- il y a 10 heures
François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités de l’Ifop, enseignant à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense en usage et méthodologie des sondages Léa Chamboncel, journaliste politique, fondatrice du média Popol, autrice de « A qui profite la lutte » à paraître en mars chez Belfond. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-de-la-grande-matinale/le-debat-du-7-10-du-lundi-01-decembre-2025-6790528
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00C'est le débat du jour et il est d'autant plus brûlant que les municipales et juste derrière la présidentielle arrivent à grands pas.
00:07Je vous présente mes invités. François Croce, bonjour.
00:10Vous êtes directeur du pôle politique actualité à l'IFOP.
00:14Vous êtes enseignant également à l'université de Paris-Ouest Nanterre.
00:17La défense en usage et méthodologie des sondages.
00:21Ça tombe bien, on va parler et usage et méthodologie.
00:24Face à vous, Léa Chamboncel, bonjour.
00:26Vous êtes journaliste politique, fondatrice du média politique Popol, autrice de « À qui profite la lutte ? » qui paraîtra bientôt chez Belfond.
00:35On va peut-être commencer par la politique, si ça vous va l'un et l'autre.
00:38C'était l'un des événements de la semaine dernière.
00:41D'ailleurs, c'est une vraie question. Est-ce que ça devait être un événement ou non ?
00:44Le sondage au Doxa pour Public Sénat, Jordan Bardella, candidat du RN, en tête des intentions de vote au premier tour,
00:50l'emporterait donc au second tour, dans toutes les configurations testées face à Edouard Philippe, face à Glucksmann, face à Mélenchon, etc.
00:57François Croce, est-ce que c'est de fait un événement politique, un sondage de cette sorte ?
01:04Pour nous, sondeurs politiques, ce n'est pas du tout une nouveauté.
01:07Il y a déjà toute une myriade d'enquêtes depuis plusieurs mois qui montrent au fait que les candidats RN,
01:12que ce soit Le Pen ou Bardella, sont très largement en tête au premier tour.
01:15Tout l'enjeu pour eux, c'est est-ce qu'ils vont passer la barre fatidique des 50%.
01:20La question, et d'ailleurs à une époque, c'était une réflexion de la commission des sondages,
01:24qui vous savez encadre notre métier depuis 1977, c'était est-ce qu'on peut publier des intentions de vote de second tour
01:31alors que les résultats ne sont pas encore connus ?
01:34Depuis en tout cas un certain temps, on autorise au fait les sondages de second tour,
01:39alors même qu'on est encore très éloigné, ce qui à nos yeux est un sujet de discussion, bien sûr, dans le débat public,
01:45puisque ça peut bien sûr ensuite influencer le débat.
01:49L'idée, c'est que, enfin ce que montre le travail de nos confrères d'Odoxa,
01:54c'est que voilà, Bardella s'est dégagé, on va dire, très nettement aujourd'hui au premier tour,
02:00comme au second, du corps moyen qu'incarnait celui de Marine Le Pen,
02:04et qu'aujourd'hui il est en mesure, on va dire, de l'emporter contre n'importe qui, y compris contre des candidats.
02:10Ne répondez pas à ma question. Est-ce que c'est un événement de publier un sondage comme ça, cette info ?
02:15Est-ce que c'est un événement ? Est-ce que c'est une information ? Est-ce que c'est un événement ?
02:18Et est-ce que c'est de nature à changer la donne politique de prendre cette nouvelle en pleine poire ?
02:24Alors, je crois que tous les experts politiques savaient déjà que les candidats RN, surtout Bardella,
02:29étaient déjà en mesure de l'emporter.
02:31La nouveauté, c'est que l'écart est encore plus fort qu'avant.
02:34Léa Chamboncel, nous sommes donc à un an et demi, François Croce vient de le rappeler.
02:40Est-ce qu'un tel sondage a un sens ?
02:43Est-ce qu'il permet d'informer sur le rapport de force à un instant T ?
02:48Ou est-ce qu'il oriente l'opinion et, à la suite de cela, le vote ?
02:53Alors, c'est quand même une très très bonne question.
02:55Et je pense que la façon dont vous la problématisez est particulièrement pertinente,
02:59puisqu'il y a deux choses, effectivement.
03:00Il y a la question de savoir qu'est-ce que ça dit à un instant T, à savoir à un an et demi de la présidentielle.
03:06Donc, il faut quand même manier ces résultats avec beaucoup, je pense, de prudence, compte tenu de la temporalité.
03:11Qu'est-ce que ça dit, effectivement, de notre société et de désintention aujourd'hui par rapport à un candidat RN ?
03:18Moi, ce qui m'intéresse aussi, c'est que finalement, on a complètement éclipsé Marine Le Pen dans ce sondage.
03:22Et je pense qu'en termes de stratégie, peut-être même au sein même du parti, ça peut avoir des conséquences.
03:27Alors, qu'on comprenne bien, que tout le monde puisse vous suivre.
03:30C'est-à-dire que la candidature de Marine Le Pen n'a d'emblée pas été testée.
03:35Donc, c'est un choix de la part de l'Institut Odoxa.
03:38Et ça a été dénoncé par beaucoup en montrant que c'est ce qui s'appelle une méthodologie orientée.
03:42En tout cas, c'est un choix qui risque d'orienter la suite, François Krauss.
03:45Ça peut potentiellement avoir des répercussions, effectivement, sur la stratégie même du parti en interne, pour la présidentielle.
03:51Compte tenu de la situation judiciaire de Marine Le Pen, le choix de nos confrères d'Odoxa n'est pas surréaliste.
03:56Aujourd'hui, elle a quand même peu de chances d'être candidate.
03:59Et donc, c'est normal que, compte tenu du fait qu'elle est actuellement empêchée par la justice d'être candidate,
04:03il privilégie qu'un seul candidat pour le Rassemblement National.
04:06Alors, François Krauss, depuis quand, en France, les sondages politiques jouent réellement un rôle,
04:13enfin, s'invitent réellement dans les élections ?
04:15L'IFOP est un vieil institut, puisque nous l'étions depuis 1938.
04:19Mais, pendant longtemps, on était vraiment circonscrit à la sphère universitaire.
04:22Et c'est à partir de 1965, quand nous avons été les premiers à annoncer le balotage du général de Gaulle à la présidentielle,
04:29que les instituts de sondage et les sondages sont devenus un élément central.
04:331965, c'est la première élection présidentielle en France au suffrage universel direct.
04:38Voilà, puisqu'avant, le système des élections législatives de la IVe République était tellement complexe
04:43qu'il rendait les prédictions très difficiles.
04:45La simplicité du scrutin a fait que les sondages politiques, et même sociétales, etc.,
04:51ont pris une ampleur très élevée.
04:53Et aujourd'hui, depuis que les enquêtes sont essentiellement faites par questionnaires automnistrés en ligne,
04:57elles sont à la fois plus rapides et moins onéreuses à produire.
05:00Et tout un ensemble d'acteurs médiatiques peuvent commander facilement ce type de sondage.
05:04Ça signifie qu'il y en a beaucoup plus ?
05:05Ah oui, bien sûr, il y a eu une inflation.
05:07Je vous invite à aller regarder les notices à la commission des sondages.
05:10Et on est à un niveau de production qui est à des années-lumières de celui qu'on avait dans les années 70.
05:15Où dans les années 60, il faut prendre trois mois pour produire un sondage.
05:18Aujourd'hui, on prend en moyenne trois jours.
05:20Et des fois, quand on est très pressé pour les soirées électorales avec France Inter, on prend trois heures.
05:24Donc, en réalité, on a des moyens aujourd'hui de produire très rapidement ce type de sondage.
05:28Et à partir de quand naît la critique du sondage ?
05:30Je demande aux sondeurs de faire la généalogie de la critique du sondage.
05:34Assez vite, en réalité ?
05:34La plus célèbre, c'est dès les années 70, Pierre Bourdieu qui a écrit un fameux article « L'opinion n'existe pas ».
05:40L'opinion publique n'existe pas et qui montrait à quel point, bien sûr, toutes ces questions sont à la base construites par, on va dire, les sondeurs, les commanditaires, mais aussi les chercheurs.
05:50Puisque je vous rappelle que cet outil d'enquête quantitative est au cœur du métier de nos amis sociologues.
05:55Léa Chamboncel, vous qui développez un regard critique sur les sondages et qui vous en servez aussi du point de vue des candidats.
06:02On vient de le dire, évidemment, un sondage peut influer sur l'offre politique elle-même, c'est-à-dire comment au sein du parti, en réalité, de voir une figure politique montée dans les sondages, va déterminer, en lieu et place de la primaire, qui sera le candidat ?
06:18Oui, absolument. Il y a ça, d'une part, comme je le disais tout à l'heure, ça peut avoir une influence sur la stratégie politique des partis en interne, mais ça peut avoir aussi une influence sur le corps électoral.
06:28On a vu notamment, je m'explique, on voit le phénomène du vote utile. Beaucoup d'électeurs d'électrices vont avoir tendance parfois, à la veille d'une présidentielle et ou de législative, d'aller voter utile en considérant que certains candidats ou candidates, du fait de leurs chiffres un peu faibles dans les sondages, n'ont pas de chance de remporter l'élection.
06:51Donc au lieu de faire un choix, finalement, de cœur et démocratique...
06:55Donc pour vous, c'est un effet pervers ?
06:56Alors, je n'irai pas jusqu'à dire que c'est un effet pervers, parce que je ne suis pas tranchée à ce point-là, mais je pense qu'il faut le manier avec prudence.
07:04Déjà, les sondages font des erreurs, des erreurs assez importantes.
07:07On se souvient de 2002, si, selon les sondages, Jospin aurait dû être au second tour, Donald Trump n'aurait pas dû remporter la présidentielle face à Hillary Clinton en 2016, et le Brexit n'aurait pas eu lieu.
07:17Donc voilà, il y a quand même un certain nombre de phénomènes politiques qui ont été anticipés par les instituts de sondage et par les sondeurs, qui finalement ne se sont pas réalisés.
07:25On va quand même laisser le sondeur défendre les sondages.
07:27Et je pense que c'est important.
07:28Mais autre aspect, pardon, je pense qu'effectivement, du coup, ça a un impact sur la pluralité, le pluralisme démocratique et d'opinion politique qu'on peut avoir.
07:36Parce que les sondages polarisent, simplifient en fait.
07:39Les sondages polarisent, puisqu'il y a rarement de la nuance dans les questions qui sont posées, à mon sens.
07:43Et en plus de ça, effectivement, il y a ce phénomène qui n'est pas à négliger, de vote utile, qui se met en place et qui est de plus en plus réel au fur et à mesure, notamment des présidentielles.
07:52C'est moins vrai pour les statifs qui sont plus compliqués.
07:54Je partage entièrement vos critiques sur l'impact des sondages sur la vie publique.
07:58Par contre, si je peux me permettre, vous évoquez le passé, que c'est quand même il y a 23 ans, la dernière erreur des sondeurs.
08:04Depuis, jamais les instituts français se sont trompés dans l'ordre d'arrivée des trois premiers à la présidentielle.
08:10Et donc, le sondage est fiable.
08:13Et par rapport à l'étranger, nos confrères britanniques ou américains ont fait plusieurs erreurs très connues.
08:18Mais nous, en France, on n'en a jamais.
08:19Il y a eu une méta-analyse qui a montré que les sondages d'aujourd'hui étaient bien plus précis qu'il y a une quarantaine ou une trentaine d'années.
08:25Et en tout cas, les instituts français n'ont pas fait d'erreur flagrante pour les présidentielles depuis 23 ans.
08:30Pour les présidentielles, je dis sur les législatives, typiquement, c'est plus compliqué.
08:34Sur les législatives, nous avons fait très bon en pourcentage.
08:36C'est sur le travail artificiel de projection de sièges qui est extrêmement complexe.
08:39Je voudrais qu'on dise un mot de ce sondage qui a fait couler énormément d'encre le 18 novembre dernier.
08:45L'IFO publie un état des lieux du rapport à l'islam et à l'islamisme des musulmans de France.
08:51Je cite vos mots, François Croce.
08:52Ce sondage révèle, je vous cite, une intensification des pratiques religieuses, un durcissement des positions sur les questions de mixité et une sympathie croissante pour les courants radicaux de l'islam politique.
09:03Il a fait polémique.
09:04Est-ce que vous vous attendiez à tant de polémiques, François Croce ?
09:07Non, moi je suis en plus expert associé à la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme, expert à la Fondation de Jeunes sur les questions de genre et de féminisme.
09:17Non mais surtout je suis auteur des trois dernières enquêtes sur les discriminations envers les musulmans de France.
09:22Et je déplore qu'il y a deux mois nous ayons publié une grande enquête sur l'islamophobie issue du même échantillon de musulmans et qui n'a suscité quasiment aucun débat et très peu de reprises presse.
09:32Alors que celui-là qui monte le rigorisme et une tentation islamiste notamment chez les jeunes suscite un écho énorme.
09:38Quatre plaintes d'associations musulmanes et vous, ensuite aussi des critiques très vives sont venues des députés insoumis, Bastien Lachaud et Paul Vagneux, contre lesquels l'IFOP a à son tour porté plainte.
09:53Ça c'est pour vous remettre le contexte.
09:55Donc en fait vous, vous dites le problème c'est l'utilisation qu'on fait de nos sondages, c'est ça, de nos enquêtes.
10:02C'est la façon dont les réseaux sociaux, les chaînes d'info et là fortiori CNews éventuellement s'en est servi ?
10:07Oui mais il y a une construction du problème musulman depuis des décennies qui repose notamment sur l'absence de données de cadrage,
10:13l'absence de données de grandes recherches publiques sur le sujet qui fait qu'on a tout un ensemble de chiffres farfelus.
10:18Comme par exemple aujourd'hui vous avez les français qui croient en moyenne que les musulmans pèsent pour 31% de la population
10:25alors que notre enquête a le mérite de remettre la mosquée au milieu du village avec seulement 7%.
10:29Et pour le reste, oui bien sûr que vous avez toute une partie de la bolosphère et du champ médiatique et politique qui s'encartent de ce type d'enquête
10:37parce qu'ils y voient un élément de réponse.
10:40Léa Chamboncel, si je cite le recteur de la Grande Mosquée de Paris,
10:44a mal posé les questions, on finit toujours par fabriquer les peurs qu'on prétend mesurer.
10:49Ça ce sont ses mots.
10:51Là où le sondage a été critiqué c'est notamment sur l'orientation des questions.
10:56C'est un sujet l'orientation des questions.
10:58Oui, un peu comme finalement le traitement des faits et de l'actualité lorsqu'on est journaliste.
11:03Il n'y a rien de neutre en fait.
11:05La façon dont les questions sont posées, je pense que la question en amont qu'il faut se poser lorsqu'il y a des sondages
11:10notamment de sociétés mais aussi politiques, c'est quelle est l'intention derrière tout ça ?
11:15Et aussi quelle est l'interprétation qui va en être faite ?
11:17Vous avez raison, lorsque vous dites que finalement il y a une étude qui est sortie il y a deux mois,
11:22la presse s'en est finalement assez peu saisie,
11:25alors qu'en réalité il est quand même assez important de relever ici aujourd'hui et ailleurs
11:29que les faits d'islamophobie sont en augmentation dans notre pays.
11:33Et ça c'est vrai que finalement ça fait moins d'audience, donc c'est moins intéressant.
11:37Et là moi ce qui m'inquiète en fait dans ce type d'interprétation notamment,
11:43c'est le fait qu'on stigmatise encore une population qui est suffisamment stigmatisée
11:47et à mon sens ce n'est pas forcément très très bon pour notre paix sociale.
11:51La faute à ce sondage ou la faute à la récupération de ce sondage ?
11:54Alors je ne peux pas moi, puisque je n'ai pas les compétences,
11:58venir critiquer comment le sondage a été fait et par ailleurs je n'ai pas eu toutes les questions etc.
12:02Je crois qu'elles ne sont pas toutes publiées.
12:03Tout est publié.
12:04Tout est publié pardon.
12:05En revanche, ce que je peux dire en tant que journaliste qui traite l'actualité au quotidien,
12:10c'est que les médias ont une part de responsabilité.
12:12C'est indéniable.
12:13Y compris France Inter, puisqu'il y a deux mois nous vous avons envoyé en exclusivité
12:16l'enquête sur l'islamophobie et vous ne l'avez pas traité.
12:19Alors que là, vous traitez vous-même l'enquête sur l'islamisme.
12:21Ce que je veux dire, c'est que même des grandes maisons honorables,
12:23France Inter, ce n'est pas CNews, qui est très consciente de ces enjeux de lutte contre le racisme,
12:28malheureusement pour des raisons diverses et variées,
12:30on vient à faire comme tout le monde, c'est-à-dire à traiter quand on est sur un angle polémique
12:34et pas sur les problèmes que vivent au quotidien les musulmans
12:37dans nos enquêtes qui sur l'islamophobie étaient avec des chiffres assez affolants.
12:42Mais sur le caractère orienté des questions, si je peux me permettre,
12:45ces questions, elles ont toutes été co-construites.
12:48Parce qu'elles sont toutes issues à deux exceptions près d'enquêtes
12:51qui ont été co-construites avec le journal Le Monde, le Nouvel Obs,
12:54le Monde des Religions, La Croix, Elle, Marianne,
12:57que des rédactions qui sont connues pour leur lutte contre les racismes et les discriminations.
13:01Donc au fait, il n'y a pas d'orientation de droite ou d'extrême droite
13:04dans nos formations de questions.
13:05Et d'ailleurs, le journal Le Monde, qui a été notre partenaire historique sur ces questions,
13:09concluait exactement aux mêmes choses que nous il y a une vingtaine d'années.
13:13C'est la fin de ce débat et je précise que si la rédaction de France Inter,
13:16je n'y étais pas, mais n'a pas repris vos précédents en sondage,
13:19ce sont des sujets qui sont très largement documentés et traités dans nos journaux
13:24et sur notre antenne.
13:26Merci à tous les deux, François Croce et Léa Chamboncel.
13:28Dans un autre...
Écris le tout premier commentaire