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  • il y a 21 heures
Elise Le Bivic, réalisatrice du documentaire “Boire” le 4/11 sur France 2. Marion Acquier, psychologue addictologue. Ex-présidente des Alcooliques Anonymes. Baptiste Mulliez, patient expert, auteur de “D’avoir trop trinqué ma vie s’est arrêtée” et Rose, chanteuse, elle témoigne dans le docu.

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Transcription
00:00Et un grand entretien ce matin pour parler d'un documentaire événement consacré à une addiction,
00:06une addiction française, Boire, c'est le titre.
00:10Un documentaire important avec des témoignages rares, intimes, des archives,
00:16des archives pour remonter le fil d'un héritage qui n'en finit pas de couler dans nos veines.
00:23Je cite ce documentaire et pour en parler, plusieurs invités autour de la table du studio 511 de la maison de la radio.
00:32Élise Le Bivic, bonjour. Vous avez écrit et réalisé ce documentaire.
00:37Baptiste Mullier, bonjour. Vous témoignez et c'est bouleversant vos différentes prises de parole.
00:44Elles sont fortes et elles font réfléchir. D'avoir trop trinqué ma vie s'est arrêtée.
00:50Et c'est le titre d'un livre que vous avez publié.
00:53Marion Ackier, bonjour. Psychologue clinicienne spécialisée en addictologie.
00:59Ancienne présidente de l'association des alcooliques anonymes France.
01:03Et vous intervenez dans ce film où on alterne donc des moments qui sont consacrés aux archives,
01:09au passé, des moments plus drôles avec des humoristes sur scène, des sketchs sur l'alcool.
01:14Et puis des moments beaucoup plus intimes qu'ils se déroulent en cercle, dans des espaces où l'on peut libérer sa parole ou face caméra.
01:25Comme avec vous Baptiste, lorsque vous racontez votre histoire, Boire, le documentaire, sera diffusé cette semaine,
01:32le 4 novembre, mardi donc sur France 2 à 21h10.
01:35Nous serons dans un instant également avec la chanteuse Rose qui a témoigné dans votre documentaire Élise.
01:43Et c'est extrêmement fort ce qu'elle y raconte.
01:46Chers auditeurs, n'hésitez pas à nous appeler au 01 45 24 7000
01:52pour parler de votre rapport à l'addiction à l'alcool et aux risques encourus par la consommation abusive d'alcool ou l'application Radio France.
02:03Élise Le Bivic, Boire, c'est le titre de ce documentaire dont je dis encore une fois qu'il est exceptionnel.
02:10Prononcer ce mot, Boire, ça suffit à comprendre qu'on parle d'alcool et d'alcoolisme.
02:15Mais je crois, en tout cas d'alcool, boire en France c'est la norme.
02:22Et c'est cette norme, cette évidence qu'on a cherché à questionner et on a voulu s'y confronter à cette fameuse culture de l'alcool
02:31qui est, je crois pour une grande majorité de Français, une évidence.
02:35Alors justement, racontez-nous votre travail de réalisatrice parce que le film s'ouvre sur des archives.
02:41Des archives qui ne sont pas si anciennes, mais elles datent des années 70, 80 ?
02:47Oui, c'est des archives, ça s'ouvre je pense que dans les années 60, 70, 80.
02:53Et c'est un petit peu le film de nos repas de famille, de nos vacances qui défilent devant nos yeux quand on ouvre le documentaire avec ces images.
03:04Alors le documentaire raconte l'histoire de six personnes qui témoignent de leur addiction à l'alcool,
03:10qui les a conduits pour certains d'entre eux et c'est votre cas, Baptiste Mulier, à vivre des drames.
03:15Ils sont en cercle, je le disais, le cercle des alcooliques anonymes.
03:19Ce documentaire, c'est leur histoire, mais c'est une histoire très française.
03:24Celle d'un pays qui a très longtemps fait la promotion de l'alcool.
03:27Vous vous rappelez que ce qui semble invraisemblable aujourd'hui, jusqu'en 1956, dans les écoles primaires,
03:35la coutume, c'était de servir de l'eau coupée avec du vin à la cantine ou l'inverse, du vin coupé avec de l'eau.
03:43Un mot sur ce qui semble aujourd'hui totalement invraisemblable, Élise.
03:49Mais oui, on l'a oublié, mais il va falloir attendre 1956 en France
03:53pour que le Premier ministre à l'époque, qui est Pierre Mendès-France, décide de remplacer ce verre d'eau coupé au vin
03:59pour rendre à l'époque l'eau plus potable, c'était quand même aussi un des arguments,
04:03mais qu'il le remplace par du lait.
04:06Et c'est assez étonnant d'ailleurs de se plonger dans ces archives
04:08parce qu'on entend des mots qui nous semblent assez nouveaux aujourd'hui, comme celui de la sobriété.
04:12Mais c'était ce qui était mis en avant dès 1956 pour les enfants de moins de 14 ans.
04:19Pour les plus grands, on attendra Mitterrand et 1981.
04:23Marion Ackier, vous êtes psychologue clinicienne et vous intervenez dans le documentaire
04:27pour nous aider à comprendre les ressorts de l'addiction.
04:29Puis il y a l'intervention de plusieurs spécialistes.
04:32Et c'est ce qui fait aussi qu'une société fait la promotion.
04:37Et c'est assez invraisemblable.
04:38Ce n'est pas le premier documentaire consacré à l'alcool.
04:40Ce ne sont pas les premiers témoignages qu'on entend.
04:43Pourtant, il y a cette façon de le raconter.
04:45Par le récit familial, amical, intime.
04:48Pourquoi est-ce que c'est quelque chose qui fait caisse de résonance
04:53avec ce qu'on a pu tous expérimenter un jour ou l'autre ?
04:57C'est tellement inscrit dans notre culture, dans nos représentations.
05:03C'est presque un rituel de passage.
05:06Donc il y a vraiment comme ça une identité autour de cette consommation d'alcool
05:11qui met complètement de côté la maladie.
05:15Et pourtant, ce n'est pas négligeable.
05:17C'est ça la France.
05:18Il y a une archive d'une vieille dame dans la rue avec une bouteille de vin.
05:22Je le disais, un héritage qui n'en finit pas de couler dans nos veines.
05:27Et puis il y a les témoignages.
05:28Et Baptiste, je le disais, votre témoignage dans le documentaire, il est bouleversant.
05:32Ça a été compliqué de prendre la parole face caméra ?
05:35C'est toujours compliqué de se mettre à nu, de se dévoiler, de dire des choses qu'on n'oserait pas dire.
05:41C'est assez terrifiant.
05:43Et en même temps, j'ai cru en ce doc.
05:46Qu'est-ce qui vous a convaincu justement dans la démarche d'Élise Le Bivic ?
05:50Ce côté enveloppant, très humain, qui permet de se questionner en douceur.
05:57C'est là où je vois la force du doc.
05:59J'espère qu'il aura de l'impact.
06:01Ah mais c'est certain, quand on l'a vu, votre témoignage, il est puissant puisque vous racontez votre rencontre.
06:09Et c'est d'ailleurs assez étonnant que vous le formuliez comme ça.
06:12Une mauvaise rencontre avec l'alcool.
06:14Vous étiez ado et vous vous dites, là enfin, avec l'alcool, je suis libre.
06:19Qu'est-ce que ça veut dire ?
06:21J'existe enfin.
06:23Je suis dans une forme de prison où j'étouffe.
06:27Et l'alcool me permet d'aller dans un monde.
06:32D'aller dans un monde où tout semble plus drôle, tout semble plus intense.
06:36Tout est beaucoup, beaucoup plus vivant.
06:38L'alcool me permet d'accéder à un personnage qui est capable de faire des choses inimaginables.
06:45Et donc...
06:46C'est de l'essence dans votre moteur.
06:49C'est une expression tout à fait juste.
06:52Oui, qui vous permet d'être vraiment vous-même.
06:56Ça, c'est plutôt rare ou est-ce que c'est véritablement l'un des ressorts communs, Marion Acké ?
07:01C'est très courant, ce terme de rencontre.
07:04Moi, souvent même, il y a le langage amoureux dans les témoignages que j'ai pu entendre parmi les patients ou les membres des Alcooliques Anonymes.
07:13C'est un coup de foudre avec l'alcool, une rencontre.
07:16Il y a quelque chose d'un truc extraordinaire qui se passe avec ce produit qui débloque des choses profondément coincées chez ces personnes
07:27qui ont quelque chose dans l'intime d'une vulnérabilité particulière.
07:34Avec un mot qui revient régulièrement, c'est le mot « liberté ».
07:36Oui, c'est l'illusion de liberté.
07:39L'illusion de la liberté.
07:40Il trouve une solution.
07:43C'est une fausse solution.
07:45Parce que cette croyance de liberté va les enfermer, les asservir jusqu'à parfois la mort.
07:52Il ne faut pas oublier ça, la prison ou la mort.
07:54Voir la folie pour certains qui finissent à l'hôpital psychiatrique.
07:59Donc c'est vraiment une emprise, quelque chose de très vicieux sournois qui apparaît comme ça.
08:06Comme finalement, c'est Marie qui parle de l'ex-toxique.
08:10Il y a cette rencontre amoureuse, merveilleuse au début, qui va toute émerveilleuse au début avec l'alcool.
08:15Et puis au fur et à mesure que la maladie s'installe, ça devient quelque chose qui tire vers le fond jusqu'à la désolation.
08:22Marie, que vous évoquez, qui est l'une des personnes qui témoignent, qui parle de l'alcool, donc d'un ancien amoureux, un ex-toxique.
08:32Elle est serveuse et elle dit qu'une serveuse qui boit, c'est normal, l'inverse serait même suspect.
08:37Oui, mais quant à vous, Baptiste, vous buvez en soirée et il y a un jour où c'est un déclic, un déclic qui est stupéfiant.
08:49Un garçon vous raccompagne, mais vous êtes ivre et il profite de vous, il vous viole.
08:55Et vous auriez aimé qu'on vous dise quoi ? Qu'on vous dise qu'on peut vous faire du mal quand on est bourré ?
09:05Je buvais pour aller dans un monde tout rose.
09:11À ce moment-là, je suis clairement dans la dépendance, dans ce côté besoin, solution qui va anesthésier tous mes problèmes.
09:19Mais je continuais à croire que l'alcool me permettait d'aller dans un monde où tout était naïf, tout était drôle.
09:24Et tout était des murs en coton qui allaient amortir ma chute.
09:29Et ce soir-là, ce monde a volé en éclats où un homme me ramène chez lui et me viole.
09:36Et ce monde a volé en éclats.
09:40C'est une déflagration totale.
09:42Qui lui crut que cette substance qui, pour moi, va me protéger de tout, en fait, je suis tellement, tellement vulnérable.
09:49L'alcool rend vulnérable.
09:51Oui, ce n'est pas à vous faire du mal quand vous êtes ivre ou bourré, pour employer vos mots.
09:59C'est parce que vous êtes bourré.
10:02Et ça, on ne met jamais assez en garde contre ce phénomène-là.
10:05Si seulement on m'avait prévenu de certains risques.
10:08On l'a déjà dit autour de la table.
10:09Mais c'est tellement normalisé, c'est tellement banalisé.
10:12C'est associé à l'apéro, au côté festif, la convivialité, le partage.
10:17Et évidemment que ça existe.
10:18On n'est pas en train de taper sur l'alcool.
10:21On est bien au courant que l'alcool permet de délier certaines langues.
10:25Mais il y a cet autre visage.
10:28Ce visage dont on ne parle pas.
10:29On va retrouver la chanteuse Rose dans un instant.
10:32Qui donc témoigne.
10:33Mais Élise Le Bivic.
10:34On découvre beaucoup de choses dans le documentaire.
10:37Et notamment ce rapport à la sexualité.
10:40À la sexualité non consentie.
10:42Chez les 18-24 ans.
10:43Plus d'un jeune sur cinq.
10:44C'est considérable.
10:46Déclare avoir eu un rapport sexuel non consenti à cause de l'alcool.
10:52Oui, c'est vrai que ça paraît.
10:53Une fois qu'on le dit ou quand on écoute Baptiste, on se dit évidemment que l'alcool nous rend plus vulnérables.
10:58Et qu'il y a une vulnérabilité qui apparaît.
11:01Mais moi j'avoue que c'est quand même une de mes stupéfactions tout au cours de l'enquête.
11:08C'est le nombre de personnes, jeunes et moins jeunes, à m'avoir parlé d'agressions sexuelles.
11:13Et si la parole elle se libère, et heureusement depuis maintenant plusieurs années, depuis MeToo sur le consentement et les agressions sexuelles.
11:20Je crois et moi je dois bien avouer que je n'avais pas fait ce lien avec l'alcool encore.
11:26Et je pense que là ça apparaît évident.
11:27Le sondage qu'on a réalisé avec l'IFOP le dit, vous venez de donner les chiffres,
11:33ça ne peut que nous pousser à nous questionner encore et encore sur notre rapport à l'alcool.
11:38Il y a Charlotte qui témoigne également et qui dit qu'elle buvait pour se sentir désirable,
11:43que c'était compliqué pour elle d'aller voir des gens qu'elle ne connaissait pas sans avoir bu.
11:48Elle parle d'une dose de courage liquide.
11:51J'aimerais revenir sur l'une de vos expressions que vous employez dans le documentaire Manon Acké.
11:57Ce n'est pas simplement l'idée que c'est un rite de passage,
12:02mais c'est qu'on a le sentiment qu'on n'a pas pris conscience suffisamment tôt de ce rapport de l'alcool
12:14avec les ravages qu'il pouvait produire.
12:17On en est toujours là ?
12:18Je crois.
12:21Il me semble qu'on parle de plus en plus quand même des risques de l'alcool.
12:26Avec tous les débats qu'il y a autour du dry januari,
12:30je crois effectivement qu'encore aujourd'hui, d'un point de vue social, familial,
12:36il y a quelque chose, comme le disait Baptiste,
12:38« L'alcool c'est festif, même on est initié en famille à bien boire ».
12:43Je n'ai jamais compris cette expression.
12:46Parce qu'on oublie que l'alcool, au-delà de l'aspect social, c'est une substance psychotrope.
12:54C'est-à-dire que ça agit sur le cerveau, ça désinhibe, ça modifie le comportement, les pensées.
12:59Et donc, dans cet état-là, il peut se passer des choses,
13:04et souvent il se passe des choses qu'on regrette ou pas,
13:07mais qu'on n'aurait pas fait si on n'avait pas bu.
13:09Alors il y a donc les moments où l'on voit Gad Elmaleh par exemple,
13:12à Hurlédrir sur scène, qui joue le type ivre qui sort de soirée,
13:17il est 7h du matin, il y a Florence Foresti, il y en a d'autres.
13:21Mais vous posez une question, à quoi ressemblerait une société où l'on boirait moins ?
13:26Est-ce que vous pouvez nous la décrire ?
13:29Parce que c'est stupéfiant de s'en apercevoir.
13:32Oui, comme je le disais dans le documentaire,
13:35une société où on boirait moins, que ça soit moins banalisé, moins excessif,
13:42déjà beaucoup moins d'accidents de la route, on est bien d'accord,
13:45beaucoup moins de violences, que ce soit les violences intrafamiliales,
13:48les violences sexuelles, parce qu'on sait que ça c'est un facteur aggravant, terrible,
13:54que ce soit au niveau conjugal, mais aussi sur les enfants, nous ne l'oublions pas,
14:00les violences sexuelles, évidemment, en soirée, et merci pour ton témoignage Baptiste,
14:04c'est hyper important d'en parler, et puis aussi, plus généralement,
14:09une société en meilleure santé, parce que l'alcool est un des premiers facteurs
14:14de maladies cardiovasculaires et autres, c'est un facteur aggravant, très important,
14:20et on le sait, dès qu'on est dans un parcours de soins, il y a une maladie,
14:25on nous le dit, il va falloir réduire ou arrêter l'alcool.
14:28Bien sûr, Élise Le Bivic, ses témoignages, il raconte une histoire collective,
14:32les archives le rappellent, votre documentaire, il raconte un pays qui a longtemps fait
14:39la promotion de l'alcool et qui, finalement, s'en rend compte depuis peu.
14:43Il y a des images de Salons de l'agriculture, où l'on voit Jacques Chirac enfiler une bière
14:50cul sec, François Hollande, d'autres. C'est un pays où on a du mal, malgré la loi Evin,
14:58à dire que, tout simplement, le vin, c'est de l'alcool.
15:01Oui, c'est difficile.
15:02Ça peut paraître aberrant, mais il y a au Salon de l'agriculture et beaucoup de lobbies
15:07qui empêchent d'avoir un discours simple et efficace sur l'alcool.
15:11C'est ce qui fait, je pense, qu'il y a encore, quelque part, une forme de déni généralisé
15:16qui nous arrange en général, nous les Français, parce qu'en effet, il y a cet art de vivre
15:22associé au vin. Et vraiment, on n'est pas là aujourd'hui pour dire qu'il ne faut pas boire du tout.
15:29Mais c'est vrai que quand on voit nos présidents faire des cussets, qui est Emmanuel Macron
15:33et le dernier en date, on s'interroge sur cette... c'est comme s'il y avait une sorte
15:37de fiction qu'on s'était raconté pendant des années liée à l'alcool et on a du mal
15:42à en sortir. On a du mal à se dire qu'en effet, on nous a tellement servi ce discours
15:47que l'alcool, et notamment le vin, c'était bon pour la santé, que ça réduisait les risques
15:52de maladies cardiovasculaires.
15:53Moi, j'ai grandi avec ce discours.
15:57Aujourd'hui, on sait, on est mieux informé, on sait que ce n'est pas vrai, mais on a du mal
16:01à s'en défaire.
16:02Baptiste, vous, vous avez complètement arrêté de boire d'alcool ?
16:06Depuis plus de dix ans. Et je n'ai jamais été aussi heureux.
16:10Mais ce n'est pas compliqué à vivre. Comment est-ce que vous vous sentez lorsque vous êtes
16:14en soirée ? Parce que vous avez été soutenu par vos amis. Il y a dix ans, ils vous ont écrit
16:18une lettre pour vous dire que cette situation était en train de vous détruire. C'est ce
16:22qu'on appelle une intervention, pour employer un vocabulaire anglo-saxon, puisque c'est très
16:28développé les cercles d'alcooliques anonymes aux Etats-Unis, par exemple, beaucoup plus
16:33qu'en France. Vos amis ont été là pour vous ?
16:36J'ai eu tellement de chance. Je pense que je n'aurais pas pu ouvrir les yeux sans cette
16:41présence amicale, sans cette présence familiale. Il n'y avait plus que moi qui ne voyais
16:44pas un dans ce déni total. Et quand je pousse la porte des alcooliques anonymes à 24 ans,
16:52c'est terrifiant. C'est terrifiant d'en arriver là alors qu'on se sentait si protégé,
16:57pas concerné par le sujet. Comment voulez-vous que je me sente concerné à 24 ans ? Pour
17:02moi, c'était aussi une question d'âge. Ce n'est pas possible à 24 ans d'avoir
17:07besoin d'alcool. Mais tout crevait les yeux, tout crevait les yeux. Et à 24 ans, de
17:12enfin pouvoir se déposer des choses, déposer cette honte et d'être vu. Mais enfin vu.
17:19Mais qu'est-ce que ça fait du bien de se sentir moins seul ?
17:21Et il y a des personnages emblématiques, des célébrités, pour le dire rapidement,
17:27qu'on voit dans le documentaire Coluche qui parle de son addiction à la télévision. Il
17:33y a Marguerite Duras qui se confie sur le plateau de Bernard Pivot. Elle dit en ce moment,
17:38je suis une alcoolique qui ne boit pas. Et c'est notamment ce témoignage qui a servi
17:42de déclic à une chanteuse qui a pris la parole dans le documentaire et qui est avec nous.
17:46Bonjour Rose. Oui, bonjour. Bonjour Ali. Bonjour à tous.
17:50Merci de participer au grand entretien de France Inter. En 2006, vous sortez une chanson
17:55qui est un tube, la liste. Et à ce moment-là, vous vous mettez à boire. C'est ce que vous
17:59racontez dans le doc, sur scène, avant, après. Comme s'il y avait une forme de mythe
18:07de l'inspiration qui se trouve au fond du verre. C'est ce que racontait Marguerite Duras ?
18:12Oui, une mythe de l'inspiration et une mythe du rock'n'roll aussi. Parce qu'on
18:17dit que c'est normal qu'une serveuse boive, mais c'est normal aussi que les artistes se
18:22droguent, boivent, ça passe mieux. C'est sûr que c'était assez permissif.
18:27Et comment est-ce que vous avez pris conscience, vous, de votre dépendance à l'alcool et de
18:31votre addiction ? Il y a un moment fondateur, notamment un concert du 14 juillet.
18:36Il y en a plusieurs. Ce n'est pas un déclic, mais c'est plusieurs déclics, des prises
18:41de conscience successives. Parce que franchement, c'est le paradoxe, c'est qu'il y a une volonté
18:47d'aller mieux quand on consomme et ça fonctionne au début. Donc moi, au début, vraiment, je
18:51ne me rendais pas compte. Et puis c'est vrai qu'avec le recul, grâce à ce documentaire,
18:55j'ai pu aussi mettre un peu plus de lucidité sur des moments où c'était clair et net.
19:00Ce moment au 14 juillet où je chante et que je n'ai pas à répéter, que j'arrive
19:05d'une nuit blanche et que je vais continuer derrière parce que je ne suis pas contente
19:09de ma prestation, la seule solution que je trouve à ce moment-là, c'est de continuer
19:12à boire.
19:12Et vous chantez « Foule sentimentale » d'Alain Souchon et vous riez, mais même votre
19:19entourage, vos proches sont médusés par ce qui se passe et vos équipes vous disent
19:25« Ce n'est pas possible ce que tu as fait. » Et vous avez mis malgré tout du temps,
19:28Rose, à comprendre que c'était une maladie dont il était question.
19:32Énormément de temps, oui. C'est une maladie dont on ne guérit pas. Mais j'ai mis énormément
19:37de temps à comprendre que c'était une maladie qui ne se soignait que par l'abstinence.
19:42C'est-à-dire que l'abstinence, c'est le début. Poser le verre, comme on dit aux
19:47alcooliques anonymes, c'est que le début. Il va falloir apprendre à vivre sans alcool
19:53et c'est ça le plus difficile. Et ce qui est génial, c'est que ça demande toute une vie.
19:57C'est un chemin, c'est un vrai chemin. Ce n'est pas du tout un truc qui se passe
20:01du jour au lendemain, c'est impossible.
20:02Et ça rejoint d'ailleurs ce que vous dites de très nombreux témoignages d'auditeurs
20:05de France Inter qui nous écrivent. Brigitte qui parle de son abstinence depuis 13 ans,
20:11qui fait des réunions d'alcooliques anonymes, qui dit qu'il est encore possible,
20:17il est toujours possible de s'en sortir et vous acquiescer autour de la table. Il y a
20:24Jean-Pierre qui dit qu'il est alcoolique abstinant depuis 25 ans et qu'il est heureux.
20:29Il y a un message. Comment est-ce qu'on fait Élise Le Bivic pour ne pas être moralisatrice
20:34quand on fait un film comme celui-là, pour ne pas faire la leçon pour le dire vite ?
20:40D'ailleurs, le film s'intitule « Boire ». Ce n'est pas « Arrêter de boire » comme une injonction.
20:48Non, je crois que ça on serait... J'espère que ce n'est vraiment pas le cas et que nous,
20:54c'était très important pour nous de toujours être sur une ligne de crête parce que l'alcool
21:01quand même fait qu'on est sur cette ligne de crête. Mais moi, j'ai toujours eu en tête
21:06et ça fait partie du choix des témoins de ces Français de 20 à 60 ans qui parlent dans
21:13ce documentaire qui ont pour moi été tous une évidence. Mais c'était qu'ils puissent
21:17nous permettre de nous projeter, de nous identifier et de les écouter. C'est aussi
21:23rentrer dans nos familles, que ça nous parle à nous ou quand on les écoute, on imagine
21:30des proches. Parce que je crois qu'on est tous concernés. Mais si on commence à faire
21:34la morale, le message n'y passe pas. Si on commence à dire « Il faut... » Nous, on dit
21:38à aucun moment. Je crois que le documentaire ne dit pas qu'il faut arrêter de boire.
21:42En revanche, il faut commencer à accepter ceux qui disent « Moi, j'ai arrêté ». Parce
21:47qu'il y a toujours cette pression sociale en France très forte et je crois que c'est
21:50aussi important de prendre conscience de cette pression sociale. Ils m'ont beaucoup dit
21:56souvent « C'est plus facile en France d'accepter un verre, quitte à ne pas le boire, quitte
22:00à le cacher, que d'en refuser un. » Parce qu'on va toujours dire « Mais si, mais
22:04pourquoi ? » Et pourquoi ? Parce que je crois qu'en fait, ça renvoie à l'autre son
22:10besoin ou son envie de boire un coup.
22:13Baptiste, vous vous acquiescez et vous souriez.
22:16J'ai fait face à certaines situations où effectivement, on insiste. Cet effet miroir
22:27dont parle Elise, c'est cette réverbération et très gênante pour tout le monde. Tu le
22:34dis si bien, je pense que c'est vraiment un sujet qui concerne tout le monde.
22:37Et c'est un sujet qui concerne tout le monde et que raconte magnifiquement ce documentaire.
22:41C'est donc « Boire ». Le titre est tout simple, un verbe. C'est magnifiquement raconté
22:46par Virginie Effira avec donc des archives, des témoignages. Et donc le film sera diffusé
22:53le mardi 4 novembre à 21h10 sur France 2 et ce sera suivi d'un débat parce que ce
22:59film pose des tas de questions. Je voulais vous remercier tous les quatre d'avoir été
23:04avec nous ce matin. Merci infiniment Rose, merci Baptiste pour vos témoignages. Et donc
23:09un film à ne pas rater, boire. C'est sur France 2.
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