unis,
17:22ils sont d'accord sur l'idée qu'il faut un État pour les Juifs.
17:26Et là, il y a quand même quelque chose qui est assez unique
17:28dans la période de la post-1945,
17:32c'est que les États-Unis et l'Union soviétique,
17:34qui sont sur des projets idéologiques évidemment complètement différents,
17:37mais qui étaient quand même alliés dans la guerre,
17:39sont aussi alliés sur l'idée qu'il faut qu'il y ait un État pour les Juifs.
17:42Et donc il y a cette rencontre assez inédite,
17:44parce que c'est quand même...
17:45Cette convergence finalement.
17:46Cette convergence sur l'idée qu'il faut trouver une solution politique.
17:50On ne peut plus uniquement avoir des...
17:54laisser les choses se faire
17:55ou considérer que finalement,
17:57les Juifs trouveront des solutions individuelles.
18:01Certains émigreront,
18:02d'autres fronts s'installeront dans tel ou tel pays.
18:04Non, il faut trouver une solution globale.
18:06Voilà, c'est ça l'idée.
18:06Il faut trouver une solution globale.
18:08Qui a été trouvé, tant bien que mal.
18:10Il y a eu du mal dans les combats et dans la période,
18:14mais entre 1945 et 1948,
18:16qu'est-ce qui s'est passé du point de vue à la fois diplomatique,
18:19le rôle notamment du Royaume-Uni
18:21et l'aboutissement avec la résolution de l'ONU ?
18:26Alors, la Grande-Bretagne, pendant tout l'entre-deux-guerres,
18:29globalement, elle a assez fidèlement respecté le terme du mandat.
18:33Et en particulier sur l'idée
18:35qu'il fallait permettre l'immigration juive, etc.,
18:37qui était d'autant plus importante dans les années 30,
18:40puisque, et ça, il faut quand même l'évoquer ici,
18:43les Juifs allemands et autrichiens dans les années 30,
18:4733 pour les Allemands et donc 38 pour les Autrichiens,
18:50beaucoup ont immigré en Palestine
18:52parce qu'ils ne pouvaient pas immigrer ailleurs non plus.
18:55Il n'y avait plus de possibilités.
18:56Donc là, l'idée de refuge, elle est confirmée, si vous voulez.
18:58Elle est confirmée.
18:59Il n'y avait pas 36 refuges ?
19:00Non, non, non.
19:02Surtout que certains qui étaient aussi en l'instant des refuges
19:05comme les États-Unis étaient fermés à partir des années 20 à l'immigration.
19:09Donc, il n'y avait pas d'attraînative non plus.
19:11Et donc, ça validait aussi encore davantage,
19:13évidemment, tout le projet sioniste.
19:17Et donc, c'est vrai qu'il y a une question qui va se poser
19:21après la guerre, c'est la question de ce qu'on appelait
19:24les personnes déplacées.
19:25En fait, les rescapés du génocide
19:28qui ne savaient pas où aller.
19:31Évidemment, il était hors de question
19:32qu'ils retournent en Pologne ou en Roumanie.
19:35Comme d'autres pays n'étaient pas prêts à les accueillir,
19:38il n'y avait que la Palestine.
19:39Ça a été un phénomène relativement important quand même
19:40de bateaux qui sont partis en général d'Allemagne ou d'Italie
19:45avec des réfugiés
19:47et qui sont arrivés sur les côtes...
19:50Dans le fameux exodus.
19:52...à partir de 45, dès 45 en fait, 46,
19:57et encore plus, évidemment, après 1948,
19:59quand l'État en tant que tel a existé,
20:01même s'il est rentré tout de suite
20:03dans une période de conflits, de guerre.
20:04Et toutes ces personnes étant dans l'Exode,
20:07on rejoint finalement des migrants précédents juifs
20:11qui ont fait qu'il y a eu un courant finalement
20:14qui s'est accéléré pendant quelques années.
20:17La résolution de l'ONU, finalement,
20:19est-ce qu'on peut dire que ça enterrine une situation de fête ?
20:22Comment ça s'est passé ?
20:23Alors il y a un peu de ça, oui.
20:24Je pense que...
20:25Oui, oui, tout à fait.
20:26Est-ce que le consensus était si général que ça ?
20:28Le point de vue des États ?
20:30Oui.
20:30Alors la résolution de partage, d'abord,
20:32c'est le 29 novembre 1947.
20:34Donc ils partagent la Palestine mandataire en deux États,
20:37un État juif et un État arabe,
20:38avec Jérusalem comme zone internationale.
20:40Donc c'est une résolution dont l'adoption n'était pas acquise,
20:46en fait, si vous regardez le décompte des voix,
20:50mais qui finalement a été acquise aux deux tiers.
20:53Aux deux tiers des membres des Nations Unies de l'époque.
20:55De l'époque, évidemment.
20:56Et donc ça a été une confirmation,
20:59ça a été la reconnaissance finalement ultime de la légitimité
21:02donnée par la communauté internationale, à l'évidence.
21:05Donc c'était un atout énorme pour le mouvement sioniste.
21:08Parce qu'il avait eu la légitimité britannique par le mandat,
21:11mais il n'avait pas la reconnaissance internationale.
21:13Là, il l'obtient.
21:14Donc ça, c'est évidemment une carte importante.
21:17Et Ben-Gurion en particulier, le chef de l'agence juive,
21:20se rend compte évidemment que c'est une occasion à saisir.
21:22Il n'y aura pas une deuxième proposition de ce même type.
21:24Donc Ben-Gurion, celui qui finalement, dans le sillage de Théodore Herzl,
21:31a été l'homme de la mise en pratique de la constitution de l'État et d'Israël.
21:34Oui, avec quand même un autre nom que je veux citer,
21:36qu'on oublie trop souvent,
21:37mais même s'il a donné son nom à beaucoup de boulevards aussi en Israël,
21:41c'est Rahim Weizmann,
21:42qui était l'homme du sionisme à l'extérieur.
21:46Donc Ben-Gurion était sur place, était en Palestine.
21:49Weizmann, il a été pendant presque toute la période à Londres
21:52et un petit peu plus tard aussi aux États-Unis.
21:55Et il est très clair que par l'action diplomatique qu'il a eue,
22:00il a eu un rôle aussi tout à fait capital.
22:02Et ce n'est pas pour rien qu'il a finalement été
22:03le premier président de l'État nouvellement né.
22:06Est-ce que vous pouvez préciser ce que vous avez évoqué,
22:10à savoir cette proposition initiale de partage,
22:12qui est quand même le grand sujet qui a fait non seulement polémique,
22:16mais conflits et guerres dans les décennies qui ont suivi
22:18entre les Israéliens et les Palestiniens notamment,
22:22et les États de la région.
22:25Mais quels étaient les termes de cette idée de partage à l'époque de 1948 ?
22:31Alors l'idée de partage, elle émerge en fait pour la première fois en 1937,
22:35parce que toute la période de l'entre-deux-guerres en Palestine
22:39et surtout à compter la fin des années 1920,
22:44elle est marquée par des troubles récurrents entre juifs et arabes.
22:49Parce qu'évidemment, la population arabe n'est pas favorable au projet sioniste, le combat…
22:57– Dès les années 30…
22:59– Dès le départ en fait, dès le départ.
23:01– Et les cohabitations étaient…
23:02– Simplement dans les années 1920, ça a été plus calme.
23:06À partir de 1929, ça devient plus violent,
23:08et les Britanniques sont un peu là pour essayer d'arbitrer autant qu'en faire se peut,
23:13mais bon, avec quand même de plus en plus de difficultés.
23:16D'où l'idée qu'ils mettent en avant pour la première fois en 1937,
23:20qui dans un plan qui va être le plan pile, c'est le partage.
23:24Donc, l'idée qu'il faut partager à la Palestine mandataire en deux,
23:28et ce partage de 1937, il va être accepté par une majorité du mouvement sioniste
23:33et rejeté par la quasi-totalité des acteurs du côté palestinien
23:39qui considèrent que c'est injuste.
23:41Voilà, bon, bref.
23:42Donc, de toute façon, il n'est pas mis en œuvre, mais l'idée, elle émerge.
23:45Et en fait, c'est une idée qui va être prise par l'ONU
23:47lors des discussions sur le devenir du mandat de Palestine,
23:51parce qu'après la Deuxième Guerre, dans le fond,
23:54la Grande-Bretagne, qui a certes été parmi les vainqueurs,
23:58mais qui en même temps a payé un prix très lourd
24:00et va commencer tout doucement à décliner d'un point de vue international,
24:03elle ne veut plus, évidemment, gérer les diverses colonies au mandat qu'elle a.
24:08Donc, c'est pour ça qu'elle va, évidemment, aussi se débarrasser, si je puis dire, de l'Inde.
24:12Et c'est la même chose de la Palestine.
24:13Elle ne veut plus la gérer.
24:14Donc, en gros, elle remet le dossier aux Nations Unies
24:17et qui doivent, en fait, trouver une solution.
24:19Et la solution qui va être adoptée à la majorité,
24:22parce qu'il y a une autre solution qui va être présentée à ce moment-là,
24:25qui est la solution fédérale, c'est-à-dire un seul État avec les deux communautés.
24:28Ça, c'est une position qui va être adoptée par une minorité de membres aux Nations Unies.
24:33La majorité va opter pour le partage,
24:35qui va donc être celui plébiscité, on peut dire un petit peu,
24:40par l'Assemblée Générale des Nations Unies en novembre 1947.
24:44On voit bien que les contours de ce partage sont non seulement en débat,
24:49mais en confrontation, évidemment, sur la scène internationale aujourd'hui.
24:53Mais merci beaucoup de nous avoir rappelé que, finalement,
24:56l'histoire de la création d'Israël, ça ne se passe pas en quelques années.
24:59C'est le produit d'une longue histoire,
25:01sans parler de la présence multiséculaire des Juifs en terre d'Israël d'aujourd'hui.
25:09Et donc, merci beaucoup de nous avoir éclairés sur ces enjeux,
25:13sur ces étapes, sur les difficultés aussi qui ont été rencontrées,
25:17sur ces combats, parce qu'il y a eu des combats aussi
25:19au moment de la création d'État d'Israël pour le mettre sur pied.
25:22Et puis, de ce partage qui est toujours en suspens dans le débat public.
25:26Je rappelle votre ouvrage, l'un de vos ouvrages,
25:29« Israël-Palestine, une guerre sans fin », point d'interrogation.
25:32On espère que l'interrogation va s'appuyer sur des résolutions de ces conflits.
25:41En tout cas, il y a 25 questions décisives que vous évoquez dans cet ouvrage.
25:44Alain Dicouf, merci beaucoup pour votre présence et votre éclairage
25:48pour ces sujets aussi compliqués qui font l'objet d'instrumentalisations,
25:52comme on le sait. Merci beaucoup et à bientôt.
25:53Sous-titrage Société Radio-Canada
Recommandations
3:57
6:32
3:22