- il y a 7 minutes
Pierre Rosanvallon, historien, professeur émérite au Collège de France, auteur de "Les institutions invisibles" (Seuil) et Cynthia Fleury, philosophe, professeure titulaire de la Chaire « Humanités et Santé » au CNAM – Sorbonne université, auteure de "La clinique de la dignité" (Seuil). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-08-octobre-2025-6689899
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:008h22, France Inter, Nicolas Demorand, Benjamin Duhamel, la grande matinale.
00:07Et avec Benjamin Duhamel, nous vous proposons ce matin dans le grand entretien de prendre un peu de hauteur
00:13pour tenter de mieux comprendre la crise politique qui secoue le pays.
00:17Démission du gouvernement, appel à une présidentielle anticipée.
00:22Qu'est-ce qui se joue derrière ces événements ?
00:25Qu'en pensez-vous ? Dans quel état est la démocratie ?
00:28On attend vos questions et on les espère nombreuses au 01, 45, 24, 7000.
00:35Passez aussi par l'application de Radio France pour dialoguer avec nos deux invités, Benjamin.
00:42Pierre Rosanvallon, bonjour.
00:44Bonjour.
00:44Merci d'être avec nous.
00:45Vous êtes historien, professeur émérite au Collège de France, auteur des institutions invisibles aux éditions du Seuil.
00:51Cynthia Fleury est également avec nous.
00:53Bonjour.
00:53Merci d'être avec nous, philosophe, psychanalyste, professeur titulaire de la chaire Humanité et Santé au Conservatoire National des Arts et Métiers,
01:01Sorbonne Université, auteur de la Clinique de la Dignité également aux éditions du Seuil.
01:06Soyez les bienvenus au micro d'Inter, démission du gouvernement Lecornu quelques heures après sa nomination.
01:13Ce Premier ministre démissionnaire chargé de trouver un accord entre les partis.
01:19Des appels à la dissolution, à une présidentielle anticipée.
01:23Voilà le résumé des 36 dernières heures de la vie politique française.
01:28Quels mots mettez-vous ce matin sur cette situation, Pierre-Rosan Vallon ?
01:34Sidération, lassitude, colère, quels sentiments aussi vous traversent ?
01:38Il y a deux mots qui me viennent spontanément à la bouche.
01:42C'est d'abord le mot de déraillement.
01:44On a le sentiment d'un déraillement de nos démocraties.
01:47Et le deuxième mot que j'emploierais, c'est celui de toboggan.
01:51Parce que nous avons le sentiment, enfin moi j'ai le sentiment, que nous sommes dans une glissade qui va nous mener très loin.
02:00Et nous mener très loin, on sait ce que ça veut dire.
02:02C'est rejoindre tous ces pays du monde qui aujourd'hui ont fait place aux forces populistes qui occupent les sièges des gouvernements.
02:11Je crois que lorsque nous réfléchissons à la société, à la situation française actuelle,
02:15il faut à la fois voir quelles sont les caractéristiques spécifiquement françaises de la situation,
02:22mais voir que nous nous situons dans un contexte global qui est bien celui à la fois du déraillement des démocraties et du toboggan vers les populismes.
02:32Cynthia Fleury, la démocratie française déraille, comme le dit Pierre-Rosan Vallon ?
02:37Oui, moi ce qui me frappe, et ça va dans le même sens que Pierre-Rosan Vallon,
02:41c'est la forme, je dirais, de désaffection par rapport à l'idée même de notion d'intérêt général.
02:50Qu'est-ce que l'intérêt général aujourd'hui pour la France, et en règle générale pour une démocratie ?
02:55C'est de préserver, non pas le gouvernement, les partis, si vous voulez, ne sont pas au service du gouvernement,
03:00mais les partis sont au service de la gouvernabilité de la France.
03:05C'est ça l'intérêt général de la France.
03:07Et donc aujourd'hui, dissocier à ce point-là, considérer, si vous voulez, que la gouvernabilité de la France est une option parmi d'autres,
03:15dans le jeu politique, que ça peut totalement être déstabilisé par les politiciens eux-mêmes,
03:21parce que c'est ça qui se passe aujourd'hui.
03:22La gouvernabilité de la France n'intéresse plus les partis, et elle n'intéresse même pas le chef de l'État.
03:27Dans votre livre « Les épreuves de la vie », Pierre Rosanvallon, vous parliez, je vous cite,
03:33« de la place majeure qu'occupe dans notre société le ressentiment, l'indignation, la colère, l'amertume, l'anxiété et la défiance ».
03:45On y est toujours aujourd'hui, ces affects négatifs sont nourris par la crise politique, selon vous ?
03:57Oui, je dirais que nous pataugeons toujours dans la boue de ces affects.
04:02Et pourquoi pataugeons-nous ?
04:03Nous pataugeons parce que ce qui est la racine et le moteur de tous ces affects négatifs,
04:11c'est le sentiment de ne pas être représenté, le sentiment de ne pas être écouté, le sentiment de ne compter pour rien.
04:18Et en même temps qu'il y a ces expressions de colère et de ressentiment,
04:23eh bien, il y a les faits absolument fondamentaux, le sentiment de ne pas être respecté,
04:29dans bien des cas d'être méprisé.
04:32Et là, il y a une interrogation à faire, qui couvre à la fois, je dirais,
04:37des caractéristiques propres à notre chef de l'État,
04:40qui est un peu une intelligence hémiplégique.
04:43Il brille dans la géopolitique et il est sourd dans la compréhension du pays.
04:49Alors, il y a cette dimension spécifiquement française, mais de façon plus large,
04:53toutes les démocraties connaissent aujourd'hui des pannes de la représentation.
04:58Pourquoi ? Parce que le système démocratique avec les partis a été inventé à un moment
05:03où les sociétés étaient organisées en grands groupes, bien homogènes, bien identitaires,
05:10alors qu'aujourd'hui, nous sommes dans des sociétés beaucoup plus fluides,
05:14des sociétés d'individus, et dans lesquelles le problème n'est pas simplement celui de l'exploitation économique,
05:18mais des rapports de domination, des rapports interpersonnels.
05:23Et donc, j'ai le sentiment pour cela que nous vivons un moment
05:26qui est un moment de basculement des régimes démocratiques en général.
05:31Juste, Pierre Rosanvalon, quand vous insistez sur ce que vous appelez l'hémiplégie du président de la République,
05:38c'est sa responsabilité et exclusivement sa responsabilité, ce que l'on vit en ce moment,
05:42ou est-ce que, au fond, et c'est d'ailleurs ce que répondent ceux qui gouvernent,
05:46c'est une responsabilité collective, de partis d'opposition qui ne seraient pas suffisamment responsables,
05:52aussi parfois de citoyens qui pourraient avoir des désirs et des envies contradictoires,
05:58qui, au fond, est responsable de la situation que l'on vit en ce moment ?
06:01Bon, la dimension hémiplégique du chef de l'État, elle est patente.
06:06Mais il y a aussi, évidemment, un problème de culture politique.
06:09C'est-à-dire que les partis politiques, en général, se construisent et se pensent
06:15comme des défenseurs de châteaux-forts, et non pas comme des organisateurs et des participants au débat public.
06:22Donc, il y a un élément de la culture politique française,
06:25qui est une culture politique qui ne comprend pas le compromis,
06:29et une culture politique dans laquelle les partis sont repliés sur eux-mêmes,
06:32et non pas, je dirais, des instruments d'expression de la société
06:37et d'aide à ce que celles-ci se sentent écoutées, entendues.
06:42Des sociétés d'individus fluides, dit Pierre-Rosan Vallon.
06:47Qu'en pensez-vous, Cynthia Fleury ?
06:49C'est vrai qu'il y a une crise systémique, si vous voulez, de la démocratie représentative,
06:55mais un peu différente parce que ce n'est pas nouveau.
06:57Et on l'avait vu déjà, ne serait-ce qu'au moment, avant même les Gilets jaunes,
07:02qu'on parlait très très souvent, on disait que ce n'est pas qu'une crise de la représentativité,
07:06c'est une crise de la représentation.
07:07C'est-à-dire que les individus, les citoyens ne se sentent plus représentés.
07:12Je rajouterais quand même un fait, qui aujourd'hui me marque encore plus qu'il y a quelques années,
07:18c'est qu'en fait on a aussi effectivement cette absence de culture de compromis.
07:22Et en fait, on a, si vous voulez, une seule et unique façon de voir la représentation,
07:28c'est-à-dire, en gros, elle est liée aux faits majoritaires.
07:31Elle est liée, et ça, aujourd'hui, on voit bien qu'on est dans un nouvel acte de la démocratie,
07:37dans une maturité.
07:39Ce n'est pas forcément déficitaire, demain, de dire...
07:41La maturité, elle ne saute pas aux yeux.
07:43Non, non, mais vous allez comprendre.
07:45Dans une maturité, dans le fait de dire,
07:46bah oui, nous allons devoir construire demain ce que d'autres ont fait en Europe,
07:50c'est-à-dire une démocratie représentative qui ne s'appuie plus sur une majorité absolue.
07:55Il n'y a rien de dramatique à cela.
07:58C'est-à-dire qu'à un moment donné, il faut arrêter de penser que c'est la décadence absolue de la représentation.
08:04C'est une autre façon de faire de la représentation.
08:06Mais on dit, Cynthia Péry, les Français n'ont pas forcément le tempérament politique pour accepter...
08:08Ah non, ils n'ont pas du tout, je vous confirme.
08:09Ils n'ont ni le tempérament ni l'envie,
08:11puisque on peut considérer aujourd'hui que l'imaginaire,
08:14nous sommes gouvernés par l'imaginaire,
08:16et l'imaginaire français, c'est le grand soir,
08:20comme, je dirais,
08:22risette magique
08:23de la vie démocratique.
08:26Et ça, c'est, disons-le clairement,
08:28le niveau zéro de la pensée politique.
08:31Allez, on passe au standard d'Inter
08:33et on ouvre le dialogue
08:34avec vous, amis auditeurs.
08:37Aurélien, bonjour.
08:38Oui, bonjour.
08:40Moi, je voulais savoir, tout simplement,
08:41si avec la crise de régime actuel,
08:44on n'assiste pas, comme à la fin de la 4e République,
08:47à un régime des partis,
08:50et on n'assiste pas à la fin de la 5e République.
08:53Merci Aurélien pour cette question.
08:56Pierre Rosanvalon ?
08:57Vous posez la question en termes institutionnels,
09:004e, 5e, peut-être 6e République.
09:03On peut la poser dans ces termes,
09:04mais on peut la poser dans des termes plus larges et plus généraux,
09:08qui est qu'il y a un épuisement d'une démocratie
09:11qui est simplement fondée sur les partis.
09:13Il y a besoin maintenant.
09:15Les partis, c'était une grande invention au 19e siècle.
09:18On disait, avec le suffrage universel,
09:21il faut canaliser l'énergie collective.
09:24Et bien maintenant, il faut trouver d'autres moyens que les partis.
09:27Ils ont toujours leur rôle,
09:29mais il faut trouver des moyens de délibération.
09:31C'est l'expérience des conventions citoyennes.
09:34Il faut trouver surtout des moyens de narration,
09:37des moyens de représentation de la société.
09:39Je pense que nous sommes dans un moment partout dans le monde,
09:42pas simplement en France,
09:43où il faut réinventer les institutions démocratiques.
09:47Garder celles qui existent, bien sûr,
09:49parce qu'elles ont aussi leur validité,
09:52mais élargir ces fonctionnalités.
09:55Mais ça veut dire quoi, réinventer les institutions démocratiques ?
09:57Ça veut dire des choses très simples.
09:59Ça veut dire que lorsque l'on se pose des questions,
10:02par exemple sur la taxation type Zuckmann,
10:06que ce ne soit pas simplement un débat simplifié,
10:10mais qu'il y ait, par exemple,
10:11s'il y avait une convention qui discute devant les yeux du public
10:14pour bien examiner les pours, les contres,
10:17tout ce qui est en jeu,
10:18à ce moment-là...
10:19Vous trouvez que ce n'est pas le cas ?
10:20Le débat sur la taxe Zuckmann a été mal posé ?
10:23Je pense qu'il a été discuté simplement du point de vue de la bataille politique.
10:29Il n'a pas vraiment été appréhendé,
10:31vraiment sur le fond,
10:32tant techniquement que politiquement.
10:35Cynthia Fleury, et puis on repasse au standard.
10:37Oui, je pense qu'il y a effectivement un nouvel âge de démocratie post-partisane,
10:42si on peut le dire comme ça.
10:44Juste deux choses, c'est vrai qu'on peut se poser la question,
10:48effectivement, d'un danger sur la cinquième.
10:51Avec ceci, ce paradoxe près, si vous voulez,
10:53que la quatrième, quand la cinquième est arrivée,
10:58vous aviez des partis, effectivement,
10:59une démocratie dite des partis, une république dite des partis,
11:02mais aujourd'hui vous avez des partis qui sont extraordinairement faibles.
11:06Donc c'est terrible de voir que c'est aussi par l'hyperfragilité des partis
11:10qu'on est en train, peut-être, de mettre à mal notre démocratie.
11:14Mais je suis tout à fait d'accord avec Pierre,
11:17c'est-à-dire que les nouveaux outils, en fait,
11:19les Français, ils demandent une démocratie délibérative
11:22beaucoup plus extensive, en fait.
11:23C'est-à-dire pas simplement le gouvernement, l'exécutif,
11:27qui met en débat...
11:28Et rendez-vous tous les cinq ans pour le président.
11:30Mais, on l'a dit et redit, les conventions sont d'énorme succès,
11:34tout le monde s'en moque, etc.
11:36Sauf qu'elles construisent quoi, les conventions ?
11:38Elles construisent l'acceptabilité,
11:40elles construisent le consentement, si vous voulez, à la décision politique.
11:43Aujourd'hui, la décision politique que par le haut,
11:46que par une hyper-verticalité, que par une centralisation,
11:49en fait, ça se bloque très souvent.
11:51On va parler d'argent maintenant avec Daniel.
11:54Bonjour et bienvenue.
11:56Bonjour, merci de me donner l'antenne.
11:58Il y a une dette, c'est évident,
12:00entre autres liée au quoi qu'il en coûte consécutif au Covid.
12:05Et cette dette, il faut la rembourser.
12:07Et ce qui ne va pas, c'est que les plus modestes doivent y contribuer,
12:11par la réduction des dépenses,
12:13donc une altération du fonctionnement des services publics,
12:17mais que par contre, les plus aisés,
12:19qui ont les moyens également de contribuer au remboursement de cette dette,
12:24ne veulent pas y participer.
12:26Ce qui crée un sentiment de révolte et d'injustice.
12:28Merci Daniel pour cette intervention.
12:31Pierre-Rosan Vallon, vous parliez de la taxe Zuckmann.
12:36Que répondez-vous à ce sentiment d'injustice face à l'impôt que formule Daniel ?
12:45Je ne réponds pas parce que ce sentiment d'injustice,
12:47il n'est pas tant, il est évident.
12:49Donc il suffit de le constater.
12:51Mais peut-être serait-il intéressant d'imager ce sentiment.
12:55Ce sentiment, il est viscéral.
12:58Mais l'imager, c'est mettre des chiffres.
13:00C'est mettre des chiffres.
13:02Regardez quelle est la contribution fiscale
13:06de quelqu'un qui paye, qui gagne une fois et demie le SMIC
13:08et de celui qui gagne dix fois le SMIC.
13:11Je pense qu'il y a des chiffres pour imager le sentiment d'injustice.
13:16Le sentiment d'injustice, il est à la fois très puissant et très vague.
13:19Mais si on veut lui donner de la force, je dirais,
13:23c'est effective dans la discussion pour la réforme,
13:26il faut aussi qu'il y ait des chiffres et des images derrière.
13:29Cynthia Fleury, ce qui est frappant sur le débat,
13:31pour prolonger la question de notre auditeur,
13:33c'est que le débat est polarisé de telle manière
13:35qu'il y a d'un côté ceux qui ne jurent que par l'impôt,
13:39la justice fiscale,
13:40de l'autre côté ceux qui refusent l'utilisation de ce levier
13:43et qui au contraire considèrent que la seule question qui vaille
13:46est celle de la dépense et d'un État supposément trop dispendieux,
13:51incapacité à partager les mêmes termes du débat,
13:54y compris quand on parle de la taxe Zuckmann.
13:56Pierre Rosanvallon, vous en parliez il y a un instant.
13:58Oui, ce qui rend la culture du compromis impossible.
14:01Parce que si vous voulez,
14:02quand on disait tout à l'heure que les parties
14:04ou les représentations du peuple,
14:06elles sont des outils absolument déterminants,
14:09ce sont des outils déterminants indispensables
14:11si les parties ne deviennent pas l'alpha et l'oméga
14:14de toute l'histoire.
14:15C'est-à-dire qu'en somme,
14:16les parties y sont au service, encore une fois,
14:19de la gouvernabilité et de la prise de décision
14:23et non pas de la paralysie.
14:25Et sur la question de la dette,
14:27ça mérite, si vous voulez,
14:27vous êtes dans l'obligation de reconnaître
14:29quand même un peu la légitimité du point de vue adverse.
14:32Or, vous vous rendez bien compte
14:33que les parties ne se considèrent même pas
14:36les uns vis-à-vis des autres.
14:38Ils considèrent que la position de l'autre
14:39est nécessairement inique et illégitime.
14:43alors que c'est l'ensemble des parties
14:45qui représentent la volonté générale aussi.
14:48Cécile nous attend au standard.
14:50Bonjour, bienvenue.
14:52Bonjour, merci à France Inter.
14:54Moi, je voulais la question,
14:55ne pensez-vous pas que les élections présidentielles
14:57sont biaisées depuis quelques élections ?
14:59Les électeurs sont face à des non-choix
15:01votés contre l'ERN.
15:04Donc, le président élu
15:05n'est pas représentatif, en fait, des citoyens.
15:09Merci, Cécile, pour cette question.
15:14On ne vote pas pour, on vote contre.
15:16Dites en substance, notre auditrice.
15:19Oui, c'est quelque chose de très ancien.
15:21C'est quelque chose de très ancien
15:22parce que les motifs,
15:24les motifs de l'opposition
15:26ont une dimension viscérale
15:28et sont plus forts
15:29que les motifs, je dirais, de l'adhésion.
15:33Mais cette question n'est pas soluble
15:36si on la pose simplement dans ses termes.
15:39Elle est soluble si on montre
15:41que la démocratie ne se joue pas simplement
15:43sur le nom du président de la République.
15:46C'est cela.
15:47Si la démocratie ne s'élargit pas,
15:50si elle se rétrécit jusqu'à être simplement
15:52le choix d'une personne,
15:54la démocratie, à ce moment-là,
15:56elle se fragilise, elle peut vaciller.
15:58Oui, mais Pierre Rosanvallon,
15:58c'est un intellectuel de gauche.
16:00Vous voyez que même les partis à gauche,
16:02Jean-Luc Mélenchon ne jure que par
16:03une présidentielle anticipée.
16:05Aux partis socialistes, on dit
16:07on veut gouverner,
16:08Olivier Faure veut être appelé à Matignon.
16:09Là, c'est des questions de personnes,
16:11y compris dans des partis politiques
16:12qui précisément devraient
16:13du moins être moins
16:16dans cette personnalisation
16:18du pouvoir que vous déplorez.
16:19Oui, vous faites une description
16:21de ce qu'on pourrait appeler
16:21la pensée magique en politique.
16:24Eh bien, je pense que...
16:25Expliquez-nous !
16:26La pensée magique en politique,
16:27c'est de penser effectivement
16:28qu'il y a une seule clé
16:30pour une seule porte.
16:32Et donc là, c'est là...
16:34Alors qu'il y a plusieurs clés.
16:35Alors qu'il y a plusieurs clés,
16:36il y a plusieurs portes surtout.
16:37Il y a plusieurs portes à manœuvrer.
16:39Donc je pense que là,
16:40ce que montre, au fond,
16:42ce que peut apporter un historien,
16:44ce que peut apporter un sociologue,
16:45ce que peut apporter un philosophe,
16:47c'est cela.
16:48C'est aider tout de même
16:49à désimplifier les questions
16:50et à les compliquer,
16:52mais à les compliquer
16:53de façon positive,
16:54c'est-à-dire pour en comprendre
16:55la profondeur.
16:56Et quand Cynthia disait
16:57qu'il n'y a pas de culture
16:58du compromis,
16:59il n'y a pas de culture
17:00du compromis
17:00quand on est dans
17:01les simplifications radicales.
17:03Il y a une culture
17:04du compromis
17:04quand tout le monde
17:05reconnaît effectivement,
17:07comme Cynthia le disait,
17:08que le point de vue de l'autre
17:09mérite d'être pris en compte
17:11et qu'en grosso modo,
17:13on voit que
17:13les questions à trancher
17:15sont difficiles.
17:16Si on pense que tout
17:17est hyper simple,
17:18eh bien je crois que là,
17:19le toboggan,
17:20il est rapidement atteint.
17:23Et puis on a l'impression,
17:25Cynthia Fleury,
17:26que la puissance de légitimité
17:30des élections
17:31s'est affaiblie.
17:34Oui.
17:35On est moins légitime,
17:37on l'est moins longtemps,
17:39c'est-à-dire que l'élection
17:40ne parvient pas
17:41à recharger la démocratie.
17:43Tout à fait.
17:44Tout à fait.
17:44Aujourd'hui, si vous voulez,
17:46l'élection,
17:46elle n'a plus cette puissance
17:48de régulation,
17:50de stabilisation
17:51de la démocratie.
17:52C'est un outil parmi d'autres
17:53et c'est pour ça
17:54que c'est absolument déterminant,
17:56c'est structurel,
17:57si vous voulez,
17:57de remettre, je dirais,
17:59l'élection à sa juste place.
18:00C'est-à-dire une place
18:01aujourd'hui qui n'est pas
18:02celle de l'exclusif,
18:05parce qu'en plus,
18:05c'est un moment,
18:06on le sait,
18:07de spectacle,
18:08c'est un moment
18:08où généralement,
18:10on est sous le charme
18:11du candidat
18:12qui nous racontera
18:12le plus grand récit
18:13imaginatif,
18:15donc qui est totalement
18:16antinomique
18:16avec la conduite du pouvoir.
18:18Je voulais juste dire
18:19une chose,
18:19c'est que,
18:20et c'est là où on peut
18:20se poser la question
18:21malgré tout de la cinquième.
18:23La cinquième a,
18:24je dirais,
18:24consolidé,
18:25bien évidemment,
18:26ce rêve un peu magique.
18:29Alors,
18:29ce n'était pas le but,
18:30bien évidemment,
18:30du général de Gaulle,
18:32mais la cinquième raconte
18:33quand même
18:34ce présidentialisme,
18:36ce personnalisme à outrance
18:37et donc,
18:38elle a fait le lit aussi
18:40de cette illusion
18:41du grand chef
18:43qui va pouvoir
18:44trouver la solution.
18:45Bon,
18:46et là,
18:47on voit bien qu'aujourd'hui,
18:47il nous faut passer
18:48un nouvel acte,
18:49encore une fois,
18:50c'est pour ça que je parle
18:50d'une maturité
18:51à venir
18:52et attendue.
18:55Philippe,
18:55au standard,
18:56bonjour,
18:57bienvenue.
18:58Bonjour à tous.
19:01Je dirais,
19:01devant les difficultés
19:02de nos politiques
19:05à trouver
19:06un chemin commun
19:07dans l'intérêt
19:08des Français,
19:10n'est-ce pas
19:10le bon moment
19:11pour installer
19:11la proportionnelle
19:12aux législatives
19:13obligeant les élus
19:14à faire des compromis ?
19:15Merci Philippe
19:17pour cette question.
19:18Pierre Rosanvalon.
19:19Oui,
19:19ce serait sûrement,
19:20s'il y a une réforme
19:21apportée à la Constitution,
19:23je crois qu'il y a d'abord
19:24cette réforme.
19:25Mais,
19:25attention,
19:26cette réforme
19:28n'est pas non plus
19:29quelque chose de magique
19:30parce que cette réforme,
19:32sans les comportements
19:33qui vont avec
19:34un bon usage
19:34de la proportionnelle,
19:36ne servirait pas
19:37à grand-chose.
19:38C'est ça,
19:39toute la difficulté.
19:40actuellement,
19:41nous avons
19:41un Parlement
19:42qui est à peu près
19:44celui qui résulterait
19:45d'une proportionnelle.
19:47Et nous voyons
19:47toutes les difficultés.
19:49Qui ne donnerait pas
19:49davantage de majorité,
19:50Claire ?
19:50Voilà.
19:51Donc,
19:52la proportionnelle
19:52est un mode de nomination,
19:54mais il faut trouver
19:55des modes de fonctionnement.
19:57Et le mode de nomination
19:58ne définit pas forcément
20:00un fonctionnement positif.
20:01Cynthia Fleury ?
20:02Oui,
20:02non,
20:02mais c'est exactement ça.
20:03C'est-à-dire que la proportionnelle,
20:04c'est un outil.
20:05Aujourd'hui,
20:05on en a déjà une,
20:06quasiment.
20:07C'est comme si on avait
20:07une proportionnelle.
20:08On voit que ça ne marche pas.
20:09Donc,
20:09c'est bien l'esprit
20:11entre guillemets
20:12qui est en deçà
20:12de la proportionnelle,
20:13c'est-à-dire l'esprit
20:14de la reconnaissance
20:15de la pluralité
20:16des représentations
20:18et le fait de considérer
20:19encore une fois
20:20la position de l'autre.
20:22Pierre Rosanvallon,
20:22je voudrais vous entendre
20:23sur ce qui agite
20:24notamment l'actualité politique
20:25ce matin,
20:25la question de la réforme
20:26des retraites.
20:27Elisabeth Borne
20:28ouvre la porte
20:29à une suspension.
20:30Il y a quelques instants
20:30à votre place,
20:32Cynthia Fleury,
20:32Pierre Rosanvallon,
20:33le ministre des missionnaires
20:34de l'économie des finances,
20:35chiffrait la possibilité
20:37de suspendre
20:38cette réforme des retraites.
20:38En 2023,
20:39vous disiez,
20:40Pierre Rosanvallon,
20:40que nous étions en train
20:41de traverser,
20:42donc au moment
20:42des contestations
20:43contre cette réforme,
20:44depuis la fin du conflit algérien,
20:45la crise démocratique
20:46la plus grave
20:46que la France ait connue.
20:48Qu'est-ce que cela dit
20:49que deux ans plus tard,
20:51on en soit encore
20:51à débat d'une réforme
20:53qui pourtant
20:54est rentrée en vigueur,
20:56certes rejetée par les Français,
20:57mais qui a été votée,
20:58appliquée, promulguée ?
21:00C'est pour une raison
21:01très simple,
21:02c'est qu'on a pensé
21:03la réforme des retraites
21:05comme réduite
21:06à une question d'âge
21:07du départ à la retraite.
21:09Alors que la question
21:10des retraites
21:11est une question
21:12multiple,
21:14c'est une question
21:14qui concerne
21:15les conditions de travail,
21:16qui concerne
21:17le sexe des personnes,
21:19qui concerne
21:20leur succession
21:23d'emplois.
21:25Plus on globalise
21:26les questions,
21:27plus on est
21:28dans l'idéologie,
21:29plus on les rapproche
21:30du terrain,
21:31plus on est
21:32dans le concret,
21:33plus à ce moment-là
21:34la discussion est possible.
21:36L'idéologie
21:37radicalise
21:38les différences,
21:39l'attention
21:40au concret
21:40rapproche
21:41les points de vue.
21:42Je pense que là,
21:43il y a quelque chose
21:44de très important,
21:45presque du point de vue
21:45de la méthode démocratique.
21:47Allez,
21:48on repasse au standard.
21:49Bruno,
21:49bonjour,
21:50bienvenue.
21:51Bonjour.
21:52À une époque
21:53où on s'intéresse
21:54à la santé mentale,
21:55on a l'impression
21:56de vivre dans un monde
21:57de cinglés.
21:58Tout est devenu
21:58irrationnel
21:59et incontrôlable.
22:00Donc,
22:01sachant que la crise
22:01à l'époque française,
22:02elle est mongale.
22:03tout est en roue libre
22:04en France,
22:05mais aussi en Amérique,
22:06en Russie,
22:06en Israël.
22:08Et on ne se parle pas
22:08en France,
22:09mais à l'ONU,
22:10on ne se parle pas non plus.
22:11Nulle part,
22:11il y a un espace
22:12de dialogue.
22:13La saturation médiatique
22:15agite le chaos du monde,
22:17mais elle n'apporte
22:17pas de clarté.
22:19Donc,
22:19ma question,
22:19c'est comment faire
22:20pour rester sain
22:21et mobiliser
22:22comme citoyen
22:23et comme électeur ?
22:24Parce que,
22:24est-ce que je vais voter
22:25si on dissout ?
22:26Je n'en suis pas sûr.
22:28Merci, Bruno,
22:29pour cette riche question.
22:31Cynthia Fleury.
22:32Oui,
22:33il a raison,
22:35c'est une question clé
22:36parce qu'on voit bien
22:37qu'en deçà,
22:39c'est une question
22:39qui concerne bien au-delà
22:40effectivement
22:41de la République française
22:43et c'est ce que
22:44François Artaug
22:45avait aussi appelé
22:45le présentisme,
22:47si vous voulez,
22:47c'est-à-dire
22:48cette espèce
22:49de moment contemporain
22:50qui n'est qu'un moment
22:51d'accélération,
22:52qui n'est qu'un moment
22:53pulsionnel,
22:54qui n'est qu'un moment
22:55je dirais
22:56de saturation,
22:57de surexposition,
22:58c'est-à-dire
22:59où nos régimes
23:00attentionnels
23:01sont tout le temps
23:02bombardés.
23:03C'est-à-dire,
23:03c'est impossible
23:04de s'extraire
23:06à un moment donné
23:06pour dire
23:07deux secondes,
23:08je pense,
23:09parce que vous savez
23:09que la pensée
23:10nécessite du temps,
23:11c'est un petit peu
23:12obligatoire,
23:13et de l'espace.
23:15Et donc,
23:16on a effectivement
23:17ce...
23:18Pourquoi ?
23:18Parce que c'est ce qu'on appelle
23:19l'économie cognitive,
23:21c'est-à-dire que
23:21la première denrée
23:23entre guillemets
23:24pour les économies
23:25numériques,
23:26c'est cette fameuse
23:27attention,
23:27et qu'il est hors de question
23:28que cette attention
23:29soit justement
23:30consacrée un peu plus
23:32à la délibération
23:33politique de qualité.
23:35Pierre Roservallon,
23:35on entend effectivement
23:36ce rapport
23:37de plus en plus distant
23:38à la politique,
23:39qui a une conséquence
23:40que l'on voit
23:40à longueur d'élections
23:42d'enquête d'opinion,
23:43c'est la progression
23:43du Rassemblement National.
23:45Tout ce qu'on est en train
23:45de vivre là,
23:46c'est ce parti-là
23:47qui risque d'en bénéficier ?
23:50Oui,
23:50parce que le Rassemblement National
23:51apparaît comme
23:53le réceptacle
23:54de toutes nos insuffisances,
23:56de toute notre impensée
23:58et de tous nos dysfonctionnements.
24:00Et que c'est un problème mondial,
24:02parce que partout dans le monde,
24:04les partis populistes
24:05progressent,
24:06qu'ils soient de gauche,
24:07les partis populistes
24:08ou de droite.
24:09Et donc,
24:10c'est d'améliorer
24:12le fonctionnement
24:12de la démocratie
24:13qui est la solution
24:15à sortir
24:17de ce qui apparaît
24:18justement
24:18comme ce toboggan
24:19vers le populisme.
24:21Merci infiniment
24:23à tous les deux,
24:24Pierre-Rosanvalon,
24:25Cynthia Fleury,
24:27merci d'avoir été
24:27au micro d'Inter
24:28ce matin
24:29et d'avoir longuement
24:31débattu
24:32avec les auditeurs
24:34qui étaient
24:35très très nombreux,
24:37je le redis ce matin,
24:39au standard
24:40et sur l'application.
24:42Merci infiniment
24:43d'avoir accepté
24:44aujourd'hui
24:44le principe
24:45de ce dialogue.
24:46et sur l'application
Recommandations
5:39
|
À suivre
3:43
2:27
1:04
3:04
3:17
4:49
3:29
3:38
4:14
4:33
9:13
3:21
0:23
Écris le tout premier commentaire