Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte Senda Berenson Abbott (1868-1954), la mère du sport collectif féminin aux États-Unis, et celle du basketball féminin en particulier. Une sportive à qui l’on doit le tout premier match de basket féminin organisé le 22 Mars 1893. Retrouvez "Dans l'intimité de l'Histoire" sur : http://www.europe1.fr/emissions/dans-lintimite-de-lhistoire
00:00 Mais avant cet affrontement avec elle, je lui laisser la parole.
00:04 Clémentine Portier-Kaltenbach nous raconte des histoires dont elle seule a le secret.
00:08 Et aujourd'hui Clémentine, comme nos personnages du jour, elle aussi était bien dans ses baskets.
00:15 Vous nous racontez le destin de Senda Behrensen à bottes à l'origine du tout premier match de basket féminin organisé aux Etats-Unis en 1893.
00:24 Oui Stéphane, vous allez le voir, bien dans ses baskets, elle ne l'était pas tant que ça, parce qu'elle n'avait aucune disposition pour le sport.
00:31 Et c'est ça qui est beau dans l'histoire de Senda Behrensen à bottes.
00:35 Elle naît en Lituanie le 19 mars 1868, alors elle ne s'appelle pas du tout à bottes, elle s'appelle Varvrogensky.
00:44 J'ai même du mal à le dire.
00:46 On va l'appeler à bottes.
00:47 Elle appartient à une famille juive lituanienne qui vient en Amérique pour chercher une vie meilleure.
00:53 Le père part en 1874 et sa famille le rejoint par la suite.
00:57 Et lui, il est à fond pour l'intégration dans la culture américaine.
01:03 Il ne veut plus s'appeler Varvrogensky, il prend le nom de Behrensen, il interdit l'usage du russe et du yiddish sous son toit.
01:10 Ils vont tous devenir américains.
01:12 Senda est déjà une petite fille lorsqu'elle vient de Lituanie, elle a 7 ans.
01:16 Mais elle n'est pas une enfant comme les autres.
01:19 Et c'est ce en quoi son destin est particulièrement extraordinaire.
01:22 C'est que c'est une enfant frêle, anémique.
01:26 Elle est tellement fragile qu'on ne peut pas la scolariser.
01:28 Donc sa mère lui fait l'école à la maison.
01:31 Bon, elle a quand même semble-t-il un don pour la musique, alors on la met au piano.
01:35 Et on l'inscrit un temps au conservatoire de Boston.
01:38 Mais bientôt, elle ne peut même plus faire de piano parce que la posture assise lui est tellement pénible.
01:44 Elle souffre tellement du dos qu'elle doit renoncer au piano.
01:48 Et les choses ne s'arrangent pas avec les années.
01:50 Elle est devenue majeure, elle est toujours aussi fragile.
01:53 Elle sombre dans la dépression parce qu'elle ne peut rien faire en fait.
01:56 Elle souffre de se sentir complètement impotente.
02:00 Qu'est-ce qu'elle va faire ?
02:02 Quand vous êtes comme ça, si fragile, vous avez mal au dos.
02:05 Alors elle se dit "je pourrais peut-être enseigner éventuellement".
02:08 Or, il se trouve, et c'est sa chance, c'est que dans un pays neuf comme les Etats-Unis,
02:13 pratiquement toutes les villes ont une école normale d'instituteurs, d'institutrices.
02:16 Il faut des enseignements, il faut regarder l'histoire de Marine Galles qu'on a raconté l'autre jour.
02:23 Il faut des institutrices un peu partout.
02:25 Donc elle se dit "ben voilà, je vais devenir professeure".
02:28 Et qu'est-ce qu'elle choisit comme discipline ?
02:30 On se dit "elle va peut-être apprendre la couture ou le latin".
02:33 Ben pas du tout, elle choisit la gymnastique, figurez-vous.
02:36 Alors qu'elle est complètement coincée du dos.
02:39 Mais elle se dit "ben, comme ça j'aurai un diplôme,
02:42 et puis si je m'oblige à faire de la gymnastique pour devenir prof de gymnastique,
02:45 ben je vais peut-être réussir à me requinquer un peu, à prendre des forces".
02:49 Bon, à l'époque, l'enseignement de la gymnastique pour les filles, c'est pas terrible.
02:53 Alors qu'est-ce qu'on pratique ? Ce qu'on appelle la calisténie.
02:56 Qu'est-ce que c'est que la calisténie ?
02:58 En gros, c'est les mouvements pour des femmes.
03:00 C'est-à-dire, on se dit que les femmes, bien sûr, ne peuvent pas faire de la gym comme les hommes.
03:04 Les pauvres petites, il faut faire une gymnastique adaptée aux femmes.
03:08 Une gymnastique un peu douce.
03:10 Alors il y a aussi un truc qui est très à la mode.
03:12 À l'époque, ça s'appelle les mouvements d'El Sart.
03:14 C'est-à-dire, on explore le pouvoir expressif du geste.
03:17 Alors là où les hommes font des pompes, où les femmes, elles se déploient en faisant des gestes un petit peu esthétiques.
03:25 Et puis, il y a aussi, ce qui marche très bien, c'est la gymnastique suédoise.
03:29 Alors là, la gymnastique suédoise, c'est une gymnastique médicale
03:33 qui, pense-t-on, redonnerait une fonction normale aux muscles affaiblis ou paralysés
03:39 et redresserait les déviations et les déformations du squelette.
03:42 Ça, c'est un truc pour notre Zenda Berenson à bottes et ses problèmes de dos.
03:46 Elle se dit "moi, la gymnastique suédoise, c'est pour moi".
03:49 Et c'est pour ça d'ailleurs, que le directeur de l'école normale de gymnastique l'apprend.
03:54 En se disant "bon, elle n'est pas bien vigouce, cette jeune fille, mais enfin,
03:58 on va voir si ça marche, la gymnastique suédoise avec elle".
04:01 Parce que si on arrive à la retaper, c'est que c'est vraiment efficace.
04:04 Donc, la voilà, dans l'école normale de gymnastique.
04:09 Et c'est très concluant parce qu'elle retrouve une certaine vigueur.
04:12 Et là, elle reçoit sa première affectation, département d'éducation physique du Smith College de Northampton.
04:19 Et donc, c'est fini le piano, adios le conservatoire de Boston,
04:23 elle prend la route du Massachusetts pour aller donner des cours de gym.
04:26 Et là, elle arrive là-dedans, il y a un gymnase flambant neuf, magnifique.
04:31 Le problème, c'est que la plupart des profs ne croient pas du tout au sport pour les jeunes filles.
04:36 Et elle, elle n'a qu'une envie, c'est d'imposer, de dire au collège "écoutez, il faut imposer la gymnastique aux filles aussi,
04:43 il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que les garçons".
04:46 Et en plus, bon, il y a quelques petites séances de gym, enfin, ses élèves ne sont pas du tout motivés, en fait, elles s'ennuient.
04:51 Et donc, c'est là que Zenda leur propose d'essayer un tout nouveau jeu, inventé par Jim Nesmith l'année précédente, le basketball.
05:01 Donc, c'est le basketball même pour les hommes, et quelque chose alors de très très nouveau.
05:06 Et elle, elle a découvert les règles du basketball dans une publication des YMCA, vous savez, les Young Men's Christian Association.
05:13 Et donc, à l'époque, le sport collectif féminin, ça n'existe pas.
05:19 On considère que ça serait trop brutal et trop intensif pour les dames, et on considère aussi que les jeunes filles, il ne faut pas exciter entre elles,
05:27 la compétition, c'est pas bon, c'est pas féminin, et Zenda se dit tout le contraire, elle pense que les filles vont trouver un débouché naturel à leur instinct de jeu.
05:36 Et donc, le premier match de basket aux Etats-Unis a lieu le 22 mars 1893, et comme les joueuses portent des culottes bouffantes,
05:47 aucun homme n'est évidemment admis à y assister, parce que tout ça est quand même très impudique.
05:52 Les filles, on s'imagine, elles courent dans tous les sens, elles sont complètement euphoriques, elles s'embrassent dès qu'elles marquent un panier,
05:58 bref, elles sont absolument ravies, elles plébiscitent ce cours, ça ressemble à la récré finalement, quand on... le jeu collectif et le basket.
06:06 Et ça va vraiment se répandre comme une traînée de poudre, parce que seulement deux ans après ce premier match au 18 octobre 1893,
06:14 il y a déjà des dizaines d'équipes féminines dans le pays, et c'est Zenda Behrenson Abbott qui rédige et qui met au point dès 1901
06:24 les règles officielles du basket-ball féminin. Et ce sont des règles qui vont rester en vigueur aux Etats-Unis jusqu'en 1860.
06:31 Donc voilà, elle a été évidemment présidente du comité du basket-ball pour les femmes, elle est sur le mur des célébrités, sur le basket bien sûr, voilà.
06:42 Donc voilà une femme qui avait des problèmes de dos, qui n'aurait jamais dû faire du sport, et qui a compris avant tout le monde
06:47 que le sport d'équipe pouvait aussi concerner les femmes. Zenda Behrenson Abbott.