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  • il y a 16 heures
L'invité du Grand Entretien par Marion L'Hour et Ali Baddou est Baptiste Beaulieu, médecin et romancier, il vient de faire paraître "Les pansements invisibles" (ed. Les Arènes) et "Le chien d'Ulysse et autres récits" (ed. Albin Michel), ouvrage coécrit avec Laure de Chantal. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/le-grand-entretien-du-dimanche-07-decembre-2025-3027665

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Transcription
00:00Et un grand entretien ce matin avec Marion Lourd.
00:03Nous avons le bonheur de recevoir le médecin généraliste le plus suivi sur les réseaux sociaux.
00:08Près d'un demi-million d'abonnés et combien de personnes soignées.
00:13Il partage son regard engagé sur le monde, son empathie, le mot, est important depuis son cabinet médical.
00:21Il est l'auteur de romans de bandes destinées à succès, son dernier livre, Le Chien d'Ulysse,
00:26et d'autres récits co-écrits avec Laure de Chantal racontent l'histoire de la médecine,
00:32de la pratique médicale à travers les mythes gréco-romains et sous la tutelle du divin Hippocrate.
00:39C'est passionnant, ça vient de paraître aux éditions Albain Michel.
00:43Question, réaction chers auditeurs au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio France.
00:51Et vous êtes déjà nombreux et joyeux de savoir que Baptiste Beaulieu est en studio avec nous aujourd'hui.
00:58Bonjour !
00:58Bonjour à toutes et tous.
01:00Et bienvenue !
01:01Chéri, va ouvrir, c'est Baptiste !
01:03C'est ce qu'on aurait pu dire quand vous êtes entré en studio.
01:06On ne dit pas « Chéri, va ouvrir, c'est le docteur ».
01:10Vous avez une autre relation et c'est de cet ordre-là qu'elle est « Chéri, va ouvrir, c'est Baptiste ! » avec vos patients.
01:17Et c'est une phrase qui n'est pas anodine.
01:19Elle ouvre votre livre.
01:20Bien sûr, parce qu'elle est magnifique.
01:22Elle dit tout de notre métier de médecin généraliste.
01:24Mais je préfère le terme de médecin de famille.
01:27C'est-à-dire qu'on rentre dans les familles.
01:28Et il y a ce couple que j'accompagne durant 10 ans.
01:30Et évidemment, on ne peut pas rentrer dans l'intimité des gens sans qu'un jour, quand on tape à la porte, ça finisse par « Chéri, va ouvrir, c'est le docteur », par « Chéri, va ouvrir, c'est Baptiste ! »
01:43Et c'est merveilleux !
01:45Et l'empathie, bordel !
01:46Ça, c'est l'un des titres de vos chapitres.
01:48Et je m'excuse auprès de nos auditeurs, mais ça rejoint justement la figure d'Hippocrate dont je parlais, qui est la figure tutélaire pour absolument tous les médecins.
01:57Enfin, il y a une phrase d'Hippocrate connue qui dit qu'il est plus important de connaître le malade que la maladie dont il souffre.
02:04Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette démarche-là ?
02:07Mais parce que durant nos études, on nous fait croire qu'on va soigner les gens.
02:13On nous montre plein de livres, avec plein d'illustrations, plein de symptômes.
02:17Et au final, ce qu'on fait le plus, c'est surtout d'accompagner le patient.
02:22Le patient se soigne très bien tout seul.
02:24Parce qu'il y a un mot déterminant dans votre pratique de médecin, et les auditeurs d'Inter le savent bien, c'est le sens.
02:31Vous dites souvent que vous rencontrez un corps qui vient à vous avec une histoire.
02:36Il n'existe pas de corps sans histoire.
02:39Et quand vous accueillez un patient, vous accueillez aussi cette histoire dont vous ne savez rien.
02:44D'où l'empathie.
02:45Je le disais en souriant, et vous l'écrivez en souriant également, le besoin de temps pour connaître l'autre.
02:53Alors que c'est ce qui est le plus éloigné de l'image qu'on a aujourd'hui de la pratique de la médecine, Baptiste Beaulieu.
02:59Et c'est bien triste parce qu'un corps, ça vient toujours avec une histoire, avec des cicatrices, avec des bagages.
03:04Et je suis sûr que vous, Marion, les auditeurs, les auditrices, il n'y a pas une seule personne qui nous écoute,
03:12qui ne se débat pas silencieusement tous les matins contre quelque chose qui l'a fait souffrir.
03:16Et donc, plutôt que de se cacher et de ne pas dire à l'autre le combat silencieux qu'on est en train de mener,
03:22pourquoi on ne pourrait pas juste dire, et toi, c'est quoi ton combat ?
03:25Je te donne le mien, donne-moi le tien.
03:27Et toi, Marion, c'est quoi ton combat ?
03:29Je ne vais pas vous le dire, il y en a trop.
03:31Non, ce que je veux dire, c'est que rien n'est plus ex-team que l'intime.
03:35Et c'est déjà dommage.
03:38Mais oui, mais bien sûr, rien n'est plus politique aussi, évidemment.
03:41Mais c'est bien triste qu'on ne partage pas davantage nos blessures personnelles,
03:46parce qu'on serait sans doute beaucoup plus nombreux à se sentir beaucoup moins seuls.
03:50Baptiste Beaulieu, ce qu'on comprend en vous suivant, mais depuis 2013,
03:53quand vous avez 27 ans et que vous commencez votre blog,
03:56que vous racontez votre quotidien aux urgences,
03:59c'est effectivement cette volonté de voir les gens en entier avec leur histoire,
04:02c'est ce que vous dites,
04:03plutôt que de voir une maladie un peu comme une équation à résoudre,
04:07comme on le voit dans Doctor House, par exemple,
04:09si j'évoque une série.
04:11Ça, c'est allé à contre-courant de la médecine actuelle ?
04:14Je ne sais pas.
04:14Moi, j'ai essayé d'écouter ce que me disait,
04:16ça sonne très Walt Disney,
04:18ce que me disait mon cœur, en fait.
04:19Par exemple, un jour, deux femmes déposent leur mère un vendredi soir aux urgences
04:27en leur disant, on ne veut plus la voir à la maison, on vous la laisse,
04:30et qu'elles appellent le lundi pour savoir comment elle va,
04:33et que je leur dis, mais ça ne se fait pas,
04:34comment vous avez pu laisser votre mère ?
04:35Et j'avais passé le week-end à pester contre elle,
04:37en me disant, mais comment elles peuvent laisser leur mère ?
04:39C'est horrible, il faut vraiment être une horrible personne.
04:41Et que sa fille me dit, mais vous ne connaissez rien de notre histoire,
04:43en fait, elle nous a battu depuis notre enfance,
04:45on ne lui doit rien.
04:46Et bien là, on se dit, il faut que j'essaye aussi de penser contre moi-même
04:49et essayer d'éviter de poser des étiquettes sur la tête des gens.
04:52Malheureusement, les études de médecine, c'est en partie ça,
04:55c'est mettre des étiquettes et ouvrir des tiroirs dans lesquels on met les patients.
04:58Et on a l'impression qu'apprendre la médecine, ça commence après dix ou plus années d'études.
05:04Baptiste Beaulieu, sur les réseaux, vous laissez les tranches de vie
05:06de ce qui se passe dans votre cabinet.
05:09Dans l'un des derniers postes, vous racontez que vous avez eu envie
05:11de prendre dans vos bras un patient pour le réconforter.
05:14Et vous vous posez cette question qui est extrêmement forte.
05:17Mais est-ce que c'est professionnel ?
05:20Ça peut paraître anecdotique là aussi,
05:22mais vous vous posez constamment ce genre de questions que vous posez sur Insta
05:26et qui recueillent des milliers de réactions.
05:29Mais bien sûr, mais parce que la juste distance n'est pas forcément la distance juste.
05:32Je plaisantais en disant, tu commences par prendre un patient dans les bras
05:36et puis tu finis gourou de secte avec des esclaves sexuels à Tokyo.
05:40Et je pense qu'il faut se méfier aussi.
05:43Le type qui touche tout le monde.
05:44Exactement.
05:45La distance, elle sert aussi à ça, à se méfier de soi-même.
05:48Et on devrait avoir peur de soi-même aussi en tant que médecin
05:50et du pouvoir que nous donne ce métier.
05:52Le médecin doit avoir peur de lui-même.
05:54Mais bien sûr, il doit avoir peur du pouvoir dont il dispose.
05:56C'est Spiderman qui dit qu'un grand pouvoir donne de grandes responsabilités.
05:58Mais oui, il faut avoir conscience de ça.
06:01C'est-à-dire que moi, dans la journée, quand je vois 20, 25 personnes,
06:03le soir, je rentre les visages, ils se confondent.
06:05Mais le patient, lui, il n'a vu qu'un seul soignant.
06:07C'est moi.
06:07Ça veut dire que si je l'ai mal accueilli, si j'ai négligé son histoire
06:11et le corps qui vient avec cette histoire, il s'en souviendra toute sa vie.
06:14Moi, je ne me souviendrai pas de lui.
06:15Il faut avoir conscience de cette responsabilité-là.
06:17Et vous le dites, vous continuez d'exercer à Toulouse parce que c'est important pour vous.
06:22Mais en fait, vous ne vous appelez pas Baptiste Beaulieu.
06:25Pourquoi est-ce que vous avez choisi ce pseudonyme ?
06:27Vous savez, quand on écrit des romans, qu'on écrit des albums pour la jeunesse,
06:31j'ai de la chance d'avoir beaucoup de succès.
06:34Après, on passe à la télé ou à la radio un dimanche matin sur la chaîne numéro 1.
06:41Et après, évidemment, tout le monde débarque au cabinet avec ses problèmes depuis le CM2
06:45en espérant qu'on va tout résoudre.
06:47Donc non, non, Dieu merci, j'ai pris un pseudo et ça me va très, très bien comme ça.
06:50Ça vous protège ?
06:51Exactement.
06:51Puis moi, j'ai ma vie, je suis papa.
06:52Je ne veux pas que mon enfant soit exposé à cette surmédiatisation.
06:55C'est très important pour moi.
06:56D'ailleurs, vous parlez beaucoup de l'enfance.
06:59Vous avez un cheval de bataille qui est de faire lire les enfants comme votre mère l'a fait avec vous.
07:05Pourquoi est-ce que ces lectures d'enfants vous ont marqué ?
07:09Et pourquoi est-ce que c'est si important d'écrire des livres pour des adultes,
07:13mais aussi pour des enfants ?
07:15Mais bien sûr, tout simplement parce que je suis intimement persuadé que le vocabulaire,
07:20c'est ce qui permet de pacifier une société.
07:22Et en tant que scientifique, moi j'essaie toujours de penser contre moi-même,
07:25de me dire mais pourquoi tu dis ça ?
07:26J'ai lu, j'ai cherché, j'ai lu, il y a des études qui montrent que plus un enfant dispose de vocabulaire,
07:33et moins il va avoir tendance à avoir des comportements auto- ou hétéro-agressifs.
07:38C'est-à-dire, en fait, plus il a les mots pour dire les émotions qui le traversent,
07:42moins il va céder à la violence personnelle contre lui-même ou contre les autres.
07:46J'ai dit mais on veut tous d'une société pacifiée,
07:48on veut tous d'une société démocratique dans laquelle on peut vivre heureux et libre,
07:52mais ça passe aussi par donner des mots aux enfants.
07:54Et on ne donne pas des mots aux enfants en les collant devant un écran,
07:57on leur donne des mots.
07:57Des mots et des livres, il faudrait prescrire des livres.
08:00Mais j'en suis intimement persuadé.
08:02Il faudrait de la bibliothérapie, prescrire des livres sur ordonnance et les rembourser.
08:08Alors c'est de l'ordre, pas seulement de la plaisanterie,
08:11mais vous croyez dans le pouvoir de la littérature pour dire,
08:14pour décrire ce que vous faites très bien comme pédagogue,
08:18mais aussi pour guérir.
08:20Bien sûr.
08:21Vous savez, j'étais étudiant, je me souviens,
08:25il y avait cette patiente qui avait une maladie de pote.
08:27Elle était obligée de rester six mois hospitalisée,
08:29elle ne pouvait pas bouger de son lit d'hôpital.
08:31Et autant dire, on va dire, elle se faisait chier,
08:34elle s'ennuie six mois à l'hôpital.
08:36Et donc je lui amenais des livres.
08:37Et le matin, quand je venais la voir, elle me disait
08:39« Oh, grâce à vous, j'ai passé la nuit en Andalousie, au Moyen-Âge. »
08:43« Si, mais c'est à ça que sert aussi la littérature. »
08:45Et oui, la littérature, c'est pour les grands, pour les petits.
08:49Mais si on veut d'une société pacifiée,
08:50ça passe d'abord par donner des munitions intellectuelles,
08:54des armes aux enfants.
08:55Et ces armes, ce sont les mots.
08:56Et justement, il y a le mot comme le consentement,
08:58qui est le sujet de votre dernier album pour enfants,
09:01« Les pansements invisibles ».
09:02Vous en avez publié plusieurs, des albums pour enfants,
09:05celui-là étant le dernier.
09:06Et on en parle beaucoup de consentement dernièrement.
09:09Alors souvent, c'est sur le plan sexuel,
09:11mais là, c'est aussi simplement
09:11« Est-ce qu'on a le droit de me toucher ? »
09:13« Est-ce qu'on a le droit de me suivre ? »
09:14« De me regarder si je ne suis pas d'accord ? »
09:16« De me prendre en photo si je ne suis pas d'accord. »
09:19Comment vous, vous l'appliquez au quotidien,
09:21dans votre pratique de médecin ? »
09:23Bien sûr.
09:24C'est une bonne question.
09:25Je vous remercie de la poser.
09:26Cet album, « Les pansements invisibles »,
09:27il compte beaucoup pour moi
09:28parce que j'écris les albums
09:29que je vais lire à mon enfant plus tard
09:30pour qu'il ne soit pas un boulet en société.
09:33Ou un candidat de télé-réalité.
09:35Moi, je suis persuadé qu'un enfant qui lit,
09:37c'est un candidat de télé-réalité en moi.
09:40Et donc, faisons lire les enfants.
09:42Mais oui, pour cette histoire de consentement,
09:44je dis toujours, c'est fondamental,
09:47notamment en tant que médecin,
09:48qu'on me pose la question aux enfants
09:49« Veux-tu que je t'examine ? »
09:50Et si oui, je t'explique ce que je vais faire
09:52et comment je vais le faire.
09:53Tout simplement, pourquoi ?
09:54Parce qu'un médecin, c'est la personne
09:56qui, en société, est considérée
09:58par les adultes et les enfants
09:59comme la personne qui est payée
10:01pour vous toucher, pour vous examiner.
10:03Et donc, si même cette personne...
10:05C'est acquis presque.
10:05Exactement.
10:06Si même cette personne dont c'est le métier
10:07vous demande,
10:08alors il n'y a aucune raison
10:09pour qu'une personne dont c'est pas le métier
10:11ne vous demande pas.
10:12Ça crée un précédent majeur
10:13dans la psyché de l'enfant
10:14qui est que tout le monde doit demander,
10:17même le médecin dont c'est le métier.
10:18Et là, vous le faites à travers
10:19l'histoire d'une petite fille
10:20qui découvre son corps.
10:22Exactement.
10:22C'est très important, cette question,
10:24justement, cette notion de consentement.
10:27Elle concerne chaque interaction
10:29de la vie quotidienne.
10:30Il y a Catherine, auditrice de France Inter,
10:34et elle est parmi d'autres,
10:36qui témoigne ce matin.
10:37Bonjour docteur,
10:38je voudrais simplement dire
10:40un grand et chaleureux merci
10:42à ce docteur qui a mis au jour
10:44de nombreux sujets occultés
10:45par ses consoeurs et confrères.
10:48Et vous avez une démarche,
10:50en l'occurrence celle dans
10:52Le Chien d'Ulysse,
10:53qui est de recourir à la mythologie.
10:56Quel enseignement tirer des mythes anciens,
10:59de mythes qui datent de milliers d'années,
11:02dans la pratique de la médecine,
11:04qui est l'un des secteurs
11:05qui évoluent le plus techniquement aujourd'hui ?
11:08Bien sûr.
11:09La mythologie, elle a déjà tout raconté,
11:11elle a raconté toutes les histoires.
11:12Moi, j'adore les histoires,
11:12sinon je ne serais pas romancier.
11:13Et vous savez,
11:17quand on est étudiant
11:18et qu'on rentre dans la chambre d'un patient
11:19qui a une anasarxée,
11:21c'est-à-dire qu'il y a un oedème
11:22lié à des cancers multimétasiatiques,
11:24et cet oedème le fait couler littéralement.
11:27On a deux possibilités,
11:28soit de se dire,
11:29on lui change les draps du lit
11:31trois fois par jour,
11:32tellement il y a de l'eau qui sort de lui,
11:34de ce corps qui est devenu énorme,
11:36et est-ce que c'est comme ça
11:37que finit la condition existentielle
11:40de cet humain,
11:41ou de se dire,
11:42cet être humain a été changé en source,
11:45et donc de s'emparer
11:45de l'appareil mythologique
11:46pour mieux accepter
11:47ce qu'on vit au quotidien.
11:48Moi, je préfère cette solution-là,
11:50évidemment, en tant qu'étudiant.
11:52Je crois que je la préfère aussi
11:53en tant que médecin.
11:54Vous savez,
11:54quand j'arrive le vendredi soir,
11:55parfois je me dis,
11:56j'ai vu tellement de patients cette semaine,
11:58c'est bon, j'ai soigné tout le monde,
11:59plus personne n'est malade dans le monde.
12:00Et qu'on arrive le lundi,
12:02et qu'on voit qu'il y a déjà
12:02dix personnes qui nous attendent
12:03devant la porte du cabinet,
12:04on se dit,
12:10Dans l'Antiquité,
12:13la médecine et le sacré
12:14étaient indissociables,
12:15je vous cite,
12:16Asclepios,
12:17qui est donc le dieu
12:18des médecins guérissés
12:20autant par la science
12:21que par le rêve et le mystère.
12:23Aujourd'hui encore,
12:24il existe une part d'inexplicable
12:26dans la guérison,
12:27une alchimie entre savoir,
12:29technique et humanité.
12:31Il faut accepter
12:32une part de mystère
12:33et de sacré
12:34dans la pratique médicale.
12:36Ce n'est pas,
12:36je le dis de manière
12:37volontairement provocatrice,
12:38mais ce n'est pas faire
12:39de l'antiscience
12:40que de dire quelque chose
12:41de pareil ?
12:42Non, moi je suis persuadé
12:43qu'il faut,
12:44vous savez,
12:45laisser une part effectivement
12:46à l'empathie
12:47et l'empathie est quelque chose
12:47qui ne peut pas s'expliquer
12:49scientifiquement
12:49et peut-être qu'on pourrait un jour,
12:51mais j'espère qu'on n'y arrivera jamais.
12:53J'avais un médecin,
12:54je me souviens,
12:55qui nous faisait très peur
12:56à l'hôpital,
12:56qui était un grand chef de service.
12:58Un mandarin !
12:59Exactement.
13:00Et un jour,
13:01il m'avait demandé
13:01de lui faire une présentation clinique
13:02à propos d'un patient
13:03qui est âgé,
13:04qui chutait,
13:05qui n'arrêtait pas de chuter,
13:06qui restait de longues heures allongée.
13:08Et donc,
13:08je fais une super belle présentation,
13:10vraiment,
13:11on me trouve bien chiadé,
13:11je voulais que ce soit parfait,
13:12ne pas être pris en faute.
13:14Et je finis la présentation
13:15et ce grand professeur,
13:17à la fin de la présentation,
13:18me regarde et me dit
13:19est-ce que tu l'as mis par terre,
13:20ce patient ?
13:21Et je dis,
13:21ben non,
13:22parce qu'à l'époque,
13:23je me disais,
13:23en tant que médecin,
13:24je ne suis pas là
13:24pour mettre des balayettes
13:25au patient
13:26et les mettre par terre.
13:27Il me dit,
13:27tu vas dans sa chambre,
13:28tu l'allonges par terre,
13:29tu t'allonges à côté de lui,
13:30tu regardes pourquoi
13:31il n'arrive pas à se relever
13:32et tu lui apprends
13:33comment se relever.
13:34Et ce jour-là,
13:35j'ai compris que la médecine,
13:36ce n'est pas que de la technicité,
13:37c'est aussi être capable
13:38de se mettre à la hauteur
13:39du problème du patient.
13:40Et si cette hauteur,
13:41c'est le sol,
13:42alors ça veut dire
13:42s'allonger aussi avec lui.
13:44Isabelle,
13:45merci pour votre bienveillance
13:46et votre humanité
13:47qui sont présentes
13:48dans chacune de vos publications
13:49et vos livres.
13:50C'est assez frappant
13:51de très nombreux messages
13:53qui ne sont pas forcément
13:54formulés sous la forme
13:55de questions,
13:56mais uniquement
13:57de déclarations.
13:59Je ne sais pas si c'est de l'amour,
14:00mais en tout cas
14:00d'amitié profonde
14:01pour vous,
14:02Baptiste Beaulieu.
14:03Et vous donnez plein d'exemples
14:04dans votre livre
14:05de la mythologie.
14:06Il y a le mythe d'Achille
14:08qui est quasiment invincible
14:09sauf son talon.
14:10C'est merveilleux ça.
14:11Sa mère l'a trempé
14:12dans le styx.
14:14Et moi,
14:14ce qui m'a parlé aussi,
14:16c'est cette façon
14:17de montrer les mères.
14:18Il y a les mères anxieuses
14:19comme Thétis,
14:20donc la mère d'Achille
14:21parce qu'elle est déesse
14:22et que lui est mortelle.
14:23Et puis il y a Danae,
14:25il y a la mère de Persée
14:26qui est, elle,
14:27plutôt isolée.
14:29Les mères,
14:29c'est un sujet
14:30auquel vous êtes sensible
14:31quand on vous lit,
14:32quand on lit votre blog
14:33et quand on entend
14:34vos interventions
14:35et que vous observez
14:36et que vous dites
14:36que c'est difficile
14:38d'être une mère,
14:38d'être une femme.
14:39Ça, ça n'évolue pas ?
14:40Non, moi j'ai une tendresse
14:41infinie pour les mères,
14:43notamment les mères célibataires
14:44parce que je suis devenu père.
14:45Nous, on est deux.
14:46Je n'ai jamais été aussi fatigué
14:47au bout de ma vie.
14:49Donc je sais qu'elles le font
14:50parce qu'elles n'ont pas le choix
14:52et que ce n'est pas
14:53une question de courage
14:53ou quoi.
14:54Elles le font.
14:56Mais oui, j'ai une tendresse
14:57immodérée pour mes patientes,
14:59notamment plus que pour mes patients
15:00et j'ose le dire
15:01parce que j'ai commencé ce métier.
15:04J'étais plein de caca
15:06sur les yeux
15:07et il y a plein de choses
15:08que je ne voyais pas
15:08de cette société
15:09et notamment la manière
15:10dont cette société
15:11traite les femmes
15:12et dont les hommes
15:12dans cette société
15:13traitent les femmes,
15:14notamment celles
15:14qu'elles prétendent aimer.
15:16Moi, en disant,
15:17oui, en disant,
15:18je me suis aperçu
15:19que tout ce qu'on dit
15:20sur l'amour homme-femme,
15:21c'est quand même
15:22pas mal de bullshit.
15:24C'est-à-dire que
15:25quand on voit
15:29une patiente
15:30qui vient
15:30et qu'elle a
15:33une prothèse
15:33donnée
15:34parce que son mari
15:35l'a tellement frappée
15:35qu'elle n'a plus de nez,
15:37qu'elle est obligée
15:37de porter une prothèse.
15:39Quand on a
15:40un patient
15:41qui vient en disant,
15:41vous vous rendez compte,
15:42ma femme,
15:43alors que sa femme
15:44vient de subir
15:45une double mammectomie
15:45pour un cancer du sein
15:46avec
15:47qu'elle prend des hormones
15:49et qu'elle est
15:50en ménopause précoce
15:51à cause de ses hormones
15:52et que son mari
15:54qui prétend les mains
15:54me dit,
15:55droit dans les yeux,
15:56vous vous rendez compte,
15:56je n'ai même plus droit
15:57à des caresses de dépannage.
15:58Le terme exact,
15:59caresses de dépannage.
16:01Moi, je me dis,
16:02je suis tombé sur un connard,
16:03puis deux connards,
16:03puis trois connards.
16:04Et puis je regarde
16:05quand même
16:05ce que disent les études
16:06et c'est effrayant.
16:07Est-ce que vous savez
16:08que dans notre pays,
16:09mais je pense que c'est
16:09un peu barré dans le monde entier,
16:11c'est-à-dire qu'un homme
16:12qui tombe malade,
16:14leurs femmes vont s'occuper
16:17de...
16:18Mais quand une femme
16:19tombe malade,
16:19les hommes sont
16:20huit fois plus nombreux
16:21à quitter leur femme
16:21que les femmes
16:22ne quittent leurs hommes
16:23quand eux tombent malades.
16:24Mais où est l'amour là-dedans ?
16:27Où est l'amour là-dedans ?
16:28Alors, il est donc
16:29chez nos auditeurs,
16:30encore une fois.
16:31Claire qui vous rejoint.
16:32Bonjour,
16:32j'ai eu un médecin
16:33qui ajoutait en bas
16:34de son ordonnance
16:35le titre d'un livre
16:36qu'il me prescrivait.
16:38Cela m'a surprise
16:38la première fois,
16:40puis a renforcé
16:40la confiance que j'avais
16:41dans ses prescriptions.
16:43Il a dû vous écouter.
16:44Nathalie dit
16:45qu'elle écoute
16:45notre entretien
16:46et votre manière
16:48de pratiquer votre métier.
16:49Et elle retrouve son père,
16:50médecin de campagne
16:51dans la Loire.
16:52Elle pensait
16:54que ses médecins
16:54avaient disparu.
16:56Et elle a le bonheur
16:59de constater
16:59qu'il y a encore
17:00des médecins
17:00qui sont proches
17:01de leurs patients
17:02réellement à l'écoute.
17:04Ce qui est frappant
17:04dans votre livre
17:06sur ce chien d'Ulysse,
17:08c'est que vous dites
17:09qu'à chaque fois
17:09que vous rencontrez
17:10un patient,
17:11il faut créer une bulle.
17:12Une bulle dans laquelle
17:13il n'y a que vous
17:15et ce patient.
17:16Mais qu'à la fin
17:17de la consultation,
17:18il faut réussir
17:19à en sortir
17:20pour créer
17:21une autre bulle.
17:22Et vous allez comme ça
17:23de bulle
17:24en bulle.
17:25Mais comment ça se passe
17:26aux urgences par exemple ?
17:28Un lieu dont vous dites
17:29qu'il est sacré
17:30et qu'il est tout
17:32sauf sacré aujourd'hui.
17:33Les urgences,
17:34c'est un théâtre.
17:34Vous savez,
17:35on ouvre une porte,
17:35on ferme une porte,
17:36on passe d'une histoire
17:37à une autre.
17:38quand j'ai une consoeur
17:40qui me raconte un matin
17:41qu'elle a une patiente
17:42qui arrive,
17:43qui est enceinte jusqu'aux yeux
17:44et qu'elle doit accoucher
17:46et qu'elle la mette
17:49dans un box,
17:50en plus on appelle ça
17:50un box,
17:51quel terme horrible.
17:52Et qu'elle dit à la patiente
17:53surtout vous m'appelez
17:53si il y a un problème
17:54et qu'elle passe
17:56une demi-heure après
17:57et que la patiente
17:57l'appelle en disant
17:58est-ce que vous auriez
17:58une paire de ciseaux
17:59et qu'elle rentre
18:00et qu'elle voit la patiente
18:00avec son bébé dans les bras
18:01et qu'elle lui dit
18:02mais je vous avais dit
18:02de m'appeler
18:03s'il y avait un problème
18:03et la patiente la regarde
18:05et lui dit ingénuement
18:06mais il n'y a pas eu de problème.
18:08Et oui évidemment
18:09c'est un théâtre,
18:10c'est un petit théâtre.
18:11C'est un théâtre
18:12mais c'est un lieu
18:13où se joue
18:14notre civilisation
18:15les urgences.
18:16Vous n'avez pas peur
18:17d'employer de grands mots
18:18comme cela.
18:19Mais non,
18:20le fait qu'il y ait
18:21un endroit ouvert
18:2224 heures sur 24,
18:23364 jours par an
18:25vers lequel on peut se tourner
18:27si on a envie
18:28de se flinguer,
18:29pour moi c'est le symbole même
18:30que notre civilisation
18:31n'est pas encore périclité
18:33qu'elle est en train de goût.
18:34Non mais elles vont mal
18:35les urgences.
18:36Durée moyenne
18:37d'un passage aux urgences
18:38elle est de 5h10,
18:40elle était de 4h en 2013,
18:42c'est-à-dire cette dégradation
18:44et c'est une enquête
18:45du ministère de la Santé
18:46paru l'an dernier
18:47qui l'indique
18:49c'est désespérant.
18:51C'est désespérant ?
18:51C'est désespérant.
18:53D'autant plus que,
18:53enfin moi je le constate
18:54en tant que médecin libéral,
18:57vous savez les temps
18:57de consultation disponibles,
18:58c'est-à-dire en gros
18:59le temps d'une consultation
19:00avec un médecin généraliste
19:01dans les années 80
19:02c'était 15 à 20 minutes,
19:03aujourd'hui c'est autour
19:04de 6 à 8 minutes.
19:06Et donc ça aussi
19:07c'est du désert médical.
19:10C'est-à-dire qu'on s'imagine
19:11toujours le désert médical
19:11au fin fond de la creuve
19:12mais le simple fait
19:13qu'on ait moins de temps
19:14à consacrer à nos patients
19:15parce qu'on a plus
19:16de patients à gérer,
19:17ça c'est du désert médical.
19:19Aussi, quand on a une patiente
19:20qui vient et qui se met
19:21à pleurer en disant
19:22qu'elle a envie de se flinguer
19:23et qu'on voit l'heure
19:24qui passe et qu'on a plein
19:25de monde en salle d'attente
19:26et qu'on veut écouter
19:27cette patiente et qu'à un moment
19:28elle surprend notre petit
19:29regard en coin,
19:30dans le coin,
19:31à faire droit de l'ordinateur,
19:33de l'horloge,
19:33vous savez, sur l'écran
19:34et qu'elle le voit
19:35et qu'elle s'excuse
19:36d'avoir pleuré.
19:37Quel type de société on est
19:39quand quelqu'un s'excuse
19:40dans le cabinet d'un médecin
19:41d'avoir pleuré
19:43parce qu'elle a envie de mourir ?
19:44Alors d'autant plus
19:45qu'aujourd'hui
19:45quand on parle de santé
19:46et quand on écoute
19:47le débat public
19:47autour de la santé
19:48on parle de gros sous
19:49et le débat sur la sécurité sociale
19:51en ce moment à l'Assemblée
19:52et il y a des mesures
19:53qui vont concerner directement
19:54les généralistes
19:55par exemple la durée
19:56des arrêts maladie
19:57qui va être réduite
19:58à un mois
19:59il y a un appel aussi
20:00à tous les médecins
20:00à être plus sobre
20:01je les cite
20:02dans leur prescription
20:03quelles conséquences
20:04ça a pour vous
20:05ça va avoir pour vous médecins ?
20:07Déjà plus de violence
20:09dans nos cabinets médicaux
20:09ça c'est sûr
20:10plus d'animosité
20:11de la part des patients
20:12Vous la rencontrez ?
20:12Mais bien sûr
20:13jeudi prochain d'ailleurs
20:15j'ai un procès
20:16avec un patient
20:16qui a levé la main sur moi
20:17et qui m'a traité de PD
20:18devant tout le monde
20:19dans la salle d'attente
20:19évidemment que cette violence sociale
20:23elle rejaillit aussi
20:24dans nos cabinets médicaux
20:25et on n'a pas
20:27évidemment
20:27à subir ça
20:29mais d'un côté
20:30on a un gouvernement
20:32qui tape sur la tête des gens
20:34et qui après
20:34nous accuse
20:36de trop prescrire
20:37de Doliprane
20:37parce que les gens
20:38ont mal à la tête
20:38qu'est-ce qu'on peut faire
20:41nous ?
20:41On est coincés
20:42on est coincés
20:43C'est pour faire des économies
20:44pour la sécurité sociale
20:45pour garder ce modèle social
20:47Je suis bien d'accord
20:49mais comment est-ce qu'on fait
20:51nous au quotidien ?
20:52On ne peut pas dire
20:54on va vous payer moins
20:55mais il faut que vous fassiez
20:56moins d'actes
20:57et puis que vous consacriez
20:58plus de temps à chaque patient
20:59enfin l'équation
21:00il y a quelque chose
21:01les calculs ne sont pas bons
21:02Ce patient qui vous a insulté
21:04et c'est abject
21:05ce qu'il vous a dit
21:06cette insulte-là
21:07je ne vais pas la répéter
21:09mais vous
21:11vous avez beaucoup à dire
21:12sur la santé mentale
21:13des patients
21:13que vous recevez ?
21:15On est un des pays
21:16en Europe
21:16qui prescrit le plus
21:18d'anxiolytiques
21:19ça dit malheureusement
21:20aussi beaucoup
21:20de l'état
21:21de la santé mentale
21:22des français
21:24moi j'ai vu des trucs
21:26je vous assure
21:27vous savez
21:28quand on voit un patient
21:29qui prend
21:30vous savez
21:31ces petites lamelles
21:33qu'il y a dans
21:33les dindes
21:35dans les réfrigérateurs
21:36les petites lamelles
21:37en sorte de cello frais
21:38qu'on trouve
21:39comme ça
21:39sous les dindes
21:40et qui s'en sert
21:40comme semelle
21:41parce qu'il n'a pas de quoi
21:42s'acheter des semelles
21:43ou un patient
21:44qui vient
21:45qui vous dit
21:45le soir de Noël
21:46qu'il n'a pas de quoi
21:47s'acheter à bouffer
21:48et qu'on lui prescrit
21:48des compléments nutritionnels
21:50anticancéreux
21:50vous savez
21:51les boissons hyperprotéinées
21:53et que c'est ça
21:54son repas de Noël
21:55je me dis
21:55mais est-ce que c'est ça
21:56le pays dans lequel
21:57je veux vivre
21:57exercé en tant que médecin
21:58est-ce que c'est ça
21:59le pays dans lequel
22:00je veux voir grandir mon fils
22:01la réponse est non
22:03en fait
22:03et ce qui est incroyable
22:05et vous le racontez
22:05d'ailleurs aussi
22:06sur vos posts
22:08et sur Instagram
22:09vous-même
22:09vous avez été patient
22:10vous avez été voir
22:11un psychiatre
22:12votre médecin
22:13vous a reçu 10 minutes
22:14il vous a pris
22:1535 balles
22:16et vous êtes ressorti
22:17avec une ordonnance
22:18et un peu de
22:19sonné
22:20du peu de considération
22:22qu'il vous avait accordé
22:24mais tout ne va pas mal
22:26il y a un truc de dingue
22:27vos livres pour enfants
22:28sont traduits en chinois
22:29oui
22:30vous étiez en Chine
22:32en novembre
22:32pour des signatures
22:33de Baptiste Beaulieu
22:34oui je suis ravi
22:35ils sont traduits
22:36un petit peu partout
22:36dans le monde entier
22:37ça marche très bien
22:38et j'en suis très heureux
22:39pour une bonne raison
22:40c'est que vous savez
22:41on a tous des livres
22:43qui enfants nous ont marqué
22:45plus que des romans
22:46d'adultes
22:47et donc si je peux être ça
22:49pour un enfant
22:50si je peux lui permettre
22:50de mieux se comprendre
22:51de mieux penser le monde
22:52alors c'est merveilleux
22:54donc on va recommander
22:55les pansements invisibles
22:58qui est publié
22:59aux arènes
23:00et puis
23:01chez Albin Michel
23:02donc ce livre
23:02que vous signez
23:03avec Laure de Chantal
23:04le chien d'Ulysse
23:05et autres récits
23:05il est rare
23:06très rare
23:07Baptiste Beaulieu
23:08qu'on reçoive autant
23:09de messages d'auditeurs
23:10mais c'est assez impressionnant
23:11ils sont tous
23:12sympathiques
23:13empathiques
23:14et bien chérie
23:16on va ouvrir la porte
23:17c'est Baptiste
23:18merci infiniment
23:19merci Baptiste
23:19et bonne journée
23:20merci
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