Pour faire de nouvelles économies, le ministre de l'Economie Éric Lombard, a affirmé hier vouloir engager une "baisse du nombre de fonctionnaires" en France. Est-ce une urgence ? Comment procéder ? Émilie Agnoux, experte à la Fondation Jean Jaurès et cofondatrice du think tank Le sens du service public, est l'invitée pour tout comprendre de RTL Soir.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 09 juin 2025.
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00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:04Bonsoir Emilia Agnew, vous êtes experte à la fondation Jean Jaurès, cofondatrice de Think Tank, le sens du service public.
00:10Le ministre de l'économie, Eric Lombard, veut engager la baisse du nombre de fonctionnaires pour faire des économies.
00:15Il a raison, c'est une urgence ?
00:17Si vous voulez, on a l'impression que ce sujet revient en permanence dans le débat public.
00:24Ce qui est certain, c'est que le gouvernement a une urgence, qui est celle de boucler son budget.
00:28Et on voit bien qu'il est dans une impasse budgétaire, mais surtout dans une impasse politique.
00:32Et c'est bien ça la problématique, c'est qu'on voudrait nous faire croire que la question, par exemple, du nombre de fonctionnaires
00:37est une question uniquement technique, technocratique, bureaucratique, alors que c'est une question éminemment politique
00:42et que d'autres choix peuvent être faits.
00:45Et donc là, on voit effectivement qu'on nous resserre chaque semaine la même recette,
00:50où on lance des ballons d'essai pour voir si une des propositions réussira dans le débat public.
00:55Et le problème, c'est que malheureusement, les fonctionnaires pourront moins réagir,
00:59parce qu'ils ont notamment le devoir de réserve, que d'autres professions qui ont eu à se faire entendre ces dernières semaines.
01:04Mais quand même, selon l'INSEE, 5,8 millions d'agents travaillés dans la fonction publique à la fin de l'année 2023,
01:11c'est 62 000 de plus qu'en 2022, 300 000 de plus qu'en 2010.
01:17Comment expliquer que les fonctionnaires sont toujours de plus en plus nombreux dans notre pays ?
01:22Alors, ce qu'il faut dire, c'est que le nombre de fonctionnaires par rapport à l'emploi total,
01:27il est resté relativement stable.
01:29Sur les 20 dernières années, on est autour de 20%.
01:32Il était à 22% en 1989.
01:34Donc, vous voyez, quand on prend certaines dates de référence tout de suite, ça change un petit peu la focale.
01:39Et bien évidemment, le nombre de fonctionnaires, alors qu'ils soient agents publics titulaires ou contractuels,
01:44il évolue sous l'effet de l'évolution de la population.
01:46Et on a connu une croissance démographique.
01:48Mais aussi des besoins de la population, par exemple, en matière de sécurité,
01:52en matière de violences sexistes et sexuelles, en matière d'écologie,
01:55de lutte contre l'évasion fiscale.
01:57Bref, il y a tout un tas de sujets sociaux à prendre en compte.
02:00Et bien évidemment, les agents publics sont là pour y répondre.
02:02Et donc, vous nous dites ce soir sur RTL,
02:04on a vraiment besoin d'augmenter le nombre de nos fonctionnaires ?
02:07C'est ce que j'entends dans votre prise de parole.
02:09En tout état, de cause, ce que font les employeurs publics depuis des années,
02:13c'est d'essayer de recruter avec des politiques d'attractivité,
02:16ce qui explique d'ailleurs probablement une remontée des effectifs sur l'année dernière,
02:21parce qu'il y a des besoins.
02:22Je vais vous prendre juste cet exemple.
02:24Depuis 2005, le nombre d'enfants en situation de handicap qui sont accueillis à l'école,
02:27il est passé de 150 000 à 478 000 en 2023.
02:32C'est énorme.
02:32Et c'est heureux d'ailleurs que ces enfants soient accueillis en institution scolaire.
02:36S'ils sont bien accueillis et qu'il faut les accompagner,
02:38ce qui nécessite énormément de personnes.
02:40Et voilà, juste cet exemple des accompagnatrices, on appelle ça des AESH,
02:44il nous en manque un peu plus de 3 000 aujourd'hui dans les écoles.
02:47Et vous trouvez ça sur tout un tas de pans de politiques publiques.
02:52Donc, ce qu'il faut vraiment regarder derrière,
02:54c'est quelle politique on veut mener, à quel public on veut s'adresser,
02:58quels besoins sont à adresser, et puis surtout, qui doit y répondre.
03:00Parce que si ce ne sont pas des agents publics qui répondent à ces besoins-là,
03:03soit ce sont des agents privés, il faudra bien que quelqu'un les paye,
03:07soit ce sont des besoins qui ne seront pas couverts.
03:09Et à ce moment-là, il faut l'assumer devant les Françaises et les Français.
03:12Il y a peut-être de la marge dans tout ce qui est organisations centrales,
03:17collectivités qui ne sont pas, comme vous veniez de le dire,
03:20les collectivités locales, avec à chaque fois ces personnes
03:24qui s'occupent d'enfants handicapés.
03:25Est-ce qu'on peut tailler ailleurs au niveau du nombre de fonctionnaires,
03:28aujourd'hui ?
03:29Alors là, c'est vraiment une question démocratique,
03:32et ça nécessiterait bien évidemment de ne pas être traité dans l'urgence,
03:35et d'avoir un débat pour savoir à quoi servent les effectifs d'agents publics.
03:40Dans les collectivités locales, ça répond essentiellement à des besoins locaux.
03:43Et d'ailleurs, ce n'est pas pour rien si dans les enquêtes d'opinion,
03:46on en fait régulièrement avec notre think tank,
03:47les politiques et les administrations locales sont les plus plébiscitées
03:52par les Françaises et les Français.
03:53Donc c'est bien que ça répond à un besoin,
03:55alors même qu'on note quand même une déshumanisation de notre société,
03:57une déshumanisation de la relation de service public,
04:00et qu'on a besoin de ces fonctionnaires.
04:02Après, il faudra pouvoir regarder, effectivement,
04:07administration par administration, s'il y a des efforts à faire.
04:09Mais en tout état de cause, ça ne répondra absolument pas
04:12à l'enjeu budgétaire qui est devant nous aujourd'hui.
04:14On est bien d'accord que pour l'instant,
04:15on en est juste aux arbitrages suggérés par Bercy.
04:18C'est-à-dire qu'il n'y a pas de décision prise par l'État français.
04:21Non, d'ailleurs, c'est intéressant.
04:22Chaque semaine, on a des ministres qui viennent nous donner des chiffres
04:25sans savoir précisément ce qu'il y a derrière.
04:29On a eu ça, par exemple, sur les opérateurs de l'État,
04:32où la ministre Monchalin nous a annoncé un tiers des opérateurs
04:35qui seraient supprimés.
04:37Et on voit que la commission d'enquête sénatoriale
04:39qui travaille très sérieusement sur cette question,
04:40plus elle creuse la question et plus elle voit que les missions sont nécessaires.
04:44Après, la question est de savoir qui remplit ces missions-là,
04:47mais que, là encore, les économies budgétaires
04:49ne seront pas du tout à la hauteur de ce qui a été annoncé par les ministres.
04:52Si nous ne faisons pas des choix maintenant,
04:54ce seront nos créanciers pour le FMI qui nous les imposeront.
04:58Ces propos sont ceux de la ministre des Comptes Publics, hier, dans le JDD.
05:02C'est la première fois qu'un membre du gouvernement
05:04évoque aussi clairement une mise sous tutelle de la France.
05:07Est-ce que c'est du théâtre, de la dramaturgie, pour le coup, d'après vous ?
05:10On cherche à se faire peur pour faire des économies, là ?
05:13C'est vrai que la situation des finances publiques peut légitimement inquiéter,
05:19mais elle est d'abord le fruit de choix politiques passés
05:22qui ont consisté à réduire notamment les recettes budgétaires de l'État.
05:27La Cour des comptes a estimé en 2023 que c'était l'équivalent chaque année,
05:30enfin en 2023, de 62 milliards d'euros.
05:32Aujourd'hui, on cherche 40 milliards d'euros d'économies,
05:36donc on voit bien évidemment que nous sommes bien évidemment tributaires de ces choix passés.
05:41Après, on voit aussi que la rhétorique politique,
05:43elle sert très concrètement à essayer de faire passer la pilule auprès des Français.
05:47Donc, toutes les exagérations, rhétoriques, les figures de style vont être mobilisées.
05:51Jamais la pilule, depuis que je suis journaliste, on prétend qu'on doit faire 3% par an.
05:55Et cette année, on a un déficit budgétaire de 5,6%.
05:57Alors, soit on est rentré dans un jeu de théâtre absolument incroyable,
06:01soit il y a un problème de rigueur dans notre pays, non ?
06:07Ce qui est certain, c'est qu'on a un problème de méthode politique.
06:10C'est-à-dire qu'on n'a pas de vision pluriannuelle du budget,
06:14des besoins, des impacts des décisions politiques qui sont prises.
06:18Et donc, chaque année, à la va-vite, il faut trouver des économies,
06:22demander aux administrations de faire ces économies-là.
06:24Et moi, je trouve que c'est un problème démocratique majeur.
06:26Ça devrait être, bien évidemment, un débat démocratique qui devrait avoir lieu au Parlement,
06:30mais aussi avec l'ensemble des Françaises et des Français.
06:32Et donc, là aussi, comme le Président de la République avait invité les Français
06:37à se prononcer sur un certain nombre de sujets,
06:39lançons des grandes concertations, non pas un référendum,
06:41mais des conventions citoyennes pour débattre des besoins,
06:44de qui doit les prendre en charge et surtout, comment on les finance.
06:47Merci beaucoup, Émilie Agnew.
06:48Vous êtes experte associée à la Fondation Jean Jaurès,
06:51cofondatrice, je le rappelle, du Think Tank, Le sens du service public.
06:54Et je renvoie à votre livre,
06:55Puissance publique contre les démolisseurs d'État,
06:58paru aux éditions de l'Aube.
06:59Dans un instant, un homme qui ne démolit rien,
07:01à part la mauvaise humeur et l'amorosité,
07:03Marc-Antoine Lebray sera avec nous pour son Breaking News.