- 16/06/2025
Journaliste : Guillaume Erner
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00:00— Question israélo-palestinienne. Clé de compréhension. Un programme d'information pour mieux connaître et comprendre la situation au Proche-Orient.
00:22— Bonjour et bienvenue dans ces clés de compréhension du Moyen-Orient. Vous le savez, on essaye dans ces questions israélo-palestiniennes de vous fournir les moyens de vous faire votre opinion sur ce qui se déroule dans cette région et ce qui se déroule en fait depuis le 7 octobre 2023, puisque c'est évidemment la date clé, la date à partir de laquelle, eh bien, cette question, question qui est dans l'actualité depuis de nombreuses années, mais est revenue au tout premier plan.
00:51— Bonjour, Dany Trom. — Bonjour.
00:53— Vous êtes sociologue, vous êtes directeur de recherche au CNRS. On vous doit notamment l'État de l'exil Israël, les Juifs, l'Europe aux presses universitaires de France.
01:03Alors, le 7 octobre 2023, qu'est-ce que ça représente aujourd'hui, sachant que l'une des principales difficultés, c'est que tout le monde n'est pas d'accord sur ce que signifie cette date ?
01:16— Alors, le 7 octobre a été qualifié de manière diverse et, pour ma part, j'ai approuvé le fait de le qualifier de pogrom.
01:28Alors, ça a été fortement critiqué. Je peux m'expliquer sur la raison pour laquelle il mérite d'entrer dans cette catégorie, bien qu'il y rentre parfois un peu maladroitement.
01:41— Le 7 octobre a été un événement qu'on a eu du mal à appréhender et qui a été néanmoins rapidement perçu.
01:58Alors, là, il y a divers publics. En tous les cas, pour le public juif européen et dans le monde, et pour le public juif israélien également,
02:12comme la manifestation d'une haine, d'un massacre cruel, indifférencié, frappant des Juifs dans une proportion inégalée depuis, disons, la Shoah.
02:27Maintenant, l'objection qu'on peut faire à la définition du pogrom, c'est qu'en principe, le pogrom a été effectivement une manifestation de violence à l'égard des Juifs
02:40de la part d'une population majoritaire, donc à l'égard de la minorité juive, dans un contexte où l'État restait soit indifférent, soit pouvait quelquefois même inciter à la violence.
02:56En principe, il ne peut pas y avoir de pogrom dirigé à l'encontre de l'État d'Israël. Pourquoi ?
03:03La réalisation factuelle du sionisme qui est l'État d'Israël a été construite pour rendre ce type de violence à la fois empiriquement impossible et conceptuellement impossible.
03:16Or, ce qui était pensé comme impossible s'est produit. Alors, il y a pourtant un État, en principe, qui protège les Juifs, qui est l'État d'Israël, qui protège sa propre population juive et dont c'est la vocation.
03:34Alors, qu'est-ce qui ne s'est pas passé comme prévu ou qu'est-ce qui autorise pour vous ce terme de pogrom ?
03:42Alors, ce qui autorise le terme de pogrom, ce sont deux choses. Une, je dirais, plutôt secondaire et une essentielle.
03:52La chose secondaire, c'est le type de violence qui s'est déchaînée dans la région.
03:56Je dis qu'elle est secondaire, bien qu'elle prenne la forme, en réalité, d'une violence indifférenciée, d'une cruauté invraisemblable à l'égard d'une population civile.
04:08Mais, ce qui a imposé le terme de pogrom, c'est la situation dans laquelle la population qui a été l'objet de cette violence était dans une situation d'attente et d'appel au secours,
04:25dans un moment où la fonction de l'État a été suspendue.
04:29Et je dirais, c'est dans la suspension de quelques heures, quelques longues heures, voire d'un ou deux jours, qui a fait surgir cet événement comme étant un événement de nature équivalente à celle de pogrom.
04:48Alors, pourquoi préférer ce terme ? Alors, il y a eu d'autres alternatives qui ont été proposées.
04:52Gilles Kepel a parlé de Razia, par exemple. On a pu évoquer aussi une tentative de génocide, puisqu'il n'y a pas véritablement de doute sur le fait que ce que le Hamas a entrepris a été arrêté par la force des choses dans les conditions que l'on sait.
05:10Mais s'il n'avait pas été arrêté...
05:11Le terme Razia convient de nouveau, sous un certain aspect, sous une certaine face, cela convient.
05:20Mais en réalité, la Razia fait partie d'un monde qui est le monde, disons, des traditionnels, on pourrait dire, des raids qui ont pu se dérouler dans la région.
05:34Là, il ne s'agissait pas simplement de piller, il ne s'agit pas simplement de tuer afin de ramener un butin, il s'agissait d'éradiquer.
05:45Et c'est là que la deuxième définition que vous évoquez est juste.
05:49C'est-à-dire, il y avait, dans le 7 octobre, une intention exterminatrice.
05:56Une intention exterminatrice, de sorte que, pour le public juif, qu'il soit européen, mondial ou israélien,
06:09cette action meurtrière évoquait pour eux celle des Einsatzgruppen sur le front de l'Est.
06:16Est-ce que vous comprenez l'intention du 7 octobre ?
06:22On la voit, elle est génocidaire, mais la logique, je veux dire, le Hamas savait fort bien que la réaction d'Israël serait celle que l'on a observée.
06:34Là-dessus, je pense qu'il n'y a absolument aucun doute que le 7 octobre ait eu une dimension inférieure,
06:40parce qu'on a beaucoup dit que le Hamas avait été surpris par la facilité avec laquelle il avait pu déferler sur Israël, Sderoth et les environs.
06:50Mais sur la logique ou la rationalité de cette action ?
06:54Je pense qu'en réalité, ils ont, on pourrait dire, je ne voudrais pas choquer, mais ils ont été dépassés par leur propre succès.
07:04C'est-à-dire, je pense que ce qui a été mal calculé, parce qu'il y a une rationalité,
07:10mais la rationalité était de faire un certain nombre de dégâts limités.
07:14Mais en réalité, ils ont été eux-mêmes débordés par leur succès, par la possibilité de pénétrer si profondément à l'intérieur du pays,
07:24de pouvoir s'adonner à leur massacre sans qu'une résistance suffisante ne puisse s'organiser.
07:31On peut dire, d'une certaine manière, qu'à leur propre surprise, c'est-à-dire le succès inattendu de cette opération,
07:40a eu pour conséquence la réaction féroce de l'État d'Israël.
07:46J'ai réfléchi à cette hypothèse d'Anitron, et si par exemple, le 7 octobre avait eu des conséquences moindres,
07:54s'il y avait eu moins de victimes, aucun État, israélien ou pas, ne peut laisser ses frontières violées,
08:00sa population massacrée. Il y a eu, par exemple, le 11 septembre, avec les conséquences que l'on sait.
08:06Est-ce qu'il n'y a pas, par exemple, une dimension millénariste ?
08:09Le millénarisme, comme on le sait, c'est l'idée qu'il faut accompagner la fin du monde.
08:16Est-ce qu'il n'y avait pas une vocation, dans cette action, d'embraser une région tout entière, et à cet égard ?
08:24Bien entendu, il y a une espèce de pensée millénariste du côté de Hamas,
08:29mais en réalité, il faut regarder les choses aussi de manière pragmatique.
08:33Ce qu'il fallait empêcher là, c'était l'accord avec l'Arabie saoudite.
08:36Il y avait des objectifs qui étaient relativement rationnels.
08:40Ce qui a été la surprise...
08:42C'est-à-dire empêcher les accords d'Abraham ?
08:44Les empêcher, les saboter les accords d'Abraham, et donc remettre la question palestinienne au cœur de la discussion,
08:53alors que les accords d'Abraham tendanciellement marginalisaient la question palestinienne.
08:58Donc là, il y a un objectif qui est rationnel.
09:00Quand on dit rationnel, ça veut dire qu'il y a une logique, ça ne veut pas dire...
09:02Il y a un but.
09:03Ça ne veut pas dire, bien entendu, qu'il est approuvé.
09:05Bien entendu, il est compréhensible, on le comprend rationnellement, même si on trouve que l'objectif est mauvais.
09:14Ou les moyens, surtout.
09:15Pour prendre votre question, je pense que c'est le fait d'avoir été débordés par leur propre succès,
09:26et donc d'avoir pu, et ça, bien entendu, la rage destructrice a révélé quelque chose de la nature profonde de ce mouvement
09:36qui consiste à littéralement détruire les Juifs et l'État d'Israël.
09:44Oui, témoins d'une haine absolue.
09:45D'une haine absolue.
09:46Mais, du coup, le 7 octobre a eu pour caractéristique qu'Israël a été atteint dans sa propre définition et dans sa propre raison d'être.
09:59Et si on ne comprend pas cela, on a du mal à comprendre la réaction de l'État d'Israël à cette attaque violente.
10:08Et si cela avait été limité, s'il y avait eu le kidnapping de quelques, voilà, de quelques citoyens israéliens,
10:16on se serait peut-être retrouvé dans la situation de Gilad Chalit, où, pour finir, ce soldat a été échangé contre 1000 prisonniers.
10:25Or là, ce qui fait événement dans l'événement du 7 octobre, c'est la faille de l'État d'Israël dans la définition qui lui est constitutive.
10:37L'autre dimension importante, et ça, c'est par exemple un philosophe qui était également un sage talmudique,
10:46Yeshiaou Lebovitch, qui le disait, alors il avait des formules très polémiques,
10:50mais il disait que l'État d'Israël, loin de protéger les Juifs, les exposait.
10:55Quand vous avez donné votre point de vue sur la notion même de pogrom pour le 7 octobre,
11:00on voit que, en tout cas, de toute évidence, jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale,
11:07autant de Juifs n'avaient été massacrés en tant que Juifs.
11:14Très précisément, la formule de Lebovitch était, d'une certaine manière, erronée jusqu'au 7 octobre.
11:22Parce que le fait que des citoyens, des Juifs, devenus dans le processus de nationalisation israélien,
11:32des citoyens israéliens, qu'ils soient exposés à la mort, ils le sont politiquement.
11:39Ils sont exposés politiquement à la mort, au sens où ils sont citoyens d'un État et qu'ils le défendent.
11:47Ils ne sont plus exposés avec cette vulnérabilité qui était celle des Juifs,
11:54dès lors qu'ils vivaient comme une minorité, avant que l'État n'existe.
11:59Maintenant, effectivement, l'expérience du 7 octobre,
12:05et c'est pour ça que c'est un événement considérable pour le monde juif,
12:08c'est que la formule de Lebovitch reprend une certaine vigueur et une certaine vérité.
12:16En quel sens ?
12:18En réalité, depuis la Seconde Guerre mondiale,
12:22le monde juif a été complètement bouleversé par deux choses.
12:28D'abord par la Shoah, qui est la destruction totale.
12:33Et donc la conscience que les Juifs forment un reste.
12:37Les Juifs se pensent eux-mêmes comme un reste,
12:40quelle que soit la manière d'être juif, on sait toute la diversité.
12:44Les Juifs se pensent comme un reste,
12:48on peut dire par parenthèse que c'est la définition même des Juifs selon la tradition.
12:54On dit « le reste d'Israël, scheherit Israël ».
12:57Je mets ça de côté.
12:58Et la deuxième chose, c'est la naissance d'un État qui porte le nom juif.
13:03Vu d'aujourd'hui, ce sont presque deux événements concomitants.
13:09Ils sont très proches l'un de l'autre.
13:11Or ces deux choses, destruction totale et vie politique nouvelle, de type juif,
13:18ce sont deux choses que les Juifs ont pensées,
13:24qu'ils soient traditionnels ou pas.
13:26Mais en tous les cas, la matrice de la tradition rendait ces deux choses tout à fait impensables.
13:32Impensables et improbables.
13:35Et donc, le monde juif est rentré dans une grande crise.
13:39et une grande crise liée à accompagnée d'une homogénéisation du monde juif.
13:47Tout le monde s'est compris comme un reste.
13:50Tout le monde s'est senti comme potentiellement ciblé.
13:54Et tout le monde doit faire avec, qu'il le veuille ou pas,
13:58qu'il soit sioniste, anti-sioniste, critique ou pas,
14:01doit faire avec un État qui porte le nom juif.
14:05Ça a homogénisé notre monde.
14:09Et c'est sur ce fond qu'il faut essayer de comprendre ce qui s'est passé le 7 octobre.
14:14Mais alors, ça c'est intéressant parce que depuis le 7 octobre,
14:17cette homogénéisation que vous évoquez, elle s'est renforcée.
14:20Alors moi, je rajouterais un événement à ces deux événements que vous avez évoqués d'Anitrom.
14:26L'autre événement qui me paraît majeur et qui est toujours occulté,
14:29c'est la fin de la vie juive dans les pays arabes.
14:34Il y avait un million de juifs qui vivaient dans les pays arabes avant la Seconde Guerre mondiale.
14:40À l'issue des décolonisations, plus aucun ne sont restés.
14:45Certains ont reçu immédiatement l'injonction, le billet de départ ou le cercueil.
14:52En Égypte, par exemple, d'autres éventuellement auraient pu rester au Maroc.
14:55Mais au final, la situation est la même.
14:57Et donc, il n'y a plus finalement d'existence diasporique qu'en Europe.
15:02Celle-ci est résiduelle, comme dit l'autre.
15:06Et le fait que le 7 octobre assimile, j'allais dire, la totalité des juifs,
15:11en tout cas dans les injures qui leur sont adressées comme sionistes,
15:16fait qu'il y a de plus en plus une identification du fait juif avec un fait national.
15:22Alors, il y a deux questions distinctes.
15:25Il y a la question des juifs des pays arabes, en tous les cas les juifs d'Orient.
15:31Alors là, sur ce sujet, je pense qu'il y a un phénomène, disons, historico-culturel qui a une certaine constance.
15:41Prenez un événement ancien, l'expulsion des juifs d'Espagne,
15:45qui est un des grands traumatismes de l'histoire juive.
15:51De l'histoire espagnole aussi.
15:53De l'histoire espagnole, semble-t-il, puisque aujourd'hui, il souhaite les voir revenir.
15:58Ce qui est intéressant à observer, c'est que les juifs espagnols,
16:03donc les sfaradims qui sont arrivés dans des communautés
16:08qui n'ont pas du tout connu la même histoire des communautés,
16:12qui étaient en Bulgarie, en Turquie, dans d'autres endroits,
16:16se sont identifiés et se sont assimilés aux expulsés,
16:21qui avaient un niveau, disons, je ne peux pas utiliser des termes désobligeants,
16:26mais enfin, qui avaient une espèce d'hégémonie culturelle,
16:29qui fait qu'en réalité, tout le monde s'est compris comme expulsé d'Espagne.
16:32Et ce qui s'est passé avec, et ce qui se passe avec les juifs du monde arabe
16:41qui sont partis ou qui ont été expulsés pour une grande part vers l'État d'Israël,
16:48c'est que là aussi, il y a eu un phénomène, on pourrait dire, d'assimilation
16:52où l'expérience, disons, de la Shoah traverse également
16:59ceux qui ont été, disons, épargnés à proprement parler de cet événement.
17:07Et donc, il y a une espèce d'homogénéisation en ce sens,
17:12bien qu'ils aient leur histoire spécifique.
17:15L'autre volet, c'est l'assimilation de la totalité des juifs à des sionistes,
17:20et donc, finalement, à des Israéliens.
17:23Là, ce que je répondrai à ça, c'est que nous avons particulièrement en France
17:28cette habitude que je crois très utile, mais en même temps fausse,
17:35qui consiste à dire, parce que là, vous venez sur le sujet
17:39de la manière dont les juifs, ici en France, ou en Europe en général,
17:42ou dans le monde, sont traités de sionistes,
17:46comme s'il s'agissait d'une insulte.
17:48Je crois que dans l'utilisation qui en est faite, c'en est une.
17:52Je pense que soit ils ne connaissent pas la définition du terme,
17:55soit le terme lui-même s'efface derrière l'insulte,
17:59et on ne sait plus très bien de quoi on parle.
18:02Alors, là, je pense que nous disons en France, souvent,
18:06c'est notre... il ne faut pas importer le conflit.
18:10C'est la République, etc.
18:12C'est une expression qui est...
18:13On l'entend tout le temps.
18:15Or, le problème n'est pas l'importation du conflit.
18:19Le problème, c'est...
18:21L'intrication de divers publics à l'intérieur même du développement du conflit.
18:33Nous sommes intriqués dans ce conflit.
18:35Alors, comment les juifs le sont ?
18:38Et c'est quand même très simple.
18:42Les juifs sont intriqués dans ce conflit
18:45et sont, disons, sionistes,
18:49dans un sens qu'on ne va pas définir,
18:51mais que je vais tenter de faire.
18:53Ils sont sionistes dans un sens assez élémentaire,
18:57dans leur grande majorité.
18:59Même ceux qui sont, souvent, se déclarent anti-sionistes,
19:02ou très peu sionistes.
19:04Ils sont sionistes dans le sens que j'ai dit tout à l'heure.
19:09Il existe désormais un État qui porte le nom juif
19:13et qui remplit une fonction.
19:17Cette fonction est indépendante de son comportement,
19:21indépendante de son gouvernement,
19:24indépendante de toutes les péripéties et des guerres
19:27qui ont traversé sa courte histoire.
19:30Cette fonction consiste dans l'existence
19:37d'un centre juif supplémentaire
19:40qui a un caractère étatique.
19:43Ayant ce caractère étatique,
19:46il s'inscrit dans l'ensemble de la configuration exilique,
19:50pourrait-on dire,
19:51dans la configuration des juifs dispersés,
19:54non pas pour abolir l'exil,
19:57mais pour figurer le point de protection
20:02qui a été nécessaire
20:05dans la situation, disons,
20:09qu'on peut qualifier globalement de post-choa.
20:12Mais alors, l'autre élément qui me frappe...
20:15Sioniste en ce sens.
20:16L'autre élément qui me frappe,
20:18Danitrom,
20:18c'est le fait que ce qui a suivi le 7 octobre,
20:23autrement dit,
20:24la manière dont la réplique israélienne s'est construite,
20:28et notamment vis-à-vis de Gaza,
20:31eh bien tout cela tend à avoir effacé,
20:34en tout cas pour une partie de l'opinion publique,
20:37le 7 octobre,
20:39la compassion vis-à-vis des Israéliens
20:41a existé à l'origine,
20:46et elle est devenue de plus en plus restreinte,
20:50jusqu'à quasiment mettre...
20:52Moi, je vois dans beaucoup de lettres que je reçois,
20:56récemment, une auditrice m'a dit
20:59« Je suis très en colère contre Israël
21:02depuis le 7 octobre. »
21:04Ce qui est le signe.
21:05Je crois qu'elle faisait référence, évidemment,
21:07à la manière dont les Israéliens ont répliqué,
21:09mais elle aurait pu dire « Je suis en colère
21:11depuis le 8, 9, 10 octobre, que sais-je. »
21:14Non, depuis le 7 octobre.
21:16Eh bien, je pense que le lapsus est intéressant.
21:20C'est-à-dire qu'il me semble que,
21:25et dans notre revue, qui s'appelle « K »,
21:27« Les Juifs, l'Europe, le XXIe siècle »,
21:29dès le lendemain du 7 octobre,
21:33il était parfaitement prévisible,
21:35d'abord que la réplique israélienne serait disproportionnée.
21:42Et je le dis d'abord pour indiquer
21:46qu'il n'y a personne qui peut rester indifférent
21:50devant la destruction de Gaza
21:52et les souffrances causées,
21:55les dommages énormes causés à cette population.
21:58Mais, il était prévisible,
22:05et cette prévision s'est avérée
22:08peut-être encore davantage réelle
22:12que nous l'avions pensée.
22:16Israël a été accusé de génocide
22:21avant même que la réplique ne survienne.
22:28Avant même qu'elle n'ait débutée.
22:30Alors, il y a là un problème
22:33qui est le même problème que « Juifs sionistes »
22:38et qui est une perception
22:40de l'État d'Israël par divers publics
22:43et pour diverses raisons,
22:45mais qui vont converger
22:46comme étant en réalité
22:51un État génocidaire,
22:54c'est-à-dire un État criminel.
22:55Et cette criminalisation de l'État d'Israël,
22:59elle est liée à plusieurs choses.
23:01Elle est liée pour une partie
23:03de ceux qui alimentent ce regard
23:06sur l'État d'Israël
23:07par, disons,
23:11la situation post-coloniale
23:13dans laquelle nous nous trouvons
23:14et où, là aussi,
23:16se jouent beaucoup plusieurs choses,
23:19mais il y a quand même cette idée
23:21que, pour finir,
23:22l'État d'Israël est le dernier bastion
23:24du colonialisme qu'il faut abattre
23:26et que les Juifs étant
23:28attachés à cet État
23:30dans le sens que je dis,
23:32c'est-à-dire attachés à son existence
23:34et non pas à sa politique,
23:35la distinction est très importante,
23:38cette critique va jusqu'à naturellement
23:41vouloir éliminer cet État
23:43en tant qu'État existant
23:44et non pas critiquer sa politique
23:47en tant qu'elle peut être,
23:49en l'occurrence, criminelle.
23:51Bien sûr.
23:51Parfois, comme la politique
23:53de n'importe quel État.
23:55Il y a un autre public
23:56et qui est un public,
23:59disons, plus européen,
24:01pour qui, en réalité,
24:03la Shoah pèse énormément.
24:05Et cette charge qui pèse
24:08sur les consciences européennes
24:10est à double tranchant.
24:12Elle génère une sympathie spontanée
24:15à l'égard de l'État d'Israël
24:18qui a été quand même
24:19l'état du refuge des rescapés.
24:24Et elle tend aussi
24:26à vouloir faire des victimes
24:28des bourreaux,
24:29donc à inverser la situation
24:31pour, on va le dire,
24:34de manière très courte,
24:35se soulager de sa propre,
24:38son propre sentiment de culpabilité.
24:40Moi, ce qui me frappe,
24:41Danny Trom,
24:42c'est, en quelque sorte,
24:44en conclusion,
24:46l'une des singularités
24:47de cette région
24:49et du conflit israélo-palestinien,
24:51c'est la réversibilité
24:54des récits.
24:56C'est-à-dire qu'on peut très bien
24:57raconter cette histoire
24:58depuis la Shoah,
25:00peut-être même antérieurement
25:02à la Shoah,
25:02avec le Yishuv,
25:03autrement dit,
25:04la première colonie de peuplement,
25:06peut-être même antérieurement
25:07avec la Bible.
25:09Et puis, on peut aussi raconter
25:11l'histoire à partir de la Nakba,
25:13c'est-à-dire la création d'Israël
25:15perçue comme une catastrophe
25:16du côté palestinien,
25:18les différentes guerres
25:19et ses conséquences,
25:21les frontières de 67,
25:22etc., etc.
25:24Et le 7 octobre,
25:25c'est exactement la même chose.
25:26C'est une date qui est justiciable
25:28de deux récits
25:29qui sont deux récits
25:31aujourd'hui,
25:32en apparence en tout cas,
25:33irréconciliables.
25:35Je ne pense pas.
25:37Je ne pense pas qu'ils soient...
25:38Ce ne sont pas les récits
25:40qui sont irréconciliables.
25:43Je pense qu'il n'est pas
25:44si difficile de se mettre d'accord
25:47sur, disons,
25:49les éléments objectifs,
25:51les éléments historiques.
25:52On peut très bien étudier
25:55à la fois ce que les Israéliens
25:59appellent la guerre d'indépendance
26:00et la Nakba.
26:01Les deux sont parfaitement liés.
26:03Ce sont deux manières
26:03de nommer le même événement.
26:07Par contre,
26:09c'est l'intention des acteurs,
26:14c'est l'intentionnalité historique
26:16et l'imputation des...
26:19Alors, de l'intention
26:20et l'imputation des responsabilités
26:22là qui donnent effectivement
26:24des choses très différentes.
26:25Et c'est ça qui pose problème.
26:27Je vous donne un exemple précis.
26:29Nous avons tous les deux considéré
26:30comme acquis que l'intention
26:32des Palestiniens du Hamas
26:36était génocidaire.
26:37C'est ce que vous pensez,
26:38c'est ce que je pense.
26:39De l'autre côté...
26:40C'est ce qu'ils pensent aussi.
26:42C'est ce qu'ils déclarent.
26:43Je peux vous donner une liste de gens
26:44qui ne le considèrent pas.
26:46J'ai deux ou trois exemples
26:48d'universitaires
26:49qui estiment que ça n'est pas avéré,
26:52que ça n'est pas précis,
26:53que ça n'est pas documenté.
26:55Donc, que les faits...
26:56Parce qu'on pourrait espérer
26:57qu'on se mette d'accord sur les faits.
26:59Eh bien non.
26:59Même là-dessus,
27:00on n'est pas d'accord.
27:02Et puis, de l'autre côté,
27:02il y a évidemment le récit
27:03sur la dimension génocidaire.
27:05Je ne parle pas d'actes...
27:07de crimes contre l'humanité,
27:10de crimes de guerre, etc.
27:12Du côté israélien
27:13perpétré à Gaza.
27:14Je parle de génocide.
27:15Et là aussi, évidemment,
27:17tout le monde n'est pas d'accord.
27:19Peut-être que vous,
27:20vous ne seriez pas d'accord
27:21pour qualifier de génocidaire
27:23la politique menée
27:25par l'armée israélienne à Gaza.
27:26Écoutez, cette réplique israélienne,
27:31elle a pour but,
27:32pour rationalité,
27:33de la même manière que l'autre camp
27:35a une rationalité.
27:37En fait, c'est le rétablissement
27:38de la dissuasion.
27:40C'est le rétablissement
27:41de la dissuasion.
27:43Écoutez ce qui se dit,
27:45ce qui s'est dit
27:46de manière constante en Israël.
27:49le 7 octobre,
27:51a ébranlé
27:54le fondement de l'État.
27:57Et ébranler le fondement de l'État,
27:59ça veut dire ébranler
28:00le sentiment de sécurité,
28:02de vivre à l'intérieur des frontières.
28:04Cela doit être rétabli.
28:06Ça a été toujours la politique israélienne.
28:08Et la politique israélienne
28:10a toujours assumé
28:11la disproportion
28:13dans le rétablissement
28:15de la dissuasion.
28:16Maintenant,
28:17ce qui s'est fait à Gaza
28:19avec une grande brutalité,
28:22je pense,
28:24n'a jamais visé.
28:26Et le gouvernement,
28:27malgré des voix dissonantes
28:29qui, sous le coup de l'émotion
28:31ou sous le coup d'une extrême droite
28:33complètement désinhibée,
28:38le gouvernement a toujours voulu
28:40distinguer population civile
28:42et combattant.
28:44Et je voudrais ajouter
28:45que nous sommes maintenant
28:46à près de deux ans
28:51du début de cette guerre,
28:54enfin un an et demi
28:55en tous les cas,
28:57et que nous sommes à un bilan
28:59de 50 000 morts
29:00dont on ne sait pas exactement
29:03quelle est la proportion
29:04de victimes innocentes civiles
29:07et de combattants tués.
29:09On n'en connaît pas la proportion.
29:10Ce chiffre représente
29:14à peu près deux jours de gazage
29:18en 1943 à Birkenau,
29:23au bout d'un an et demi de guerre.
29:24Si les Israéliens étaient des génocidaires,
29:28je pense que la bande de Gaza
29:30aurait été probablement complètement
29:32éradiquée en une semaine
29:34parce qu'Israël a la puissance militaire
29:36de le faire.
29:37Je pense qu'on se trompe
29:38dans cette année de ceux
29:41qui le qualifient
29:42de génocide se trompe.
29:44En tous les cas,
29:46si on prend génocide
29:47dans le sens historique
29:49que nous voulons assumer,
29:52si on le prend
29:52dans le sens strictement
29:54juridique
29:55d'une intention
29:56qu'on impute
29:58et qui pourrait
29:58de ne pas prendre
29:59toutes les mesures
30:00pour éviter,
30:01naturellement,
30:02la porte est ouverte
30:04à voir des génocides
30:05partout, tout le temps.
30:08Merci beaucoup,
30:08Tani Trom.
30:09Je rappelle que vous êtes
30:10sociologue,
30:12directeur de recherche
30:12au CNRS,
30:14L'État de l'exil,
30:15Israël, les Juifs,
30:16l'Europe.
30:17C'est le livre
30:18que vous avez publié
30:19aux presses universitaires de France.
30:21À très bientôt
30:22pour ces clés de compréhension
30:24du Moyen-Orient,
30:25questions israélo-palestiniennes.
30:34Sous-titrage Société Radio-Canada
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